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Dossier

Les publics des musées et institutions culturelles à l’ère du numérique

Cristina Badulescu et Jessica de Bideran

Texte intégral

1L’étude des publics de la culture, terme protéiforme traduisant la pluralité des phénomènes étudiés ainsi que la diversité des méthodologies mobilisées, regroupent l’ensemble des travaux portant sur la réception des expériences culturelles. À cet égard, les réflexions développées par Frédéric Gimello-Mesplomb (2015) placent les études de publics à la croisée des Sciences Humaines et Sociales (SHS) et proposent différentes approches : l’études des collectifs d’individus ou de communautés et leur mode d’engagement dans les actions (la sociologie des publics), la définition des publics et de leurs pratiques à travers les caractéristiques des objets pour lesquels ils ont prouvé un attachement (les SIC), ou encore l’analyse des affects et des phénomènes de perception (la psychologie sociale). Or, le déploiement des technologies de l’information et de la communication dans le champ de la culture vient brouiller ces frontières poreuses entre les disciplines et permet ainsi de faire dialoguer des concepts tels que les publics en ligne, les communautés, les audiences ou les usagers. En se concentrant plus spécifiquement sur les publics des musées et établissements patrimoniaux, l’objet de dossier est de mettre en exergue la richesse des travaux en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) qui s’intéressent à ces questions ainsi que la pluralité des méthodes d’analyse (qualitatives ou quantitatives) portant sur les publics de ces organisations culturelles à l’ère du numérique. Ce dossier s’inscrit ainsi dans la continuité du n° 16 de la revue de la SFSIC publié en 2019 et dont la thématique portait sur le renouvellement des formes de médiation muséale permis par les technologies et supports numériques. En passant des outils et récits proposés par ces institutions à leur réception par les publics, il s’agit ainsi de se saisir de l’ensemble des modifications induites par l’expansion des pratiques numériques au sein de l’environnement de travail des professionnels de la culture (Tardy et Renaud, 2015 et 2016 ; Andreacola, 2020).

2En ce qui concerne plus précisément l’étude des publics, la tradition de la recherche épistémique a tout d’abord été marquée par les travaux séminaux de Pierre Bourdieu (1969) qui s’est employé à démontrer l’inégalité de l’accès à la culture pour situer la pratique culturelle dans une perspective de la domination. Par la suite, le mouvement des cultural studies a marqué un tournant dans l’analyse des publics de la culture et en particulier les recherches de Michel de Certeau qui s’est attaché à considérer la réception comme un moment clé de la production de contenu culturel ou informationnel pour placer le récepteur comme un acteur actant du processus de co-construction de sens. Ces travaux constituent encore aujourd’hui des piliers épistémiques solides pour l’étude des pratiques culturelles médiées par le numérique. La récente étude publiée en juillet 2020 par le Ministère de la culture, « Cinquante ans de pratiques culturelles en France »1, révèle de fait un essor considérable des pratiques numériques ces dix dernières années. Cette étude note, par exemple, que pour les jeunes générations, les pratiques numériques sont devenues majoritaires, au détriment des médias historiques, tandis que les baby-boomers conservent un fort engagement dans les activités culturelles en matière de lecture ou de fréquentation de lieux muséaux. De même, si les jeunes continuent à sortir et à fréquenter des lieux culturels, il n’en demeure pas moins que les activités culturelles médiées par le numérique sont des pratiques culturelles majoritairement observées chez les jeunes. Au-delà de cette étude, les travaux sur les pratiques culturelles reposant sur l’usage d’outils et de dispositifs numériques, pointent les hybridations observables entre les univers culturels et les identités des publics, leurs rapports diversifiés à la culture, aux objets numériques comme aux contenus culturels créatifs (Culture et Recherche, n° 134, hiver 2016-2017). Ces mutations profondes ont fait émerger une pluralité d’approches méthodologiques et ont démontré l’intérêt de prendre en compte la notion de « contexte de réseaux de sociabilité » (Thévenin 2015).

