1L’objet de cette recherche porte sur les plateformes mobilisées par les partis politiques comme outils de participation et de communication. Il s’inscrit dans la lignée des recherches menées dès le début des années 2000 sur les relations entre le numérique et la communication politique, notamment dans le cadre des campagnes électorales. Une partie de ces travaux rend compte du rôle important du numérique mais relativise les effets qui lui sont prêtés dans la réussite des campagnes politiques. À l’issue de leur analyse des stratégies numériques de campagne des candidats à la primaire de la droite et du centre de 2016, Anaïs Theviot et Éric Treille (2019) notaient qu’il était utile de relativiser l’euphorie autour du rôle des big data pour remporter des élections malgré l’engouement suscité par les données et leur analyse comme moyens de mobilisation en ligne et hors ligne.
2Sur le plan international, le travail de Rachel Gibson, Lusoli Wainer et Stephen Ward (2008) sur l’usage du numérique par les partis politiques établit une revue de la littérature qui fait état des transformations des partis politiques induites par l’intégration de plus en plus poussée des Technologies de l’information et de la communication (TIC). Cependant, au début des années 2000, pointant les tensions croissantes entre les idéaux et les performances perçues des institutions démocratiques, Pippa Norris (2001) établissait que les « bonnes pratiques » de communication politique étaient fortement tributaires des contextes malgré des similitudes qui peuvent être observées. Des chercheurs comme Daniel Kreiss (2012) ont retracé le processus et l’histoire, à partir d’un travail de terrain effectué pendant le cycle électoral de 2008 et sur des recherches d’archives, pour montrer une série d’innovations en rapport avec le numérique dans l’organisation, les outils et les pratiques de la campagne ont joué un rôle essentiel dans l’élection de Barack Obama (Cabedoche, 2010). Des études comparatives sont aussi développées (Gibson, Lusoli et Ward, 2008 ; Gibson et Cantijoch, 2011 ; Lilleker, 2013, 2016) qui montrent les usages et pratiques de mobilisation politique à travers le numérique des organisations politiques.
- 1 En guise d’exemple, le taux de participation au second tour de l’élection présidentielle en 2022 ét (...)
3En France et à l’international, la politique traditionnelle fait face à la désaffection du grand public. La crise de la démocratie représentative et de légitimité (Lefebvre, 2020) est perceptible lors des élections avec une baisse de la présence des électeurs aux urnes1. Elle se caractérise concomitamment par la montée en puissance des mouvements populistes face à des régimes politiques vieillissants et des inégalités (Holubowicz, 2021). Ce désintérêt voire cette désagrégation s’accompagne d’une « ré-invention » du fait politique, par le biais notamment de nouvelles pratiques émergentes. Plusieurs travaux scientifiques (Sedda, 2020 ; Stein, 2006) ont notamment insisté sur l’élargissement des usages communicationnels de partis politiques et le rôle des médias sociaux comme des instruments au service de la démocratie participative.
4À travers des sites web politiques, des initiatives plus ou moins formalisées intégrant les avis des militants politiques ont émergé. Cette pratique, qui réfère à une démarche d’intelligence collective afin de coconstruire les projets publics, traduit une volonté de replacer le citoyen au cœur des enjeux politiques. Ainsi, en France, bien que le parti de Jean-Marie Le Pen fut le premier à se doter d’un site Internet à la fin des années 1990 (Dézé, 2011), ce sont l’UMP et le PS qui s’engagent dès l’avènement du web 2.0 dans une démarche participative afin de construire leur projet politique avec les militants en ligne. Ces dispositifs techno-communicationnels s’apparentent à des instruments qui dotent les offres politiques d’une légitimité populaire.
5Par ailleurs, depuis l’avènement d’Internet et des réseaux socionumériques (RSN), nous observons une certaine professionnalisation des procédures de recueil de contribution de militants. La participation n’est plus le seul fait des dispositifs mis à disposition des mairies dans le cadre des consultations citoyennes de même qu’elle ne se limite plus aux pratiques communicationnelles unidirectionnelles et partisanes (Gersende, 2007). Comme le précise Paola Sedda (2020), afin de répondre aux nouveaux enjeux démocratiques, les partis politiques font progressivement appel à de nouveaux espaces virtuels qui encadrent l’attention et la participation des sympathisants. Par une multitude de procédés, ces lieux connectés fonctionnent à la fois comme moyen de mobilisation et d’action politique. Pour Emiliano De Blasio et Michele Sorice (2020), ces espaces numériques favorisent la « construction de l’offre politique et de prise de décision » (ibid., p. 91). Les procédés sont différents et débouchent sur une forme d’hybridation des pratiques participatives. D’un côté, l’internaute s’adresse à un acteur politique par le biais d’une plateforme visant la participation plutôt que la représentation. De l’autre côté, les partis politiques ont recours à ces plateformes afin de « suivre en permanence et [de façon] quasi in vivo l’évolution de l’opinion de leurs membres, dans le but ultime de s’adapter à leurs tendances changeantes » (Gerbaudo, 2019, p. 74).
