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Gallo Maria Caterina Manes. Identification de…, dé-identification : Entre trace(s) et fiction(s)

Pessac : Presses universitaires de Bordeaux, 2018
Marc Jahjah
Référence(s) :

Gallo Maria Caterina Manes. Identification de..., dé-identification : Entre trace(s) et fiction(s). Pessac : Presses universitaires de Bordeaux, 2018. ISBN : 979-10-300-0321-5 Prix : 21 €

Texte intégral

1Issu d’un projet de recherche et d’un colloque, Identification de…, dé-identification. Entre trace(s) et fiction(s) se présente comme une réflexion collective et interdisciplinaire sur la trace, l’identité, les processus d’identification. Cette constellation de termes est plus précisément travaillée à partir de tensions classiques en philosophie, résumables en ces termes : comment peut-on prétendre à une identité – c’est-à-dire à une stabilité ontologique –, quand tout change continuellement ? Quel rôle tient la métamorphose continue des êtres dans leur identité ? Comment s’actualise-t-elle en fonction des contextes, des situations, des personnes pour manifester la singularité de chaque individu, en dépit de son appartenance à une communauté ? Quelle est sa part de créativité dans l’élaboration continue de l’identité ? L’originalité de l’ouvrage est de se saisir de ces questions à partir de la question des traces, qui offrent à la fois les moyens de matérialiser l’identité et de la dépasser, par tout un jeu de transformations et déplacements. Cette matérialisation et sa trajectoire posent cependant des problèmes redoutables, qui sont au cœur de l’ouvrage, notamment d’un point de vue méthodologique : comment travailler sur des corpus audiovisuels, tout en préservant l’identité des participants ? Et quelles ressources inédites peut offrir la « dé-identification », au-delà de cette préservation ?

2Pour y répondre, l’ouvrage s’organise autour de quatre sections, introduites par la directrice de l’ouvrage (Maria Caterina Manes Gallo). Notre collègue en Sciences de l’Information et de la Communication présente quelques théories sur l’identité, qui se sont saisies de ses paradoxes, notamment de la dynamique entre continuité et discontinuité (comment une personne peut-elle être reconnue, alors qu’elle change continuellement ?), entre personnel et collectif (si toute personne est singulière, comment participe-t-elle au corps social ?). La perspective sémiotique et infocommunicationnelle invite à participer à la réflexion, déjà entamée par d’autres disciplines, en prêtant une attention à la matérialité de ces relations. On comprend ainsi que le couple « identification »/ « dé-identification » désigne un processus enchevêtré, une tension inhérente à l’identité, qui ne peut se départir de forces techniques, sociales, historiques, anthropologiques, psychiques en dialogue et en tension. Les douze contributions des quatre sections y répondent partiellement, selon les terrains explorés et les sensibilités théoriques.

3La première partie (« Typologie des traces et dé-identification ») s’intéresse à l’enquête, qu’elle soit policière ou psychothérapeutique. Jean-Marc André, commandant de police, rend compte de la « lutte entre identification et dé-identification » (p. 28) à laquelle se prêtent deux acteurs : « le flic et l’assassin ». Tandis que le premier est occupé à collecter des traces pour les interpréter, le second veille à les effacer ou les inventer pour éviter d’être identifié. Gestalt-thérapeute, Nicole Bosc décrit la relation qui s’instaure avec un patient et le conduit progressivement à exprimer ses expériences passées, traces psychiques de son histoire. Elles n’apparaissent cependant que dynamiquement, selon le degré de confiance instauré, la disposition du patient, sa propension à se déclarer dans l’espace thérapeutique. C’est qu’elles manifestent un conflit interne, un blocage plus ou moins reconnu par le patient. Tout le travail du thérapeute, selon l’auteure, est de les remettre en circulation, pour que ce dernier voit dans ses propres traces des ressources lui permettant à terme de réintégrer son environnement. Enfin, Nathalie Jaëck, professeure de littérature du xixe siècle britannique, montre que l’identification est loin d’être réductible à des opérations objectivantes ou scientistes. Elle révèle une part créative, qui conduit un personnage comme Sherlock Holms à prélever sur une scène perceptive des éléments, en vertu de leur capacité à s’intégrer à un récit crédible, mis à l’épreuve dans et par l’enquête. C’est dire que l’identification et la dé-identification agissent de concert, de manière processuelle, à mesure que la vie et le réel sont découverts, expérimentés.