3Du côté des institutions culturelles, les travaux pionniers de Joëlle le Marec (2007) ont montré que les visiteurs (des musées, des bibliothèques) sont des publics experts dont parfois, les acteurs de terrain sous-estiment la sensibilité à la dimension politique et institutionnelle. La chercheuse considère ainsi les pratiques culturelles comme des activités socialement situées et propose d’étudier ces sociabilités à partir de la notion de composite, définie comme un processus dynamique qui situe l’étude des publics dans une approche plurielle allant de la sémiotique, aux études de réception et à la sociologie des publics. Cette notion de sociabilité gagnerait par ailleurs à être confrontée au concept de formes de vie (Fontanille, 2015) en ce sens que les pratiques culturelles individuelles ou collectives reposent sur l’appropriation de représentations construites dans le continuum de notre vie et relèvent de plusieurs types de sociabilités : une sociabilité primaire (l’héritage familial) ainsi que des sociabilités secondaires (la capacité à investir des pratiques à partir des expériences de vie ou des prédispositions construites dans l’environnement relationnel). La mise au point de Jacqueline Eidelman, Hana Gottesdiener et Joëlle Le Marec sur la construction des carrières et identités des visiteurs rend compte de ces constructions complexes et progressives et permet, notamment, de mieux saisir l’appropriation par ces derniers des propositions numériques faites, en leur nom, par les organisations culturelles (2013).

4De même, l’approche du design des expériences de vie (Leleu-Merviel, Schmitt, Useille, 2018) souligne la nécessité d’intégrer les pratiques des individus dans la conception d’expériences impliquant des dispositifs numériques ou non. L’expérience de l’individu est alors considérée au-delà des seuls usages pour anticiper la complexité des pratiques des publics à partir, le plus souvent, d’une démarche de recherche-action. Ainsi, les pratiques culturelles médiées par le numérique peuvent être appréhendées comme une expérience conjointe spectateur/utilisateur avec l’œuvre, avec les personnes qui participent à sa réception et s’analysent en prenant en compte les multiples interactions comme les représentations situées socialement qui interviennent aussi bien avant, pendant et après une visite de musée ou une venue au spectacle.

5À la croisée de ces cadres épistémiques, ce dossier réunit un ensemble d’études qui questionnent et décortiquent les pratiques des publics des institutions culturelles en centrant l’analyse sur le rôle des outils, interfaces et environnements numériques dans leurs actions et réceptions. Ces derniers peuvent alors être nommés publics amateurs, communautés, visiteurs en ligne, publics outillés ou encore données numériques, etc. Aux termes du processus d’évaluation et de sélection des textes reçus, nous distinguons ainsi deux grands axes d’analyse ayant retenus l’attention des chercheurs et chercheuses dont les travaux sont ancrés aussi bien en SIC qu’en sociologie des publics.

6La première grille d’analyse se concentre sur les publics en ligne et les pratiques des internautes et autres communautés sur les réseaux sociaux numériques. La numérisation massive des œuvres d’art et, plus largement, des objets patrimoniaux, ouvre en effet de multiples possibilités de valorisation pour les institutions culturelles. Parallèlement, ces propositions génèrent de nouvelles pratiques numériques chez les publics, pratiques qui interrogent les politiques d’accès, de partage et d’enrichissement des œuvres comme des contenus culturels numériques produits ad hoc. Il s’agit dès lors de décrypter les rôles assignés aux publics par les organisations culturelles dans la consultation, la diffusion et la promotion de ces substituts numériques, qu’ils soient de simples visiteurs, des communicants ou qu’on leur demande de devenir co-créateurs de contenus. Les compétences des professionnelles et acteurs de terrain s’en trouvent parallèlement modifiées par le renouvellement, notamment, des postures éditoriales en ligne mais aussi, de plus en plus souvent, sur site.

7Une seconde perspective d’enquête réactive en effet les travaux déjà menés sur les pratiques de réception des publics observables au sein des établissements culturels et plus spécifiquement au sein des expositions muséales et des sites patrimoniaux. Les trois textes réunis dans cette partie ont pour point commun de suivre le renouvellement des pratiques numériques des publics sur site, qu’elles soient le fait des visiteurs eux-mêmes ou qu’elles soient cadrées par les institutions muséales qui outillent désormais très souvent le visiteur grâce au déploiement de tablettes tactiles ou au développement d’applications de visite. Les enquêtes réalisées sur des terrains précis observent ainsi l’évolution des comportements comme les expériences hors-les-murs permises par la démocratisation des smartphones et tablettes portables. Et si ces outils numériques transforment les postures des – potentiels – visiteurs, ils font aussi de ces publics des données numériques que les managers d’institutions ou de services culturels espèrent ainsi mieux connaître par des systèmes informatiques et statistiques.