6Les plateformes de participation qui apparaissent comme des « laboratoires d’idées » pourraient être perçues comme des artefacts concourants à la « construction dispositive du concernement » (Mabi, 2014, p. 635). L’intégration d’outils numériques dans le champ politique n’est pas un phénomène récent. Dès les années 2000, la volonté de mettre en place des cadres de participation politique sur Internet est observée en France. Marieke Stein (2006) notait déjà qu’à l’approche des élections présidentielles, de plus en plus de personnalités politiques créaient leur blog personnel. Le cas de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy sont exemplaires car, à travers ce modus operandi, ils entendaient mettre leur blog au service de la démocratie participative. L’auteure relevait un écart important entre les propositions du forum « Désirs d’avenir » et la synthèse qui avait été faite par une équipe de 70 modérateurs-synthétiseurs volontaires. Le même constat a été établi par Nicolas Desquinabo (2007) qui a mis en évidence une asymétrie entre les participations aux forums du PS, de l’UMP et les programmes de leurs candidats. Dans les premiers forums et plateformes de participation, la « boîte noire » de la décision semble échapper aux contributeurs (Bousquet, 2008). À ce titre, observant que le fait d’ouvrir le journal municipal en ligne était plus important pour l’élu que la participation elle-même et sa prise en considération dans la définition des politiques municipales, Bertrand Cabedoche avait ainsi parlé de « démocratie événementielle », quand le dispositif technique fait événement plus que les contenus et échanges qu’il autorise (Cabedoche, 2007).
7Depuis les premiers échanges par messages électroniques, forums de discussion et tchats mais aussi à travers les rubriques comme « Votre avis » (site web de Jacques Chirac), « Prenez la parole » (site web de Jean-Pierre Chevènement) ou « Vos réactions » (site web d’Alain Madelin), les dispositifs et possibilités de mobilisation numérique des citoyens ont sensiblement évolué. De nos jours, les blogs, les sites web participatifs ou encore les RSN se présentent comme une « forme d’espace public alternatif » (Ngono, 2018) pour la mobilisation et la participation politique. Ils sont devenus des formes de média incontournables, voire des espaces de séduction de l’électorat (Stein, 2006).
8Dans le cadre de notre article, nous proposons d’observer les usages des plateformes participatives par les acteurs politiques et les militants, les formes de contribution qui y circulent, sont encouragées et autorisées et finalement, les enjeux liés au recours à de tels dispositifs. Pour ce faire, notre travail se structure autour de trois hypothèses de recherche que nous tenterons de vérifier. Notre première hypothèse est que l’architecture et le design des sites web politiques participatifs permettent de construire les projets politiques conjointement avec les militants et sympathisants. Dans le cadre d’une analyse comparative internationale des campagnes numériques, Marie Neihouser, Julien Boyadjian et Anaïs Theviot (2022) remarquent à propos des RSN que :
[…] cette dimension “ horizontale” peut être mise au service d’une démarche de démocratie participative (qui s’apparente le plus souvent à une stratégie de communication plutôt qu’à un réel projet politique), invitant les internautes à “coconstruire” le programme du candidat, ou du moins à participer activement à son élaboration, et à prendre ainsi pleinement part à la campagne (Petithomme, 2017). (Neihouser, Boyadjian, Théviot, 2022, p. 14).
- 2 Les auteurs définissent l’affection comme le fait d’exercer une pression dans un rapport de force ( (...)
9La deuxième hypothèse est que les sites web participatifs encouragent et autorisent toute forme de contribution politique des sympathisants et militants politiques. La participation politique en ligne peut se définir comme « une activité riche en information qui recourt aux technologies des nouveaux médias et cherche à affecter, directement ou indirectement, les décideurs, les candidats, ou les élus » (Hoffman, 2012, p. 20). Une nuance doit toutefois être ajoutée à cette définition. L’élaboration d’un projet de participation en ligne implique plusieurs actions. Il peut ainsi s’agir, de manière non exhaustive, de la formulation de commentaires par les internautes mais aussi de l’envoi de propositions d’idées par mail à destination des gestionnaires des sites. En ce sens, les échanges constituent soit un « rapport d’affection »2 (Cervulle et Pailler, 2014, para. 7) ou à l’inverse une pratique de coproduction au profit du candidat. Plus concrètement, la notion de participation est indissociable de celle d’engagement et de citoyenneté. Elle est fortement liée à la posture de l’internaute et à son souhait de s’investir dans un idéal politique selon la perspective « bottom up ».
10La troisième et dernière hypothèse est que les sites web participatifs ne renouvellent pas le type de contributeurs sur le plan sociodémographique. Nous voulons contribuer à une critique du technocentrisme comme déjà constaté auprès d’auteurs tels que Thierry Barboni, Djamel Mermat et Éric Treille (2011) qui observaient déjà la figure de l’e-militant, plus spécifiquement celle du socialiste, dès 2006. En effet, les e-militants actifs étaient relativement jeunes et appartenaient à une certaine classe sociale. Julien Boyadjian (2016) remarquait à propos des « twittos politiques » « un fort degré de politisation et un important capital culturel ». Le même avait constaté la prédominance de cadres comme auteurs de messages politiques sur les RSN dans son échantillon de population. De la même manière, à propos des rapports socialement différenciés des publics jeunes à la participation en ligne, Julien Boyadjian (2020) notait également que les militants de partis politiques étaient les principaux acteurs de la participation politique en ligne.
11Afin de mener à bien cette recherche, nous nous sommes intéressé à trois sites web dits « participatifs », à savoir Mlavenir.fr, Lafranceencommun.fr et Ideesencommun.fr, créés respectivement par le Rassemblement National, le Parti Communiste Français et par le Parti Socialiste en 2021. Deux critères principaux ont guidé le choix de ces plateformes. En premier lieu, ces sites se présentent comme des espaces de concertation en période de précampagne et en second lieu, ils constituent des espaces de collecte d’idées de trois candidats à l’élection présidentielle française de 2022.
