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Dossier
Les adolescents face aux stratégies des plateformes commerciales entre suivisme et résistances

Les adolescents face aux stratégies de TikTok

Sandrine Philippe

Résumés

Très populaire auprès des adolescents, TikTok répond au modèle de plateforme dans le contexte du digital labor. Ses revenus provenant des données d’activité des usagers, elle emploie des stratégies pour capter leur attention et les encourager à consacrer davantage de temps à la consultation de contenus. Nous avons cherché à mieux connaître l’expérience d’adolescents sur TikTok et leur perception de ces stratégies grâce à des entretiens semi-directifs menés avec 22 jeunes âgés de 11 à 18 ans. Ils sont d’abord séduits par l’économie temporelle particulière de l’application, qui leur permet de rentabiliser les moments creux de leur emploi du temps. Pour autant, ils regrettent le temps excessif qu’ils consacrent parfois à TikTok et perçoivent alors certains mécanismes à l’origine de leur perte de repères. Leurs propos révèlent alors une méconnaissance du fonctionnement et des intérêts des plateformes.

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Texte intégral

1Lancée en 2016, l’application TikTok a conquis un large public adolescent. Elle répond au modèle de plateforme (Bullich, 2018) : ses revenus reposent donc sur les données d’activité et l’attention des usagers, qu’il s’agit de gérer, stimuler, surveiller et mesurer dans le cadre du digital labor (Scholz, 2012 ; Casilli, 2015). Nous avons cherché à mieux connaître l’expérience d’adolescents sur TikTok et leur compréhension des stratégies que la plateforme emploie pour capter, stimuler et valoriser leur attention et le dépôt de données. De leur point de vue, TikTok est d’abord un espace de divertissement et d’expression, mais perçoivent-ils certaines stratégies à l’œuvre ? Nous présentons la plateforme puis la méthodologie mobilisée, avant de discuter les propos de vingt-deux adolescents concernant leur expérience du temps et de l’attention sur cette plateforme.

TikTok, le divertissement au service de l’industrie attentionnelle

Le digital audience labor

2Le digital labor (Terranova, 2000 ; Scholz, 2012) s’inscrit dans le contexte d’une économie numérique dominée par quelques grands acteurs : il s’agit d’activités qui ne sont pas nécessairement vécues comme un travail, mais qui produisent pourtant une valeur pour les grandes entreprises technologiques. Ces activités font l’objet d’un encadrement contractuel défini dans les conditions générales d’utilisation et sont mesurées grâce à des métriques de performance (indicateurs de popularité, réputation, statut) (Casilli, 2015).

  • 1 Selon la théorie de l’audience commodity ou « public-marchandise », dans un contexte de financement (...)
  • 2 « attention is not a resource; it is an activity » (notre traduction).

3Brice Nixon (2014) a identifié trois modalités de création de valeur particulièrement étudiées par l’économie politique du digital labor : l’appropriation des contenus créés par les usagers ; la surveillance et la collecte des données produites à travers les activités de communication en ligne ; la vente des publics aux annonceurs, sous la forme déjà connue de l’audience commodity (Smythe, 1977 ; Magis, 2019)1. Les grandes plateformes audiovisuelles accumulent ces trois formes de valeur : elles offrent un accès gratuit aux contenus dont elles n’assurent pas la production, qui motivent la visite des internautes dont la présence est proposée à des partenaires publicitaires, et dont les traces d’usages sont collectées et montées en profils à la fois identitaires et publicitaires (Gomez-Mejia, 2016). Brice Nixon identifie une quatrième forme de valeur, considérant que « l’attention n’est pas une ressource ; c’est une activité »2 (Nixon, 2017) : il qualifie d’audience labour ce processus de création de sens à travers la consommation de contenus par le public (Nixon, 2014). Ce travail de la signification n’est possible qu’en accordant une attention suffisante aux contenus, valeur déjà identifiée par les analyses de l’économie de l’attention (Citton, 2014). Si le temps n’est pas une équivalence de l’attention, il semble en être l’approximation privilégiée par les plateformes en vue des transactions du digital labor : en témoignent les métriques qu’elles ont créées afin de mesurer la présence et le temps de leurs usagers. Par exemple, le « Watch time » de YouTube garantit des espaces publicitaires de qualité à ses annonceurs en posant une équivalence entre le temps passé devant chaque vidéo et l’attention des usagers (Heuguet, 2018). Inscrit parmi un temps limité (Rosa, 2012) le digital audience labour peut donc être envisagé comme le temps consacré au travail de production de sens face aux contenus culturels ou publicitaires en ligne, qui fait l’objet d’une gestion par les propriétaires des plateformes.

TikTok et son public

  • 3 Nick Baklanov pour HypeAuditor, « The State of TikTok in France 2020 », 30 juillet 2020: https://hy (...)
  • 4 Génération Numérique, « Les pratiques numériques des jeunes de 11 à 18 ans, enquête 2021 », 2021 : (...)
  • 5 Sophie Jehel, « 7e Rapport de l’Observatoire des pratiques numériques des adolescents en Normandie, (...)