8Enfin, la place accordée à la crise sanitaire liée au Coronavirus et aux confinements successifs de 2020 et 2021 dans les articles reçus atteste du rôle révélateur de cet événement qui a permis de faire plus largement connaître des pratiques déjà existantes mais qui se sont vues pendant ce court temps amplifiées et démultipliées car représentant les seules possibilités d’interaction avec des institutions aux portes closes. À cet égard, nous avons décidé de positionner en introduction à ce dossier une présentation de l’étude quantitative menée spécifiquement sur les pratiques culturelles des Français en temps de confinement par le ministère de la Culture car, même si cette enquête s’inscrit exclusivement dans le domaine de la sociologie des pratiques culturelles, ces résultats éclairent à plus d’un titre les études empiriques et heuristiques réalisées en SIC, comme en atteste in fine l’ensemble du dossier où nombre de textes s’appuient sur les études du DEPS pour saisir la complexité des réalités vécues.

Les pratiques culturelles numériques des Français en temps de confinement

9L’article d’Anne Jonchery et Léa Garcia propose en effet une sorte de photographie instantanée des pratiques culturelles des Français pendant le premier confinement de 2020. Plus exactement, les autrices questionnent l’évolution des pratiques culturelles durant cette expérience si particulière par le prisme non seulement de la stratification sociale, de sexe et d’âge, mais aussi du rapport à la culture que les individus ont pu développer avec le numérique comme seule interface. Cette enquête réalisée auprès d’un échantillon de près de 3 000 personnes a ainsi mis en exergue les évolutions observables, que ce soit en termes de pratiques artistiques et culturelles en amateur, de consommation sur écran, ou encore de consultation de ressources culturelles en ligne (sites web et réseaux numériques). La mise en perspective avec les résultats de la dernière édition de l’enquête Pratiques culturelles en France menée en 2018 (Lombardo et Wolff, 2020) permet de saisir les effets du confinement sur l’amplification de la participation culturelle mais aussi de caractériser l’influence des conditions de confinement sur le développement d’autres pratiques telles que la consultation de ressources en ligne. Les conclusions de cette étude démontrent que le cumul de consommation culturelle est attaché aux âges jeunes et que les déterminants socioculturels jouent un rôle essentiel. En examinant plus finement chaque pratique, l’étude a également pu démontrer le lien entre certaines conditions de confinement et le comportement culturel de l’individu, engendrant une plus grande participation à certaines pratiques. En outre, cette étude met en évidence l’importance de la sociabilité à domicile et plus spécifiquement de la charge des enfants. Soulignons enfin que ces constats sont repris et creusés par plusieurs textes du dossier qui complètent cette enquête quantitative par une approche qualitative et explicitative.

Qui sont et que font les publics en ligne des institutions culturelles ?

10L’article de Marie-Laure Bernon interroge spécifiquement les expériences de visites d’expositions en ligne en reliant ces dernières à la pratique in situ. Croisant une méthodologie quantitative et qualitative ainsi que les cadres théoriques des SIC et de la sociologie des publics, celle-ci propose l’identification de quatre profils de visiteurs en ligne, profils établis au regard de leurs familiarités muséales et numériques et répartis en deux grandes catégories, les « muséomodérés » (fréquentation limitée des musées) et les « muséovores » (fréquentation assidue des musées). Appartenant à la première catégorie, les « technocurieux » ont un intérêt manifeste pour la consultation de contenus sur internet et découvrent des expositions en ligne de façon non planifiée, hasardeuse, quand les « muséocurieux » représentent des territoires où l’offre culturelle est plus faible et manifestent un usage pédagogique des expositions en ligne. De l’autre côté du panel, les « traditionnels » expriment une certaine défiance vis-à-vis de l’interposition d’un écran sur l’expérience esthétique et n’envisagent la visite en ligne qu’en complémentarité avec une visite sur site tandis que les « augmentés » voient dans ces possibilités en ligne une autre façon d’enrichir l’expérience expositionnelle classique. Enfin, si les conclusions de Marie-Laure Bernon permettent de dépasser l’idée préconçue que cette numérisation de l’exposition s’accompagne forcément d’un élargissement des publics, il conviendrait de poursuivre ces observations en détaillant finement les types d’expositions en ligne visitées.

