1La pandémie qui a bouleversé le monde depuis 2020 a eu des conséquences dans tous les secteurs et dans la vie de chaque individu. Le confinement des populations, sous des modalités et des temporalités variables suivant les pays et les périodes, a bousculé les modes de travail et plus largement les modes de vie. En France, de nombreuses études ont montré le creusement des inégalités pendant cette période, entre les niveaux de revenus et face au travail (Albouy et Legleye, 2020) mais aussi entre les sexes (Mariot, Mercklé et Perdoncin, 2021). Le rapport au temps s’est trouvé modifié et notamment l’organisation du temps de loisirs. La fermeture des lieux culturels a supprimé les sorties au concert, au spectacle, au théâtre, dans les lieux de patrimoine et l’accès à de nombreux biens culturels s’est trouvé limité par la fermeture des bibliothèques, librairies, disquaires etc. En revanche, la culture sur écran a été peu touchée, Internet facilitant l’accès aux plateformes de films, vidéos, musique, etc.
- 1 Pierre Bourdieu, Alain Darbel, L’amour de l’art. Les musées d’art européen et leur public, Paris, E (...)
2Démontrée dès les années 60-70, la stratification sociale des pratiques culturelles, au cœur de la sociologie de la légitimité culturelle de Bourdieu1, reste opérante bien que nuancée par les analyses en termes d’éclectisme (Donnat, 1994) et de dissonances culturelles (Lahire, 2004). En dépit de l’élargissement et de la reconfiguration des publics à l’ère du numérique (Lombardo et Wolff, 2020), le lien entre comportements culturels et position sociale demeure fort. Dans quelle mesure le contexte inédit du confinement, modifie-t-il le rapport à la culture au sein des groupes sociaux, d’âges et de sexe ? Il s’agit ici d’examiner si les pratiques culturelles pendant la période de confinement confirment les tendances constatées dans la dernière édition de l’enquête sur les pratiques culturelles en France menée en 2018, ou bien si elles révèlent des déplacements et recompositions liés aux conditions de confinement, en termes de situation de travail et de sociabilité au domicile notamment.
3En collaboration avec le Crédoc, nous avons réalisé une enquête auprès d’un échantillon représentatif de la population française sur les pratiques culturelles durant cette période confinée, recouvrant activités artistiques et culturelles en amateur, consommations culturelles, consultation de ressources culturelles numériques et des réseaux sociaux. L’analyse des résultats est mise en regard avec ceux de l’enquête sur les pratiques culturelles menée en 2018, prenant en compte les différences de protocole et de dispositif d’enquêtes (cf. Sources et méthodologie). L’analyse portera d’abord sur la stratification par âge des pratiques culturelles, particulièrement à l’échelle des seniors et des jeunes, avant d’examiner les comportements culturels au prisme des catégories socioprofessionnelles des individus et de leur situation de travail pendant le confinement, puis de se focaliser sur la sociabilité au domicile pendant cette période. Enfin, une analyse « toutes choses égales par ailleurs » visera à identifier les facteurs explicatifs du cumul de consommations culturelles pendant cette période.
Sources et méthodologie
Les autrices tiennent à remercier Philippe Lombardo pour son travail sur les données.
Enquêtes mobilisées
Menée chaque année depuis 1978, l’enquête « Conditions de vie et aspirations » du Crédoc suit les opinions, valeurs et comportements des Français. Elle alimente notamment des travaux de recherche et d’étude pour des organismes publics et ministères.
Une vague exceptionnelle a été lancée pendant le premier confinement dû à la pandémie de Covid, afin d’étudier les perceptions et opinions dans ce contexte de crise sans précédent. La collecte de cette vague a eu lieu du 20 avril au 4 mai 2020 via un protocole en ligne soumis à un échantillon représentatif de 2 963 personnes âgées de 15 ans ou plus résidant sur le territoire métropolitain, sélectionnées selon la méthode des quotas (région, taille d’agglomération, âge, sexe, PCS et type d’habitat) calculés d’après les résultats du dernier recensement général de la population.
Au tronc commun sociodémographique habituel, des questions spécifiques sur les conditions de confinement des individus (modalités de confinement, structure du ménage, équipement, situation de travail, etc.) ont été ajoutées. À la demande du département des Études, de la Prospective et des Statistiques du ministère de la Culture, un module de 12 questions sur les pratiques culturelles en temps de confinement (« depuis la mi-mars » 2020) a été inclus et permet une mise en perspective avec les résultats de la dernière enquête sur les pratiques culturelles en France. Celle-ci, menée tout au long de l’année 2018 auprès d’un échantillon de plus de 9 200 personnes âgées de 15 ans ou plus en France métropolitaine, est la sixième édition d’une série débutée en 1973, destinée à mesurer la participation de la population aux loisirs et à la vie culturelle.
Démarche comparative et précautions méthodologiques
Afin de mettre en perspective les pratiques déclarées par les individus en période de confinement, avec les pratiques déclarées en période dite « normale », reprenant les données collectées en 2018, les mêmes formulations de questions ont été reprises dans le module d’enquête sur les pratiques en temps de confinement. Néanmoins certaines précautions méthodologiques sont à intégrer dans l’analyse comparative de ces deux enquêtes. Au-delà des différents protocoles de collecte (enquête en ligne pour les données de 2020 et enquête en face à face en 2018), le référentiel temporel des pratiques culturelles sur lequel sont interrogés les individus diffère : douze derniers mois pour l’enquête de 2018, cinq à sept semaines pour l’enquête 2020.
