1L’avènement des TIC dans le monde a suscité un engouement sans précédent sur les effets positifs de celles-ci. Cet engouement résulte surtout de représentations parfois utopiques et de discours d’accompagnement (largement soutenus par les gouvernements) sur la diffusion des TIC comme outils emblématiques de la « modernité » selon la formule actuellement en vogue dans les institutions (UIT, UNESCO…) en charge de promouvoir ces technologies. Assurément, les discours sur les artefacts technologiques — reposant généralement sur un déterminisme technique — s’inscrivent généralement dans un continuum allant d’une « modernité technophilie passionnelle » à une « technophobie sans nuance » (CISHAHAYO, 2010). Ces discours donnent parfois l’impression qu’on change carrément d’époque. Pour Pierre Lévy, « nous passons d’une humanité à l’autre » et cette humanité est caractérisée par la croissance des nouveaux dispositifs numériques de communication qui s’inscrivent « dans une grande mutation d’ampleur qu’ils accélèrent et qui le déborde » (LÉVY, 1994, p. 10-11).
2Paradoxalement, en contexte africain, personne n’ose critiquer ou poser la question de savoir si, d’une part, les technologies de l’information et de la communication méritent une telle place dans l’espace public, et si, d’autre part, leur seule diffusion engendre systématiquement un progrès à ce point incontestable qu’on crie constamment à la nécessité d’épouser la révolution numérique. Certains parlent de « société de l’information » (MATTELART, 2018). En effet, au Bénin, pays de la présente étude, on constate cette prolifération des technologies numériques, notamment Internet, ainsi que leur apport dans tous les domaines de l’activité humaine. Le taux de pénétration de l’Internet a atteint par exemple 48,02 % de la population béninoise en 2018 (Arcep, 2018).
3Néanmoins, si Internet, « réseau des réseaux », est devenu accessible ou à la portée de « tous », il n’en demeure pas moins que l’accès à cette technologie soit l’apanage d’une certaine catégorie sociale, généralement les hommes-adultes, l’administration publique ; en un mot, les personnes lettrées. À l’inverse, les femmes, les personnes analphabètes, les handicapés, les personnes âgées, les adolescents sont, eux, relégués au second plan ; et pourtant, Internet est susceptible de permettre à ces derniers de s’émanciper et de développer, aux uns, leurs commerces (formels et informels) par le biais de la publicité numérique sur les plateformes Facebook et WhatsApp et, aux autres, leurs compétences et apprentissages éducatifs via les interfaces numériques.
4Si ces disparités et inégalités, chez les populations adultes, sont constatées par d’innombrables études, elles ne le sont presque pas en ce qui concerne les populations adolescentes des pays africains. Comment les usages des TIC chez ces jeunes adolescents s’inscrivent-ils dans un contexte socio-culturel préexistant aux usages ? Quelles sont les mutations sociales et culturelles engendrées par l’usage des TIC chez ces jeunes adolescents ? Le présent texte n’est pas très éloigné de ces questions, même s’il n’a pas pour objectif principal d’étudier spécifiquement les cultures locales. Il entend nourrir une réflexion sur la question des inégalités, des difficultés d’accès et d’usage en croisant les parcours scolaires des adolescents âgés de 12 à 17 ans, leurs activités d’apprentissage, de loisirs et leurs pratiques numériques.
5En Afrique, les obstacles liés à l’accès et à l’utilisation des TIC sont à prédominance d’ordre culturels, liés aux genres, aux relations familiales, etc. En Afrique de l’Ouest par exemple, ces technologies favoriseraient, selon les « technophobes sans nuance », la dépravation des mœurs, la perte d’autorité des gouvernants, la difficulté de contrôler l’information (dans les régimes autoritaires). Par ailleurs, ce sont le rôle et l’autorité des parents dans l’éducation culturelle de l’enfant tels que définis par les sociétés africaines qui sont bouleversés. On peut dire que c’est l’un des facteurs qui expliquent, d’une certaine manière, la réticence des parents à l’usage de ces outils par leurs enfants.
6Dans le secteur de l’éducation formelle, cette position, assimilable au néocolonialisme, fut observée chez les parents d’élèves soucieux des conséquences de l’enseignement de l’informatique, alors discipline nouvelle. Au point où le directeur d’école devait échanger avec les parents d’élèves, sur le projet d’intégration des TIC dans son établissement afin de s’accorder avec les volontés des parents d’élèves. Ceci dans le but de clarifier les idées reçues sur les TIC et garantir la pérennité de l’introduction de ces outils dans les établissements scolaires (ADJIBODOU et al., 2008).
7Toutefois, si les parents d’élèves ont été des acteurs clés (facteur humain) dans l’histoire de l’introduction des cours d’informatique dans les établissements scolaires, ces cours ne favorisent qu’un usage des TIC absolument « abrutissant » pour les élèves (KARSENTI et NGAMO, 2009). Ces derniers n’abordent que la connaissance de l’ordinateur (1) et celle de quelques outils bureautiques (2). Les programmes nationaux ne bénéficient ni d’un budget conséquent, ni de stratégies spécifiques et adaptées à l’objectif n° 4 de l’UNESCO qui vise à montrer que les TIC ont « le pouvoir » de compléter, d’enrichir et de transformer positivement l’éducation.
