Bonaccorsi Julia. Fantasmagories de l’écran. Nouvelles scènes de lecture, 1980-2012
Bonaccorsi Julia (2021). Fantasmagories de l’écran. Nouvelles scènes de lecture, 1980-2012. Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Information-Communication ». ISBN : 978-2-7574-3173-3
Texte intégral
1L’ouvrage Fantasmagories de l’écran. Nouvelles scènes de lecture, 1980-2012 publié aux Presses universitaires du Septentrion, dans la collection « Information-Communication » avec le soutien du laboratoire ELICO, de l’université de Lille et de la région Hauts-de-France, traite de la question de l’évolution des pratiques de lecture contemporaines. Ce livre de 204 pages est issu du mémoire original présenté par Julia Bonaccorsi, professeure des universités en sic, dans le cadre de son habilitation à diriger des recherches, soutenue le 3 décembre 2012 au sein du laboratoire GRIPIC (CELSA, Université Paris-Sorbonne). Il se décompose en cinq chapitres précédés d’une introduction et suivis d’une conclusion, d’une bibliographie, d’une table des illustrations, des légendes des planches ainsi que des remerciements.
2Dès l’introduction (p. 11-18), l’auteure nous livre ses différentes interrogations au regard de ses travaux sur le discours et sur la lecture depuis sa thèse de doctorat, achevée au début des années 2000. Elle interroge en premier lieu l’écran électronique comme forme culturelle puis le discours visuel sur l’écran grâce à une enquête menée à partir d’une sélection d’images et enfin le rôle de la textualité numérique dans les métamorphoses d’une culture de l’écrit. La première hypothèse annoncée relève justement de l’écran en tant que support de la lecture. Selon l’auteure, il est « saisi par de nouveaux affects […] entre esthésique et esthétique » (p. 14). Une hypothèse transversale est ensuite établie autour des dimensions culturelles et sensibles de la textualité numérique. La notion de « fantasmagorie » empruntée à Walter Benjamin désigne ici les sources visuelles rassemblées en une iconographie de l’écran. Cet ouvrage souhaite « redéfinir les modalités de publicité de l’écrit et les mutations du sens commun de l’acte de lire » (p. 17) tout en étant traversé par une double problématique : celle des « mutations de l’écriture dans l’espace public urbain » et celle de la « circulation sociale de l’écran en tant que forme culturelle dotée de statut et de valeurs selon les contextes situés » (p. 17). L’étude réalisée sur des ensembles iconographiques de 1980 et 2012 s’articule autour d’une double démarche méthodologique avec une analyse quantitative et diachronique, puis une analyse qualitative et ethnographique. À la fin de l’introduction, le lecteur appréciera le fil conducteur de l’ouvrage ainsi que le plan suggéré par l’auteure pour aborder les différents chapitres qui suivent.
3Le premier chapitre (p. 19-39) présente chronologiquement l’analyse quantitative des 300 spots publicitaires, en trois décennies. Ici, l’auteure prend le soin de décrire les transformations de la culture écrite à l’aide d’illustrations documentées sur la publicité au xixe siècle. La présence de l’écrit dans l’espace urbain, les plans de surface, les motifs de la scène de lecture et les différents niveaux de représentation sont ainsi mis en exergue avant de céder la place à une esthétique de la nouveauté pour traiter des écrans, ces « machines à lire » (p. 33). Julia Bonaccorsi nous propose, à partir de ses propres photographies, trois figures de la rhétorique des images de l’écran : l’artefact, le détail et le document. En guise d’ouverture et en complément de ces premiers éléments, des occurrences figuratives de la culture de l’écran sont abordées, à partir d’autres exemples d’illustrations soigneusement choisies, pour évoquer cette fois-ci la fétichisation vivante, les cadres et les regards.