Ce changement de référentiel ne crée pas de difficultés lorsque les questions portent sur des activités régulières voire quotidiennes (notamment des consommations culturelles comme l’écoute de musique, le visionnage de vidéos ou de films) mais rend l’analyse de pratiques plus occasionnelles – telles les pratiques en amateur ou la consultation de ressources culturelles numériques – plus complexe. Une baisse apparente du taux de pratiquants pendant le confinement pourrait ainsi masquer une intensité plus forte de l’activité en question durant ce temps plus court, d’où la prudence nécessaire dans l’analyse des résultats. Afin de neutraliser les effets de ce double référentiel temporel, le choix a souvent été fait de comparer les écarts entre les catégories de population, pour identifier si le confinement en a modifié la structure.
4La comparaison de la stratification sociodémographique des pratiques culturelles en 2018 (consommations culturelles et pratiques en amateur) avec celle observée durant le premier confinement fait apparaître des différences notables, en premier lieu au prisme des âges.
- 2 Le visionnage de films et de séries concerne une grande majorité de la population (93 %) pendant le (...)
- 3 Comme le montre l’enquête sur « La vie en confinement » (VICO) : « le confinement a favorisé un dou (...)
5L’analyse atteste tout d’abord de la diffusion des consommations culturelles sur écran chez les personnes âgées de 60 ans et plus (Figure 1). C’est le cas, d’une part, pour le visionnage de vidéos en ligne qui augmente de 30 points pour cette catégorie de population, laquelle se montrait jusqu’alors plus en retrait de cette pratique. Ce résultat s’articule à l’augmentation – dans des proportions similaires – de l’utilisation des réseaux sociaux pendant cette période, où 43 % des seniors ont déclaré en faire un usage quotidien (versus 12 % en 2018). La communication directe se trouvant fortement entravée, le recours à des outils d’échange en ligne comme les messageries instantanées3 s’est particulièrement développé. Or ces réseaux et les applications qui en découlent permettent le partage et la circulation de vidéos, ce qui a contribué à la hausse constatée du visionnage chez les seniors. Ainsi, parmi les personnes de 60 ans et plus ayant visionné des vidéos en ligne pendant cette période, 60 % déclarent utiliser les réseaux sociaux plusieurs fois par semaine ou tous les jours.
- 4 « En 2020, le chiffre d’affaires du secteur du jeu vidéo s’accroît de 21 % par rapport à 2019 », cf (...)
6D’autre part, la pratique du jeu vidéo a augmenté pendant cette période, passant de 44 % en 2018 à 53 %, corroborant la forte croissance du chiffre d’affaires du secteur en 20204. La progression est particulièrement visible chez les 60 ans et plus dont la proportion de joueurs déclarée double au printemps 2020. Notons que le questionnement sur le jeu vidéo mentionnait la variété des supports possibles (console de jeux, téléphone portable, écran de TV, tablette ou un ordinateur) afin d’intégrer toutes les pratiques vidéoludiques (y compris les jeux de lettres et de chiffres, de cartes, quizz etc.). À l’inverse, on constate une baisse du jeu de société chez les seniors (passant de 42 % à 33 %) – le confinement empêchant notamment les activités de jeux proposées dans les clubs de loisirs et clubs du troisième âge –, ce qui pourrait expliquer une forme de report vers les jeux en ligne.
7Enfin, les plus âgés ont été plus nombreux à consulter des ressources culturelles numériques pendant la période confinée au regard de 2018. Pourtant la proportion globale d’individus ayant au moins consulté une ressource en ligne (parmi celles proposées : visite virtuelle de musée ou d’exposition, concert, spectacle de théâtre, de danse, contenus scientifiques et techniques) indique une baisse apparente, s’élevant à 46 % en 2018 et à 38 % au printemps 2020. Néanmoins, le référentiel temporel invite à la prudence dans l’interprétation de ce résultat (cf. Sources et méthodologie), concernant une activité qui peut être très ponctuelle. En dépit de cette diminution, la part des personnes âgées de 60 ans et plus ayant consulté au moins un de ces contenus affiche une augmentation sensible (+ 12 points au regard de 2018), particulièrement marquée pour les visites muséales en ligne (passant de 10 % à 16 %), et pour les spectacles de théâtre et les concerts (passant respectivement de 3 % et 7 % en 2018 à 10 % et 15 % au printemps 2020). Sachant que, comme le montre l’enquête Pratiques culturelles de 2018, les sorties dans les lieux patrimoniaux et au théâtre restent très prisées par les publics âgés (Lombardo et Wolff, 2020), il n’est pas improbable qu’une partie de ceux-ci ait pu se reporter vers des médiations en ligne au moment de la fermeture de ces lieux.
8Le confinement semble donc avoir généré de nouveaux usages culturels d’internet chez les seniors, mus par des dynamiques communicationnelles mais aussi exploratoires de formes culturelles numériques. En revanche, il n’a pas eu les mêmes effets sur les comportements des jeunes âgés de 15 à 24 ans, ces derniers étant déjà très investis dans les consommations sur écran (visionnage de vidéos en ligne, jeux vidéo, films et séries). Ceux-ci accusent même un léger recul pendant la période confinée : se dessine ainsi une réduction forte des clivages entre les catégories d’âge pendant cette période. Par exemple, si en 2018 les 15-24 ans étaient plus de 5,2 fois plus nombreux en proportion que les 60 ans et plus à visionner des vidéos en ligne, le rapport n’est plus que de 1,8 pendant le confinement. De même, alors que les 15-24 ans étaient proportionnellement 4,9 fois plus nombreux que les 60 ans et plus à jouer aux jeux vidéo, le ratio n’est plus que de 2,3 au printemps 2020. Enfin, la part d’individus ayant consulté au moins une ressource culturelle numérique pendant cette période est similaire chez les 15-24 ans et les seniors (41 %), alors que les plus jeunes étaient proportionnellement deux fois plus nombreux que les seniors en 2018.