11L’attitude décomplexée par rapport aux œuvres d’art permise par leur transformation en substituts numériques relevée par Marie-Laure Bernon dans son enquête est par ailleurs au cœur du texte proposé par Marie-Alix Molinié-Andlauer, Florence Andreacola et Marie-Christine Bordeaux. C’est en effet un autre volet des pratiques numériques et culturelles des publics que propose de suivre ce texte qui s’inscrit dans un programme de recherche dont l’objectif est d’analyser ce que les internautes font sur les réseaux sociaux numériques (RSN) avec ces œuvres rematérialisées numériquement en ligne. En se concentrant sur la pratique créative et virale des Museum Challenge lancés sur Instagram par des amateurs et des institutions durant les confinements du printemps 2020, cette étude souligne combien la crise sanitaire a permis de dynamiser des pratiques de re-création déjà existantes qui se sont vues ainsi largement amplifiées durant cette expérience sans précédent de fermeture des lieux culturels. À cet égard, les autrices insistent sur les liens qui existent entre ces créations numériques et la familiarité muséale, ces pratiques créatives étant le plus souvent le fait de publics proches de la sphère institutionnelle. D’autre part, en plus des méthodes qualitatives éprouvées pour l’étude des pratiques culturelles, les autrices reviennent largement sur les apports et les limites des sciences informatiques pour traiter de vastes corpus de données : derrière les discours qui accompagnent le déploiement « grand public » de l’intelligence artificielle, ces constats permettent ainsi de prendre de la distance et de saisir la complémentarité des approches qualitative et quantitative pour saisir la complexité des situations concrètes.

12Le troisième texte de cette première partie fait le pont entre les pratiques créatives des internautes et les propositions éditoriales expérimentées ces dernières années par les institutions culturelles. Marie Ballarini et Irène Bastard concentrent leur étude sur de récentes collaborations entre créateurs de contenus en ligne et institutions muséales. Si peu d’enquêtes ont été menées jusqu’à présent sur l’impact de ces créateurs dans le champ culturel, l’émergence de cette activité pose de nombreuses questions, que ce soit sur le profil de ces influenceurs, pour reprendre le terme usité, que sur les modes de collaboration avec les institutions patrimoniales, dont les traditions et organisations de travail sont ainsi bousculées, ou encore sur l’émergence (ou pas) de nouveaux discours. Combinant ethnographie et entretiens, l’enquête dévoile dans un premier temps les modalités d’interactions entre institutions et créateurs indépendants. Le recours au concept de chaîne de valeur permet par ailleurs aux autrices d’intégrer ces collaborations au processus de médiation comme à celui de la communication – voire de la prescription – ce qui les autorise à voir dans ces propositions éditoriales un renouvellement de la médiation. Ce renouvellement se fait dans cette confrontation à des partenaires non issus des sphères traditionnelles patrimoniales, ce qui bouleverse non seulement la forme des discours mais aussi les œuvres et objets qui font l’objet de cette médiation - médiatisation.

Quel comportement et quelle expérience pour le visiteur outillé (et analysé) ?

13En prenant appui sur une enquête de terrain menée au Palais des Beaux-arts de Lille, l’article de Sébastien Appiotti questionne les pratiques photographiques comme témoin de la reconfiguration des pratiques de visite au musée. Le cadre sociosémiotique de l’article s’inscrit dans le champ des enquêtes menées autour « des grammaires de reconnaissance » (Véron, 1987) et considère l’exposition comme un dispositif socio-symbolique, comme un texte actualisé par son destinataire. Ce processus de reconnaissance, dont la pratique photographique en fait partie, s’apparente à un acte créatif dynamique impliquant le public dans la production du sens. La triangulation méthodologique employée par l’auteur (enquête par questionnaire, focus groups avec les publics et puis avec les professionnels du musée) a permis de mettre en exergue les éléments saillants de l’enquête, à savoir : l’influence de l’intensité des pratiques culturelles sur les pratiques photographiques, la motivation à la prise de vue, la circulation et l’usage des photographies pendant et après la visite. Les résultats de cette enquête ont permis d’établir des corrélations entre le type de pratique photographique (lié au plaisir esthétique, à la pratique documentaire et à la mise en scène de soi) ainsi que les éléments photographiés dans le musée. Outre le cadre épistémologique solide ainsi que l’originalité de la démarche méthodologique, l’article, inscrit dans la recherche action, mobilise le concept « d’ajustement » (Jutant, 2011 et Sandri, 2016). En effet, la dimension prospective de cette recherche permettrait de faire réfléchir les professionnels quant à l’usage de ces photographies comme objet de médiation et à l’impaction plus aisée des publics dans le devenir du musée notamment dans le cadre de la rédaction de son Projet Scientifique et Culturel.