8Mais, quelques années plus tard, la situation semble évoluer. En 2020, les études de Candide Kouawo sur les « Opinions et attitudes des enseignants et des élèves par rapport à l’ordinateur dans la classe » montrent des effets positifs de la formation aux TIC des élèves. Celle-ci leur permet de prendre de l’avance. Ces élèves ont été formés [à l’informatique], et ils ne se contentent plus du travail qu’on leur a demandé de faire. Ils ouvrent d’autres fenêtres « pour faire autre chose ». Ainsi, ne serait-il pas intéressant de dépasser ce qui est abrutissant pour questionner et prendre en compte la maîtrise de l’outil par ces différents usagers des TIC, précisément les élèves adolescents ? Autrement dit, il faut s’enquérir des connaissances variées et interdisciplinaires dont se servent les adolescents (ici de 12 à 17 ans) pour vivre dans ce « nouveau monde numérique » enrichi, transformé et surveillé pour reprendre les mots de Dominique Cardon (2019). Comment les parents participent-ils aux représentations et aux usages des TIC de leur enfant ?
9Selon le rapport de la Banque Mondiale sur la connectivité dans le monde, les jeunes représentent 71 % du taux de connectivité mondial et sont âgés de 15 à 24 ans. La littératie étant ici « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités » (OCDE). Malgré la situation de pauvreté de la plupart de leurs parents, et un taux d’accès de la population à l’électricité qui est de 48,4 % (2020), beaucoup des collégiens et lycéens âgées de 12 à 17 ans des pays de l’Afrique de l’Ouest vont se livrer aux « tactiques » et aux « manières de faire » face aux TIC. Nous pensons de ce fait que l’appropriation des TIC mérite d’être étudiée au regard même du fait socio-culturel. Autrement dit, l’environnement immédiat de l’adolescent : sa sphère familiale et scolaire.
10L’analyse des données de l’enquête de terrain couplée avec la littérature scientifique sur le sujet démontrent les croyances exagérées et les mythes construits autour des technologies de l’information et de la communication, en particulier en Afrique. Les raisons de ces croyances résident dans le supposé pouvoir qui est conféré aux médias de communication dans le façonnement de la culture, de l’économie, du social et de la politique. Cette idée fut développée dès les années soixante par le sociologue canadien, Marshall McLuhan. Selon sa « prophétie », le monde ne serait plus qu’une sorte de « village global » (MCLUHAN, 1962). Si l’idée, certes séduisante, a été, depuis, fortement critiquée par la communauté académique, force est de constater que la « mondialisation » de la communication demeure l’apanage des pays du Nord et qu’une partie du monde, en l’occurrence les pays en développement au premier rang desquels les pays africains, est encore, en l’état actuel, exclue du processus. En effet, contrairement à ce que les industries de la communication et du numérique (BOUQUILLION, 2008) cherchent à nous faire croire à grand renfort d’images et de publicités tous azimut, d’analyse de la progression d’Internet, de dispositifs et des réseaux numériques dans le monde a montré que la planète est encore loin d’être câblée.
- 1 Alain Gresh, « Internet l’extase et l’effroi. Et les citoyens du Sud ? », Le Monde diplomatique, Ma (...)
11Face à un développement inégal entre le Nord et le Sud, de nombreux chercheurs s’interrogent sur la manière de gérer ce qui apparaît comme un gouffre qui va s’ouvrir entre les « info-riches » et les « info-pauvres », en particulier dans les pays du Sud, moins bien équipés en infrastructures télécommunicationnelles. Selon Alain Gres1, le développement des technologies numériques n’échappe pas aux logiques sociales et aux disparités entre riches et pauvres, ni en termes de contenu de l’information, ni en termes d’accès aux ressources numériques ainsi que l’usage des dispositifs techniques.
12En effet, en contexte africain, le déploiement rapide des technologies numériques mobiles (téléphone portable, Internet mobile) dans les milieux sociaux, économiques a occulté les problèmes d’usage et d’appropriation de ces dernières dans les milieux éducatifs. Si dans l’enseignement supérieur, les étudiants font déjà recours à l’usage des outils numériques dans leur apprentissage, les élèves, eux, restent, dans leur grande majorité, prisonniers du système éducatif traditionnel sans présence de matériels technologiques et de ressources numériques. Pour les écoles, généralement privées (donc non Étatiques), qui en possèdent, les usages s’inscrivent dans des logiques individuelles des apprenants dépourvues d’une politique claire et cohérente établie par l’établissement.
13Les élèves, même s’ils disposent en grande partie d’un téléphone portable et d’un accès à Internet, ne mobilisent pas leurs dispositifs pour leur apprentissage : la raison, il n’existe pas de programmes pédagogiques qui incitent les apprenants à en faire usage. Sans compter la problématique inhérente à la formation des enseignants eux-mêmes, qui éprouvent de difficultés importantes dans l’usage de ces outils. Le manque de formations adéquates, aussi bien des enseignants que des élèves, explique en grande partie le non-usage des outils numériques et, dans une certaine mesure, retarde la « culturalisation » du numérique dans le système éducatif africain.
14Dans la sociologie de l’appropriation, on sait que l’usager pour pouvoir utiliser l’objet technique doit remplir un certain nombre de conditions selon Proulx (2005) et Breton et Proulx (2012). La première condition préalable, selon cette approche, est l’accès à l’outil (coût, l’usager doit avoir les moyens économiques pour acheter le dispositif), la deuxième condition est relative à la maîtrise cognitive de l’outil (l’utilisateur doit avoir une connaissance minimale pour pouvoir utiliser la technique). Il s’agit ici de disposer des savoirs techniques afin de décortiquer le « mode d’emploi » de la technique (PERRIAULT 2008). Et la troisième et dernière condition pour une appropriation des TIC, elle, est inhérente à la détention ou la possession de compétences techniques et de culture numérique pour utiliser efficacement l’outil technique.
- 2 Dans une étude réalisée sur « l’usage et potentialités des dispositifs socio-techniques d’informati (...)