4La deuxième partie (« Identification : pour qui ou pour quoi faire ? ») traite des enjeux collectifs, individuels et techniques de l’enquête identitaire. Giulia Barone, professeure en histoire médiale, suit les métamorphoses de l’identité depuis l’Antiquité, qui conduit à une inflation de représentations religieuses au Moyen Âge Chrétien et à une difficulté : pourra-t-on encore les reconnaître, dans un monde sécularisé ? C’est ici que la question de l’identification rejoint celle de la reconnaissance, soit la capacité à attribuer une identité à des objets matériels et symboliques. Dans un deuxième article, Anne Beyaert-Geslin, professeure en Sciences de l’information et de la Communication, aborde « l’autoportrait photographique », plus communément appelé « selfie ». S’il s’inscrit bien dans une histoire de la représentation de soi, notre collègue sémioticienne démontre que cet objet contemporain offre des ressources propres. D’un point de vue temporel, d’abord, il permet à l’individu de « suivre le cours de la vie » par le truchement de la série, qui « rend [l]a transformation [du visage] commensurable et mesurable » (p. 71). Autrement dit : l’individu est pris dans une anamorphose, grâce à laquelle il gagne en lisibilité sociale. Ce processus d’identification est également facilité par la fonction déictique du selfie : il « montre le monde et le catégorise » (p. 82). Tout ce que fait, achète, vit l’individu se trouve ainsi temporalisé, contextualisé, intégré à « un imagier personnel » cependant ouvert sur le monde. Ici, Anne Beyaert-Geslin retrouve la tension au cœur de l’ouvrage entre idem et ipse, entre l’expression d’une appartenance à une communauté et la préservation d’une singularité propre, sur laquelle se fonderait dialectiquement le processus identitaire selon Ricoeur. Dans le dernier article de cette partie, Sandra Métaux, enseignante en arts visuels, revient sur des œuvres d’un groupe artistique des années 60 (Gruppo T) qui a inspiré un projet collectif contemporain (Re-programmed Art). Elle s’appuie sur la pensée du philosophe Yacouba Konaté pour qualifier ce geste, cette réinterprétation d’anciennes expositions dans un nouveau cadre spatio-temporel, technique et intellectuel. L’identité artistique y apparaît alors comme ouverte, processuelle, en devenir, toujours recommencée, saisie collectivement pour truquer le rapport normatif aux œuvres historiques, qui reposent manifestement encore le sur leur transmission, leur reproduction pour les nouvelles générations.

5La troisième section (« La fiction au secours de l’identification…de ») revient plus précisément sur le rôle de la littérature dans le processus identitaire. Dans un premier article, Allain Glyxos, écrivain, livre une réflexion sur l’autonomie du champ littéraire : « Au nom de quelle prétendue vérité historique, l’écrivain s’interdirait-il de romancer ? » (p. 111) Son travail est classiquement comparé à celui de l’enquêteur, de l’archéologue ou de l’artisan, qui rassemble des indices, les ordonne, remplit les vide au moyen de son imagination. Michel Pernot, ancien directeur de recherche au CNRS, intègre quant à lui le travail de l’archéologue dans le champ des « pratiques divinatoires » (p. 119) qui comprennent toutes les opérations de repérage, d’assemblage, d’interprétation, de reconstruction d’une scène à partir de traces. Enfin, Sylvie Lainé, auteure de science-fiction et professeure en Sciences de l’Information et de la Communication, évoque son travail créatif, en prise avec la théorie littéraire et les théories de l’identité, qui l’ont amenée à dé-identifier certains de ses personnages, débarrassés de tous les marqueurs (âge, genre, etc.) généralement attendus par le lecteur, qui doit alors combler les manques, investir cet intervalle, pour trouver la voie de l’identification avec le personnage.

6La dernière section (« La dé-identification : levier de l’inédit ? ») explore les problèmes méthodologiques de l’analyse d’entretiens ou de documents audiovisuels. Maria Caterina Manes Gallo montre que tout enquêté s’engage dans une négociation de son identité avec l’enquêteur, qui l’amène à reprendre ses représentations erronées, à le recadrer, bref, à se dé-identifier, en mobilisant des ressources discursives. Jean-Yves Baudouin, maître de conférences HDR en psychologie cognitive, revient d’abord sur un couple notionnel (la mémoire et l’oubli), auquel correspond le binôme identification/dé-identification, au cœur de l’histoire de la psychologie et notamment du visage. Comment identifions-nous celui d’un autre ? Quels critères sont mobilisés ? Quelles procédures intellectuelles ? De cette étude riche et complexe, qui balaie les travaux sur la question, on comprend que les « processus d’identification s’appuient sur l’ensemble des caractéristiques morphologiques pour accéder à l’individualité du visage » (p. 183). Nous fonctionnons manifestement de manière inductive, du général au particulier, à partir de grandes catégories (notamment genrées, raciales) qui servent de gouvernail. L’auteur plaide enfin pour des études interactionnistes, capables de dépasser les approches cognitivistes et modulaires. Dans le dernier article de l’ouvrage, un collectif de scientifiques décrit une méthode en cours de « dé-identification de visages avec préservation des expressions faciales. » (p. 185) Elle s’inscrit dans un effort pour assurer l’anonymisation des individus, tout en permettant à des chercheurs de travailler sur leurs attitudes. Si des tests convaincants ont pu être menés sur l’image fixe, l’image mobile, tout comme le traitement audio, résistent encore à la dé-identification, en prise avec des modalités de reconnaissance complexes, qui peuvent évoluer ou être différentes selon les formes, les supports, les situations.

7Riche et varié, l’ouvrage reste inégal dans ses contributions, dont certaines relèvent du témoignage, de l’anecdote et développent des considérations généralisantes, qui auraient davantage mérité un entretien contextualisé. C’était le pari d’un ouvrage généreux, où se rencontrent, au-delà des sensibilités théoriques, des intérêts et des prismes parfois très éloignés, même si des ponts existent évidemment entre la recherche, la création, l’art. Toutes, cependant, font l’effort d’intégrer la dialectique identification/dé-identification dans leur démarche et à tout le moins la question des traces. Ce travail interdisciplinaire et collectif pourra donc servir de support de réflexion à tous ceux et toutes celles qui s’intéressent à la tension entre la mémoire et l’oubli, entre la trace et son effacement, entre la reconnaissance et l’anonymisation.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marc Jahjah, « Gallo Maria Caterina Manes. Identification de…, dé-identification : Entre trace(s) et fiction(s) »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 25 | 2022, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/13754 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.13754

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Auteur

Marc Jahjah

Maître de conférences à l’Université de Nantes. LS2N - Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes

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