Figure 1. Consommations culturelles selon l’âge, 2018-2020
Enquête sur les pratiques culturelles, Deps, Ministère de la Culture, 2018 ; enquête sur les conditions de vie et les aspirations, Crédoc, 2020.
9L’examen des âges des amateurs pendant le confinement témoigne en revanche d’un tout autre phénomène. En effet, la structure par âge des pratiquants d’activités artistiques et culturelles révèle un creusement des écarts entre les comportements des plus jeunes et des plus âgés (Figure 2). Si les seniors ont maintenu leur taux de pratique (35 % ont réalisé au moins une activité en amateur pendant le confinement soit la même proportion qu’en 2018), les jeunes se sont réinvestis dans ce type d’activités pendant le confinement (71 % en déclarent au moins une versus 57 % en 2018). Historiquement, les pratiques en amateur sont l’apanage des jeunes (Donnat, 2011) et si cette dimension perdurait en 2018, elle apparaissait moins marquée, liée « à la fois à un rattrapage des plus âgés coïncidant avec un décrochage des jeunes » (Lombardo et Wolff, 2020, p. 73). Mais pendant le confinement les pratiques en amateur ont remobilisé les 15-24 ans : ces derniers ont amplifié leurs pratiques de danse et de musique (chant ou instrument de musique), leurs activités scientifiques et techniques, d’arts plastiques, de montage audio et vidéo, de photographie ou encore d’écriture de journaux intimes. Le confinement ayant stoppé la plupart des cours de pratiques artistiques, ces activités sont réalisées en grande partie de manière autonome, dégagées des structures d’encadrement. On peut faire l’hypothèse qu’elles que ces dernières aient pu être encouragées par les réseaux sociaux, supports de diffusion de nombreuses vidéos de prestations en amateur chantées et dansées notamment, individuelles ou collectives, durant cette période.
Figure 2. Pratiques en amateur selon l’âge, 2018-2020
Sources : enquête sur les pratiques culturelles, Deps, Ministère de la Culture, 2018 ; enquête sur les conditions de vie et les aspirations, Crédoc, 2020.
10Les consommations culturelles sur écran se sont tout particulièrement développées pendant le confinement chez les ouvriers, une progression qui n’est pas sans rappeler la hausse observée chez les seniors (Figure 3). D’une part, l’augmentation du visionnage de vidéos en ligne est très importante dans cette catégorie de population (+23 points) quand elle est plus mesurée chez les employés, les professions intermédiaires et les cadres et professions intellectuelles supérieures (respectivement +8, +10 et +4 points). L’utilisation des réseaux sociaux connaît elle aussi une hausse très sensible dans les classes populaires (+28 points pour les ouvriers versus +3 points pour les cadres et professions intellectuelles supérieures). Les mêmes éclairages peuvent être mobilisés que pour les seniors, à savoir que les contraintes communicationnelles ont incité à l’utilisation de canaux de communication numériques pour des populations initialement moins familières, canaux stimulant des échanges associés à la circulation de vidéos. D’autre part, la pratique vidéoludique qui en 2018 était équivalente chez les cadres, les professions intermédiaires, les employés et ouvriers (41 % de cadres et 42 % des autres catégories socioprofessionnelles) a aussi fortement augmenté chez les ouvriers pendant le confinement – atteignant 58 % – tandis que la hausse s’élève de 3 à 5 points pour les autres populations susmentionnées.
- 5 Les retraités sont répartis dans les catégories socioprofessionnelles suivant leur dernier emploi e (...)
- 6 D’après les études menées sur les conditions de travail pendant le confinement, les ouvriers ont su (...)
11Cet essor des consommations culturelles sur écran chez les ouvriers trouve une explication dans l’augmentation du temps de loisirs. En effet, l’exploration des situations de travail5 pendant le confinement montre combien les ouvriers dont l’activité professionnelle a été interrompue6 sont plus nombreux encore à regarder des vidéos en ligne (74 % d’entre eux), et cette même observation s’applique aux employés (54 % des employés déclarent regarder des vidéos en ligne pendant cette période mais ce taux s’élève à 67 % parmi ceux ayant dû cesser de travailler). Le même constat peut être fait pour les jeux vidéo chez les employés (ils sont 47 % à y jouer et 58 % parmi ceux ayant cessé de travailler). Le même lien entre consommation sur écran et interruption d’activité pourrait être observé chez les cadres et professions intermédiaires mais ces catégories socioprofessionnelles étant beaucoup moins touchées par la cessation d’activité, les effectifs ne sont pas suffisants pour l’affirmer. Ainsi, il apparaît que l’élargissement du temps de loisirs – non choisi – pour ces populations plus populaires a suscité une augmentation de leurs consommations culturelles sur écran.
