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Parutions

Ledouble Hélène, Médiatisation de la science et diffusion des connaissances

2023, 228 p., Londres, ISTE
Vincent Meyer
Référence(s) :

Ledouble Hélène, Médiatisation de la science et diffusion des connaissances. 2023, 228 p., Londres, ISTE. ISBN : 978-1-78405-920-0 Prix : 68 €

Texte intégral

1Disons-le, d’entrée de jeu, voilà un ouvrage utile en ces temps où la science lato sensu et les connaissances par elle produites sont interrogées de toutes parts et, où la vulgarisation scientifique s’avère être des plus sensibles face à une démultiplication d’experts et d’expertises qui n’ont pas tous un statut de chercheur. De fait, bien au-delà de la seule approche agroécologie qui est le domaine scientifique au cœur de son travail, l’analyse d’Hélène Ledouble intéressera, à n’en pas douter, tous les champs disciplinaires. L’auteure est maître de conférences HDR à l’université de Toulon ; elle travaille en linguistique appliquée et en analyse de données textuelles ; ceci avec une posture originale (p. 71) à savoir que « le rôle du linguiste est double : d’une part, se mettre à la place d’un citoyen (non spécialiste), et identifier ce qu’il peut percevoir dans ce [un] domaine à travers la lecture d’articles de presse ; d’autre part, examiner les éléments de langage qui peuvent porter à confusion dans la communication à destination d’un public hétérogène » surtout face (p. 74) « à la complexité d’un sujet innovant et méconnu du grand public ».

2La préface d’Anne Condamines résume remarquablement l’ambition de cet ouvrage sur la forme du questionnement suivant : « les concepts scientifiques sont-ils accessibles au grand public ? La vulgarisation n’est-elle pas une dénaturation de la séance ? S’agit-il d’une simple traduction ? Quel rapport existe entre vulgarisation et formation ? ». L’ouvrage paru dans la série « Communication, environnement, science et société » est ordonné en trois parties (le défi de la médiatisation scientifique ; la médiatisation de la science dans le domaine de l’agroécologie ; problématique et défis dans la médiatisation des questions agroécologiques) avec huit chapitres (du dialogue science-société aux défis à relever en agroécologie). Ces chapitres richement documentés comprennent un nombre important de sections, de sous-sections qui donne un aspect très (trop ?) « pédagogique » et, parfois gêne la lecture. Mais il faut surtout y voir le souci de structuration de l’auteure afin, à la fois : d’initier le lecteur aux défis que pose la médiatisation scientifique ; de le faire entrer dans ses problématiques, tant celles produites avec ses analyses d’un corpus de presse français et anglais (1686 articles) que celles que nous amènent ses 295 références bibliographiques pluridisciplinaires et le glossaire proposé (p. 189).

3Cet ouvrage pose ainsi des questions stimulantes sur le comment différents travaux scientifiques – a fortiori sur les problèmes environnementaux et, plus spécifiquement ici dans le domaine de l’agroécologie – sont-ils transmis et perçus ; comment sont-ils encore reçus dans nos sociétés et comment ces dernières in fine s’en emparent-elles ? Dit autrement encore (p. 29) comment « la parole de tout un chacun peut[-elle] participer à la mise en débat de questions scientifiques [un défi en soi au regard des récentes controverses notamment sanitaires et du scepticisme ambiant] ; comment se transmettent les connaissances de celles et ceux qui « savent » par quelles médiations notamment lorsque celles-ci sont (p. 5) « au croisement de deux démarches divergentes par nature – l’approche scientifique et l’approche médiatique – dont la rencontre s’avère non seulement nécessaire, mais assurément déterminante pour une bonne intercompréhension ».