4En 2016, la start-up chinoise ByteDance lance l’application Douyin, destinée à la Chine et permettant de réaliser et partager de courtes vidéos. En 2017, une version internationale en est lancée sous le nom de TikTok. En novembre 2017, ByteDance rachète l’application concurrente Musical.ly : créée en 2014 et basée à Shanghaï, celle-ci permettait aussi de créer et diffuser des boucles vidéo musicales limitées à 15 secondes mais bénéficiait alors d’une meilleure implantation sur le marché américain (Ebongué, 2021). En août 2018, Musical.ly et TikTok fusionnent sous le seul nom de TikTok. Elle est principalement fréquentée par des adolescents et jeunes adultes : en 2020, le profil type de l’utilisateur de TikTok en France était une jeune fille âgée de 13 à 24 ans (51,34 %), la majorité des usagers ayant entre 13 et 17 ans (38,09 %)3. La période de confinement en 2020 est venue doper la fréquentation de cette plateforme : en 2021, 60 % des filles de 11 à 18 ans utilisent TikTok4. Chez les 14-18 ans, la progression a été particulièrement fulgurante : selon une enquête menée en Normandie, entre 2020 et 2021, la proportion de filles possédant un compte TikTok est passée de 40 à 80 % et celle des garçons de 14 à 58 %5.

  • 6 Issu de la théorie des écrits d’écran, le signe passeur est un signe « outil » permettant d’agir di (...)

5TikTok correspond au modèle de plateforme, « composé d’une architecture sémio-technique, d’un ensemble d’opérateurs d’activation et de régulation des activités des usagers comme des contenus proposés et d’un mode de valorisation propres » (Bullich et Lafon, 2019) en vue d’articuler plusieurs acteurs d’un marché multi-versant. Les revenus des plateformes reposant sur l’inscription et la valorisation des données de leurs usagers (Bullich, 2018), il s’agit de stimuler l’activité pour multiplier le dépôt de traces à valoriser. La publication de contenus constitue l’activité la plus visible sur les plateformes, mais le simple fait de cliquer ou non sur une publication suffit à créer des données exploitées ensuite par les algorithmes (Jehel, 2018) : Sophie Jehel qualifie ainsi de « quasi-travail du clic » ces « activités formatées par le dispositif des plateformes pour maximiser la récupération de données personnelles ». L’observation de l’interface de TikTok puis les entretiens avec des adolescents ont permis de repérer certaines stratégies destinées à stimuler ce quasi-travail du clic et le dépôt de données. En offrant et simplifiant les outils nécessaires à la prise de vue, au montage, à la sonorisation et à la circulation de vidéos, et en proposant un abondant catalogue de musiques, d’effets visuels ou vocaux et de filtres, TikTok favorise la création de contenus. Dès l’ouverture de l’application, la page « For You » propose un flux personnalisé de vidéos que l’usager fera défiler selon l’intérêt qu’il leur accorde. Des signes passeurs6 (Davallon et al., 2003) tels que les boutons Like, Partager, S’abonner — et jusqu’au simple geste de « swiper » (glisser) — vont enregistrer les affects autant que les traces des usagers (Alloing et Pierre, 2017). Afin d’encourager et étendre la connexion, l’interface de TikTok tient de la boucle infinie de contenus en mouvement perpétuel (Allard, 2021), propre à capter l’attention et propice à la perte de repères temporels.

6Une tension se pose dès lors entre les intérêts des plateformes et ceux de jeunes usagers qui gagnent en autonomie et apprennent à structurer leur temps : les réseaux socionumériques éphémères notamment leur posent de nouvelles contraintes temporelles (Bruna, 2020). Afin de contrer la captation de l’attention des jeunes à des fins publicitaires et commerciales, Olivier Le Deuff souligne la nécessité d’une formation à l’attention, c’est-à-dire « leur capacité de se concentrer durant un laps de temps suffisamment long pour comprendre et apprendre » et la « capacité de chacun à exercer son regard critique et sa distanciation vis-à-vis de médias qui cherchent à s’attacher cette attention » (Le Deuff, 2010). Cette skholè, attention profonde et réflexive, permettrait selon lui de se tenir à distance, de choisir et de résister, notamment aux injonctions à la participation numérique (Proulx, 2017) et à la connexion permanente (Serres, 2009). Dans le contexte des plateformes, il s’agirait de repérer les stratégies de gestion qu’elles mettent en œuvre afin d’y résister. Cette contribution examine l’expérience du temps et de l’attention de jeunes usagers de TikTok, et par conséquent leur perception des intérêts et des stratégies de cette plateforme.

Méthodologie

7Dans le cadre d’une thèse en Sciences de l’Information et de la Communication, nous étudions la culture informationnelle des adolescents dans le contexte des plateformes. Des entretiens avec des adolescents ont permis d’identifier puis analyser les plateformes audiovisuelles qu’ils fréquentent. Sans donner à cette analyse une valeur normative, les entretiens semi-directifs se sont poursuivis avec des jeunes âgés de 11 à 19 ans pour étudier leurs pratiques et représentations concernant les principales plateformes audiovisuelles. TikTok n’a été mentionnée que dans la dernière vague de ces entretiens, menée de septembre 2021 à avril 2022 : le présent article s’appuie sur ces vingt-deux entretiens les plus récents.