12La lecture de livres affiche une baisse apparente pendant le confinement : elle concerne 52 % de la population versus 62 % en 2018. Cependant, le changement de référentiel temporel invite à la prudence dans l’interprétation de ce résultat (cf. encart méthodologique) la pratique des faibles lecteurs pouvant être très ponctuelle et contextuelle, liée à des vacances par exemple. Néanmoins, il est indéniable que l’accès au livre fut rendu plus difficile en raison de la fermeture des librairies et bibliothèques et d’autres études observent également une chute de la lecture en 20207. On constate en revanche une réduction des écarts de taux de lecture entre les groupes sociaux pendant cette période, liée à un recul beaucoup plus important au sein des catégories les plus favorisées – et les plus lectrices – et plus modéré au sein des classes populaires : ainsi, le taux de lecture des cadres baisse de 22 points quand celui des ouvriers ne baisse que de 3 points. Les conditions de travail ne semblent pas affecter différemment les pratiques de lecture, les populations en télétravail ou en interruption d’activité ne présentant pas de taux de lecture différenciés au sein des catégories socioprofessionnelles. Parmi les facteurs susceptibles d’éclairer cette baisse sont avancées l’hypothèse d’une moindre disponibilité psychologique pour la lecture liée à une surcharge informationnelle et émotionnelle durant la pandémie8, ainsi que des circonstances de lecture plus limitées – avec notamment la suppression du temps de transport9.
Figure 3. Pratiques culturelles selon la catégorie sociale au cours du confinement du printemps 2020 (en %)
|
Cadre
|
Profession intermédiaire
|
Employé
|
Ouvrier
|
En recherche d’emploi
|
Sans emploi
|
Ensemble de la population
|
Ont réalisé au moins 5 consommations culturelles
|
61
|
60
|
53
|
57
|
69
|
74
|
61
|
Lecture de livres
|
63
|
58
|
53
|
38
|
38
|
48
|
52
|
Lecture de bandes dessinnées et de mangas
|
19
|
21
|
11
|
14
|
15
|
23
|
18
|
Ecoute de musique
|
70
|
69
|
65
|
67
|
79
|
82
|
70
|
Visionnage de films ou de séries
|
90
|
92
|
93
|
94
|
93
|
94
|
93
|
Visionnage de vidéos en ligne
|
64
|
66
|
54
|
68
|
76
|
76
|
66
|
Jeux vidéo
|
44
|
45
|
47
|
58
|
69
|
69
|
53
|
Jeux de société
|
46
|
42
|
44
|
45
|
55
|
56
|
47
|
Réalisation d’au moins une pratique en amateur
|
43
|
39
|
36
|
40
|
54
|
63
|
44
|
Musique ou chant
|
13
|
11
|
12
|
13
|
20
|
30
|
16
|
Danse
|
8
|
9
|
11
|
10
|
17
|
22
|
13
|
Montage audio, vidéo
|
14
|
12
|
9
|
9
|
14
|
23
|
14
|
Dessin, peinture, sculpture et gravure
|
12
|
16
|
17
|
19
|
30
|
33
|
20
|
Activité scientifique ou technique
|
20
|
15
|
12
|
13
|
19
|
25
|
17
|
Écriture d’un journal intime ou de note personnelles
|
5
|
6
|
5
|
4
|
7
|
11
|
7
|
Écriture de poèmes, de nouvelles ou de romans
|
4
|
5
|
4
|
5
|
4
|
11
|
6
|
Photographie
|
17
|
17
|
14
|
19
|
23
|
27
|
19
|
Champ : personnes âgées de 15 ans et plus, vivant en ménage ordinaire. France métropolitaine. Note de lecture : pendant le confinement du printemps 2020, 63 % des cadres ont lu au moins un livre. Note : Les résultats concernent la pratique au cours du confinement sanitaire, sur une période de 5 à 7 semaines environ à partir de la mi-mars 2020. En raison d’effectifs insuffisants dans l’échantillon, les données concernant les exploitants et les indépendants ne sont pas présentées ici.
Sources : Enquête Conditions de vie et aspirations, Crédoc 2020 / DEPS, ministère de la Culture
- 10 On a ici agrégé les catégories socioprofessionnelles pour des questions de taille d’échantillon.
13Au cours du confinement du printemps 2020, une reconfiguration du profil des amateurs apparaît, réduisant considérablement les clivages sociaux habituellement constatés. En effet, la hausse de la part d’ouvriers ayant réalisé au moins une activité artistique et culturelle (+12 points), articulée à la baisse des pratiques des cadres (-18 points) et des professions intermédiaires (-14 points), tandis que les employés affichent le même taux de pratique, conduit à diminuer les écarts entre les groupes sociaux : si les cadres pratiquaient 2,2 fois plus une activité en amateur que les ouvriers en 2018, le ratio n’est plus que d’1,1 en 2020 soit des résultats quasi similaires. Dans ce cas également, les situations de travail ont des conséquences sur le développement de la pratique en amateur : les personnes ayant dû cesser de travailler et celles en télétravail sont proportionnellement plus nombreuses à avoir au moins une activité artistique et culturelle (respectivement 51 % et 48 % d’entre elles) que les personnes ayant continué à travailler sur site (41 %). Plus précisément, chez les cadres et professions intermédiaires10, la pratique en amateur résiste un peu plus parmi ceux en interruption d’activité (49 %), et moins bien parmi les télétravailleurs (41 %). Le télétravail au sein de ces catégories a pu envahir le quotidien et le domicile, et finalement limiter le temps de loisirs : ce phénomène d’envahissement a d’ailleurs aussi eu comme conséquence la progression importante du temps d’écran des enfants dans les ménages de classes supérieures où les deux parents étaient en télétravail (Berthomier et Octobre, 2020). À l’inverse, chez les employés et ouvriers, la pratique artistique et culturelle en amateur reste au même niveau pour les personnes en télétravail ou en interruption de travail (respectivement 45 % et 44 % d’entre eux), un taux plus élevé que pour celles continuant à se rendre sur site (39 %).
- 11 L’échantillon d’individus en famille monoparentale reste limité : les résultats correspondants à ce (...)