15En effet, l’appropriation de l’ordinateur nécessite, en amont, le déploiement d’un minimum d’infrastructures et des compétences techniques basiques susceptibles de l’adapter et de l’insérer aux conditions locales des utilisateurs africains. Donc deux volets importants sont requis pour l’appropriation de l’ordinateur et de ses communications via Internet : il s’agit d’une part des infrastructures techniques et d’autre part la maîtrise technique et cognitive basiques de l’outil2. Si les infrastructures techniques sont mises en place dans certains pays africains, les capacités cognitives pour utiliser ce dispositif sont, elles, absentes et particulièrement en raison du taux d’analphabétisme qui frôle les 70 % dans la plupart des pays africains. Or, à ce jour les systèmes d’exploitation, des logiciels ou plateformes numériques intégrant les langues locales africaines dans leurs fonctionnalités sont très rares, voire, dans une certaine mesure, inexistants (à l’exception de Microsoft qui a expérimenté un logiciel en Wolof, la langue la plus parlée au Sénégal). Par exemple, parmi les principales plateformes que les internautes africains utilisent telles que Facebook, WhatsApp, Twitter, TikTok, Instagram aucune n’intègre en son sein une langue locale africaine. Même si, il faut le signaler, Google a mis depuis quelques années quelques langues africaines (Hausa, Wolof, Lingala, Oromo…) dans son dispositif de traduction pour aider les millions d’Africains ne parlant pas les langues occidentales (Français et anglais). Ici, on le perçoit, les plateformes numériques demeurent donc des instruments de domination culturelle, en contexte africain en ce sens que les millions d’Africains, aussi bien les analphabètes que les lettrés, sont obligés de « détourner » et « braconner » certaines fonctionnalités des plateformes pour mener à bien leurs pratiques numériques. Cette mise en valeur des langues africaines — condition sine qua non pour une meilleure appropriation des plateformes socionumériques — s’inscrit dans une stratégie de déploiement du géant américain en Afrique.
16En 2021 déjà, la plateforme Google a affirmé vouloir promouvoir la transformation digitale du continent en y investissant 1 milliard de dollars (soit 943 millions d’euros) sur cinq ans. En avril 2021, la firme a ouvert un centre de recherche et de développement à Nairobi, au Kenya, pour se pencher sur cette problématique fonctionnalistique des techniques numériques. En 2019, elle avait inauguré un laboratoire dédié à l’intelligence artificielle à Accra, au Ghana, afin d’intégrer davantage les langues africaines dans son outil de traduction en ligne.
17À cet égard, il est donc possible de souligner un décalage conséquent entre les fonctionnalités de la technique et les attentes effectives des utilisateurs africains. Sur l’aspect linguistique, notons au passage qu’aucun pays, aucune nation, au monde ne s’est développé en dehors de ses langues et de ses cultures. C’est par ces deux-là que nous acquérons et transmettons le savoir, le savoir-faire et la connaissance qui nous permettent d’avoir une certaine emprise sur notre environnement. Les technologies numériques et les plateformes ne peuvent servir de développement et d’épanouissement que si les populations qui les utilisent se les approprient non comme des consommateurs passifs et dociles, mais comme des acteurs impliqués dans l’innovation, des créateurs de contenus capables de développer des nouvelles applications, des nouvelles techniques.
18Mobilisant les travaux sur la sociologie des usages et de l’appropriation, ce texte a pour objectif principal de comprendre les logiques d’usages et les pratiques numériques des adolescents africains. S’inscrivant certes dans une approche critique des réseaux numériques, notre texte n’a pas vocation à remettre en question les opportunités offertes par les technologies et plateformes numériques, mais de replacer, d’une part, la problématique d’appropriation dans un contexte africain complexe et, d’autre part, rappeler les conditions sous lesquelles ces outils pourraient véritablement contribuer à l’amélioration de condition d’études et d’apprentissage des jeunes générations africains.
19Après avoir longtemps été négligé par la sociologie de la culture, comme si elles avaient été tacitement considérées soit comme des reproductions des pratiques culturelles des parents, soit comme des utilisateurs et consommateurs passifs soumis aux prescriptions des industries culturelles et communicationnelles, les pratiques et les préférences des adolescents en matière d’apprentissage et d’usage numérique en particulier, commencent à faire l’objet d’un certain nombre d’investigation et d’analyse (MERCKLÉ, 2012 ; MAIDAKOUALE & FAGADÉ, 2021 ; 2022), généralement émanant des organisations internationales telles que l’Unesco, l’UIT, la Banque Mondiale ou le Programme des Nations Unies pour le Développement. De la même façon, la question suscite aujourd’hui, surtout à l’ère du numérique, timidement, l’intérêt des chercheurs africains ou ceux travaillant sur des sujets africains (ALZOUMA, 2020). Dans les pays africains en effet, les recherches sur les pratiques numériques prenant en compte les populations très jeunes âgées de 12 à 17 ans dans leurs échantillons sont très récentes.
- 3 Le réseau EU Kids Online est coordonné par la London School of Economics avec des équipes de recher (...)
20Les études sur les pratiques culturelles contemporaines des africains adultes à l’ère du numérique donnent un certain nombre de points d’indices importants sur leurs usages numériques, mais occultent celles des moins de 18 ans. Pourtant, l’adolescence est une période intense en termes de construction identitaire, d’interactions avec les pairs mais aussi de consommation de produits culturels. À ce stade, les jeunes développent une autonomie assumée vis-à-vis de leur famille, construisent leurs propres goûts et préférences et sont également moins soumis aux choix parentaux et aux activités familiales (PASQUIER, 2005), et cela se répercute aussi dans la manière dont ils utilisent les objets techniques et les ressources numériques (PLANTARD, 2014). Parmi les récentes études qui prennent en considération les activités numériques des adolescents, il est possible de citer celles sur l’enfance des loisirs (OCTOBRE, DÉTREZ, MERCKLÉ et BERTHOMMIER, 2010) qui étudient leurs trajectoires culturelles en les interrogeant à onze, treize, quinze et dix-sept ans ; de même que l’enquête EU Kids Online3 (2010), qui traite des risques et de la sécurité sur Internet des enfants et des adolescents.
