Laborderie Pascal, Éducation populaire, laïcité et cinéma : une médiation culturelle en mouvement
Laborderie Pascal, Éducation populaire, laïcité et cinéma : une médiation culturelle en mouvement. 2021, 266 p., Paris, L’Harmattan. ISBN : 978-2-343-21876-2 Prix : 27 €
Texte intégral
1Après avoir consacré une partie de ses recherches aux différents usages du cinéma non commercial, Pascal Laborderie poursuit ses réflexions dans cet ouvrage adapté de son habilitation à diriger les recherches (HDR).
2Éducation populaire, laïcité et cinéma : Une médiation culturelle en mouvement, publié aux éditions l’Harmattan et préfacé par Éric Favey, le vice-président de la Ligue de l’Enseignement, se constitue de trois parties. Chacune retrace chronologiquement une période de l’histoire du cinéma éducatif : « le cinéma éducateur de 1920 à 1949 », « les ciné-clubs de 1949 à 1989 » et enfin « les festivals de 1989 à 2020 ». Les deux années charnières sont liées à la création du Centre National de la Cinématographique (CNC) en 1949, et à celle des débuts de l’activité Collège au cinéma en 1989.
3L’auteur aborde l’histoire culturelle française à travers les dispositifs d’éducation populaire laïque mis (ou démis) en place au gré des politiques publiques ainsi que les processus de médiation du cinéma principalement animé par le réseau associatif. Dans cette optique, une large part est faite aux actions menées par la Ligue de l’Enseignement.
4À partir d’un travail sur les archives, les périodiques, les documents législatifs, des entretiens et des analyses sémiologiques de quelques films, Pascal Laborderie décortique donc tous les mouvements du cinéma éducatif laïque et les moyens mis en œuvre pour la formation du citoyen aux valeurs de la République française depuis 150 ans.
5L’ouvrage se conclut par une bibliographie thématique et plusieurs directives émanant du ministère de l’enseignement national sur les « missions du professeur » en lien avec les sciences de l’information et de la communication ainsi que sur l’éducation aux médias.
Une histoire à rebondissements
6Dans un premier temps, l’auteur se concentre à donner une définition du cinéma éducatif. Contrairement au cinéma commercial qui crée une cinéphilie et distingue ses différents publics (par classe sociale notamment), le cinéma à vocation éducative gomme la notion de public au profit des pratiques de sa médiation, car son public est déjà captif. Si le cinéma est, d’une façon générale, autant un vecteur pédagogique que culturel, le cinéma éducatif s’analyse davantage par ses finalités et par son contexte de diffusion. Ainsi, l’accès à la culture par les films est intimement lié à celui de sa médiation sociale, politique et institutionnelle.
7Dans cette première partie, Pascal Laborderie retrace l’historique du cinéma éducatif laïque. Il est d’abord né dans les conférences avant de s’élargir à l’école publique. Il s’est largement diffusé sur le territoire national, auprès des élèves, mais aussi d’adultes en formation, et également dans les colonies. Son objectif initial était en effet la formation des citoyens, et non de cinéphiles. D’importants moyens financiers sont alloués à sa diffusion ainsi que des exonérations fiscales afin de propager non seulement la culture française dans des lieux reculés (ruraux par exemple), mais aussi la langue française (notamment en dehors de la métropole). Le réseau du cinéma éducateur laïque, composé d’associations autant que de politiques, a pour mission de lisser les différences pour faire une société unifiée par une même langue et par une même culture. Il s’agit aussi de contrer la montée des extrêmes à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, le cinéma éducatif, loin d’être un outil neutre d’éducation, servait aussi une propagande républicaine et progressiste. L’auteur analyse par exemple « la place des femmes dans les films de Jean-Benoît Lévy », un réalisateur, selon lui, « emblématique du cinéma éducateur laïque ». La première partie de l’ouvrage se conclut sur les raisons de l’anticléricalisme de ce cinéma.
8La seconde partie de l’ouvrage se détache de l’école publique pour aborder la diffusion des films dans les ciné-clubs, dont la naissance en France à partir des années 1950 a été encouragée par des mesures de défiscalisation des œuvres cinématographiques non commerciales. Dès lors, un basculement des pratiques va s’opérer, avec non plus de « l’éducation par le cinéma », mais de « l’éducation au cinéma » (page 108), reléguant la fracture entre catholiques et laïques au second plan. Ainsi, « malgré les dissensions qui animent le champ, les fédérations de ciné-clubs, qu’elles soient laïques ou confessionnelles, se rejoignent dans une même conception auteuriste du cinéma » (page 120). Le cinéma éducateur n’est alors plus considéré uniquement comme un vecteur de propagande. Son public n’est plus captif et passif. Il devient critique et actif. Il convient désormais d’accompagner la discussion autour du film et non plus d’en proposer une version uniforme. Le ciné-club modifie l’usage du cinéma éducateur. Il n’est plus un relai des valeurs républicaines au collectif. Il se transforme en un outil d’émancipation culturelle individuelle. Afin d’appuyer son argumentation, l’auteur analyse les affiches réalisées par les ciné-clubs pour promouvoir leurs séances. Il s’aperçoit que ces documents amateurs ont participé « à un double processus de démocratisation et de consécration symbolique du cinéma en tant qu’art. » (page 141), car les affiches sont, en plus de relayer des informations sur le film, des relais de la critique sur le film à travers leur mise en forme et leur discours.