14Que les personnes aient été confinées seules, en couple, avec ou sans enfants, a des conséquences sur les comportements culturels observés pendant cette période. Ainsi, des clivages apparaissent entre d’une part les pratiques des adultes confinés en couple avec leurs enfants, ou en famille monoparentale11 et d’autre part celles des personnes confinées seules ou en couple sans enfant.
15L’écoute de musique, le visionnage de vidéos en ligne, le jeu vidéo, ou encore les jeux de société correspondent systématiquement à des taux de pratiques plus élevés chez les adultes confinés en couple avec des enfants ou en famille monoparentale, au regard des consommations culturelles déclarées par les individus confinés seuls ou en couple sans enfant (Figure 4). Par exemple, 74 % des adultes en couple avec des enfants et 80 % des adultes monoparentaux ont écouté de la musique pendant cette période quand c’est le cas de 63 % des couples sans enfant et de 70 % des personnes seules. Les pratiques vidéoludiques montrent le même phénomène avec 61 % des personnes en couple avec des enfants et 56 % des familles monoparentales qui sont joueuses versus 43 % des couples sans enfant et 46 % des personnes seules.
- 12 Parmi les consommations suivantes : le visionnage de films, de séries, de vidéos en ligne, les jeux (...)
16A l’échelle du cumul des consommations culturelles déclarées pendant le confinement (au moins cinq consommations culturelles différentes12), les mêmes différences se manifestent : les individus en couple avec enfants ou en famille monoparentale déclarent un plus grand nombre de pratiques – respectivement 72 % et 68 % – tandis que les autres configurations familiales sont plus en retrait (55 % des personnes confinées seules et 49 % des couples sans enfant). Une question permettait d’approfondir si les consommations culturelles avaient été réalisées de manière collective, avec les personnes confinées au domicile ou avec des personnes à distance. Les résultats correspondant à la réalisation d’au moins quatre consommations culturelles collectives confirment et précisent les données précédentes : 48 % des personnes en couple avec enfants et 44 % des familles monoparentales déclarent au moins quatre consommations culturelles collectives, quand ils sont 22 % parmi les couples sans enfant et 3 % parmi les personnes seules. Ces résultats montrent ainsi que les individus confinés en famille, s’ils réalisent une grande partie de leurs consommations culturelles avec leurs enfants, cumulent différentes sociabilités, pratiquant à la fois seuls et avec leurs enfants et/ou conjoint.
17Pendant le confinement, les différences entre les hommes et les femmes, en termes de taux de pratique, ne sont pas très marquées – contrairement à ce qui a pu être observé dans d’autres domaines comme la répartition des tâches éducatives et ménagères. On constate même des formes de « rattrapage » de certaines consommations culturelles chez les femmes, notamment pour les jeux vidéo : alors qu’en 2018, la pratique vidéoludique concernait 49 % des hommes et 39 % des femmes, pendant le confinement ce sont 55 % des hommes et 51 % des femmes qui déclarent s’y adonner. Néanmoins, certains écarts apparaissent renforcés au sein des individus en couple avec enfants : les hommes sont plus nombreux à regarder des vidéos en ligne et à jouer aux jeux vidéo (respectivement 74 % et 66 % versus 67 % et 57 % chez les femmes) quand les femmes sont un peu plus nombreuses à jouer à des jeux de société (68 % versus 62 % chez les hommes).
Figure 4. Pratiques culturelles selon la sociabilité au cours du confinement du printemps 2020 (en %)
|
Personne seule
|
Famille monoparentale
|
Couple sans enfants
|
Couple avec enfants
|
Ménage complexe
|
Ensemble de la population
|
Ont réalisé au moins 5 consommations culturelles
|
55
|
68
|
49
|
72
|
73
|
61
|
Lecture de livres
|
52
|
51
|
55
|
50
|
49
|
52
|
Lecture de bandes dessinées et de mangas
|
14
|
12
|
14
|
24
|
22
|
18
|
Écoute de musique
|
70
|
80
|
63
|
74
|
77
|
70
|
Visionnage de films ou de séries
|
89
|
91
|
92
|
95
|
95
|
93
|
Visionnage de vidéos en ligne
|
63
|
67
|
56
|
70
|
78
|
66
|
Jeux vidéo
|
46
|
56
|
43
|
61
|
66
|
53
|
Jeux de société
|
28
|
55
|
36
|
66
|
60
|
47
|
Réalisation d’au moins une pratique en amateur
|
41
|
50
|
36
|
45
|
60
|
44
|
Musique ou chant
|
15
|
19
|
9
|
18
|
26
|
16
|
Danse
|
11
|
18
|
6
|
16
|
21
|
13
|
Montage audio, vidéo
|
10
|
12
|
9
|
15
|
22
|
14
|
Dessin, peinture, sculpture et gravure
|
15
|
31
|
10
|
27
|
30
|
20
|
Activité scientifique ou technique
|
13
|
15
|
12
|
20
|
27
|
17
|
Écriture d’un journal intime ou de note personnelles
|
6
|
5
|
4
|
6
|
12
|
7
|
Écriture de poèmes, de nouvelles ou de romans
|
7
|
4
|
3
|
5
|
11
|
6
|
Photographie
|
16
|
12
|
18
|
19
|
24
|
19
|
Champ : personnes âgées de 15 ans et plus, vivant en ménage ordinaire. France métropolitaine. Note de lecture : pendant le confinement du printemps 2020, 52 % des personnes confinées seules ont lu au moins un livre. Note : Les résultats concernent la pratique au cours du confinement sanitaire, sur une période de 5 à 7 semaines environ à partir de la mi-mars 2020.