12Afin de cerner la manière dont les politiques encouragent la participation sur les plateformes, nous proposons d’analyser tout d’abord le design de ces technologies de participation (Badouard, 2014). Il s’agit de s’intéresser à la manière dont le dispositif technique traduit un projet politique. Le design est considéré comme un « processus socio-technique complexe, qui tente de considérer dans un même mouvement les intentions des concepteurs, la réalisation technologique et le processus de cadrage des flux de communication qui en découlent » (Laurent et al., 2018).
13Dans le cadre de notre travail, les plateformes conçues par les partis politiques sont orientées et organisées selon une stratégie préalablement définie. Le design peut ainsi s’accompagner de formes de contraintes relatives à ce qui est autorisé à être publié sur la plateforme. L’objectif de cette démarche d’analyse est de mesurer d’une part le degré de participation favorisé par l’architecture des sites du corpus présentés comme participatifs. D’autre part, il est aussi question d’explorer les modalités d’appropriation réelle desdites plateformes par les usagers.
Tableau 1. Méthodes d’observation et d’analyse des sites participatifs
Analyse du design
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Analyse de contenu des sites web
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Architecture et fonctionnement du site : observation de l’arborescence et des données publiées des contributeurs
Outils et formes de participation : observation des applications mises à disposition afin d’agir sur les contenus du site
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Analyse quantitative des contributions des usagers sur les plateformes
Observation d’un échantillon de contributions et d’interactions aux contenus
Analyse de contenu des sites web participatifs (Bastien et Greffet, 2009) : – Information – Interactivité – Mobilisation
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14Dans un premier temps, nous avons procédé à l’analyse de la conception des sites « M l’avenir », « La France en commun » et « Idées en commun ». À partir de l’analyse architecturale et fonctionnelle de ces plateformes, nous avons analysé l’arborescence, à savoir les parcours de navigation et le rubriquage ainsi que la « publicisation » des données relatives à l’identité des contributeurs et leur activité sur le site. L’analyse a pris également en compte les outils et formes de participation qui englobent les applications mises à disposition afin d’agir sur les contenus du site. Il est question ici de faire émerger les possibilités et les contraintes d’action et in fine des modèles de participation développés par les gestionnaires des plateformes numériques.
15Dans un second temps, nous avons analysé l’appropriation réelle de ces plateformes par les usagers guidés par l’approche de la « double médiation sociotechnique » (Jouët, 1993). Il convient de repérer comment la technique oriente les pratiques ou génère une forme de résistance des usages. Cette phase d’analyse s’est traduite par une exploration lexicométrique des contributions publiées sur les sites web. Cette opération lexicométrique a été réalisée sur 67 articles et tribunes sur le site de « M l’avenir » et sur 1190 contributions sur « La France en commun ». Ce travail a été réalisé afin de satisfaire aux exigences de pertinence, d’exhaustivité et d’homogénéité (De Bonville, 2000) du corpus. En analysant la masse d’éléments du corpus, nous nous sommes intéressé aux logiques textuelles de participation des internautes afin d’en saisir l’inflexion ou la confirmation du cadre thématique initial défini par l’interface de ces plateformes. Ce travail s’est basé sur une méthode de traitement automatique (Reinert, 1983) à l’aide du logiciel Iramuteq. Ce dernier implémente une Classification Hiérarchique Descendante ou « méthode Alceste » et produit des analyses comparables à ce dernier (Ratinaud et Dejean, 2009). Les outils de statistique textuelle tels que Iramuteq permettent de disposer d’un dendrogramme et de graphiques illustratifs. Emmanuel Marty (2019) explique que les méthodes de statistique textuelle « permettent la représentation graphique de l’organisation discursive des textes destinée à en faciliter l’interprétation » (Marty, 2019, p. 95).
16Ces données ont été complétées et enrichies par une observation ethnographique en ligne (Jouët et Le Caroff, 2013). Il s’agit d’une démarche empirique qui implique l’immersion du chercheur dans son terrain afin d’étudier de façon fine des institutions, des communautés, des situations, des interactions, des comportements individuels et collectifs (Jouët et Le Caroff, 2013, p. 147). Entre décembre 2021 et juin 2022, nous avons procédé à une veille régulière sur les sites web ainsi que sur les comptes Twitter et les pages Facebook des partis politiques de notre corpus. Cette immersion dans notre « terrain » d’étude, en contexte numérique, avait pour finalité de saisir les pratiques interactives entre gestionnaires de sites web politiques et militants/sympathisants et les modalités de publication et de modération de contenus à l’œuvre.
17Nous avons enfin mobilisé l’analyse des sites web et blogs (Bastien et Greffet, 2009). Selon les recommandations de ces auteurs, cette modalité d’analyse requiert de prendre en compte les types d’information publiés, les formes d’interaction engagées ou non par le parti politique et l’électorat, et enfin la mobilisation. Elle permet également de voir à l’œuvre les transformations apportées par le numérique dans les pratiques militantes au sein des partis politiques.
18Sur la base des données recueillies, de la littérature consultée et de l’objectif, l’analyse proposée dans cet article se structure en deux grandes parties. Dans un premier temps, nous verrons la manière dont le design des sites régule par contribution citoyenne puis dans un second temps, nous dresserons une revue des acteurs, des logiques et des rationalités de la participation politique en ligne.
- 3 M’l’avenir.
- 4 Idées en commun.