21Afin d’atteindre les objectifs assignés à l’étude, nous avons formulé trois hypothèses que sont : d’abord, les usages des TIC chez les adolescents de 12 à 17 ans, en contexte africain, portent en eux des logiques sociales spécifiques d’appropriation qui répondent aux facteurs culturels et scolaires de ces jeunes adolescents. Ensuite, les usages des TIC chez ces adolescents de 12 à 17 ans constituent des trajectoires d’usages différenciées qui ne s’inscrivent pas uniquement dans une perspective techniciste. Enfin, les usages des TIC portent en eux un ensemble de privations de capacités des adolescents à saisir des compétences, l’accès aux ressources numériques et le sens pratique. Ces incapacités solidement ancrées sont l’expression « d’exclusion », partielle ou totale, des TIC des programmes de formation scolaires ou des salles de classe.
22Nous avons choisi de mener une étude documentaire, dans un premier temps, pour constater de nous-mêmes la carence des recherches universitaires sur les pratiques numériques des adolescents. Dans un second temps, en vue de ne pas s’appesantir dans une analyse théorique face à une problématique aussi importante que les usages et la culture numérique, nous avons opté pour une approche qualitative et aller au-delà des représentations stéréotypées et des « déclarations d’usage ».
23Ainsi, il a été décidé de procéder à une observation indirecte et d’interroger les élèves et des adolescents scolarisés de 12 à 17 ans au Bénin, un pays de l’Afrique francophone, sur la base d’un échantillonnage non probabiliste. À partir de l’échantillonnage à participation volontaire, technique qui consiste à faire appel à des volontaires pour constituer l’échantillon, 30 adolescents âgés de 12 à 17 ans ont été interrogés du 1 au 7 août dans trois centres d’enseignements scolaires (à la sortie des cours de vacances). Leur niveau d’instruction va de la 6ᵉ en Tle. Ils sont âgés de 12 à 17 ans pour le 1er cycle (ou n = 18) et de 14 à 17 ans pour le 2nd cycle (ou n = 12). Ces adolescents sont inscrits dans des établissements scolaires publics (11 élèves) et privés (19 élèves) et représentent 14 adolescentes et 16 adolescents. Vingt-cinq (25) adolescents d’entre eux ont au moins un parent non-fonctionnaire et dix-huit (18) adolescents ont leurs deux parents non-fonctionnaires. Seulement cinq (5) adolescents ont leurs deux parents fonctionnaires.
24Bien que la méthode de l’échantillonnage à participation volontaire présente le risque de recueillir seulement les opinions des individus vraiment intéressés par le sujet, et que ces derniers n’ont pas assurément les mêmes opinions que le reste de la population, elle convient toutefois à des populations très jeunes d’une part, et à un contexte socioculturel où les usages de « nouveaux » objets techniques d’information et communication chez les adolescents ne sont pas forcément bien vus par leurs parents.
- 4 En effet, lors de nos multiples pré-enquêtes auprès des étudiants du Bénin et du Niger, de 2018 à 2 (...)
25Un guide d’entretien semi-directif structuré autour des thèmes liés à l’accès aux « appareils de communication »4, aux usages et représentations et pour finir aux difficultés à utiliser ces appareils a permis de comprendre la cohérence qui structure les usages des TIC chez l’échantillon. Les informations recueillies ont fait l’objet d’une analyse thématique de contenus sur la base de codage conceptualisé (préalablement élaboré à partir des hypothèses) et du logiciel de traitement de données qualitatives et mixtes MaxQD2022 d’une part, et d’une grille d’analyse inspirée du schéma actanciel des récits (GREIMAS, 1976 ; EVERAERT-DESMEDT, 1989, 2007) pour identifier une « structure de pensées et d’actions » mise en jeu, d’autre part. Cette méthode mixte de traitement des résultats permet, au bout du compte, de nous rendre compte des différentes façons dont les adolescents attribuent des significations à leurs usages en fonction des enjeux perçus et énoncés différents par les uns et les autres. L’analyse des principales données sont présentées dans la suite, sous forme de nuages de mots.
26Interroger des adolescents sur les usages des TIC, en contexte africain francophone, n’a pas été chose aisée. En effet, les adolescents se sont montrés réticents et craintifs en général (surtout les 15-17 ans, inscrits au 2nd cycle). Cette situation pourrait se justifier par le fait qu’ils ne sont pas habitués aux enquêtes. À notre connaissance, les seules données qui abordent, de façon ventilée, l’accès à l’Internet par les ménages et la population ayant 6 ans ou plus au Bénin sont celles de l’enquête EMICoV (2011) qui prennent en compte le sexe, le milieu de résidence et la commune.
27Quel que soit leur âge et leur niveau d’instruction, les représentations des TIC chez les adolescents sont très limitées. En réalité, elles sont essentiellement liées aux recherches (scolaires, ou des « exercices »), aux connaissances, aux informations avant d’être liées à la communication et à la relation. La dimension ludique des TIC est tout à fait absente des représentations de ces outils chez les adolescents rencontrés. L’image ci-dessus indique les mots-clés choisis par l’échantillon pour exprimer ses représentations des appareils de communication dont il fait usage dans leur quotidien.