Sources : Enquête Conditions de vie et aspirations, Crédoc 2020 / DEPS, ministère de la Culture
- 13 Le musée du Louvre a enregistré 10,5 millions de visites en ligne entre le 12 mars et le 22 mai 202 (...)
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18Pendant le confinement, les contenus en ligne conçus par des institutions culturelles (musées, théâtres, bibliothèques, cinéma, salles de spectacles), notamment à destination des publics enfants, se sont multipliés. La fréquentation en ligne des sites internet et réseaux sociaux des établissements a fortement progressé pendant cette période13, les plateformes agrégeant ces propositions comme « Culture chez nous »14 participant ainsi de leur meilleure visibilité. Interrogeant les enquêtés sur la consultation de ce type de contenus numériques pour les enfants, 14 % d’entre eux déclarent en avoir regardé et sans surprise les couples avec enfants et les familles monoparentales sont surreprésentés (respectivement 18 % et 23 % d’entre eux). Résultat moins attendu, la même proportion de cadres et d’ouvriers a consulté ces types de contenus, la dimension éducative assumée par les parents pendant cette période conjuguée aux prescriptions des enseignants ayant pu encourager l’intérêt pour ces contenus.
19La réalisation d’au moins une pratique artistique et culturelle en amateur apparaît aussi plus importante au sein des familles monoparentales et des couples avec enfants – atteignant respectivement 50 % et 45 % – que chez les personnes confinées seules et les couples sans enfant (respectivement 41 % et 36 %). Au regard de l’enquête menée en 2018, les familles monoparentales et les couples avec enfants montrent une hausse soutenue de la pratique de la danse (+9 points), des arts graphiques (+9 points) ou encore des activités scientifiques et techniques (respectivement +10 et +11 points). Ainsi, le confinement en famille aurait stimulé la danse, activité à la fois artistique et physique, répondant au besoin d’exercice des enfants particulièrement contraint par le confinement. Quant aux arts graphiques (dessin, peinture et sculpture) et aux activités scientifiques et techniques, ils peuvent participer de l’occupation des enfants mais aussi d’une visée éducative, d’autant plus dans une période où l’instruction scolaire s’est déroulée au domicile. Si les femmes affichent un taux de pratique en amateur légèrement supérieur à celui des hommes (46 % versus 43 %), la différenciation sexuée est plus marquée à l’échelle des couples avec enfants : 49 % des femmes confinées en couple avec leurs enfants déclarent au moins une activité artistique et culturelle en amateur (versus 41 % des hommes).
20Si l’âge des enfants n’était pas précisé dans l’enquête, le temps quotidien consacré aux enfants pendant cette période confinée est exploré et précise les résultats précédents (Figure 5). Près des trois quarts des individus s’occupant d’enfants entre une heure et quatre heures par jour (73 %) et a fortiori ceux s’en occupant au moins quatre heures par jour (76 %) déclarent le cumul d’au moins cinq types de consommations culturelles différents, tandis qu’ils sont 57 % parmi les individus s’occupant d’enfant moins d’une heure par jour ou pas du tout. A l’exception de la lecture – de livres comme de bandes dessinées – et du visionnage de films et de séries, les personnes s’occupant d’enfants au moins une heure par jour ont systématiquement des taux plus élevés pour chacune des consommations culturelles enquêtées que ceux s’occupant d’enfants moins d’une heure ou pas du tout. Les différences sont particulièrement notables concernant les jeux de société, les jeux vidéo et le visionnage de vidéos en ligne, notamment pour les individus s’occupant d’enfants au moins quatre heures quotidiennement : 72 % de ces derniers ont joué à des jeux de société (versus 63 % des personnes s’occupant d’enfants entre une à quatre heures par jour et 40 % des personnes s’en occupant moins d’une heure ou pas du tout), 64 % d’entre eux ont joué à des jeux vidéo (versus respectivement 58 % et 50 % pour les populations sus-citées) et 75 % ont regardé des vidéos en ligne (versus respectivement 70 % et 63 %).
21Concernant les pratiques en amateur, ce constat est opérant pour les personnes s’occupant d’enfants au moins quatre heures par jour : 57 % d’entre-elles déclarent réaliser au moins une activité artistique et culturelle en amateur pendant le confinement versus 44 % des personnes s’occupant d’enfants entre une et quatre heures par jour et 42 % de celles s’en occupant moins d’une heure ou pas du tout. La pratique des arts plastiques (dessin, peinture, sculpture et gravure) touche tout particulièrement les individus s’occupant d’enfants au moins quatre heures par jour : 36 % d’entre eux sont concernés versus 26 % s’occupant d’enfants entre une et quatre heures au quotidien et 16 % de ceux s’en occupant moins d’une heure ou pas du tout. On peut faire l’hypothèse que cette activité soit en partie générée par l’occupation d’enfants petits – leur moindre autonomie nécessitant un temps quotidien important passé avec eux.