4L’auteure prend beaucoup (et avec raison) de précautions et fait preuve d’une prudence méthodologique remarquable sur cette notion sensible d’intercompréhension quand (p. 9) elle formule l’hypothèse « qu’il est difficile d’informer convenablement le lecteur sans apporter un minimum d’éléments de connaissance » ou pose (p. 13) la difficulté d’élaborer « ces stratégies discursives [qui] assurent une transmission d’information claire et accessible à un large public ». Ceci pose tout de suite une question à tiroirs qu’empoigne Hélène Ledouble – et, on en mesure sans peine la difficulté – comment transmettre/partager un savoir scientifique a fortiori sur des questions sensibles, que signifie encore une mise en débat de questions scientifiques ? plus même, (p. 27) « permettre à l’ensemble des lecteurs d’avoir une connaissance globale d’un sujet (processus, acteurs, enjeux, etc.) et de participer au débat démocratique en connaissance de cause [dans des contextes où] les médias rapportent les paroles des différentes parties prenantes en faisant le choix des experts consultés ». Elle précise à la suite, pointant une divergence fondamentale entre les démarches scientifiques et médiatiques (p. 33) que le temps (long) des chercheurs, celui de leurs progrès et résultats ; celui court des médias n’est pas celui des récepteurs précités. L’auteure mobilise également l’analyse de Sébastien Rouquette (p. 38) : « Sans résultats aux implications tangibles, sans effet directement mesurable sur la vie quotidienne des gens, une découverte scientifique a peu de chances d’être médiatisée ». Hélène Ledouble soutient pourtant ce constat du double sceau des pratiques communicationnelle et de la production de connaissances (p. 39) : « C’est cette [une] forme de production d’un réel social qui se construit entre la science et les lecteurs, par l’intermédiaire du journaliste, informé par des sources spécialisées ». Sources qui proviennent à la fois – sans doute (souvent) en mode dégradé et c’est là un autre enjeu de la médiatisation scientifique – de la littérature scientifique et/ou des agences réglementaires du moment, des test et résultats aussi produits par les industriels producteurs de différents produits soumis à controverse. Sans compter que dans ce réel social perpétuellement mouvant sont (re)produits dans différents contextes (notamment de crise, d’événement, d’affaire…) ou « moments discursifs » (p. 81) convoquant, dans des temporalités fluctuantes (p. 90) « divers intérêts rhétoriques (notamment la non-redondance et la simplification) ». Tout ceci à nouveaux frais en équipant les objets de discours de termes, dénominations, catégorisations, formes sémantiques, notions, concepts pour « faire référence » i.e. légitimer, innover, rassurer, lutter, protéger, contrôler…

5L’autre difficulté sensible que Hélène Ledouble pose en creux est celle des publics destinataires de tous ces sujets scientifiques et/ou récepteurs de cette médiatisation des connaissances aux éléments terminologiques et textuels protéiformes. Des publics qu’il faut convaincre à défaut de les avoir vraiment caractérisés avant de les qualifier comme tels. Ces domaines et résultats scientifiques seraient-ils finalement réservés aux seuls « initiés » et inaccessibles à la plupart des individus ? La tâche est ardue quand on sait que les sujets repris par les différents médias ne garantissent pas/jamais un traitement exhaustif, à tout le moins pédagogique des risques et défis environnementaux, climatiques, alimentaires... Ainsi l’auteure nous interpelle-t-elle aussi sur les modes d’action qui en résultent i.e. (p. 67) : « Un citoyen [e.g. lecteur ou semi-expert, p. 178] peut-il s’engager dans un débat éclairé sur ces sujets à partir du discours de presse ? ». Par ailleurs, ce public s’affirme telle une évidence alors que les questions de sa caractérisation puis qualification prédominent l’ensemble. En effet, qui est ce lecteur [qui de surcroit peut-être, sans trop de doutes, à la fois auditeur et/ou téléspectateur] tantôt expert/non ou moins expert ? un lecteur spécialiste versus non spécialiste ? un lecteur de presse « moyen » (p. 53) ? un lecteur (p. 129) « qui n’a pas [se basant sur le discours de presse] forcément les prérequis pour interpréter les énoncés précisément » ? un acteur plus concerné par la science versus un savoir savant ? en outre, comment se justifie la figure du médiateur entre (p. 30) science d’un côté, public de l’autre ». Pour « simplifier », qu’est-ce in fine qu’un large et/ou grand public ? Comment (re)penser une médiatisation de la science « comme un outil d’éducation au plus grand nombre » (p. 23). En ce sens, même si Hélène Ledouble ne l’aborde pas frontalement, l’ouvrage apporte aussi des éléments de réflexion sur ce que sont/seront (p. 31) des « sciences citoyennes » ou des « sciences participatives » qui [dans lesquelles l’auteur de cette recension inclue les démarches de recherche-action https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/​10.4000/​communicationorganisation.3455] qui peuvent appuyer diversement (p. 78) « de nouvelles problématiques d’intercompréhension » ou (p. 171) contribuer à « la nécessaire coordination entre le travail des chercheurs et celui des communicants pour une démarche qualitative à la fois sur le fond et sur la forme de l’information. Si cette collaboration “en amont” de la diffusion est pertinente, [elle souhaite également] revenir sur une forme de collaboration “en aval”, et sur le rôle [mais aussi l’implication et les postures p. 174] du public dans cette co-construction de sens de l’information diffusée ».