8Le recrutement des jeunes a eu lieu en établissement scolaire sur la base du volontariat, lors de temps libres et sans intervention d’adultes. L’anonymat de chacun a été garanti. S’il a fallu composer avec les inconvénients du recrutement en milieu scolaire (difficultés d’accès, interruptions pour permettre le retour en classe…), il a permis de cibler plus aisément des jeunes appartenant à la tranche d’âge recherchée, ce qui constituait l’unique critère de sélection. La période de la vie correspondant à la scolarisation en collège et lycée nous intéresse en effet particulièrement : à la charnière entre l’enfance et la vie adulte, il s’agit d’un « moment de non-coïncidence entre le nous familial et le nous générationnel » et d’autonomie sans indépendance (De Singly, 2006). En outre, la période des 10-15 ans constitue « une étape charnière et cruciale dans les rapports au temps, de même que dans la définition de leur identité et de leur système de valeurs » (Pronovost, 2007). Les pratiques informationnelles et numériques des individus se diversifient également durant cette période, en s’inspirant puis s’émancipant progressivement de celles de leur cercle familial (Cordier, 2015). Par la même occasion se construit la culture informationnelle de ces jeunes : ils se saisissent des opportunités d’expression et de divertissement que leur proposent les grandes plateformes (Jehel, 2022) avant d’en percevoir plus ou moins précisément les enjeux.

  • 7 Les établissements REP+ accueillent un nombre significativement élevé d’élèves issus de milieux pop (...)
  • 8 Localisées au sein d’établissements classiques et encadrées par des enseignants spécialisés, les UL (...)

9Le recrutement a eu lieu dans quatre établissements du Grand Est : par ordre croissant de représentation au sein de l’échantillon, il s’agit d’un collège de centre-ville environné de structures culturelles (C1), un collège classé REP+ (Réseau d’Éducation Prioritaire renforcée)7 en périphérie d’un grand centre urbain (C REP+), un lycée polyvalent d’une zone rurale défavorisée (LPO1), et une cité scolaire située dans une autre aire rurale défavorisée (C2 et LPO2). Cet échantillon comporte donc une grande majorité de jeunes issus de milieu populaire : l’intégralité des lycéens fréquente des établissements ruraux dans des régions confrontées à de forts taux de chômage et de précarité. Les dix lycéens de cet échantillon sont tous inscrits en filière générale, l’un des douze collégiens est inscrit en section ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire)8.

  • 9 Les entretiens les plus courts concernent les collégiens scolarisés en 6e, avec une moyenne de 30 m (...)

10Ces vingt-deux adolescents ont accepté de s’exprimer lors de seize entretiens individuels et trois entretiens en binôme, configuration accordée aux jeunes qui l’ont réclamée. Les entretiens durent de 20 à 173 minutes ; la durée cumulée s’élève à 15 heures et 9 minutes pour une durée médiane de 35 minutes et une durée moyenne de 48 minutes9. Le guide d’entretien abordait leur expérience des plateformes en général. C’est lors de l’analyse thématique menée sur les déclarations concernant TikTok que nous avons remarqué une association récurrente et polarisée aux questions du temps : elles suscitaient leurs propos les plus élogieux et les plus critiques. Il s’agit donc d’une analyse secondaire, « réexamen d’un ou plusieurs ensembles de données qualitatives existantes afin de poursuivre des questions de recherche distinctes de celles de l’enquête initiale » (Thorne, 2004). Plus précisément, l’attention a été portée sur « une question émergente ou un aspect des données qui n’était pas traité, ou seulement partiellement, par la recherche initiale » (Heaton, 2004). Cette analyse souligne une équivalence très forte sur la plateforme : ce que ces jeunes qualifient de temps n’est autre que leur attention. Ils l’évoquent comme un temps tantôt agréable, tantôt excessif : ce temps leur échappe parfois car ils ne le voient pas passer ou en consacrent davantage que prévu. C’est dans ce dernier cas qu’ils identifient certaines stratégies de captation de leur attention.

De l’adhésion à la critique

11TikTok se caractérise par le format très bref des vidéos et par une navigation via un algorithme de recommandations, qui crée un flux audiovisuel permanent et personnalisé. Ces vidéos courtes comblent les interstices dans l’emploi du temps des adolescents, mais ce format contraint a plusieurs conséquences que certains jeunes sont capables de critiquer.

Une économie temporelle qui se prête à l’emploi du temps adolescent

  • 10 Tous les prénoms ont été modifiés.