Figure 5. Pratiques culturelles selon le temps passé à s’occuper d’enfant(s) au cours du confinement du printemps 2020 (en %)
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Moins d’une heure ou sans objet
|
1 à 4 heures
|
4 heures et plus
|
Ensemble de la population
|
Ont réalisé au moins 5 consommations culturelles
|
57
|
73
|
76
|
61
|
Lecture de livres
|
51
|
55
|
52
|
52
|
Lecture de bandes dessinées et de mangas
|
17
|
23
|
21
|
18
|
Écoute de musique
|
69
|
72
|
79
|
70
|
Visionnage de films ou de séries
|
92
|
97
|
95
|
93
|
Visionnage de vidéos en ligne
|
63
|
70
|
75
|
66
|
Jeux vidéo
|
50
|
58
|
64
|
53
|
Jeux de société
|
40
|
63
|
72
|
47
|
Réalisation d’au moins une pratique en amateur
|
42
|
44
|
57
|
44
|
Musique ou chant
|
15
|
20
|
19
|
16
|
Danse
|
11
|
18
|
17
|
13
|
Montage audio, vidéo
|
13
|
19
|
14
|
14
|
Dessin, peinture, sculpture et gravure
|
16
|
26
|
36
|
20
|
Activité scientifique ou technique
|
16
|
20
|
20
|
17
|
Écriture d’un journal intime ou de note personnelles
|
7
|
8
|
5
|
7
|
Écriture de poèmes, de nouvelles ou de romans
|
6
|
6
|
4
|
6
|
Photographie
|
19
|
16
|
22
|
19
|
Champ : personnes âgées de 15 ans et plus, vivant en ménage ordinaire. France métropolitaine. Note de lecture : pendant le confinement du printemps 2020, 72 % des personnes ayant passé 4 heures et plus à s’occuper d’enfant(s) ont joué aux jeux de société. Note : Les résultats concernent la pratique au cours du confinement sanitaire, sur une période de 5 à 7 semaines environ à partir de la mi-mars 2020.
Sources : Enquête Conditions de vie et aspirations, Crédoc 2020 / DEPS, ministère de la Culture.
22Les résultats précédents montrent ainsi des évolutions dans la structure des publics des pratiques culturelles pendant le confinement, marquées par une réduction des écarts entre les âges (pour les consommations culturelles), entre les catégories socioprofessionnelles et parfois entre les sexes, en lien notamment avec les situations de travail et la sociabilité du confinement.
- 15 Au moins cinq consommations culturelles différentes parmi les neuf consommations de biens culturels (...)
23Qu’en est-il à l’échelle du cumul des consommations culturelles observées (le cumul concernant le nombre de consommations différentes non pas une diversité de types de contenus) ? Il s’agit ici d’analyser l’influence des différentes variables sur la probabilité de développer une pluralité de consommations culturelles. Pour cela, un modèle logistique analysant la probabilité de réaliser au moins cinq consommations culturelles selon les caractéristiques sociodémographiques et les conditions de confinement a été réalisé15 (Figure 6).
24Parmi les facteurs explicatifs, le poids des déterminants sociodémographiques domine ici, et tout particulièrement celui de l’âge. Être jeune exerce une influence positive : le fait d’avoir entre 15 et 24 ans ou entre 25 et 39 ans multiplie respectivement par 4,3 et par 2,2 la chance relative de déclarer au moins cinq pratiques culturelles par rapport aux personnes âgées de 40 à 59 ans, conditionnellement aux facteurs pris en compte dans le modèle. Par ailleurs, le cumul des consommations culturelles demeure lié à la catégorie socioprofessionnelle : la probabilité de réaliser au moins cinq consommations différentes est plus faible pour les ouvriers et employés que pour les cadres (rapport des cotes de 0,8 et 0,7). De la même manière, les individus aux revenus les plus aisés (supérieurs au troisième quartile) multiplient par 1,3 leur probabilité relative de déclarer des consommations culturelles variées par rapport aux individus dont le revenu se situe entre la médiane et le troisième quartile de revenu. Être un homme augmente aussi la probabilité de réaliser au moins cinq formes de consommations culturelles par rapport aux femmes (rapport des cotes de 1,2) – résultat qui peut être en partie lié aux activités considérées, et notamment aux pratiques vidéoludiques et de visionnage de vidéos en ligne qui restent plus masculines. Enfin habiter une commune rurale joue négativement sur la variété des consommations culturelles, conditionnellement aux facteurs pris en compte dans le modèle.
25L’examen des conditions de vie durant le confinement témoigne, quant à elles, d’influence variable. Ainsi, les conditions de logement comme le fait de bénéficier d’un accès à un espace extérieur n’ont pas d’effet sur le cumul des consommations culturelles, de même le recours au télétravail n’affecte pas significativement la probabilité de déclarer au moins cinq consommations culturelles. En revanche, les individus confinés avec des enfants (en couple ou en famille monoparentale) ont une chance relative de cumuler des consommations culturelles environ 1,3 fois plus élevée que les personnes seules. Cette probabilité se trouve renforcée par le temps passé à s’occuper des enfants durant le confinement : la charge quotidienne d’enfants pendant une à quatre heures, d’une part, et pendant au moins quatre heures, d’autre part, multiplie respectivement par 1,4 et 1,5 la chance relative de cumuler au moins cinq consommations culturelles par rapport aux personnes s’occupant d’enfants moins d’une heure par jour.
26Ces résultats attestent ainsi de la persistance du pouvoir explicatif des variables sociodémographiques sur le cumul de consommations culturelles en temps de confinement : l’appartenance à la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures demeure significative et le clivage entre milieux rural et urbain reste opérant. Néanmoins, parmi ces facteurs, l’âge se détache comme la variable exerçant le poids le plus élevé sur le cumul des consommations culturelles. L’influence positive de la jeunesse sur le développement des consommations résonne avec les univers du « tout numérique » et de « l’éclectisme augmenté » (Lombardo et Wolff, 2020) identifiés dans l’enquête sur les pratiques culturelles en France de 2018, deux univers en plein essor et incarnés par près de la moitié des plus jeunes, alors qu’ils émergeaient à peine en 2008. L’observation des pratiques en temps de confinement confirme donc l’ancrage des pratiques numériques au sein des jeunes générations. Néanmoins, cela ne signifie pas que les facteurs propres à la situation de confinement n’ont pas eu d’effet, ils ont pu réduire les écarts entre catégories d’individus sans pour autant les effacer. On constate tout particulièrement combien la charge des enfants au quotidien apparaît liée au développement des consommations culturelles.