19Les différents sites web constituent en premier lieu des outils de communication politique. Nous entendons par « communication politique », en situation de campagne électorale, la diffusion d’une offre politique qui résulte du programme porté par un candidat (Zémor, 2008, p. 118). De prime abord, les trois sites web étudiés affichent la volonté d'encourager la participation des usagers par des applications « Je contribue »3, ou des messages textuels « Je participe. Prenez votre part dans la construction d’un projet social et écologiste »4. Cette incitation est en effet visible dès la page d’accueil des plateformes analysées. Cependant, l’analyse de l’arborescence indique que les sites web destinés à diffuser les idées politiques préalablement définies par les partis politiques favorisent une participation limitée. Les sites web de « M l’avenir » et « Idées en commun » permettent une consultation réticulaire limitée à trois rubriques personnalisées respectivement pour les deux plateformes citées. Dans le cas de « La France en commun », nous avons pu comptabiliser cinq rubriques mises à disposition des militants en ligne.
Tableau 2. Rubriques des sites web « M l’avenir », « La France en commun » et « Idées en commun »
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M l’avenir
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La France en commun
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Idées en commun
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Rubriquage
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3 rubriques : – Accueil – Nos articles – Je contribue
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5 rubriques : – À propos – La France en commun – Les thématiques – Comment participer – La charte d’utilisation
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3 rubriques : – Je m’engage – Nos idées en commun – Actualités
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20Une analyse conjointe des contenus de chaque rubrique démontre le recours à « l’instrumentation numérique » (Badouard, 2014) au service de la diffusion d’un projet politique préalablement défini. En premier lieu, les thématiques dans lesquelles doivent s’inscrire les contributions des usagers des sites web sont déterminées en amont de la participation des usagers par les gestionnaires des sites. Dans le cas de « M l’avenir », nous distinguons sept thématiques reprenant le projet politique du Rassemblement national à savoir la « Défense », la « Démocratie », l’« Écologie », l’« Économie », l’« Europe/International », la « Sécurité » et la « Société ». Sur le même principe, en accédant à la rubrique « Nos idées en commun » du site « Idées en commun », les internautes visualisent neuf thématiques définies au préalable par les gestionnaires du site et dans lesquelles ils peuvent chacun faire valoir leur action d’engagement comme l’illustre l’exemple suivant :
Figure 1. Thématiques de la rubrique « Nos idées en commun »
21Une courte présentation est disponible en accédant à chacune des thématiques. Celle-ci est suivie d’un descriptif succinct des projets en cours de réalisation et d’une application dotée d’une fonction phatique « Pour m’engager, je clique ici ». Le site du Parti communiste français (PCF) a recours à un procédé identique puisque les contributeurs doivent insérer leur contribution dans l’une des 17 thématiques proposées sur le site web.
22Bien que la structuration des pages d’accueil soit différente d'une plateforme à une autre, les données qui y sont publiées et leur disposition poursuivent le même objectif, à savoir présenter et valoriser le projet du parti. À partir de liens hypertextes disponibles depuis la page d’accueil, les partisans ont accès au projet politique de chaque contributeur. Sur la page d’accueil du site Lafranceencommun, on observe aussi une configuration dans laquelle est présente la présentation du candidat du PCF, Fabien Roussel et le lien portant vers le projet de son parti :
Figure 2. Présentation du candidat Fabien Roussel (PCF) et du projet du parti sur la page d’accueil
23Ce positionnement est à mettre en lien avec la ligne éditoriale des trois sites web. À l’exception du site « Idées en commun », il convient de préciser que « M l’avenir » et « La France en commun » reprennent la charte graphique des sites officiels et des logos du Rassemblement national pour le premier et du PCF pour le second. De plus, nous observons une cohérence entre l’univers sémantique des discours des partis politiques et des sites web participatifs. Ainsi, l’usage stratégique des rubriques qui délimitent le contour de leur programme, la présentation du programme politique et la mise en avant du candidat à la présidentielle, la reprise de la charte graphique et de l’univers sémantique sont autant de ressources symboliques que les administrateurs diffusent afin de mobiliser leurs électeurs (Gerstlé et Piar, 2020, p. 112).
24Enfin, outre l’arborescence et la morphologie des pages web, l’observation des possibilités d’interaction sur le contenu révèle la mise à disposition de liens de partage aux partisans. Ceux-ci concernant des articles des sites et des contributions des usagers sur les RSN tels que Twitter et Facebook. Ce modus operandi traduit la volonté d’élargir la diffusion à la fois du projet mais également du discours politique sur d’autres plateformes.
25Nous allons à présent montrer que les sites de participation s’apparentent à des espaces de communication, à des médias au sens classique du terme, c’est-à-dire des espaces d’énonciation et de diffusion du discours du parti à l’endroit des personnes susceptibles d’être intéressées. Ces espaces se muent également en des lieux où des programmes et activités du parti sont diffusés. Dans ce cas, ils se transforment en espace d’information à la fois pour les militants et sympathisants que pour tout autre individu dans la société.
26Notre observation ethnographique en ligne a permis de constater que les modalités d’action sur le contenu varient d’un site web à l’autre. Toutefois, elles ont en commun de cadrer, à différents degrés, la participation des usagers à travers trois procédés : la modération, la mise en place d’une charte d’utilisation et les outils d’action sur le contenu. Liées à l’inscription des idées et propositions au sein de thématiques préalablement définies, les plateformes présentent une dimension davantage consultative plutôt que délibérative.
27De même qu’elles réduisent considérablement la marge de contribution des partisans. Autrement dit, les possibilités d’action établies par les concepteurs des sites web déterminent les pratiques et les relations entre les lecteurs-contributeurs et les administrateurs des sites. Elles conduisent par conséquent les usagers-citoyens « à se conformer à la norme prescrite », comme déjà observé il y a quelques années (Thibault et Mabi, 2015).