12La brièveté des vidéos est inscrite au cœur du format TikTok depuis ses origines. Comme le rappellent Tonia10, Melissa (toutes deux âgées de 14 ans, en 4ème, C REP+) ou Louise (16 ans, 1ère, LPO2), la plateforme hérite des formats de Musical.ly : « t’avais dix secondes pour faire rire ou interpeller ». Ce format très court emporte l’adhésion des jeunes usagers, car il se prête à leurs stratégies d’optimisation de leur temps libre. La brièveté des vidéos permet en effet de rentabiliser le temps de consultation : « si vous avez une vidéo de 3 minutes et que vous la regardez en entier, vous aurez gâché 3 minutes mais pas 20 » (Clémence, 14 ans, 4ème, C2). La lutte contre l’ennui revient à plusieurs reprises lors des entretiens avec les collégiens : « TikTok [sert à] regarder des vidéos quand je ne sais pas quoi faire » ou à « passer le temps ». Plutôt que l’ennui, les lycéens évoquent les temps creux de leur journée : c’est qu’ils sont confrontés à davantage de sollicitations tant scolaires qu’extra-scolaires (Mercklé et Octobre, 2012), dont l’entretien de leurs amitiés ou l’échéance du baccalauréat, qui les poussent à développer des stratégies d’articulation entre temps libre et temps de travail (Le Douarin et Delaunay-Téterel, 2011). Ils décrivent TikTok comme un divertissement particulièrement adapté aux interstices temporels de leur journée : Léa (17 ans, 2nde, LPO2, milieu familial très modeste) explique que « c’est tout court en fait, c’est quand on n’a pas beaucoup de temps ». Elle consulte TikTok « quand j’ai des heures de libre et que j’ai rien à faire, par exemple pendant les récréations, si mes amis sont pas là ». Quant à Louise (16 ans, 1ère, LPO2) « c’est vraiment pour se divertir et se dire bon bah là, j’ai un quart d’heure ». Les lycéens réfléchissent donc en termes d’investissement de leur temps, et trouvent en TikTok un moyen de rentabiliser les plus courtes unités de temps libre de leur journée.

13La brièveté des contenus s’assortit d’un zapping permanent leur permettant de multiplier les expériences en un minimum de temps : pour le même investissement de temps, un plus grand nombre de vidéos et de thématiques auront pu être consommées. « On peut zapper les vidéos, c’est pour passer par exemple de quelqu’un qui dessine un personnage à quelqu’un qui raconte sa vie » (Agathe, 13 ans, 4ème, C1). Ce zapping s’incarne dans le geste du « swipe ». Clémence (14 ans, 4ème, C2), Louise ou Yacine (16 ans, 1ère générale LPO2) miment spontanément ce geste de navigation pour en souligner l’intuitivité, la facilité et la rapidité. Si « swipper donne du rythme à nos navigations mais met également en mouvement ce qui nous affecte, ou affecte les autres » (Alloing et Pierre, 2017), cela permet justement de se soustraire aux contenus inopportuns ou moins intéressants. Questionnées sur les contenus qui les dérangeraient, Solène (15 ans, 2nde, LPO1, parents agriculteur et infirmière) ou Clémence (14 ans, 4ème, C2) soulignent qu’il est facile de zapper face à un contenu ennuyant, en « swip[pant] plus vite ». Le « swipe » incarne ainsi une certaine économie de la lecture gestualisée (Davallon et al., 2003) dont ces jeunes soulignent l’efficacité. En faisant « défiler les boucles de bas en haut, tel un carrousel à “images ” […] actionnant tel un dévidoir la circulation des boucles » (Allard, 2021), ce geste minimal suffit à mettre en mouvement toute une expérience audiovisuelle.

14Ces jeunes saluent aussi l’économie de temps qu’ils ressentent dès l’ouverture de l’application, grâce au lancement automatique d’une vidéo pour les accueillir : il s’agit alors de se laisser porter par le flux proposé par l’algorithme de recommandations. Comme l’indiquent Solène (15 ans, 2nde, LPO1) ou Clémence (14 ans, 4ème, C2), il suffit d’ouvrir l’application pour trouver des vidéos. Ensuite, « ça passe tout seul, je regarde les vidéos qui filent » (Agathe, 13 ans, 4ème, C1). Les autres applications souffrent de la comparaison : Louise (16 ans, 1ère, LPO2, père professionnel des arts et de la culture et mère artisan) souligne le nombre d’étapes nécessaires sur YouTube : « [Il] faut aller sur l’application, trouver la vidéo qu’on va regarder ça déjà prend cinq [minutes] tourner le téléphone et tout, alors que TikTok, on clique et la vidéo apparaît tout de suite ». Son ami Yacine compare cette gestuelle de TikTok à un glissement permanent, agréable et sans frictions, garant d’immédiateté : « t’appuies et t’es plongé dedans, t’as juste à glisser tout le temps ».

15Dans un premier temps, les caractéristiques temporelles de la plateforme sont donc appréciées par ces jeunes car elles s’avèrent fort compatibles avec leurs propres stratégies d’organisation de leur temps. Ils ont notamment le sentiment de bien investir leur temps sur l’application car celui qu’ils y consacrent a peu de valeur : il s’agit des moments d’ennui des collégiens, ou de courts « temps-interstices » autrement perdu pour les lycéens. Ce faible investissement de temps est à leurs yeux hautement rentabilisé, grâce à l’accès immédiat à des vidéos dont la brièveté et le défilement rapide permettent de consulter beaucoup de contenus en peu de temps.

