Desrochers Pierre, Les données administratives publiques dans l’espace numérique
Desrochers Pierre, Les données administratives publiques dans l’espace numérique. 2022, 118 p., Presses de l’université du Québec. ISBN : 978-2-7605-5640-9. 24,00 €
Texte intégral
1À l’ère de la datafication de l’information, les systèmes d’information et les applications mis à profit dans le cadre des activités gouvernementales génèrent d’énormes quantités de données. Pourvu qu’ils soutiennent l’intelligence d’affaires, la réalisation des prestations de services publics ou la transparence administrative, la création et l’usage de ces données doivent être encadrés par des mécanismes de gouvernance appropriés. Ces derniers doivent responsabiliser les gestionnaires administratifs et les décideurs dans la gestion de l’information et des données administratives, dans un objectif d’assurer une conformité aux lois et aux règlements en vigueur. C’est dans cette lignée de pensée que le sujet de l’ouvrage Les données administratives dans l’espace numérique s’inscrit. Son auteur, Pierre Desrochers, est chargé d’enseignement à l’École nationale d’administration publique (ENAP) à Québec, où il donne des cours et poursuit des activités de recherche en lien avec les politiques publiques en général et la gouvernance de l’information gouvernementale en particulier. Cet ouvrage constitue le fruit d’une réflexion approfondie de l’auteur sur l’essor des données administratives ouvertes au Canada, en s’appuyant sur une solide expérience en la matière.
2L’ouvrage comprend quatre parties représentant les étapes clés de la gestion du cycle de vie de la donnée, soit (1) la description des données administratives, (2) leur cycle de vie, c’est-à-dire de leur création à l’usage, (3) les approches, les outils et processus liés à ces différentes étapes et (4) l’exploitation des données administratives en mettant à profit différentes techniques de visualisation pour en tirer des significations appropriées. Dans chaque partie, l’auteur s’attache à une ou plusieurs facettes de la gouvernance des données administratives publiques, notamment en mettant de l’avant en avant les stratégies à déployer pour valoriser le potentiel de ces traces documentaires, que ce soit à des fins de transparence ou d’amélioration de la performance administrative.
3La première partie de l’ouvrage s’attache à la description des données administratives. L’auteur y aborde le propre de celles-ci et les positionne par rapport à l’information. Il pose que les données administratives sont recueillies dans le cadre des transactions en ligne, nommément dans un contexte de réalisation des prestations de services publics, où le citoyen partage ses données pour qu’elles soient enregistrées par un fonctionnaire d’État dans un système d’information approprié. Ces données alimentent souvent les formulaires administratifs, ces outils utilisés par les administrations publiques canadiennes pour recueillir des informations sur les citoyens. Dans un objectif de tirer le plein profit de ces données, Desrochers voit que leur gestion doit être régie par un ensemble de procédures et de politiques administratives. Ces dernières peuvent porter sur plusieurs facettes d’encadrement, dont la gestion des données, leur classement, leur accès et leur sécurité, ainsi que le développement des liens entre ces traces pour en favoriser l’intelligibilité. Il pose par surcroît qu’il est nécessaire de comprendre les besoins des acteurs administratifs en matière de création, de gestion et d’usage des données, en définissant plus particulièrement les requis de la gestion interne pour bien s’outiller en vue d’instaurer un cadre de gouvernance adapté à la réalité organisationnelle.
4La seconde partie de l’ouvrage est dédiée à l’étude des processus de création et d’usage des données administratives. Il est plus précisément question de l’étude des méthodes mises à profit pour gérer ces données et en tirer du sens pour soutenir les affaires administratives, optimiser le processus de prise de décision et élaborer les politiques publiques. L’auteur a articulé ces points autour de trois processus : la collecte, la préparation et l’exploration des données. Pour la collecte, l’auteur, en retraçant un bref historique de l’évolution des pratiques de consignation et d’enregistrement des données, postule que ces dernières sont de plus en plus enregistrées dans des espaces numériques et leur gestion manque d’harmonisation. L’hétérogénéité des pratiques de leur gouvernance est aussi due à l’influence de la culture organisationnelle opposée au changement ainsi que l’absence des approches collaboratives dans le développement conjoint des stratégies de collecte des données auprès des citoyens. À cela s’ajoute le manque de ressources et d’expertise liée à la collecte des données. Desrochers souligne ainsi l’importance de contextualiser la collecte des données à des fins de traçabilité et de constitution du sens. Ensuite, l’auteur traite de la préparation des données, laquelle se fonde sur deux principes clé à savoir (1) les procédures de collecte des données ainsi que (2) la qualité des données. Ces principes traduisent des approches de gouvernance des données, autrement dit, l’ensemble des mesures de contrôle pour assurer la qualité de l’information sur le plan de la pertinence, d’exactitude, d’actualité, d’accessibilité, d’intelligibilité et de cohérence. L’auteur postule également que la préparation des données administratives comprend deux processus clés, soit la gestion de la collecte et le nettoyage. L’enjeu phare mis de l’avant dans ce contexte réside dans l’enregistrement de ces traces dans différents emplacements numériques, ce qui pourrait compromettre leur authenticité et véracité. À cela s’ajoutent le volume et la qualité de ces données, ce qui commande la disposition des mécanismes de gouvernance favorisant le développement d’une culture d’imputabilité et de responsabilisation des acteurs administratifs pressentis. Enfin, pour ce qui est de l’exploration des données, elle fait partie de la série des processus de création de la valeur et de jugement de qualité, et dicte, par conséquent, une harmonisation des pratiques de leur collecte et leur traitement.