28Les modalités de participation du site « M l’avenir » sont basées sur un fonctionnement de type bureaucratique car plusieurs étapes sont mises en place. L’usager du site web a la possibilité de proposer des idées, des témoignages ou des opinions via l’application « Je contribue ». Celle-ci dirige l’internaute vers un formulaire dans lequel il renseigne plusieurs champs (noms, prénoms, etc.) et remplit une case pour sa contribution. Il n’existe pas de limites de caractères, ce qui donne la possibilité au contributeur de développer ses idées. La contribution est par la suite soumise à une équipe chargée de sélectionner et de publier celle-ci. Elle est ensuite insérée dans l’une des thématiques définies au préalable par le gestionnaire du site.
29Les formats de participation du site « La France en commun » sont ceux qui se rapprochent le plus de l’idée d’une démocratie participative puisque nous avons observé des productions spontanées de remarques ou de propositions (Cardon, 2019). Cependant, malgré le déclaratif officiel fondé sur la modalité de participation et de la transparence, les plateformes politiques procèdent par des formes et phases de contrôle qui réduisent la marge de manœuvre des sympathisants. En effet, l’internaute doit s’authentifier et inscrire ses idées dans l’une ou plusieurs des 17 thématiques déjà prédéfinies sur le site. Ce dernier a la possibilité de soumettre des idées en remplissant un champ sous forme de « commentaire » à la suite de la présentation de la thématique.
30Pour ce faire, une « formation » à la participation, témoignant d’une médiation pédagogique, sous forme de tutoriel textuel d’un format court illustré de dessins, est proposée à l’internaute. Comme pour le site « M l’avenir », le nombre de caractères illimité donne la possibilité à l’internaute de développer ses idées autour des thématiques. De plus, la modération des idées se fait a posteriori. Toutefois, il existe une charte de participation qui contraint le champ d’action de l’internaute et peut conduire, suivant la nature de sa contribution, à son éviction ou à sa désinscription de la plateforme. Nous postulons donc que la plateforme politique fait office d’espace d’agrégation individuelle de contributions juxtaposées les unes aux autres dans laquelle s'organisent des micro-espaces de débats et de concertation :
Figure 3. Agencement des contributions des usagers de la plateforme « La France en commun »
31L’observation des interactions sur le contenu démontre des fonctionnalités qui permettent de commenter les propositions d’idées, ce qui ouvre la voie aux débats entre les usagers. Contrairement aux autres plateformes, « Idées en commun », telle que configurée, n’offre pas la possibilité de soumettre des opinions et témoignages. Les applications « rejoindre » ou « pour m’engager, je clique ici » orientent l’internaute à participer à un groupe de travail ou dans un comité d’organisation physique. Elles peuvent également guider vers le site officiel de campagne d’Anne Hidalgo afin d'accomplir des actions ou réaliser des donations. Dès lors, la plateforme se présente comme un site vitrine de promotion, d’information et de mobilisation autour des projets déjà élaborés par le parti.
32À partir de l’analyse quantitative des publications, nous observons des contributions cadrées par des thématiques prédéfinies par le dispositif de la plateforme. Comme évoqué supra, l’instrumentation technique des plateformes « M l’avenir » et « La France en commun » consiste à un guidage vers sept rubriques pour le premier et 17 thématiques pour le second, à travers lesquelles les contributions sont faites. Ce procédé consiste à définir ce à quoi il faut penser et oriente les contributions vers les axes prioritaires de ces formations politiques.
Figure 4. Dendrogramme, classes et lexique issus des contributions du site La France en commun (4313 segments classés sur 4967 (86,83 %) sur « La France en commun »)
33L’analyse textométrique des contributions sur la plateforme « La France en commun » fait apparaître une congruence entre les sujets de prédilection ainsi que le positionnement du parti avec les contributions sur le site. Ces contributions sont le fait de militants qui souhaitent participer à la co-construction de l’offre politique. Alors que 17 thématiques à élaborer ensemble ont été introduites sur la plateforme, l’essentiel de celles-ci tourne autour de 5 classes.
34La classe 5 qui représente 13,8 % est constituée de termes qui renvoient à l’univers sémantique de la thématique « une démocratie réelle » dans laquelle plusieurs contributions ont été faites. Cette classe se détache des quatre qui se situent dans un grand ensemble composé du couple des classes 2 et 3 ainsi que des classes 1 et 4.
35La classe 3 (14,4 %) est essentiellement formée par des formes relatives à l’économie avec des contributions. Celles-ci s’inscrivent essentiellement dans les rubriques « Prendre le pouvoir sur l’argent », « une reconquête industrielle », « travail : vers de nouveaux droits » et, dans une moindre mesure « Développer l’économie sociale et solidaire ».
36La classe 2 (23,1 %) offre une lecture pertinente de l’association des thématiques de l’énergie, du développement durable et de l’agriculture, symbolisés par les rubriques « Les transports de demain », « Réussir la transition écologique » et « un nouveau modèle agricole ». En réalité, les contributions font apparaître les relations qui se créent entre les thématiques traditionnelles du parti communiste comme l’économie, le travail, les entreprises auxquelles vient se greffer le développement durable.
37La classe 4 (27,7 %) est entièrement consacrée aux thématiques de l’éducation et de l’enseignement supérieur. La rubrique « l’école en commun » articulée autour d’ « investir dans l’enseignement supérieur et la recherche » cristallise les contributions avec le plus de formes. À côté de cette thématique de l’éducation, la « lutte », « l’humain » et le « travailleur », qui sont au cœur des préoccupations du Parti communiste et du discours de son candidat à l’élection présidentielle Fabien Roussel, occupent une place importante dans contributions dans la classe 5 (21 %). La particularité de cette classe est que la plupart des termes qui la composent se retrouvent dans plusieurs rubriques.
