Corbillé Sophie, Fantin Emmanuelle & Wrona Adeline. Paris, capitale médiatique : Ville et presse au XIXe siècle
Corbillé Sophie, Fantin Emmanuelle & Wrona Adeline. Paris, capitale médiatique : Ville et presse au XIXe siècle. 2022, 224 p., Presses universitaires de Vincennes. ISBN : 978-2-37924-274-8, 23,00 €
Texte intégral
1L’ouvrage, Paris, Capitale médiatique, expose à travers les processus urbains et les processus médiatiques les liens matériels, sociaux, économiques, politiques et symboliques entre Paris et le monde médiatique à partir du xixe siècle. Il dépeint l’essor de la mondanéité du journalisme avec Émile de Girardin. Quel est le rôle des médias dans la construction de Paris et vice versa, quel est le rôle de Paris dans l’essor des médias ? L’ouvrage traite, au xixe siècle, des industries médiatiques dans leur aspect textuel, technique, social, géographique et historique et de Paris, capitale politique, culturelle, économique et médiatique. Il retrace le parcours d’Émile de Girardin avec dans une première partie Adeline Wrona, avec Pierre-Carl Langlais, avec Junghwan Lee et, enfin, avec Lisa Bolz et Juliette Charbonneaux. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs, Sophie Corbillé et Emmanuelle Fantin, Hécate Vergopoulos, Karine Berthelot-Guiet, et, Ambre Abid Dalençon se questionnent sur la conceptualisation journalistique et la ligne éditoriale de l’espace urbain. La troisième partie nous parle du fonctionnement de l’espace médiatique à Paris et dans le monde avec Marie-Ève Thérenty, Guillaume Pinson, et, Marc Berdet.
2Adeline Wrona évoque les transformations journalistiques au xixe siècle. Entre 1830 et 1880, Émile de Girardin est au centre des discours médiatiques. Analyser ses discours médiatiques reviendrait à cerner les transformations du monde journalistique parisien dans la deuxième moitié du xixe siècle. Trois raisons expliquent les contrastes discursives et iconographiques : la dépolitisation du journalisme qui endosse l’étiquette d’actualité, le nouveau modèle économique de la presse dit du « double marché » associant le monde des affaires et celui de la presse et la manière d’écrire pour alimenter la presse en reconditionnant ses propres textes.
3Pierre-Carl Langlais met en exergue le découpage du journal en mondes. En 1836, Émile de Girardin lance La Presse citée dans le journalisme et la publicité comme l’origine de l’industrie journalistique parisienne. Girardin soutient le développement de la presse en apportant des innovations économiques et sociales, des innovations éditoriales et culturelles. Avec La Presse, Girardin crée le roman-feuilleton ; puis, le rubriquage qui fait disparaître le désordre journalistique suivi de la disparition des colonnes qui libère du rubriquage. À chaque événement, son titre et sa structure éditoriale. L’année 1866 est marquée par l’introduction de plusieurs rubriques sous l’intitulé « monde » réduit dès 1868 au « Monde Parisien ». Cette transformation éditoriale aboutie à une transformation méta-discursive par l’archivage de la presse. Le roman-feuilleton né en 1836 puis le reportage apparu en 1866 sont interrompus. Ce dernier suscitait des lettres publiées dans La liberté. Le reporter se déplaçait dans le monde entier et sa correspondance régulière était immédiatement publiée. Après Les Mondes et les Lettres, la Signature est la dernière innovation éditoriale.
4Junghwan Lee poursuit cette démonstration en montrant la place du journaliste dans l’enchevêtrement des mondes médiatiques et politiques. Dans les années 1860, le Second Empire connait un tournant libéral auquel participe Émile de Girardin dans son axe médiatique et Émile Ollivier dans son axe politique. L’opposition libéralisation/libération et les élections législatives de 1869 précédées de campagnes électorales médiatiques poussent Girardin et Ollivier à prendre position pour la libéralisation dans le cadre des élections législatives de 1869. Paris est la capitale de la France. Elle est dotée d’une forte représentativité qui va impacter la relation entre Girardin et Ollivier. Paris joue un rôle centralisateur imbriquant la presse et les campagnes électorales. En 1870, Ollivier est nommé chef du cabinet par le Journal Officiel et Girardin, Sénateur par l’usage de pressions médiatiques sur les lecteurs. Les relations entre Girardin et Ollivier se déroulent sous le Second Empire dans un contexte de libéralisation réformatrice.