5La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à la gouvernance des données. L’auteur y met l’emphase sur les approches, les outils et les processus mis à profit pour encadrer la gestion, de contrôle et de valorisation des données administratives numériques. L’auteur s’attache de prime abord à la gouvernance des données et considère que celle-ci s’appuie sur une vision stratégique et un partage de rôles et de responsabilités entre un ensemble d’acteurs administratifs. La gouvernance des données se fonde aussi sur l’usage des normes et des instruments d’encadrement conférant à chaque acteur administratif un certain rôle dans la gestion des données, des ressources informationnelles mises à profit à cette fin. L’auteur voit que la gouvernance des données est un sous-ensemble de la gouvernance de l’information, laquelle est perçue, à son rôle, comme étant un sous-ensemble de la gouvernance corporative. Grosso modo, la gouvernance permet d’encadrer la création, l’organisation, la sécurisation, le maintien, l’élimination et l’utilisation de l’information de telle sorte qu’elles puissent soutenir les objectifs d’affaires organisationnels. Cette gouvernance doit être déployée pour soutenir la collecte des données, leur organisation, leur documentation par des métadonnées appropriées, leur combinaison, leur analyse, leur diffusion et leur communication. La gestion des données, prenant appui dans sur des technologies de l’information pour administrer les systèmes d’Architecture, les catalogues des données ainsi que les pratiques et les procédures déployées pour gérer les données d’une manière plus efficace. Le couplage des données administratives remplace ou augmente un programme et accroît l’exactitude et la cohérence des données. La manière de la conceptualisation de l’information et des données à des fins de communication est importante, car elle oriente la façon dont les concepts sont traités et abordés, ce qui en facilite l’exploitation.
6Dans la dernière partie de l’ouvrage, Desrochers aborde la question de l’exploitation des données administratives numériques. Il est plus précisément question des enjeux entourant l’usage de ces traces documentaires, notamment dans l’optique de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle. De prime abord, il est question de la nécessité de choisir la technique de visualisation appropriée des données (dont les graphiques statiques, les tableaux de bord et les graphiques interactifs) pour en faciliter l’interprétation et l’insertion dans les schèmes de pratiques des acteurs administratifs. À ce sujet, l’auteur souligne la nécessité de se soucier de la visualisation appropriée, simple, claire et concise des données pour représenter la réalité décrite. Il expose, en donnant des exemples tirés du contexte gouvernemental canadien, ensuite les approches clés sur le sujet, dont la visualisation par tableaux ou graphiques, des tableaux de bord interactifs ainsi que les techniques de visualisation utilisées par les systèmes d’information géographiques pour visualiser les données géospatiales. Aussi, l’auteur positionne les dispositifs de l’intelligence artificielle dans le contexte du traitement et de la visualisation des données administratives. Par le biais des opérations de collecte et de manipulation des données, les dispositifs de l’IA permettent de faire des prédictions dans différents contextes. Cependant, l’auteur rappelle que l’usage de tels dispositifs est porteur d’enjeux éthiques, notamment sur le plan du respect de la vie privée, ce qui traduit la nécessité de se doter d’un dispositif de gouvernance approprié pour encadrer la collecte, la gestion, le traitement et la diffusion de ces données.
- 1 Commission nationale de l’informatique et des libertés (2018). Règlement général sur la protection (...)
- 2 CanLII (2021). Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseigne (...)
7Le sujet de l’ouvrage s’inscrit dans le courant des recherches actuelles sur la transformation numérique des appareils administratifs publics à travers le monde, et plus précisément des enjeux infocommunicationnels que le numérique engendre pour les décideurs et les gestionnaires. Desrochers s’est efforcé d’exposer les paramètres clé de la culture de la donnée et comment celle-ci est à se développer davantage pour faire partie du quotidien des acteurs de l’administration publique canadienne. En mobilisant des corpus scientifiques relevant à la fois des sciences politiques, de l’archivistique et de la communication, l’auteur a réussi à synthétiser les mécanismes de gouvernance des données, notamment en regard de leur collecte, traitement et exploitation à des fins de décision, d’amélioration de la performance et de transparence administrative. Enfin, il a également identifié les enjeux éthiques et légaux entourant l’usage de ces données à des fins de prédiction des actions et d’automatisation des processus, notamment par le biais des dispositifs de l’intelligence artificielle. Ce dernier aspect est d’actualité, vu les débats sur la protection de la vie privée des citoyens, l’exploitation des données personnelles à des fins commerciales et le consentement citoyen lors de l’échange de ses données entre les ministères et les organismes publics. La régulation de tous ces aspects s’impose, notamment en se dotant d’un cadre légal favorisant le développement d’une meilleure culture d’imputabilité en regard du traitement des renseignements personnels et de la gestion de leur cycle de vie. En France comme en Europe, le Règlement général sur la protection des données1 (RGPD), établi en 2018, vise à encadrer la plupart de ces aspects pour rassurer les administrés en leur montrant comment leurs données personnelles sont exploitées. Au Canada, et plus précisément au Québec, l’entrée en vigueur de la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels (L.Q., c 25)2, aussi connue sous le libellé de la loi 25, a la même portée du RGPD avec des ajustements pour mieux correspondre à la tradition québécoise. Il reste à voir comment les acteurs publics vont être responsabilisés afin de pallier les enjeux éthiques entourant l’exploitation des données personnelles dans un contexte marqué par le déploiement massif des technologies collectant de plus en plus ces traces auprès des citoyens.
Notes
1 Commission nationale de l’informatique et des libertés (2018). Règlement général sur la protection des données. Accessible en ligne via le lien suivant : https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees
2 CanLII (2021). Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels. Accessible en ligne via le lien suivant : https://www.canlii.org/fr/qc/legis/loisa/lq-2021-c-25/derniere/lq-2021-c-25.html
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Siham Alaoui, « Desrochers Pierre, Les données administratives publiques dans l’espace numérique », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/15284 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.15284
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