De « passer le temps » à « perdre son temps »

16Paradoxalement, les caractéristiques des vidéos TikTok vantées par les adolescents sont aussi à l’origine de leur perte de repères temporels. Ils les identifient et les critiquent dès lors qu’ils consacrent plus de temps que prévu à la consultation de vidéos. Ainsi, si la durée des vidéos permet de n’y consacrer que quelques secondes au lieu de plusieurs minutes, Léa (17 ans, 2nde, LPO2) associe l’accumulation rapide de petites vidéos à une perte de repères temporels : « on n’a pas beaucoup de temps mais on utilise beaucoup de temps quand même dessus […] quelques secondes de plus et puis quelques secondes de plus et puis du coup ça fait des heures. ». « Vu que c’est des courtes vidéos […] je reste plus longtemps » (Maxence, 13 ans, 4ème, C2). Ils regrettent alors de passer trop de temps sur l’application sans s’en rendre compte. Selon Lola, lycéenne hostile à TikTok, c’est l’association de la brièveté et de l’encouragement au zapping qui entraîne cette perte de temps. « On zappe et tu peux passer très bien rapidement deux-trois heures dessus, sans t’en rendre compte […] c’est rapide [et] on n’a pas tendance à voir le temps passer vu que les vidéos ne durent pas longtemps. » TikTok semble offrir une expérience attentionnelle proche du régime de l’immersion (Boullier, 2009), propre au jeu vidéo, associant courte durée et intensité de l’attention. Décrite par ces jeunes, cette immersion se rapproche de l’expérience optimale ou de « flow » (Csíkszentmihályi, 1990), cet état d’absorption complète qu’on appelle parfois « être à fond » : « le temps n’existe plus, l’attention est complètement focalisée, et l’engagement total provoque un sentiment d’euphorie » (Boyd, 2016).

17La durée excessive de consultation qu’entraîne cette perte de repères temporels pousse certains adolescents à tout bonnement éviter de consulter TikTok. C’est le cas de Romane (16 ans, Tle, LPO2) qui estime qu’« ils arrivent à faire que si on commence à regarder une vidéo, on en regarde une autre et une autre ». Le besoin de faire autre chose de son temps aide donc à repérer le temps excessif consacré à l’application, qui se traduit alors en temps perdu. Lola (1ère, LPO2), très hostile à TikTok et très critique de son petit frère qui y passe beaucoup de temps, souligne « qu’on pourrait passer notre temps à faire autre chose que de regarder son écran et passer et puis rire et puis passer ». Louise (16 ans, 1ère, LPO2) a supprimé l’application de son téléphone car « ça prenait vachement du temps sur mes devoirs ou des moments passés avec ma famille et vraiment j’aimais pas ça ». Sa prise de conscience du temps qu’elle consacrait à TikTok au détriment d’autres activités l’a donc poussée à adopter cette stratégie de résistance : radicale et efficace, elle révèle aussi une certaine impuissance face aux stratégies de la plateforme.

18L’enthousiasme des plus jeunes pour TikTok contraste avec les critiques que formulent des lycéens plus âgés : en grandissant, ils s’adonnent à de nouvelles activités autres que la consultation de vidéos qui permettaient auparavant de « passer le temps ». L’adolescence se caractérise en effet par une réorganisation des agendas culturels, une « redéfinition des répertoires de loisirs [et] une modification des rythmes de chaque activité » (Mercklé et Octobre, 2012). Si les jeunes jouissent d’une flexibilité plus grande, ils font face à de nouvelles pressions tant scolaires qu’extra-scolaires (ibid.) : ils apprennent à en gérer les contraintes et développent des stratégies pour organiser et articuler temps de loisirs et temps de travail. Face à l’échéance du baccalauréat, il s’agit aussi de parvenir à organiser efficacement temps de travail et temps de loisir (Le Douarin et Delaunay-Téterel, 2011), voire de se conformer aux attentes de l’institution scolaire (Zaffran, 2001) en particulier chez les élèves de filières générales (Burban et al., 2013). Les nouvelles pressions auxquelles ils sont confrontés (étude, examens, sociabilités…) conduisent donc les adolescents à davantage structurer leur temps et rationaliser celui qu’ils consacrent à TikTok. La prise de conscience du temps qu’ils y passent au détriment d’autre chose leur permet alors de devenir plus critiques.

19Des enquêtes ont déjà souligné le poids des déterminants sociaux dans la gestion du temps que les jeunes consacrent au numérique récréatif. Ceux jouissant de perspectives d’avenir tendent à réduire le « temps mort » et convertir leur temps libre en temps productif, quand les plus démunis dilapident leur temps par l’accentuation de l’éthique du divertissement, faute d’un horizon vers lequel se projeter (Zaffran, 2001). Le numérique récréatif et communicatif est ainsi davantage saisi par les lycéens professionnels (Burban et al., 2013) et les élèves en échec scolaire (Pronovost, 2009) ; Snapchat, plateforme particulièrement prédatrice du temps adolescent, suscite l’activité permanente de jeunes issus de classes populaires, tandis que ceux issus de milieux favorisés contrôlent le temps qu’ils y consacrent, parfois jusqu’à la déconnexion totale (Déage, 2018). Parmi les jeunes que nous avons rencontrés, c’est en effet la priorité qu’ils accordent au travail scolaire, à la vie de famille ou à des activités qu’ils estiment plus enrichissantes qui les amène à critiquer, éviter, voire supprimer l’application TikTok.