38Il peut être noté que malgré leur absence du dendrogramme, d’autres thématiques comme le logement et la santé ont souvent été abordées dans leurs rubriques dédiées. Les contributions tournent essentiellement du « social » qui est le terme le plus cité des contributions (604 fois).
Figure 5. Dendrogramme, classes et lexique issus des contributions du site « M l’avenir » (1212 segments classés sur 1489 (81,40 %) sur « M l’avenir »)
39Le dendrogramme issu de l’analyse de la plateforme « M l’avenir » sur 67 contributions fait ressortir 4 classes avec une nette polarisation. D’un côté, la classe 1 (32,1 %) et la classe 4 (17,4 %) concentrent la moitié des contributions. De l’autre, la classe 3 et la classe 2 capitalisent aussi plus de la moitié des termes. Les termes qui sont observés dans la classe 1 avec l’« école » (52 occurrences), l’« insécurité » (23 occurrences), « gilet » et « jaune » (10 occurrences chacun), avec leurs concordanciers, renvoient à la menace d’un ordre et d’une identité nationale, le sentiment d’insécurité et une contestation avec la figure des Gilets jaunes. L’école, avec les tenues uniformes proposées, pourrait permettre résorber cette déperdition dénoncée d’une identité nationale. Les articles de la rubrique « société » abordent ces thématiques. La classe 4 (17,4 %) se situe dans le même champ thématique que la classe 1 avec un focus très clair sur la question de l’immigration et les mesures à prendre pour l’endiguer dans les propositions les plus souvent classées dans les rubriques, « société », « sécurité » ou encore « Europe/international ».
40Quant à la classe 3, elle pointe majoritairement les rubriques « Europe/International » et « Démocratie » avec des propositions qui visent à réaffirmer la position souverainiste du Rassemblement national sur plusieurs sujets relatifs au positionnement de la France, notamment vis-à-vis de l’Union Européenne. La classe 4 (30,5 %) regroupe essentiellement les propositions dans les rubriques « économie » et « écologie ». Celles-ci épousent pour l’essentiel la position du Rassemblement national. En somme, pour la plateforme « M l’avenir », les termes « français » (188 occurrences), « européen » (173 occurrences), « France » (163 occurrences), « politique » (119 occurrences) et « national » (105 occurrences) qui occupent les places des 5 formes les plus fréquentes renseignent sur la concordance des sujets évoqués par les contributeurs avec l’orientation du parti.
41À l’issue de cette analyse lexicométrique, il apparaît que les plateformes parviennent, a minima, à opérer un premier cadrage à travers le design des interfaces des plateformes en y proposant les rubriques sur lesquelles les internautes peuvent participer. Sur « La France en commun », nous avons observé une dispersion des idées proposées en raison de leur grand nombre réparti dans 17 thématiques. L’observation des données textométriques fait apparaître le constat d’une plus grande congruence avec les orientations du parti au niveau de la plateforme « M l’avenir » où le moins de contributions ont été faites par des personnages identifiables et appartenant à une catégorie socioprofessionnelle particulière. La participation peut se trouver fortement compromise dès lors que des contraintes sociotechniques poussent les participants à inscrire leurs propositions dans des thèmes prédéfinis. En réalité, comme le souligne Proulx (2020), « participer suppose que l’individu prenne part à la situation de façon telle qu’il puisse modifier cet état des choses par ses gestes contributifs » (Proulx, 2020, p. 22).
42En somme, la prédéfinition des thématiques invalide la première hypothèse de recherche selon laquelle l’architecture et le design des sites web politiques participatifs permettent de construire les projets politiques conjointement avec les militants et sympathisants. De même, l’hypothèse selon laquelle les sites web participatifs encouragent toute forme de contribution politique s’avère infirmée. Les modalités de participation laissent peu ou prou de marge de manœuvre aux militants en ligne. La contribution est davantage régulée par les instances du parti. Si un élan collaboratif est initié sur les différents sites, il tend davantage à renforcer le rapport de force en faveur des gestionnaires des sites web et des candidats aux élections présidentielles. Le balisage de la participation politique par des contributions modérées a priori ou a posteriori et la sélection des propositions par les administrateurs, si elles cadrent selon la ligne politique et la charte d’utilisation, réaffirment la place des usagers d’internautes-citoyens au rang de consultants. Cela converge avec l’idée selon laquelle « sous couvert d’une invitation à participer, l’instrumentation technique travestit des rapports de force initiaux qui sont renforcés par le dispositif » (Vassor, 2018). Dans le cas précis de « M l’avenir » et « Idées en commun », les plateformes ne sont pas forcément vouées à sédimenter les discours oppositionnels ou contradictoires à l’idéologie du parti (Negt, 2009).
43L’analyse du design des sites web combinée à l’analyse thématique des publications démontre que les plateformes numériques favorisent le « concernement », voire l’engagement de certains types d’usagers (Mabi, 2014). Cette pratique se traduit par l’implication des usagers dans la discussion politique. Nous supposons que la participation politique sur les sites web se situe dans la continuité d’un engagement déjà existant chez l’usager. Dans le cas de « M l’avenir », une observation ethnographique des profils des différents contributeurs démontre que ceux-ci sont acquis à la cause du Rassemblement national. Ils sont par conséquent engagés dans la vie politique du parti pour certains. Nous observons, par ailleurs, que ce sont les mêmes contributeurs qui voient leurs tribunes publiées :
Figure 6. Exemple de redondance de contributions par les mêmes profils
- 5 Il faut considérer que les tribunes sont publiées a posteriori, ce qui représente un biais dans l’a (...)