9Enfin, dans la dernière partie de son ouvrage, Pascal Laborderie s’interroge sur les raisons du déclin de ce mouvement du cinéma éducateur et sur ses éventuelles résurgences. À partir de la fin des années 1970, la fréquentation des ciné-clubs décroît. Ils sont concurrencés par la privatisation de l’audiovisuel, l’individualisation des pratiques et un non-renouvellement ou un vieillissement des acteurs du tissu associatif. De plus, le CNC instaure des dispositifs d’école ou de collège au cinéma, affectant fortement l’adhésion aux fédérations de ciné-clubs. La diffusion extrascolaire est aussi encouragée par l’apparition de festivals en circuits fixes ou itinérants, tels que le festival du film documentaire de Lussas créé en 1989 ou le festival du film arabe de Fameck. Ainsi, ce ne sont plus uniquement les films qui agissent comme des unificateurs sociaux, mais aussi leurs lieux de diffusion en zone rurale ou dans des quartiers dits difficiles. L’objectif initial reste cependant inchangé : « il est possible d’utiliser un dispositif de médiation culturelle pour intégrer des populations issues des migrations en tenant compte des identités socioculturelles des publics pour promouvoir une culture commune. » (page 189). En ce sens, l’auteur s’arrête sur le festival « Première marche » de Troyes dont il a étudié pendant cinq ans les outils et les publics, notamment les seniors, afin d’analyser les mécanismes de la formation du citoyen tout au long de la vie.
10En conclusion, Pascal Laborderie insiste sur l’importance du tissu associatif français d’éducation populaire laïque dans la promotion des valeurs et des principes républicains. L’évolution des modèles de diffusion est liée aux mouvements sociaux et politiques du pays, autant qu’au cinéma dont les techniques ont également changé au fil des ans. En élargissant le champ de recherche aux médias, il propose ainsi cinq nouvelles pistes de travail sur l’éducation populaire.
Un mouvement méconnu
11Cet ouvrage a le mérite d’aborder l’éducation populaire dans un angle inédit, celui du cinéma non commercial avec moult exemples de films. Cette publication n’est pas uniquement destinée aux chercheurs, mais aussi, et peut-être surtout, aux animateurs sociaux et politiques de ces réseaux éducatifs, qu’ils soient associatifs, festivals ou institutionnels.
12Si le cinéma éducatif pourrait aisément s’inscrire dans le champ des études cinématographiques, il entre aussi ici pleinement dans les préoccupations des sciences de l’information et de la communication, car les dispositifs d’éducation par le cinéma répondent à une logique interdisciplinaire et s’intéressent surtout aux publics et aux outils de médiation. De plus, l’ouvrage détaille le rôle prépondérant qu’ont joué les partis politiques, notamment socialistes, dans le développement du cinéma éducatif laïque. Tranchant la polémique sur une éventuelle récupération extrémiste de ces films, l’auteur argue que ces films étaient initialement anticléricaux, en faveur de la mixité sociale et idéologiquement liés au Front populaire. Leurs usages actuels ont évolué tout en conservant la finalité éducative. Ce regard historique permet d’appréhender les actions présentes et de questionner les méthodes actuelles d’éducation aux images.
13La large part faite dans cet ouvrage à la Ligue de l’Enseignement pourrait lui être reprochée si elle n’était pas nuancée par l’ouverture vers d’autres axes recherches qui sont proposés en fin d’ouvrage. Ainsi, l’intérêt du livre de Pascal Laborderie réside également dans la mise en perspective des recherches déjà entreprises avec les pistes en suspens, notamment l’étude des ciné-clubs ou des fédérations laïques et confessionnelles. Au regard de la multiplication des vecteurs de diffusion, des contextes socioculturels diversifiés et de la montée des extrémismes, la médiation des images est donc un sujet d’autant plus prégnant et majeur dans le débat public autant que scolaire.
Pour citer cet article
Référence électronique
Karine Blanchon, « Laborderie Pascal, Éducation populaire, laïcité et cinéma : une médiation culturelle en mouvement », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/15414 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.15414
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