Une gestion de l’activité difficile à identifier

20Tous ces jeunes ont évoqué l’ampleur de l’offre audiovisuelle sur TikTok, qui semble garantir une réponse à tous les goûts : « j’ai l’impression que sur TikTok on ne peut jamais aller au bout », « tu peux trouver tout ce que tu veux ». Face à ce capharnaüm de petites unités, comment trouver ou choisir celle à consulter ? Comme l’exprime Louise (16 ans, 1ère, LPO2), « rien que juste le temps de chercher ça fera énormément de temps ». Les contenus étant si courts, une recherche suivie d’un tri coûte davantage de temps que celui passé à consulter la vidéo. Brièveté et quantité rendent nécessaire une « médiation de l’abondance » (Gayraud et Heuguet, 2015) assurée par un algorithme abondamment commenté par les jeunes rencontrés.

L’algorithme, un dispositif de médiation et de gestion du temps

21L’ensemble de ces jeunes a évoqué la personnalisation du flux de vidéos ; Clémence (14 ans, 4ème, LPO) pense qu’elles lui sont proposées « en fonction de nos abonnements, de ce qu’on like et de ce qu’on regarde le plus », Yacine et Louise (16 ans, 1ère, cité scolaire rurale) ont identifié l’existence d’une sélection algorithmique des contenus « pour eux ». Invités à critiquer cet algorithme, certains regrettent de tant en dépendre pour découvrir des contenus : « en fait, on ne choisit pas » (Agathe, 13 ans, 4ème, C1), « finalement, c’est pas nous qui choisissons » (Clémence, 14 ans, 4ème, C2). Cette dépendance est particulièrement identifiée et critiquée lorsqu’ils en ressentent la contrainte, notamment pour retrouver les fragments de vidéos publiés en plusieurs parties : certains vidéastes tronçonnent en effet leurs contenus, pour développer leur propos ou doper leurs mesures de performance. Yacine (16 ans, 1ère, LPO2, père artisan et mère employée de commerce) explique ainsi que si les vidéos ne durent que quelques secondes, « c’est parfois la partie un d’un truc qui va nous intéresser […] et puis il y a cinq parties et donc ça s’accumule vachement vite ». L’expérience temporelle est alors doublement frustrante pour les jeunes spectateurs : à ce temps passé à regarder plusieurs vidéos au lieu d’une s’ajoute la tâche parfois pénible de retrouver les différents épisodes. Maxence (13 ans, 4ème, C2, père militaire et mère au chômage) déplore être « obligé d’aller voir sur le profil du mec et de chercher [et] des fois, quand c’est vraiment trop loin, on ne retrouve pas ».

22Cette dépendance au calcul algorithmique entraîne une crainte de manquer la prochaine bonne vidéo s’ils quittent l’application : « si je ne vois pas la prochaine vidéo, c’est sûr que je vais rater quelque chose » (Louise, 16 ans, LPO2). Quitte à avoir déjà passé du temps sur l’application, autant y rester encore un peu pour terminer son parcours avec une vidéo « qui en vaille le coup ». Plusieurs adolescents déclarent tenter de se raisonner et de se poser des limites, en termes de temps de consultation (« 5 minutes ») ou de nombre de vidéos (« encore dix vidéos et à la dixième, stop ») mais qu’ils peinent à respecter. Yacine (16 ans, 1ère, LPO2, mère employée de commerce et père artisan) explique que l’algorithme est « dans l’équilibre des vidéos qui vont moins te plaire et des vidéos qui te plaisent ». Le rythme étant « frénétique » et les propositions sélectionnées selon les interactions antérieures, « la vidéo qu’on va apprécier, elle est jamais très loin et ça, on le sait inconsciemment ». Réflexif sur ses pratiques du numérique récréatif, il a identifié la captation de son attention par la plateforme et l’un des mécanismes stratégiques de l’algorithme.

23Plusieurs lycéens ont mobilisé le champ lexical de l’addiction pour décrire TikTok et son fonctionnement : les vidéos rendent « addict », le défilement d’un simple swipe est fascinant… Clémence (14 ans, 4ème, LPO2), qui apprécie beaucoup l’application, explique que « c’est assez addictif […] leur truc de toujours swiper, regarder [et] peut-être qu’après, il y a une autre vidéo que j’ai pas vue et que j’ai ratée » Cette crainte de manquer la prochaine bonne vidéo est renforcée par le fait que la sélection opérée par l’algorithme change à chaque connexion. « Là si je quitte TikTok [et que] je reviens vingt-quatre heures après, je suis plus sur la vidéo » (Yacine, 16 ans, 1ère, LPO2). TikTok s’apparente ainsi à un fascinant kaléidoscope de boucles audiovisuelles fragmentées, éparpillées ; comme le moindre mouvement du kaléidoscope fait apparaître une nouvelle composition, TikTok offre à l’usager, à chaque visite, une nouvelle sélection de multiples fragments qu’il s’agit de ne surtout pas manquer. Comme sur Snapchat, les jeunes se trouvent alors confrontés à une « invitation à ne pas manquer doublée d’une seconde invitation à ne pas laisser filer » (Bruna, 2020), qui les pousse à étendre leurs sessions de consultation. Dès lors, l’algorithme constitue autant un dispositif de médiation que de captation du temps des usagers.