44Nous pouvons dire d’emblée que le site web ne contribue pas au renouvellement des publics-partisans5. Il s’appréhende plutôt comme un outil de médiation qui fait évoluer le « concernement » des usagers. Il agit comme un « réactivateur » d’une sensibilité politique déjà existante. Plutôt que de favoriser le débat et d’engager de nouveaux partisans, le site web « M l’avenir » entretient une forme de balkanisation d’une communauté politique en ligne déjà établie (Flichy, 2008).
- 6 Nous avons retenu les quatre premiers articles de chaque thématique.
45D’autre part, le design des sites web cadre le « concernement » des usagers en ce qu’il régit les thématiques sur lesquelles ils doivent réagir. De même, il modère les contributions tout en limitant la possibilité d’expression large des internautes. Ainsi, afin de soumettre des propositions ou des idées et pour que celles-ci soient diffusées, la bonne connaissance de la thématique constitue un critère de sélection des gestionnaires du site comme en témoigne le tableau6 suivant :
Tableau 3. Extrait des professions des contributeurs des tribunes du site « M l’avenir »
Thématique
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Date article
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Profession des auteurs des tribunes
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Démocratie
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13/06/2021
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Député Européen / Conseiller de Marine le Pen
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28/05/2021
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Docteur en Droit Ancien Commissaire divisionnaire
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23/05/2021
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Journaliste
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09/04/2021
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Haut fonctionnaire
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Défense
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26/02/2021
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Spécialiste du secteur de la défense
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Écologie
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03/05/2021
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Forestier en Bourgogne
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22/04/2021
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Journaliste
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11/03/2021
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Professeur d’Histoire Géographie
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10/03/2021
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Consultant dans le secteur énergétique
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Économie
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19/05/2021
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Consultant
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10/05/2021
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Cadre dirigeant
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14/04/2021
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Ingénieur informatique, Conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur
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12/04/2021
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Députée européenne
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Europe/international
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23/01/2021
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Enseignant-chercheur
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23/01/2021
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Consultant
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22/01/2021
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Avocat
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Sécurité
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31/03/2021
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Spécialiste sur les questions de Sécurité
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18/03/2021
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Docteur en Droit Ancien Commissaire divisionnaire
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24/02/0201
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Ancien Major d’une unité de recherches Gendarmerie
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18/02/2021
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Pôle Sécurité des Horaces
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Société
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25/03/2021
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Professeur agrégé d’histoire-géographie, Coordinateur national du Forum « École et Nation »
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23/02/2021
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Étudiant
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19/02/2021
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Professeur d’Histoire Géographie
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03/02/2021
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Docteur en Médecine Conseillère régionale Rassemblement national Provence-Alpes-Côte d’Azur
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46Au regard des profils, nous pouvons constater qu’il s’agit de contributeurs appartenant à une catégorie socioprofessionnelle élevée, constituée de cadres, d’intellectuels et de politiciens. La démocratie directe censée être insufflée par la mise en place des plateformes politiques participatives est marquée par des logiques de domination dues à une stratification sociale prégnante (Fraser, 2003). Cela confirme également la troisième hypothèse de recherche selon laquelle les inégalités dans les catégories socioprofessionnelles et économiques sont renforcées dans le cadre la participation politique en ligne (Oser et al., 2013). Cette dernière se trouve ainsi guidée par des modalités de recueil des avis qui confèrent plus de visibilité aux personnes de catégories socioprofessionnelles les plus aisées. Bien qu’une participation paritaire soit encouragée dans les discours officiels des sites web des partis politiques, le processus de délibération est davantage marqué par des logiques verticales et instrumentales.
47Dans la volonté de ne pas réduire la participation politique à la sempiternelle dichotomie hors-ligne vs en ligne, nous souhaitons nous arrêter sur la redéfinition des rôles des partisans induite par le développement des plateformes numériques. À partir de l’analyse des contributions sur les sites web participatifs « M l’avenir » et « La France en commun », nous avons relevé une distribution des rôles des partisans telle que favorisés par les dispositifs numériques.
48Dans le détail, l’analyse qualitative des contributions des internautes démontre que les partisans fournissent leur opinion et proposent des idées. Dans le cas de « M l’avenir », les internautes se font à la fois rédacteurs de billets dans des tribunes et consultants pour les gouvernants. Ces derniers partagent leur expertise dans un registre polémique et dénonciateur :
« Que dire de la politique de fausse prévention à tout prix, de l’éternelle théorie de l’excuse, de “la tolérance à ce qui est intolérable” comme le disait si bien Elisabeth Badinter… Certains élus locaux et dirigeants nationaux fidèles au clientélisme sacrifient la sécurité des innocents à leur une bonne vieille « tambouille politique » tant est si bien que le ministre de la Justice peut se faire applaudir dans les prisons… » (31/03/2021, Mlavenir.fr7).
- 8 Plan de relance européen : Macron sacrifie encore la France à ses lubies. Paul Lemoine. URL : https (...)
