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Émergences

Représentations du sida dans les discours médiatiques à Madagascar

Karine Blanchon

Résumés

Cet article dresse un état des lieux de la prévention au VHI/SIDA à Madagascar en s’appuyant sur l’analyse des discours sur cette maladie dans la presse écrite et deux films de fiction malgaches. L’analyse de ces discours met en évidence les représentations culturelles, les « mythes » au quotidien, de cette pandémie à Madagascar afin de déterminer comment ces représentations sont prises en compte dans l’élaboration des messages de prévention et dans les politiques de santé publique de façon plus large.

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Texte intégral

1En dépit des efforts engagés pour lutter contre le VIH/SIDA, cette épidémie ne cesse de progresser, particulièrement sur le continent africain. Là, les messages de prévention, calqués à partir de modèles occidentaux, prennent rarement en compte le contexte de diffusion et se révèlent souvent inadaptés. Or, les mythes sur le sida reflètent une diversité des représentations et renforcent la nécessité d’adapter les messages de prévention en fonction du contexte de leur diffusion. Cet article dressera un état des lieux de la prévention au VHI/SIDA à Madagascar en s’appuyant sur l’analyse des discours sur cette maladie diffusés sur plusieurs médiums de communication, d’information et de divertissement, notamment dans la presse écrite et au cinéma. Ainsi, j’analyserai les représentations culturelles au quotidien de cette pandémie à Madagascar afin de déterminer comment ces représentations sont prises en compte dans l’élaboration des messages de prévention et dans les politiques de santé publique d’une façon plus large.

2La réflexion menée dans cet article s’inscrit dans une approche de la sémiotique culturelle telle que l’a décrit Roland Barthes (1957) lorsqu’il évoque les « mythes sociaux » : « Il y a dans le mythe deux systèmes sémiologiques, dont l’un est déboîté par rapport à l’autre : un système linguistique, la langue (ou les modes de représentation qui lui sont assimilés), que j’appellerai langage-objet, parce qu’il est le langage dont le mythe se saisit pour construire son propre système ; et le mythe lui-même, que j’appellerai méta-langage, parce qu’il est une seconde langue, dans laquelle on parle de la première. » (Barthes 1957 : 188).

3Ainsi, dans cet article, j’analyserai non seulement la forme mais aussi le rôle des messages de prévention au VIH/SIDA dans la société malgache. À cet égard, mon étude rejoindra donc aussi les théories de la communication publicitaire développées par McLuhan (1968) puisque chaque message de prévention se doit, pour être perçu, de respecter des codes et, pour être accepté, de savoir séduire. De plus, comme l’a démontré Hall (1997), la compréhension d’un message médiatique est directement liée à son contexte de production et de réception.

4Ce présent article présente les conclusions d’une étude menée sur les représentations du VIH/SIDA dans trois titres de la presse privée quotidienne bilingue française-malgache et deux films de cinéma réalisés à Madagascar. Ces journaux sont L’Express de Madagascar, fondé en 1995, Midi Madagasikara lancé en 1983 et Madagascar Tribune créé en 1988. Ces trois quotidiens sont les plus diffusés dans le pays avec des tirages oscillant entre 10 000 et 25 000 exemplaires.

5Si les documentaires financés par les organisations internationales de lutte contre cette pandémie sont nombreux, les fictions sont, elles, beaucoup plus rares. On recense ainsi une vingtaine de courts-métrages documentaires et autant de longs-métrages de ce genre, à l’instar de Korano la vie de Rado Andriamanisa réalisé en 2007. Cette situation n’est pas spécifique à Madagascar puisque les associations internationales privilégient le réalisme du documentaire pour évoquer le sida. L’étude des deux seules fictions réalisées à ce jour à Madagascar sur le thème du VIH/SIDA par des cinéastes malgaches permet d’approcher les discours et les représentations de la maladie dans la société. Il s’agit de Liza d’Ignace Solo Randrasana tourné en 1995 et de Vero sy Haingo » co-réalisé en 2004 par Patrick Vergeynst et Anil Kessavdjee. Cependant, avant d’entrer dans l’analyse de ces discours médiatiques, il convient de rappeler le contexte de cette épidémie à Madagascar.

Spécificités des discours sur une pandémie

6La littérature sur le thème du sida est très fournie, tant du point de vue des sciences biomédicales que sociales. D’une façon générale, elle évoque principalement trois courants. Le premier est d’ordre historique et s’intéresse aux origines de la maladie (Grmek 1989). Le second est plus sociologique et met en évidence les conséquences de cette pandémie (Mathieu 2000). Enfin, le troisième courant est médiatique et examine les actions de prévention (Bull 2008).