24Nombreux sont les jeunes qui critiquent le temps que leur prend ainsi la plateforme : TikTok est « incroyable » mais « dangereux au niveau de ton temps », « vraiment bien au niveau découverte » mais aussi « un peu sournois ». Son fonctionnement est alors identifié comme stratégique par certains jeunes, qui soupçonnent que l’application a tout intérêt à leur faire passer un maximum de temps sur ses interfaces. Du haut de ses 13 ans, Maxence (4ème, LPO2, parents militaires ou au chômage) estime que l’algorithme « sait » ce qu’il regarde et lui propose des vidéos similaires « peut-être parce que du coup ça permet de rester plus sur TikTok ». Alice (16 ans, 1ère, LPO1, parents enseignant et secrétaire) pense que la sélection est personnalisée « pour qu’on passe plus de temps dessus […] c’est une vidéo que j’aime je vais cliquer dessus [puis] il y a d’autres propositions des vidéos du même style, forcément, je vais continuer à regarder et au bout d’un moment, je peux plus m’arrêter. ». Louise (16 ans, 1ère, LPO2) n’incrimine pas la seule efficacité de l’algorithme, mais toute la simplicité d’utilisation de l’application : « on peut le donner à un enfant de 10-13 ans ». Elle « pense que ça a été fait exprès, que tout soit de plus en plus facile pour qu’y [ait] un maximum de gens qui regardent, qui fassent, pour que les applications elles soient de plus en plus réputées et que ça rapporte plus d’argent ». Ils soupçonnent donc l’existence de liens entre leur expérience de l’application et les enjeux économiques à l’œuvre, mais sans être capables de les expliciter davantage.

L’abonnement et l’inscription des traces

25Louise et Yacine, 16 ans et passionnés par les options de Sciences Politiques et d’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) qu’ils ont choisies dans leur lycée rural, sont particulièrement critiques des plateformes, mais reconnaissent qu’ils n’utilisent jamais la barre de recherche sur TikTok. La navigation automatisée par l’algorithme reste la norme pour découvrir de nouveaux contenus et ce n’est qu’en cas de recherche d’une vidéo déjà vue ou d’un vidéaste en particulier que ces jeunes cherchent une alternative. Ils recourent alors à l’abonnement, qui permet de suivre l’activité des vidéastes préférés, d’être « au courant » (Agathe, 13 ans, 4ème, C1) et ne rien rater. Ce mode d’accès encourage cependant l’hyper-attention, qui consiste à répondre sans attendre à toutes les sollicitations dans une forme de zapping permanent (Hayles, 2007). Par ailleurs, cette alternative passe par l’affiliation (Serres, 2017) à un producteur de contenus, elle-même soumise à une affiliation technique à la plateforme : impossible en effet de suivre ou s’abonner à un vidéaste sans créer un compte sur TikTok. Cette contrainte participe du système industriel d’inscription et de gestion des traces que constituent les plateformes, dont l’efficacité est renforcée par un système d’identification unique (Bullich, Guignard, 2011) : il s’agit en effet d’associer un ensemble de données à chaque internaute. Certains jeunes estiment justement que l’abondance de vidéos les pousse à s’abonner : « c’est beaucoup de petites vidéos, ça passe très vite, et en fait t’arrives vite à 30, 50, 60 vidéos et en fait t’as la flemme. T’as pas envie de chercher dans 60 dernières vidéos quoi. Donc tu t’abonnes et voilà. ». Cette réflexion de Yacine (16 ans, 1ère, LPO2) révèle une synergie entre l’abondance et la brièveté des vidéos, que l’on consulte en grand nombre, et leur exploration déléguée à l’algorithme. Le site pousse ainsi à laisser des traces : si l’usager n’interagit pas avec le contenu en le likant ou en s’abonnant à son auteur, il ne pourra pas le retrouver.

  • 11 Nous nous situons ici à un croisement entre information1 et information2 (Jeanneret, 2011). Yves Je (...)

26Ces jeunes reconnaissent donc l’emprise de l’algorithme et des signes passeurs (boutons Like, S’abonner) (Candel, Gomez-Mejia, 2013) sur leurs pratiques, mais aucun n’en a évoqué l’intérêt pour la plateforme. La multiplication et l’enregistrement de leurs traces de navigation sont pourtant doublement stratégiques : en sus de leur valorisation publicitaire, ces données permettent d’entraîner l’algorithme qui fait l’objet du service de TikTok. Son efficacité repose en effet sur la réaction des usagers face à de nouveaux contenus : la vitesse du swipe, le dépôt d’un like ou d’un commentaire sont analysés comme autant d’indices quant au potentiel viral d’une vidéo. Sans ces réactions, point d’indices à traiter pour le calcul algorithmique, l’utilisateur est donc mis « au travail » face aux contenus qui lui sont proposés11. La plateforme a tout intérêt à faire de l’algorithme le mode d’accès privilégié aux contenus, sinon le seul, les usagers étant alors poussés à contribuer à l’optimisation des recommandations, objet du service de TikTok. Les utilisateurs créent ainsi de la valeur pour la plateforme à travers un audience labor reposant sur la création de sens face aux contenus qui leur sont proposés automatiquement dès leur arrivée sur TikTok.