14Prendre en compte les pratiques effectives des publics est aussi au cœur du second article de cette partie en revenant sur une proposition d’application faite par l’institution muséale elle-même. L’article de Valérie Méliani et Emma Laurent interroge en effet les stratégies de médiation numérique déployées par les musées et se focalise plus précisément sur l’expérience de visite hors les murs proposée par l’application Fabre & the City #2. Après avoir situé le cadre épistémologique de l’article autour des enjeux que soulève le déploiement des médias numériques dans le champ muséal, les chercheuses interrogent la notion de « non-publics ». En convoquant une littérature scientifique riche, ces dernières définissent les « non publics » comme étant « les personnes absentes des lieux, voire absentes des consciences des médiateurs de l’art » selon les termes de Azam (2004 : 68) et dépeignent par la suite les différentes réflexions menées par les professionnels des musées à propos de ces publics à conquérir. L’application Fabre & the City #2 mise en œuvre à l’occasion des 800 ans de la Faculté de Médecine de Montpellier s’inscrit dans cette stratégie de conquête des publics et mobilise des supports de médiation au format numérique de type vidéoludique où les jeunes visiteurs retrouvent les pratiques d’usage propres à leur culture juvénile. Après une analyse du design d’expérience de l’application, l’article consacre une grande partie à l’analyse de l’expérience de visite des jeunes visiteurs. En mobilisant une double méthodologie (enquête qualitative par questionnaire ainsi que l’observation directe), l’article confronte les affordances du dispositif aux pratiques d’usage des publics pour ainsi formuler des recommandations permettant aux professionnels des musées de rendre leur offre davantage accessible aux jeunes publics.

15Enfin, le dernier texte de ce dossier opte pour un regard original en étudiant les publics sous le prisme des données numériques. Nicolas Navarro et Lise Renaud poursuivent en effet leurs travaux de déconstruction des promesses accompagnant le déploiement des outils numériques d’aide à la visite des sites patrimoniaux en s’attaquant cette fois à la façon dont les producteurs de ces dispositifs promeuvent un discours sur l’intérêt des données informatiques recueillies via les systèmes d’enregistrement des interactions des usagers avec les interfaces de consultation comme sources de connaissance sur les publics. Si l’accès à cette nouvelle « donnée » sur les publics s’inscrit dans un mouvement gestionnaire au sein des musées et réinterroge la dimension politique de l’évaluation, l’enjeu est de décortiquer les représentations des publics perceptibles à travers ces différents instruments et logiques marketing. En confrontant des enquêtes qualitatives sur les pratiques des visiteurs sur sites avec l’analyse des données extraites des tableau de bord des différents outils proposés au sein de ces établissements, il s’agit de montrer comment ces dispositifs accompagnent une vision efficiente et non expérientielle de la visite. Cette vision est marquée par une mise en mots et en formes des données à forte intentionnalité de scientifisation repérable d’une part dans le lexique marketé de l’entreprise prestataire et d’autre part dans les représentations graphiques construites. On perçoit ainsi une forte prétention de ces dispositifs et de leurs acteurs à offrir une connaissance objective des publics, à saisir les pratiques culturelles par des traces numériques dont le recueillement est automatisé et externalisés mais qui restent, au demeurant, très peu intelligibles par les professionnelles et acteurs de terrain.

16Aux terme de ce dossier, l’ensemble des texte souligne en creux, non seulement bien sûr l’outillage de plus en plus manifeste de nos pratiques culturelles, mais aussi et surtout, l’instrumentalisation des publics et des diverses politiques de mesures de ces derniers, processus qui s’inscrit dans une forme d’industrialisation non seulement des politiques publiques mais aussi des biens symboliques par des acteurs privés dont les positions de plus en plus hégémoniques sur les acteurs institutionnels doivent faire réfléchir la sphère culturelle.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Cristina Badulescu et Jessica de Bideran, « Les publics des musées et institutions culturelles à l’ère du numérique »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/14721 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.14721

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Auteurs

Cristina Badulescu

Maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de Poitiers, Laboratoire CEREGE, UR 13564

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Jessica de Bideran

Maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Bordeaux Montaigne, Laboratoire MICA, UR 4426

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