4Par la suite, un intermède (p. 41-47) permet au lecteur de comprendre les différents processus dans la méthodologie de collecte et d’intervention de l’auteure, notamment dans sa pratique de l’archive visuelle et dans la réunion de matériaux de recherche en corpus. Parmi les sources utilisées, le fonds audiovisuel de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) ainsi que des iconographies plus anciennes provenant de Gallica et du Fonds d’affiches de la BNF en constituent le corpus principal. Des images fixes et animées, des photographies réalisées par l’auteure ainsi que des captures d’écran du site Flickr permettent, à travers le temps et l’espace, une interprétation et une réappropriation du sens qui est donné à voir et à lire pour l’analyste. À ce niveau de la lecture, il nous faut souligner le remarquable travail qu’est la constitution et l’organisation du corpus d’images fait par l’auteure.
5Dans le deuxième chapitre (p. 49-78), il est question d’une confrontation des images publicitaires. À partir d’un corpus de 280 spots publicitaires, divisé en trois sous-corpus, l’auteure identifie trois types de produits et d’annonceurs dans l’ensemble des notices collectées dans la base documentaire « Pub » de l’INA : éditeurs, acteurs publics, médias écrits, librairie d’hypermarché et courrier (p. 52). Ensuite, un regard est porté sur les transformations technologiques des supports de l’écrit sur les trois décennies étudiées, ainsi que les différents descripteurs utilisés pour coder le corpus : la scène de lecture, les modalités énonciatives visuelles et verbales, le lien du texte et du média (p. 55). La première période, de 1979 à 1988, met en avant la machine (l’écran, l’ordinateur), par sa technologie, son usage et son interactivité dans le milieu professionnel. La deuxième période, de 1989 à 1998, évoque l’émergence du nouveau statut du texte numérique et l’avènement multimédiatique dans les foyers. La scène devient l’écran et un nouveau modèle du texte apparaît, entre transparence et profondeur. La troisième période, de 1999 à 2009, concerne quant à elle les usages spectaculaires des innovations techniques et des performances éditoriales. Les planches, que Bonaccorsi appelle des « micro-expositions » de l’écran, sont ainsi détaillées dans les pages suivantes.
6Le troisième chapitre (p. 79-109) approfondit la problématique de la publicité et la question de l’écran comme support d’affichage dans l’espace public. Les valeurs et enjeux du cadrage de ces iconographies à partir de la notion d’affichage sont ainsi exposés et l’objet d’affichage, l’écran, est considéré comme support d’inscription. Les pratiques ne sont plus liées à l’espace physique, mais à des textes de réseaux, ouvrant ainsi un questionnement sur les formes de circulation. À partir de la planche 1, nous découvrons deux niveaux d’interprétation : le rapport à la scène représentée dans l’espace et le statut donné au texte dans l’écran (p. 82). Parmi les images exposées, on comprend que l’écran peut être à la fois vitrine et miroir ou encore qu’il joue entre espace public et espace privé à travers sa projection touchant ainsi à l’expérience du regardeur/du récepteur des discours publicitaires. Dans la planche 2, le lecteur constate la tension dans les pratiques d’affichage : « Or, l’affiche du texte sur l’écran du média représenté dans l’image publicitaire a perdu ses propriétés d’affichage dans le processus d’intermédiaticité qui l’inscrit dans l’affiche » (p. 88-90). Le texte est dynamique, en mouvement, et l’écran devient un objet et un support d’affichage dans l’espace public : « Les écrans numériques constituent des supports d’affichage qui reconfigurent sensiblement la question de la publicité » (p. 94). Les iconographiques de la planche 3 mettent en avant les scènes de lecture, et plus particulièrement la lecture sur écran où l’on retrouve le portrait d’écrivain et le lecteur anonyme. L’auteure évoque d’autres lieux de production de séries de lecteurs en fonction de leur type de médiatisation comme la distorsion entre pratique intime et la rhétorique publicitaire, l’exposition et la publication de vidéos (p. 101). À l’issue de ce chapitre, le lecteur découvre aussi tout l’intérêt du travail effectué sur la « documentarisation » collective ou encore le partage photographique en citant le groupe « People reading » sur le site Flickr. À partir de ses observations, la chercheuse dégage deux figures énonciatives caractéristiques du discours documentaire : la première est liée au récit de la prise de vue, quant à la seconde, elle s’attache à décrire les pratiques en question et à les interroger (p. 107-108).