5Enfin, Lisa Bolz et Juliette Charbonneaux relatent Paris dans un projet politique et dans un contexte de décentralisation des médias. Girardin partage sa réflexion à partir de trois modes d’écriture : la lettre, l’essai et le journal dans une capitale siégée par les Prussiens. Le projet politique de Girardin consiste à s’appuyer sur l’activité médiatique matérialisée par l’intervention de la presse « régionale », un titre dédié à l’événement et leur installation dans une autre capitale médiatique momentanément. Girardin prévoyait également les conditions d’expression et de circulation et construit son propre projet médiatique, La Défense nationale, hors de Paris. Le sort de Paris est lié au sort du média contrecarré par Émile Madoulé qui lui vole ce titre. Girardin se replie à Tours où de nombreux journaux s’étaient implantés. Le journal La liberté vendu à son neveu lui permet de s’informer et de veiller à sa position dans la concurrence entre journaux. Il garde ainsi la posture de patron de presse et une voie d’expression. Girardin utilise deux nouveaux styles scripturaires : la répétition et la citation. Pour lui, la guerre est une affaire de territoire, un moyen médiatique et communicationnel.
6Je crois que la perception de Paris au centre du monde fait écho à la communication médiatique, centre de l’évolution culturelle, littéraire, économique et politique de la ville. Émile de Girardin a été l’un des précurseurs de ce mouvement au xixe siècle.
7Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs se questionnent sur la conceptualisation journalistique et la ligne éditoriale de l’espace urbain. Sophie Corbillé et Emmanuelle Fantin évoquent un Paris, présent dans toute la presse comme un mythe et une attraction commerciale internationale en marche vers le progrès. L’Exposition universelle de 1855 aide à textualiser la ville et à en constituer le sens. C’est la première fête de l’industrie et des arts favorable à la construction de la ville, à l’essor du capitalisme et du monde médiatique et à la floraison des industries culturelles de masse. Les récits médiatiques prennent part à la construction de la ville et nous rapportent tous les changements présents dans les représentations parisiennes. La Presse, journal d’Émile de Girardin, montre Paris comme produit symbolique et marchand. Elle expose un Paris politique, culturel et marchand et met en avant le système capitaliste et libéral en vigueur dans les Expositions universelles du xixe siècle. Le marché, la production et la consommation, le travail, la compétition, la libre circulation et la propriété privée intellectuelle sont les piliers de la société. Elle met en exergue l’activité commerçante parisienne renforcée par l’Exposition universelle comme un élan de l’activité publicitaire qui profite à tous : le renouvellement de l’offre par un approvisionnement direct, la récupération par les magasins d’objets de l’Exposition pour conforter leur notoriété. L’Exposition devient un label commercial. Paris, pour être le berceau d’Expositions, du commerce de marchandises et des productions médiatiques doit s’organiser administrativement par ses infrastructures, touristiquement par des guides prêts à l’emploi, littérairement et esthétiquement par la présence de grands magasins et de monuments.
8Hécate Vergopoulos à travers l’épisode des rats montre que progrès et pauvreté cohabitent à Paris. Les représentations de Paris, sur les rats et les médias sont liés. Il y aurait incompatibilité entre les rats et sa modernité. Paris est une ville urbaine moderne modelée par le capitalisme industriel et financier du xixe siècle. La Presse de Girardin fait un portrait des rats, puis des rats parisiens face au progrès au début des années 1890 et enfin établit un lien entre les rats parisiens et la modernité alimentant les représentations urbaines. La Presse soulève la question des rats à travers les dangers sanitaires et de subsistances. Elle reprend le cas des rats dressés de Durov humanisés, dotés qui deviennent d’une intelligence anormale, et reproduisant les préjugés de classes sociales et de genres. Le progrès permet de domestiquer par des procédés politiques, économiques, industriels, technologiques et sociaux. Dans les années 1880, Paris est florissante par ses infrastructures et par son hygiène. La présence des rats signale la misère urbaine et s’oppose à la modernité. La tendance actuelle serait de faire accepter la valeur du vivant sous toutes ses formes.