Figure 6. Déterminants (caractéristiques sociodémographiques et conditions de vie en confinement) de la réalisation d’au moins cinq consommations culturelles au cours du confinement du printemps 2020
|
Part d’individu ayant réalisé au moins 5 consommations culturelles (en %)
|
Odds ratio
|
Niveau de significativité
|
Ensemble des 15 ans et plus
|
|
|
|
Age (4 postes)
|
|
|
|
15-24 ans
|
84
|
4,3
|
***
|
25-39 ans
|
75
|
2,2
|
***
|
40-59 ans
|
58
|
Ref
|
Ref
|
60 ans et +
|
45
|
1,0
|
ns
|
Sexe
|
|
|
|
Homme
|
63
|
1,2
|
**
|
Femme
|
60
|
Ref
|
Ref
|
Catégorie sociale
|
|
|
|
Sans emploi, recherche emploi
|
73
|
1,1
|
ns
|
Exploitant et indépendant
|
67
|
1,1
|
ns
|
Cadres
|
63
|
Ref
|
Ref
|
PI
|
60
|
0,9
|
ns
|
Employés
|
53
|
0,8
|
*
|
Ouvriers
|
58
|
0,7
|
**
|
Zone de résidence
|
|
|
|
Commune rurale
|
54
|
0,7
|
**
|
2 000 à 20 000 hab
|
61
|
1,0
|
ns
|
20 000 à 100 000 hab
|
65
|
1,0
|
ns
|
plus de 100 000 hab
|
63
|
Ref
|
Ref
|
Paris intra-muros
|
65
|
1,2
|
ns
|
Reste agglo parisienne
|
68
|
1,2
|
ns
|
Configuration familiale en confinement
|
|
|
|
Personne seule
|
56
|
Ref
|
Ref
|
Couple avec enfant(s) et famille monoparentale
|
72
|
1,3
|
*
|
Couple sans enfants
|
50
|
0,8
|
ns
|
Ménage complexe
|
73
|
1,1
|
ns
|
Mode de travail en confinement
|
|
|
|
Sans objet
|
53
|
0,7
|
**
|
Sur site
|
62
|
0,8
|
ns
|
En télétravail
|
72
|
Ref
|
Ref
|
A cessé de travailler
|
71
|
1,2
|
ns
|
S’occuper d’enfants en confinement
|
|
|
|
Moins de 1h (y compris 0) / jour
|
57
|
Ref
|
Ref
|
1 à 4 heures / jour
|
73
|
1,4
|
*
|
Plus de 4h / jours
|
76
|
1,5
|
**
|
Accès à un espace extérieur dans le logement en confinement
|
|
|
|
Non
|
64
|
Ref
|
Ref
|
Oui
|
61
|
1,2
|
ns
|
Quartiles de niveau de vie en confinement
|
|
|
|
Sous le premier quartile
|
67
|
0,8
|
ns
|
Sous la médiane et au-dessus du premier quartile
|
62
|
1,1
|
ns
|
Sur la médiane et en dessous du troisième quartile
|
58
|
Ref
|
Ref
|
Supérieur au troisième quartile
|
60
|
1,3
|
*
|
Champ : personnes âgées de 15 ans et plus, vivant en ménage ordinaire. France métropolitaine. Note de lecture : pendant le confinement du printemps 2020, les personnes âgées de 15 à 24 ans ont une chance relative de réaliser au moins cinq consommations culturelles multipliée par 4,3 par rapport aux personnes âgées de 40 à 59 ans, toutes choses égales par ailleurs. Notes : Les personnes pour lesquelles la donnée sur le niveau de vie était manquante (105 observations dans l’échantillon) ont été écartées du modèle ; les résultats concernent la pratique au cours du confinement sanitaire, sur une période de 5 à 7 semaines environ à partir de la mi-mars 2020. ns : non significatif * Significatif au seuil de 10 %. ** Significatif au seuil de 5 %. *** Significatif au seuil de 1 %.
Source : Enquête Conditions de vie et aspirations, Crédoc 2020 / DEPS, ministère de la Culture.
27La comparaison des activités confinées avec les pratiques habituelles montre ainsi le prolongement des tendances identifiées par l’enquête Pratiques culturelles : le cumul des consommations culturelles est attaché aux âges jeunes et reste lié au poids des déterminants socioprofessionnels. Cependant, en examinant chaque pratique, l’enquête met aussi en évidence les répercussions de certaines conditions de confinement sur les comportements culturels des individus tels la situation de travail et notamment son interruption au sein des catégories ouvrières, générant une plus grande participation à certaines pratiques. En outre, le confinement a montré l’importance de la sociabilité au domicile et spécifiquement de la charge des enfants sur le développement des activités culturelles. Au-delà, la sociabilité entravée par la crise sanitaire semble avoir agi en stimulant des pratiques numériques et communicationnelles initialement moins développées (réseaux sociaux, vidéos en ligne) au sein de populations plus âgées et plus populaires.
28Ces conclusions sont propres à l’observation menée pendant le premier confinement au printemps 2020 et ne sont pas extensives aux confinements postérieurs. Néanmoins, elles reflètent les évolutions à l’œuvre dans une situation de contraintes inédites, et l’importance des contextes individuels, tant de la sociabilité familiale que des conditions de travail sur les loisirs culturels au domicile. Des approches qualitatives pourraient utilement compléter ces données, précisant notamment le sens et les valeurs accordées à ces pratiques.