Figure 1. Nuage de mots-clés des représentations des TIC
Maïdakouale & Fagadé, 2022
28Les représentations chez les adolescents sont ainsi liées à leur « moment présent ». Elles ne s’ancrent pas dans une « vision du futur » ou lointaine. Au fond, il se dégage d’un côté la primauté de la dimension scolaire sur tout autre perception des TIC et de l’autre la présence des dimensions communicationnelle et relationnelle chez les adolescents. Ceci traduit clairement l’absence de représentations quant aux possibilités de ces technologies à procurer des avantages liés à des besoins qui dépassent le niveau scolaire. En d’autres termes, il s’agit de l’absence de représentations s’inscrivant dans une vision lointaine. Par exemple, on peut mentionner les possibilités d’innover, de télétravailler, de se former à distance, etc. Toutefois, la présence de telles potentialités reconnues aux TIC est décelée chez un petit nombre d’adolescents. Mais, elle semble plus ou moins précise et très large comme le montre les extraits de discours suivants : « […] ça [parlant des TIC en général] permet d’avoir des connaissances dans le monde où nous sommes aujourd’hui et de voir le monde en grand. Ils développent le monde aussi. » (17 ans, Tle, éts, privé, F) ou « La télévision m’a aidé […] à recevoir des conseils » (12 ans, 5e, éts public) ou encore la télévision « […] prodigue des conseils » (14 ans, 3e, M) et « La télévision permet la découverte de nouvelles choses » (16 ans, 5e, éts public, M).
- 5 Au Bénin, on a assisté à l’électrocution des personnes tentant de décrocher un appel téléphonique (...)
29En outre, il a été relaté une représentation « négative » des TIC. Bien qu’elle soit affirmée par une minorité, cette représentation concerne les réseaux sociaux numériques, dans un premier temps, et les dangers liés à l’outil lui-même, dans un second temps5. Les réseaux sociaux ne sont pas un « lieu » pour les adolescents et les usages des instruments eux-mêmes nécessitent de veiller sur un certain nombre de précautions. Ceci est illustré dans les récits suivants provenant de trois élèves : « Sur les réseaux sociaux, les choses qu’on voit ne sont pas du tout agréables. Et, encore normalement, les réseaux sociaux, ça ne nous concerne pas trop. Parfois, ça aide, parfois ça détruit les mœurs. » (17 ans, Tle, éts public, F) ; « Il faut débrancher le portable, s’il est mis en charge, avant de répondre à un appel au risque d’une explosion. [pour parler de l’électrocution] » (13 ans, 4e, éts. privé, M) et « […] au lieu de faire des exercices, je reste là à regarder la télévision » (12 ans, 6e, éts privé, M).
30Dans les établissements scolaires, l’accès aux TIC est sélectif car il dépend du niveau d’instruction. À l’école, l’ordinateur n’est accessible qu’à quelques-uns des adolescents au 1er cycle. L’accès à cette technologie se construit autour de l’usage collectif et des cours d’informatique. C’est donc à leurs domiciles que les adolescents vont effectivement procéder aux usages de l’ordinateur. En dehors de l’école, les adolescents sont d’abord exposés à la télévision puis au téléphone, aux réseaux sociaux numériques (Facebook notamment), à l’ordinateur et à la tablette.
- 6 Arcep Bénin, Document de l’Observatoire de la téléphonie mobile, tableau de bord au 31 mars 2021, [ (...)
31À domicile, ces appareils de communication ont trois statuts distincts. Il faut distinguer l’outil « personnel » acheté par le parent et rarement l’adolescent lui-même (le téléphone le plus souvent ; la tablette et l’ordinateur très rarement), l’outil à « usage familial » (le téléphone et la télévision le plus souvent, détenus par le père, la mère, les frères, les grands-parents, mais aussi l’oncle, ici le tuteur. Le téléphone et la télévision sont les plus sollicités) et l’outil à « usage commun », qui s’inscrit dans le cadre de l’amitié (le téléphone uniquement et un usage entre amis). Les élèves enquêtés sont plutôt confrontés à l’outil à usage familial (le téléphone et la télévision le plus souvent, détenus par le père, la mère, les frères, les grands-parents, mais aussi l’oncle, ici le tuteur. Le téléphone et la télévision sont les plus sollicités. Les parents sont les principaux acteurs dans l’accès aux TIC à domicile. Soit, ils ont procédé à un achat d’un ou de plusieurs de ces outils à leurs enfants, soit ils participent aux « prêts » passagers et fréquents de ces outils à leur enfant. Dans l’un ou l’autre des cas, ceci a lieu dans un cadre bien précis : celui de permettre à l’adolescent de faire ses devoirs d’école. Ces parents ayant progressivement réussi à s’apercevoir de l’importance des outils dans la réussite scolaire de leur enfant. L’écosystème numérique du Bénin est, d’ailleurs, de plus en plus dynamique avec une croissance du nombre d’utilisateurs de téléphone et d’Internet mobile. On dénombre en 2021 à 91,97 % le pourcentage de pénétration mobile soit, 11 501 839 le nombre d’abonnés à la téléphonie mobile6. Au cours de la même année, la pénétration Internet mobile s’élève à 67,36 % (Arcep Bénin, 2021). Notons aussi récemment l’adoption de stratégies pour la sécurisation d’Internet, et l’accessibilité à des services mobiles, à des coûts de plus en plus moindres.
32L’implication des parents dans l’accès aux TIC par leur enfant consiste aussi en ce que les parents représentent les personnes qui initient leurs enfants. Ils sont présents au moment des premières expériences de leur enfant et participent à leur faire découvrir ces « nouveaux » outils. Ce qui se manifeste, entre autres récits, au travers de ces mots lorsqu’il a été demandé à une adolescente de 17 ans en classe de Tle comment elle en est arrivée à utiliser les appareils de communication : « J’ai des exercices et pas de téléphone. C’était compliqué. J’ai demandé à papa de me trouver les réponses. Il est allé les chercher sur son téléphone. Lui-même a vu que c’était important, donc il m’a acheté ça (un téléphone). C’est comme ça que j’ai commencé à utiliser mon téléphone portable pour les recherches de l’école et pour d’autres recherches qui sont en dehors de l’école » a-t-elle laissé entendre. L’image suivante montre, non seulement les outils les plus présents dans le quotidien des adolescents, mais aussi les mots-clés essentiels qui caractérisent et organisent par là même les principales logiques qui guident l’accès aux technologies.