9Karine Berthelot-Guiet nous retrace le Paris publicitaire du xixe siècle sur les traces de Walter Benjamin par une production marchande subsistant grâce à la publicité. La banque, la politique, le médiatique, le publicitaire et le marchand sont inséparables. Paris connaît le développement des industries médiatiques et des activités marchandes. Girardin utilise le feuilleton pour vendre de l’espace publicitaire et pour attirer le lectorat. Boucicaut crée les grands magasins redéfinissant le monde marchand. Le journal, le grand magasin et l’Exposition universelle offrent à la publicité un piédestal. La pensée de Walter Benjamin sur les questions de la marchandise, de la consommation et de la publicité en vient à poser la publicité comme ayant un rôle économique d’enfermement du système capitaliste. Elle manipule et crée des besoins inexistants tout en influant le comportement des consommateurs. Comme Baudrillard, il critique un conditionnement total du consommateur. Le public s’accapare de la marchandise lors des Expositions universelles, précurseures de l’industrie du divertissement. La marchandise est personnifiée. Cette identification à la marchandise devient une identification à la valeur d’échange. Benjamin parle de la publicité sous deux angles : la publicité des affiches et la publicité des journaux. La publicité concerne la présentation de la marchandise mais aussi la présentation de la ville capitale. Elle fait de la marchandise une spécialité par sa présentation et son discours avec la complicité des Expositions universelles. Elle vend du rêve en dissimulant le caractère marchand de la marchandise. Elle s’assimile alors à l’art. Le modern style personnifie la marchandise en lui donnant un aura et Paris se fait la capitale de l’aura de la marchandise.
10Ambre Abid Dalençon s’appuie sur les librairies parisiennes et leur perception des revues professionnelles spécialisées en marketing et en communication pour nous exposer la volonté culturelle des acteurs de la communication, les stratégies et leurs effets dans la publication des revues. Les acteurs de la communication s’accaparent les librairies parisiennes pour publier leurs revues professionnelles spécialisées. L’auteure s’intéresse à la presse professionnelle en marketing et communication et plus particulièrement à Influencia (2005) et L’ADN (2014). Ces deux revues traitent de l’information professionnelle à savoir le marketing, la communication, la consommation, l’innovation et les nouvelles technologies. Les librairies sont pour les professionnels un lieu institutionnel et un lieu spatial. Les contenus de ces revues sont des réflexions sociétales et répondent à un thème traité par un spécialiste. Ces revues parlent de la société sous un angle communicationnel. La prédominance de la librairie parisienne sur les provinces se manifeste par son rôle central dans la fabrication et la diffusion de la presse nationale au cœur de la création littéraire et éditoriale, et comme lieu d’accueil des institutions de conservation et enfin par la présence des industries de communication sur Paris. Les fondateurs des revues sont intéressés par une large diffusion sur Paris et auprès de librairies renommées pour bénéficier de l’autorité et de l’aura intellectuel.
11À mon avis, Paris, capitale médiatique est décrite par l’impact de l’Exposition universelle sur la marche de Paris vers le progrès. Les rats déstabilisent dans la conception du progrès mais permettent de faire progresser l’hygiène et les infrastructures dans Paris. L’affiche publicitaire personnifie la marchandise lui enlevant son caractère marchand et vend du rêve. Paris est acceptée comme le centre de la France et a concentré tout vers elle : le développement économique, politique, culturel, médiatique, journalistique, architectural, technologique et social.
12La troisième partie nous parle du fonctionnement de l’espace médiatique à Paris et dans le monde. Marie-Ève Thérenty nous dit comment l’industrie médiatique fait des promotions à l’initiative de Delphine De Girardin. Cette dernière écrit d’abord une chronique d’annonces ; puis, participe à la fondation d’une grande industrie médiatique parisienne avec le recueil qui lui permet d’éliminer des passages précapitalistes de la chronique. Elle se sert de la chronique pour décrire les événements mondains parisiens et évaluer les discours. Elle respecte les règles de la culture médiatique : la périodicité ou l’exactitude, le contrat d’actualité, et le concept de rubrique avec son thème, un espace matériel, un genre d’écriture et une signature. Elle applique les genres réservés aux femmes et ajoute la poétique dans la chronique. Delphine de Girardin utilise le feuilleton-chronique pour dépasser les frontières qui lui sont réservées par l’industrie du journal. Elle banalise l’événement journalistique et utilise l’absurde pour démystifier le journal. Celui-ci se compose d’un discours sérieux relatant le monde des affaires et un aspect fantaisiste par le feuilleton. Elle crée son identité journalistique et le principe polyphonique ironique. Elle s’occupe de la réclame et d’un storytelling autour de la vie culturelle et commerciale de Paris. Elle fait la promotion du Paris médiatico-commercial. Émile de Girardin a utilisé la publicité déguisée pour compenser la baisse de ses abonnés. L’usage de fausses comtesses permettaient de glisser la réclame dans une chronique. Delphine de Girardin est déchargée en 1938 de la réclame. En 1843, elle publie un recueil de chroniques. La chronique de Delphine de Girardin annonce l’esthétisation du produit commercial. Elle écrit Le courrier de Paris en délaissant le capitalisme culturel et les industries médiatiques.