« Mais la France devra garantir l’emprunt européen à hauteur de 70 milliards d’euros, soit nettement plus que ce qu’elle va toucher dans ce plan de relance : elle aurait donc tout à fait pu s’en passer et financer entièrement elle-même son plan national » (19/05/2021, Mlavenir.fr8)
49En ce sens, la participation politique des partisans du Rassemblement National s’illustre par un fort engagement. Elle consiste davantage à donner son opinion et à prendre part au débat politique qu’à proposer des idées. Dans un registre différent, les contributeurs de « La France en commun » proposent des idées pour l’élaboration du projet politique du parti communiste français, partagent leur expertise, témoignent sur la base de leur expérience vécue et échangent des informations. Les contributions présentent un plus faible ton dénonciateur à l’égard de la politique gouvernementale, une appartenance moins marquée au parti communiste français et sont principalement axées sur les propositions :
« Créer pour les étudiant un revenu minimum selon la ville où ils étudient si et seulement si ce dernier n'étudie pas dans la ville ou le département de leurs parents/responsables légaux avec comme critère variation du revenu le coût de l'immobilier et le coût de la vie. C’est-à-dire un revenu évolutif selon la ville pour développer la mobilité étudiante, notamment celle des plus précaires » (Lafranceencommun.fr9).
« Retirer le principe du permis à point trop de personne perde leur permis pour des accumulations de petite infraction tout ça pour des questions d'argent. » (Lafranceencommun.fr10).
50Nous postulons que le dépôt de contributions sous couvert d’anonymat combiné à la médiation de l’écran permet à l’usager de partager ses idées sans que cela n’interfère dans ses relations, comme il a déjà été observé (Greffet et Wojcik, 2008, p. 28) ou n’entrave son engagement dans un autre parti politique. Notre démarche d’analyse lexicométrique démontre que les contributions des usagers du site « La France en commun » ne s’inscrivent pas systématiquement dans les thématiques définies. En plus du fait que les phrases ne sont pas toujours bien formulées, à l’inverse des tribunes de « M l’avenir », nous notons une tentative d’appropriation lexicale qui démontre que les contributeurs de « La France en commun » tentent d’aller au-delà des thématiques imposées. Cependant, en dépit de cette tentative d’émancipation lexicale et cognitive, et bien qu’une volonté de donner un rôle plus actif aux citoyens émerge de ces sites, une conception relativement ascendante des processus dialogiques des gouvernants subsiste (Schiffino et al., 2019).
51Nous avons remarqué que les dimensions interactionniste et dialogique sont peu présentes au sein des sites web participatifs, bien que les sites web analysés offrent la possibilité de contacter le parti, de poster des commentaires, de contribuer aux sondages.
52En effet, nous avons relevé une faible, voire une absence d’échange direct entre les membres et cadres du parti. Notre observation ethnographique en ligne n’a pas permis de repérer des cas où les responsables de parti interagissent de manière directe avec les internautes. Cette situation révèle le contraste entre l’appel à la participation des militants et l’implication réelle des responsables politiques à travers des échanges. Ce défaut d’interaction tranche avec le postulat de Blanchard et al. (2013) selon lequel les plateformes de partis politiques favorisent un dialogue avec les internautes.
53Le fonctionnement des sites analysés reste dominé par la logique verticale, et des relations presque inégalitaires dans la construction du projet politique. Ceci dans la mesure où c’est une instance du parti qui donne les grandes orientations sans toutefois engager une interaction avec les internautes. Cette absence d’échange apparaît comme un paradoxe sur des sites qui entendent instituer la participation citoyenne. Cette dernière ne sous-entend pas nécessairement une contribution. Elle peut aussi s'appréhender comme une modalité devant intégrer un échange à travers les réponses des acteurs de l'instance du parti.
54In fine, nous observons ici une forme de reproduction des pratiques politiques hors-ligne où certains acteurs politiques engagent peu ou prou l’échange direct auprès des militants et sympathisants, réduisant le phénomène à une injonction participative (Carrel, 2017).
55Ce travail avait pour objectif principal d’analyser la manière dont les sites web politiques sont mobilisés pour inciter la participation les internautes, militants et sympathisants à leur programme. Il ressort de cette recherche que l’empowerment citoyen, en contexte de pré-élections présidentielles françaises de 2022, est limité par le design des sites web participatifs, notamment de « M l’avenir » et d’« Idées en commun ». Malgré la tentative des équipes des différents candidats aux présidentielles d’encourager la participation politique de leurs partisans, une logique verticale perdure et assoit la position des gouvernants et gouvernés. Les premiers sont placés en situation de décideurs (modération, choix des contributions publiées, choix des idées à intégrer dans le programme de la campagne). À l’inverse, les seconds sont généralement en situation de consultants voire de lecteurs passifs d’un projet politique préalablement défini.
56Cependant, cette contribution souhaite dépasser toute approche dualiste pour faire émerger les nouvelles reconfigurations et dynamiques induites par l’introduction des plateformes numériques. En ce sens, il a été question de reconsidérer la participation à l’aune des pratiques réelles. La participation politique en ligne revêt plusieurs dimensions. Il s’agit notamment de celles relatives à la contribution au débat politique, à la proposition d’idées ou à la transmission d’opinions. Toutefois, une dimension sociologique de notre recherche aurait permis de connaître les intentions et stratégies des responsables politiques et des créateurs des sites. De même qu’une étude empirique inscrite dans la durée (Boure, 2005 ; Mattelart, 2013) aurait permis de saisir les contours de la participation politique en fonction des temporalités politiques électorales (avant, pendant et après).
57En somme, dans un contexte de crise politique et de la représentation, les plateformes participent à la reconfiguration de l’action et du jeu politique auprès de militants, partisans et sympathisants. Elles tentent par conséquent d’instaurer les nouvelles modalités de la démocratie directe construite autour du rapport entre média, parti et internautes militants.