Conclusion

27Si les adolescents représentent une grande part des usagers de TikTok, leur enthousiasme initial fait face à des tensions dans leur expérience de la plateforme. Le rythme et les fonctionnalités de TikTok séduisent les plus jeunes, qui cherchent à tromper l’ennui, et apportent un sentiment d’efficacité et de bon investissement de leur temps aux lycéens. Ils éprouvent alors la satisfaction de rentabiliser le temps creux, celui des trajets, des récréations et des attentes solitaires. Ces jeunes ressentent néanmoins une impression de perte de temps dès lors qu’ils en consacrent davantage que prévu. C’est que l’application multiplie les stratégies d’extension de la consultation, qui reposent justement sur la brièveté du format tiktokien : la succession rapide de courtes vidéos fait perdre tout repère temporel et justifie le recours à l’algorithme de recommandation qui crée un flux ininterrompu de contenus, dont ces jeunes craignent de manquer la prochaine bonne surprise.

28Si l’échantillon est trop homogène et réduit pour généraliser des conclusions selon des critères socio-démographiques, nos résultats nous permettent néanmoins de relever quelques disparités selon l’âge des adolescents rencontrés. Les lycéens s’avèrent plus réflexifs sur leurs pratiques et plus critiques des stratégies de captation de leur attention, sans doute parce qu’ils font face à davantage de sollicitations les poussant à bien organiser leur temps. Les intérêts et mécanismes de TikTok contrariant leurs propres stratégies de gestion de leur temps, ils prennent conscience du temps qu’ils y passent au détriment des amitiés, de la vie familiale ou du travail scolaire, et deviennent plus critiques de l’application.

29L’économie des plateformes leur est peu connue. Ils suspectent des liens entre leur expérience et des intérêts économiques à l’œuvre, mais même ceux qui ont bénéficié d’enseignements approfondis en EMI ne parviennent pas à les expliciter. La stimulation, la collecte et la valorisation de leurs données personnelles par exemple n’inquiètent pas les rares jeunes qui ont évoqué la question. L’intérêt stratégique de l’algorithme et des signes passeurs qui inscrivent chaque trace d’activité, notamment, ne sont pas perçus. Enfin, si certains cherchent à résister, leurs alternatives sont limitées et ils en soulignent la difficulté : ils se posent des limites qu’ils peinent ensuite à respecter, ils évitent de consulter TikTok, ou beaucoup plus rarement, désinstallent l’application de leur téléphone.

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Notes

1 Selon la théorie de l’audience commodity ou « public-marchandise », dans un contexte de financement des médias par la publicité, le public fait l’objet des transactions entre médias et annonceurs, les contenus culturels n’étant qu’un produit d’appel assurant la présence du public-marchandise.

2 « attention is not a resource; it is an activity » (notre traduction).

3 Nick Baklanov pour HypeAuditor, « The State of TikTok in France 2020 », 30 juillet 2020: https://hypeauditor.com/blog/the-state-of-tiktok-in-france-2020/

4 Génération Numérique, « Les pratiques numériques des jeunes de 11 à 18 ans, enquête 2021 », 2021 : https://m.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/fichiers/les-pratiques-numeriques-2021_0.pdf

5 Sophie Jehel, « 7e Rapport de l’Observatoire des pratiques numériques des adolescents en Normandie, 2021 », 25 octobre 2021 : https://educationauxecrans.fr/fileadmin/user_upload/Observatoire_EAE_2021.pdf

6 Issu de la théorie des écrits d’écran, le signe passeur est un signe « outil » permettant d’agir directement sur le texte affiché à l’écran. Une fois activé « par un lecteur-scripteur réalisant donc un acte de lecture écriture à part entière », il mène à l’affichage d’un nouveau texte (Davallon et al., 2003). Parmi les signes passeurs les plus courants du web contemporain, mentionnons le bouton Like, les boutons « partage » de chaque grande plateforme, mais aussi les classiques « liens hypertexte » à la police conventionnellement bleue et soulignée.

7 Les établissements REP+ accueillent un nombre significativement élevé d’élèves issus de milieux populaires ou confrontés à des difficultés sociales ; à ce titre, ils sont dotés de moyens et dispositifs particuliers dans un objectif d’égalité des chances et de réussite de tous.

8 Localisées au sein d’établissements classiques et encadrées par des enseignants spécialisés, les ULIS permettent la scolarisation adaptée d'élèves qui présentent des troubles cognitifs ou physiques.

9 Les entretiens les plus courts concernent les collégiens scolarisés en 6e, avec une moyenne de 30 minutes. Ils n’ont mentionné TikTok que pour expliquer qu’ils l’évitent, par peur des contenus choquants qu’ils pourraient y trouver, ou du harcèlement dont sont victimes « les 2010 ».

10 Tous les prénoms ont été modifiés.

11 Nous nous situons ici à un croisement entre information1 et information2 (Jeanneret, 2011). Yves Jeanneret propose de distinguer l’information2, information sociale correspondant à la connaissance communiquée ou communicable de Meyriat, de l’information1, correspondant au signal, à la donnée mathématique, destinée au calcul et au traitement machinique. Leur transposition et leur articulation efficaces sont précisément au cœur du pouvoir des entreprises technologiques.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sandrine Philippe, « Les adolescents face aux stratégies de TikTok »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 26 | 2023, mis en ligne le 01 mai 2023, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/13910 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.13910

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Auteur

Sandrine Philippe

Sandrine Philippe est doctorante en sciences de l’information et de la communication au sein du CREM à l’Université de Lorraine.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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