13Guillaume Pinson en évoquant le parcours de Frédéric Gaillardet traduit un Girardin d’Amérique dans la conquête américaine. À partir des années 1820-1830, Frédéric Gaillardet aux Etats-Unis se veut le prolongement d’Émile de Girardin en France. Gaillardet devient correspondant à La Presse et y publie les aventures américaines. Il contribue aux imaginaires médiatiques et aux allégories de la conquête américaine. Au milieu du xixe siècle, New York est le siège du journal de langue française le plus important. Les communautés francophones présentes aux Etats-Unis soutiennent le Courrier des Etats-Unis dirigé par Gaillardet. En 1840, un équilibre économique apparaît entre le journal de Gaillardet et les progrès du réseau général de communication. À la fin des années 1860, les réseaux télégraphiques intercontinentaux apparaissent et l’essor de la presse de masse. Gaillardet contribue à l’expansion du roman-feuilleton en français aux Etats-Unis. Il s’approprie les échanges de l’information, des capitaux et des marchandises sur l’axe Paris-New York. En 1848, en raison de la révolution, Gaillardet rentre à Paris et cède Le Courrier des Etats-Unis.
14Marc Berdet analyse les imaginaires médiatiques et urbains Parisien du xixe siècle au Brésil. L’auteure retrace le développement urbain de Rio de Janeiro par Pereira Passos au début du xxe siècle. Pereira Passos s’inspire du développement parisien mais s’en éloigne pour tenir compte des spécificités de Rio. Le concept de fantasmagorie appelle au déni d’une société de son existence par la production de marchandises. La transposition de la valeur d’usage à la valeur d’échange puis de la valeur d’échange à la valeur poétique de la marchandise amène à une transposition de l’imaginaire de Paris à la ville de Rio par ses infrastructures, ses monuments et ses magasins. Pereira Passos en suivant les conseils d’Haussmann transforme la ville de Rio pour l’ouvrir vers une meilleure circulation des biens et du capital. Il emprunte aux banques pour ces travaux sans avoir l’accord des contribuables brésiliens. Pereira Passos met en avant les progrès sanitaires et urbains dans un Rio sous statut juridico politique d’état d’exception dans lequel personne ne dit mot. Pereira Passos reproduit les monuments parisiens à Rio. À partir des années 1920-1930, le peuple brésilien se soulève contre ce progrès urbain qui dénigre le peuple et contre la démolition de toutes ces structures coloniales dont l’élite veut se débarrasser en dépit de la déclaration de la République en 1889. Une logique nationale-développementaliste apparaît laissant libre cours au modernisme brésilien. En 1960, la nouvelle capitale, Brasilia, voit son développement être influencé par l’industrie culturelle américaine.
15Je perçois un développement journalistique féminin avec Delphine de Girardin qui a créé le roman-chronique et un style fantaisiste bien qu’elle finît par s’en séparer. Émile de Girardin verra son style journalistique être exporté à New York et prospérer avec Frédéric Gaillardet. Il reste que le schéma politico-médiatique tel que mis en place par Émile de Girardin a bien influencé d’autres contrées éloignées pour reproduire le modèle parisien.
16Je conseille cet ouvrage à un public (enseignants-chercheurs, étudiants, journalistes, historiens) qui souhaitent revivre l’évolution du Paris médiatique à travers le développement de la presse. C’est un bel ouvrage qui se laisse lire avec plaisir et intérêt.
Pour citer cet article
Référence électronique
Nathalie Pierre-Charles, « Corbillé Sophie, Fantin Emmanuelle & Wrona Adeline. Paris, capitale médiatique : Ville et presse au XIXe siècle », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/15311 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.15311
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