7Dans le quatrième chapitre (p. 111-141), l’auteure se concentre sur les représentations du corps du lecteur avec notamment une analyse de l’esthétique de la gestualité en tension avec l’événement de l’affichage du texte : « La lecture numérique invite à penser rétrospectivement la part du corps dans la lecture » (p. 112). La planche 4 met l’accent sur l’industrialisation du « corps lisant », la sémiotisation de gestes de lecture du texte numérique, les gestes optimaux dans la manipulation de l’objet technologique et le souci du détail, du sens. Le corps est à la fois lisant, médiant et vivant. Dans la planche 5, nous constatons que ce même corps peut aussi être affecté et marqué : « […] la question de la corporéité de la lecture sur écran se pose également en termes d’inscription sur le corps lui-même. » (p. 131). Dans la dernière partie de ce chapitre, la planche 6 révèle les appareils électroniques à la fois comme objets fétiches et objets magiques : « […] on glisse ici d’une sémiotique de l’outil à une sémiotique du fétiche : elles cohabitent et ne s’excluent pas » (p. 134). Le geste optimal est ainsi redéfini en geste interprétatif, on assiste alors à la formation d’une poétique de lecture pourtant absente des sources visuelles constituées.
8Enfin, le cinquième et dernier chapitre (p. 143-173) se focalise sur les récits iconographiques de la matérialité de la textualité numérique. L’auteure cherche à comprendre sa plasticité et les composants de sa texture. Pour cela, elle revient dans la planche 7 sur les métaphores de ses images : le volume, la page, la feuille. La lumière, matière et acteur central dans l’événement du texte à l’écran, est également abordée dans la planche 8 : « D’une certaine manière, on peut considérer que la lumière met en rapport l’inscription et la surface » (p. 145). La fin de ce chapitre est consacrée aux imperfections, défaillances, corruptions et affections du texte numérique. Dans les images publicitaires, le texte paraît être en parfaite adéquation avec le média, mais la chercheuse nous prouve grâce à ses observations qu’il existe « une part granuleuse, scorique, erratique, incontrôlée de la substance de la textualité numérique : des bavures. » (p. 164). Un arrêt sur deux illustrations de la planche 9 permet ainsi de justifier les propos de l’auteure. Julia Bonaccorsi revient, en conclusion de son ouvrage (p. 175-179), sur ses choix concernant son objet d’étude, l’écran. Ensuite, elle annonce le programme et la destinée possibles de sa recherche sur les fantasmagories de l’écran.
9En définitive et pour résumer cette lecture, nous constatons avec grand intérêt le rôle de l’auteure et sa participation tout au long de cet ouvrage, notamment grâce à sa posture engagée, mais à la fois distanciée. En revanche, nous regrettons l’absence d’un avant-propos contextualisant la genèse heuristique de cette recherche. Les lecteurs apprécieront les efforts fournis lors de la description des sources et des planches permettant la compréhension de l’étude menée tout au long de ce travail qui a sans aucun doute plusieurs apports pour notre discipline et pour les sciences de l’homme et de la société plus globalement. Pour conclure, nous laisserons les lecteurs faire l’expérience de l’évolution voire la transformation du « nous » scientifique et académique présent dans le mémoire d’habilitation à diriger des recherches disponibles sur HAL, un « nous » qui cède sa place à un « je » ouvrant le champ de l’essai. Cela permet d’apprécier le point de vue scientifique défendu dans cet ouvrage, indispensable pour celles et ceux qui travaillent sur les formes contemporaines des lectures et des écritures.
Pour citer cet article
Référence électronique
Clara Galliano et Billel Aroufoune, « Bonaccorsi Julia. Fantasmagories de l’écran. Nouvelles scènes de lecture, 1980-2012 », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/15238 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.15238
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