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Pour maintenant davantage centrer le propos sur l’approche terminologique et cognitive en agroécologie, la seconde partie de l’ouvrage met au jour cette fragile synthèse entre questions/perceptions écologiques et pratiques professionnelles/médiatiques en information-communication. Ainsi dans le champ lexical de l’agroécologie. l’opposition sain versus dangereux (p. 110) est-elle éclairante à plus d’un titre quand des méthodes biologiques naturelles prennent des allures de « lutte biologique » pour en finir avec divers traitements chimiques et autres produits toxiques ou encore en (s’)appuyant sur l’antagonisme des méthodes anciennes, actuelles et/ou innovantes. On imagine sans peine la quantité et qualité de l’information requise pour seulement transmettre la fonction de ces différents procédés et de leurs impacts ou plus trivialement que le lecteur comprenne leur importance et/ou divergences. Ceci se confirme et s’affirme dans la dernière partie de l’ouvrage où Hélène Ledouble (p. 121) catégorise « les questions de désignation en lien avec la notion de spécialisation ainsi que les problématiques liées aux biais cognitifs induits par les stratégies de simplification ». Et elle vise juste quand elle reprend différents travaux anglo-saxons et australiens (p. 129) mentionnant que « l’acceptabilité sociale et professionnelle des processus impliqués peut dépendre de ces questions terminologiques, d’autant plus, si les termes (spécialisés) employés ne permettent pas d’exprimer avec justesse la nature de ces processus : en l’occurrence, par sa référence à un objectif de mortalité (rapide et directe), en lieu et place d’un phénomène de régulation (de flux d’insectes) ». Énonçant à la suite, tout aussi justement, que la difficile mission de la presse (p. 141) est : « de s’appuyer sur ces deux types de cadrage, d’utiliser d’une part des éléments ponctuels et à impact immédiat pour capter (et divertir) un lecteur, mais également d’approfondir le sujet (au travers d’un cadrage thématique), au risque de ne pas “séduire” un lecteur potentiel ». Et de préciser, dans les défis à relever (p. 161), qu’il lui « semble alors important, en termes d’acceptabilité sociale, d’axer une partie de la communication du domaine sur certains de ses effets non intentionnels, pour permettre d’anticiper l’émergence des craintes, de méfiance, ou de controverses potentielles ».

7L’ensemble de ces difficultés d’émission/réception comme d’explication/interprétation dans diverses temporalités et via aujourd’hui de nombreux supports confirme le propos repris d’Edgar Morin (p. 148) pour qui « la sciences est complexe, intrinsèquement, historiquement, sociologiquement, éthiquement » et à Hélène Ledouble de l’appuyer pour exprimer qu’il « s’agit alors de ne plus chercher à éliminer cette complexité mais de la montrer, en considérant un ensemble de perspectives sur ce [un] domaine, qu’elles soient technologiques, environnementales, économiques, juridiques ou sociales Une vision simpliste sur la question de la protection des plantes ne peut donc à elle seule contribuer à une diffusion efficace dans ce domaine de spécialité ». Pareille affirmation à de quoi rassurer comme inquiéter « le citoyen » face aux risques du progrès de la science – et de ses constructions intellectuelles – comme face aux compétences de divers (re)médiateurs désignés pour (p. 159) « promouvoir un lien plus fort entre le monde scientifique et le monde médiatique ».

8Comme un clin d’œil à l’auteure, en relisant cette recension, son auteur éprouve précisément les enjeux, dans l’exercice académique d’une médiatisation de la science et de la diffusion d’une connaissance. Celles-ci n’exigeront jamais « peu d’efforts » (p. 138).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Meyer, « Ledouble Hélène, Médiatisation de la science et diffusion des connaissances »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/15403 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.15403

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Auteur

Vincent Meyer

Vincent Meyer est professeur d’Université à l’URE TransitionS - Institut méditerranéen du risque, de l’environnement et du développement durable -Université Côte d’Azur.

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