Figure 2. Nuage de mots-clés sur l’accès aux TIC à domicile
Maïdakouale & Fagadé, 2022
- 7 Banque Mondiale, RNB par habitant (monnaie locale courante) - Bénin, site de la Banque mondiale, [E (...)
33Il existe toutefois une nuance entre le niveau d’instruction de l’adolescent et son accès à la technologie. Alors que les adolescents les plus inscrits au 2nd cycle sont d’abord exposés au téléphone, puis à la télévision, à l’ordinateur et à la radio, les plus jeunes, eux, inscrits au 1er cycle sont avant tout exposés à la télévision, puis au téléphone (des parents), à la radio, et de très loin à la tablette. Par ailleurs, au Bénin et sur le plan de l’équipement, on observe une réelle baisse des prix des smartphones. Certains équipements sont accessibles à un montant entre 20 000 et 30 000 FCFA (30,55 et 45,83 €), contre un montant de 100 000 FCFA (152,77 €) dans le passé. Ces équipements sont donc accessibles au vu du revenu mensuel brut par habitant qui est de 41 400 francs CFA (63,25 €) selon la Banque mondiale7.
34La plupart des adolescents n’ont pas accès à une TIC à l'école. À l’école, les usages se réduisent au traitement de texte sur le logiciel Word et très rarement à la recherche sur Internet et à la visualisation de discours et documentaire dans le cadre de l’apprentissage. En dehors de l’école, on observe en général chez les adolescents enquêtés, des usages diversifiés, d’abord orientés vers le cadre scolaire puis vers le cadre personnel. Les besoins et usages scolaires vont être énoncés avec les mots « école », « informations » et « dessins animés » (à la télévision pour l’apprentissage du français) et les besoins et usages personnels par les mots « mes », « amis », « communique », « parler », « jeux », « distraction/distraire », « vidéos » et parfois « informations ».
35Les deux outils techniques les plus utilisées pour les besoins scolaires sont : le téléphone et l’ordinateur. Néanmoins deux facteurs semblent présenter une nuance non négligeable. Ce sont le niveau d’instruction et le cadre familial. Ainsi, les élèves du 1er cycle utilisent, de façon équitable, l’ordinateur familial (bureau et portatif) et le téléphone familial (du père, de la mère, du frère, de la sœur, de la grand-mère ou celui du tuteur). Ici, les livres et les documents restent encore utilisés. Quant aux élèves du 2nd cycle, ils utilisent principalement voire uniquement leur téléphone personnel. Il s’ensuit de loin l’ordinateur (bureau et portatif), et moins le téléphone d’un membre proche de la famille (celui de « maman » ou celui de la grande sœur).
36Sur le plan académique, on remarque la pratique de recherches principalement à partir du moteur de recherche Google pour faire les devoirs d’école. Les matières les plus mentionnées sont : les Sciences de la Vie et de la Terre (SVT), la physique, les mathématiques, l’histoire et la géographie. Généralement, les plus âgées s’intéressent aux recherches sur les grands auteurs littéraires et scientifiques (bio bibliographie, histoire des formules mathématiques) et aux téléchargements de documents issus de leurs recherches.
37Notons des usages « dénichés » tels que l’impression papier de documents à partir de photos reçues sur le téléphone. Comme on peut le lire à travers le récit de cette adolescente, le téléphone permet l’instantanéité : « Quand le professeur donne un polycopié de cours à notre responsable de classe pour qu’on le photocopie, là j’écris directement à mes camarades qui l’ont pour qu’ils m’envoient des images du polycopié, et j’imprime », (15 ans, 1e, éts privé). Il octroie ainsi une certaine aisance et une liberté face au déplacement. Consacrer beaucoup de son temps à regarder les feuilletons et les films d’animation (les « dessins animés ») à la télévision, moyennant l’amélioration de la compréhension des mots et textes en français est issu d’une initiative personnelle provenant de l’adolescent lui-même. Il faut remarquer l’usage de la lampe torche pour la mémorisation des leçons en cas de coupure d’électricité. Cet usage est toutefois très rarement noté.
38Le niveau d’instruction va influencer aussi le choix des principaux outils technologiques pour des usages dans le cadre personnel. Alors que les adolescents du 1er cycle font recours à quatre principaux outils que sont : la télévision, le téléphone, la radio et la tablette pour leurs besoins personnels, ceux du 2nd cycle, font, eux, recours aux quatre principaux TIC que sont le téléphone, les réseaux sociaux numériques (Facebook), la télévision et enfin la radio pour leurs besoins personnels. Ce qui différencie les moins instruits et les plus instruits parlant des usages des TIC pour des besoins personnels se base donc sur la tablette et les réseaux sociaux numériques. Les outils que l’on retrouve chez ces deux catégories sont : la télévision, le téléphone et la radio avec des degrés de primautés différents selon le niveau d’instruction.
Tableau 1. Niveau d’instruction et principaux outils technologiques pour des usages personnels
Usages personnels
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Niveau d’instruction
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Choix des principaux outils technologiques suivant l’ordre d’importance ou fréquence
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Éléments de différenciation
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1er cycle
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La télévision, le téléphone, la radio, la tablette
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Absence de réseaux sociaux numériques
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2nd cycle
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Le téléphone, les réseaux sociaux numériques (Facebook), la télévision, la radio
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Absence de tablette
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39Des éléments comme l’âge, le contrôle familial, les besoins personnels et le sexe de l’adolescent influencent de même les usages des technologies numériques. Par exemple, l’âge joue un rôle important en ce qui concerne le choix et les usages de l’outil. Plus les adolescents grandissent, moins ils s’intéressent à la télévision et aux usages des TIC pour les recherches scolaires. En effet, les adolescents de 12 à 13 ans s’exposent d’abord à la télévision, ensuite au téléphone et, enfin à l’ordinateur alors que les plus âgés de 14 à 15 ans d’un côté, et ceux âgés de 16 à 17 ans de l’autre, s’exposent tous deux, au contraire, d’abord au téléphone (alors en position 2 chez les plus jeunes de 12 à 13 ans). Alors que les 14 à 15 ans font recours, en deuxième position, à l’ordinateur, les 16-17 ans utilisent, de leur côté, la télévision comme deuxième outil. Ce qui va constituer une différence au sein de ces deux dernières catégories d’adolescents, c’est la télévision. Pendant que les 14-15 ans regardent la télévision, comme troisième outil, les 16 à 17 ans n’en regardent pas assez. Ces derniers préfèrent écouter la radio.
40Parlant des usages, les adolescents de 14-15 ans adoptent des usages des TIC qui sont, avant tout, relatifs aux recherches scolaires puis, aux réseaux sociaux numériques (Facebook exclusivement). Chez les adolescents les plus âgés, 16-17 ans, les usages des TIC sont relatifs, presque selon la même importance, aux réseaux sociaux numériques avant tout (Facebook et WhatsApp prioritairement) et aux recherches scolaires. C’est aussi au sein de cette tranche d’âge que l’on constate le plus les usages ludiques puis relationnels des TIC.
41On observe aussi une influence des fréquences d’usages des TIC par deux éléments à savoir le contrôle familial et les besoins scolaires mais aussi personnels des adolescents. Alors que les plus âgés (16 à 17 ans et rarement 12-15 ans) s’adonnent davantage aux usages des réseaux sociaux numériques (ici Facebook, WhatsApp, TikTok, Instagram et YouTube) plus qu’aux recherches liées à leur scolarité, les moins âgés (12 à 15 ans) adoptent le comportement inverse. Ces derniers vont s’adonner davantage aux recherches de l’école plus qu’aux réseaux sociaux. Cet adolescent de 14 ans et en classe de 2nd dans un établissement privé a laissé entendre ceci : « Si les exercices sont un peu compliqués, j’utilise le téléphone des parents pour aller sur internet et chercher des réponses ». Ceci peut se justifier du fait même du caractère non personnel, mais familial de la télévision, du téléphone et de l’ordinateur, outils dont ils ont respectivement accès à la maison (cf. paragraphe 5.2, p. 13).
42En définitive, les outils et les usages étudiés sont distincts en fonction du sexe, tous les niveaux scolaires confondus. En effet, s’agissant des outils, les adolescentes regardent beaucoup plus la télévision qu’elles n’utilisent le téléphone. Par contre, les adolescents utilisent beaucoup plus le téléphone qu’ils ne regardent la télévision. Quant aux usages, tous les deux sexes se livrent à la quête de contenus susceptibles de contribuer à leur apprentissage et qui leur sont, par ailleurs, imposés par leur enseignant. Ils se livrent aussi, tous les deux sexes à la communication avec leurs amis dans le cadre d’un prolongement des liens scolaires et/ou amicaux et à la distraction. Toutefois, les adolescentes, bien qu’elles aient moins accès au téléphone que les adolescents, elles représentent le sexe qui fait le plus recours à cet outil pour ses recherches scolaires.
43La plupart des adolescents n’ont pas accès à un TIC à l’école. Cette réalité fait de la maison, où règne une atmosphère culturellement solidaire, un espace qui participe fortement aux premiers usages. Les principaux mots utilisés par les adolescents sont : « ai », « m », « recherches », « commencé », « utiliser » mais aussi des mots pour désigner un membre de la famille, ici « papa », « père », « parents », « sœur ». Trois éléments sont prégnants ici : la personne qui initie l’adolescent : l’initiation par un membre de la famille (père, le frère mais aussi par soi-même à partir de ce que faisaient les aînés), les circonstances des premières utilisations (des recherches de l’école essentiellement) et la technologie auquel on associe la présence de celui qui initie l’adolescent. L’image suivante représente le nuage de mots-clés des différents récits des adolescents pour raconter comment ils en sont venus à utiliser les TIC.
Figure 3. Nuage de mots-clés de la première expérience des usages chez les adolescents
Maïdakouale & Fagadé, 2022
44Cet ensemble de mots-clés montrent l’univers que représentent les premières expériences d’usage chez les adolescents enquêtés. En effet, si le « père » ou le « papa » est celui qui est le plus impliqué au cours des premières expériences face à l’utilisation de l’ordinateur et celui qui initie, ce n’est pas toujours le cas pour ce qui concerne les premières expériences des usages du téléphone. C’est ce que révèlent ces discours : « Avant, papa me remettait un téléphone, quand on a des exercices, pour aller sur les sites et savoir comment l’utiliser, il nous montrait comment faire » (15 ans, 1re, éts privé, F) d’un côté, et « […] je voyais mes frères jouer sur le portable et c’est là qu’ils m’ont appris à jouer au jeu » (14 ans, 2nd, éts privé, M, des parents directeurs d’école et commerçante) ; de même que ce discours : « […] on reste souvent en famille à la maison[…] c’est en les voyant que j’ai appris à utiliser le téléphone et maintenant j’ai les compétences pour utiliser le téléphone » (17 ans, 3e, éts privé, M, des parents transitaire et vendeuse).
45Par ailleurs, les usages des TIC chez les adolescents sont distincts selon qu’ils ont l’un de leurs parents fonctionnaires. Assurément, les adolescents qui ont au moins l’un de leur parent fonctionnaire sont ceux qui utilisent les réseaux sociaux Youtube, Facebook et l’application de messagerie instantanée WhatsApp, peu importe leur âge. Ils sont inscrits dans les établissements privés pour la quasi-totalité d’entre eux. C’est aussi au sein de cette catégorie d’adolescents que l’on constate le plus l’implication des parents dans l’initiation aux TIC de leurs enfants.
46Du côté des adolescents dont les deux parents ne sont pas des fonctionnaires, on constate uniquement les usages de l’application de messagerie instantanée WhatsApp. Les réseaux sociaux YouTube et Facebook de même que l’implication du « papa » ou d’autres parents ne sont pas remarquées. Ces adolescents sont pour la quasi-totalité inscrits au sein d’un établissement public, mais ils sont aussi inscrits dans un établissement privé. Ici, ils sont âgés de 12, 14 et 17 ans. Il est constaté de même le recours aux dictionnaires et aux livres dans le cadre des recherches scolaires comme l’implication d’une personne autre qu’un membre de la famille, dans ce cas un « ami », au cours des premiers usages de l’ordinateur. Le discours de cet adolescent éclaire sur cet aspect : « Mon ami m’a appris et j’utilise maintenant tout seul l’ordinateur. Je rencontre des difficultés à vite appuyer sur les touches. Pour le téléphone, je n’ai pas de difficulté. Je l’utilise […] à la maison pour effectuer des recherches » (15 ans, 4e, éts public, M, des parents menuisiers et coiffeuse). L’image ci-dessous présente les mots-clés illustrant cette divergence.
Figure 4. Nuage des mots-clés des usages des adolescents selon le statut professionnel de leurs parents
Maïdakouale & Fagadé, 2022
47Les hypothèses émises dans le cadre de cette étude semblent confirmées. Il s’agit notamment des deux hypothèses :
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les usages des TIC chez les adolescents de 12 à 17 ans, en contexte africain, portent en eux des logiques sociales spécifiques d’appropriation qui répondent aux facteurs culturels et scolaires de ces jeunes adolescents.
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les usages des TIC chez ces adolescents de 12 à 17 ans constituent des trajectoires d’usages différenciées qui ne s’inscrivent pas uniquement dans une perspective techniciste.
48On constate dès lors, que les représentations construites autour des dispositifs techniques et des RSN trouvent leur source/racine dans le registre mythique de la communication. Il s’agit là, en substance, d’une construction purement imaginaire dont la réalisation est, a priori, décalée de la réalité. Cette vision imaginaire, voire utopique, s’est, on le sait, construite progressivement à partir du développement de l’informatique, de l’Internet et, désormais, des réseaux sociaux numériques. Si ces croyances mythiques aux technologies numériques guident les usages et pratiques des adolescents, il n’en demeure pas moins que celles-ci ne les enrôlent pas pour autant.
49Parallèlement, les études sociologiques consacrées à la sociabilité juvénile à l’ère du numérique montrent que cet âge est avant tout relationnel. L’amitié, les relations avec les pairs sont au centre des pratiques des jeunes adolescents, sans que, néanmoins, la sociabilité familiale soit rejetée (COMPIÈGNE, 2011). La nouveauté, c’est surtout la place importante prise par les relations amicales dans la définition identitaire et culturelle des jeunes, tandis que les activités, les centres d’intérêt, les loisirs sont relégués au second plan. Nous avons souligné la proportion importante de jeunes âgés de 12 à 17 ans qui surfent sur Internet en privilégiant notamment l’usage des réseaux sociaux numériques. De surcroît, c’est dans cette catégorie de population que le temps de communications médiatisées est le plus long. En effet, un des succès des technologies numériques auprès des jeunes est dû à leur mobilité et aux opportunités permises d’usages individualisés et personnalisés adaptés à leurs modes de vie. Tous les adolescents vont d’abord vers les TIC pour des recherches scolaires. Ce qui est intéressant à étudier ici, ce sont les outils dont ils ont accès à la maison selon leur âge, la fonction de leurs parents d’une part et les usages qu’ils en font selon leur âge d’autre part.
50Dès lors, en raison de leur déploiement massif, les outils numériques s’immiscent de plus en plus dans leur expérience de sociabilité surtout pour communiquer avec d’autres jeunes du même âge au centre d’intérêt commun. Ceci explique la primauté de la messagerie instantanée et des réseaux sociaux.
51Toutefois, l’étude présente quelques limites. La principale réside nul doute dans les conditions inhérentes au terrain : la durée — très serrée du fait des vacances des élèves — consacrée à l’enquête n’a malheureusement pas permis d’observer sur une période donnée, ne serait-ce que de façon rapide, les pratiques réelles et effectives des usagers pour les confronter à leurs déclarations. L’autre limite est plutôt relative à l’accès aux adolescents. En effet, compte-tenu du fait que ces derniers étaient en vacances, les conditions dans lesquelles les interviews se sont déroulées ont été difficiles, sans compter que certains d’entre eux se sont montrés peu coopératifs, ceci constituant leurs premières participations à un tel exercice. La dernière limite de l’étude concerne évidemment les critères de sélection des élèves et du nombre limité de l’échantillon. Il eût été préférable de procéder à une large sélection, ne serait-ce dans une dizaine d’établissements en puisant un « bon » échantillon qui se rapproche de la représentativité. En ce sens, la présente étude mériterait d’être approfondie en y intégrant d’autres pays, d’autres écoles et d’autres variables telles que le parcours individuel des adolescents.