7Le sida en Afrique a lui aussi donné lieu à de très nombreuses études qui peuvent également se répartir entre des analyses thématiques sur des populations ou des zones géographiques (Gueboguo 2009), des essais critiques sur l’idéologie du sida en Afrique (Olanguena 2006), et des études sur l’influence du sida dans l’art et les médias (Delery-Antheaume 2004). Dans les premiers temps de son apparition sur le continent africain, le sida est perçu comme une maladie « de l’étranger » (Bardem et Gobatto 1995) ou comme une maladie de la pauvreté (Becker et al 1999), qui touche principalement les communautés hétérosexuelles (Amat-Rose 2003/4). Les messages de prévention sont assimilés à des « discours idéologiques » (Rinn 2002) ou bien encore à des outils de « marketing social » (UNAIDS 1998). Les messages de prévention au sida diffusés en Afrique par les médias se focalisent sur la fidélité, le port du préservatif (Agha 2003) et sur l’abstinence sexuelle (Taverne 1999). Des auteurs soulignent également l’importance de prendre en considération le contexte culturel dans l’élaboration de messages de prévention (Kreuter et McClure 2004).

8À Madagascar, les recherches portant sur le secteur de la santé mettent en évidence les problèmes d’infrastructures médicales (Andrianarisoa et al 2007). En ce qui concerne le sida, outre les comptes rendus sanitaires annuels des organismes internationaux comme ONUSIDA, UNICEF et l’OMS, ou nationaux comme le Comité National de Lutte contre le VIH/SIDA (CNLS) et l’Institut National de la Statistique (INSTAT), on recense environ une cinquantaine d’articles et de communications écrits par des chercheurs malgaches sur la situation du sida à Madagascar entre 1988 et 1998. On comptabilise également l’édition de sept brochures et rapports sur le sida à Madagascar entre 1989 et 1996. Plus récemment, la majorité des textes sur le sida à Madagascar propose des études de cas sur l’utilisation des préservatifs (Meekers et al 2006), les comportements sexuels (Gastineau et Binet 2008), et l’évolution de l’épidémie du sida (Randrianamboarina 2003). Ces études prennent principalement pour objet des populations dites à risques (Stoebenau 2009), ou des zones géographiques (Leutscher 2003). Comme ailleurs en Afrique, le média le plus utilisé pour diffuser des messages de prévention est la radio car, en 2008, 75 % de la population possédait un récepteur (Felana 2008) mais aussi en raison d’un taux d‘analphabétisme avoisinant 50 % de la population. La majorité de ces textes opte pour un discours alarmiste, arguant que la situation du sida à Madagascar ne pourra que se dégrader dans les années à venir, comme ailleurs sur le continent africain et dans les îles voisines (Gastineau et Binet 2005), en raison de l’accroissement des Infections Sexuellement Transmissibles (IST) et du délabrement du système sanitaire national qui complique l’accès aux soins.

9À Madagascar, si le premier cas de sida officiellement déclaré date de 1987, la lutte a commencé beaucoup plus tardivement. Depuis une loi votée le 12 octobre 2002 créant un Comité National de Lutte contre le VIH/SIDA (CNLS), elle est gérée par le gouvernement. Le CNLS est présidé par le Président de la République et ses activités sont coordonnées par un Secrétariat Exécutif qui dispose de délégations dans les provinces (Comités Provinciaux de Lutte contre le VIH/SIDA ou CPLS) et dans les communes (Comités Locaux de Lutte Contre le VIH/SIDA ou CLLS). Le CLNS dispose d’un site sur Internet exposant ses activités (www.aidsmada.mg). Un blog a également été créé en novembre 2010 pour annoncer les manifestations de prévention au sida dans la province de Toamasina (http://tamataveetlasante.skyrock.com/​2.html). Plus d’une dizaine d’associations et d’ONG basées à Madagascar organise régulièrement des actions de prévention au sida. Pour la plupart, elles sont regroupées dans le réseau MADAIDS.

10Des lois sont venues renforcer les actions de prévention et l’accès aux soins des malades. Ainsi, outre le droit à la protection de la santé (loi 2011-002 du 15 juillet 2011 portant Code de la santé), deux textes garantissent le respect des droits fondamentaux aux personnes séropositives, encadrent l’anonymat du dépistage ou organisent la prévention (Loi 2005-040 du 20 février 2006 et son décret d’application 2006-902 du 19 décembre 2006). La législation malgache sanctionne tout acte discriminatoire à l’encontre des personnes vivant avec le VIH mais condamne aussi quiconque fournirait des instruments pour faciliter la consommation de drogue. Aussi, la dotation de seringues à usage unique constitue un délit qui entrave la prévention. Néanmoins, grâce à ces lois, la marginalisation des populations toxicomanes et homosexuelles, considérées comme les plus à risques, tend à s’infléchir dans la société malgache, même si elle reste cependant très importante au sein du cercle plus restreint de la famille, les homosexuels étant toujours exclus du tombeau familial.

11Les hommes politiques qui se sont succédé ces dix dernières années à Madagascar ont tenu à s’engager dans la lutte contre le VIH/SIDA et à le faire savoir. En 2006, Marc Ravalomanana a ainsi médiatisé son dépistage par le biais d’une vidéo diffusée par l’UNICEF pour « montrer l’exemple » afin de lever les réticences de la population malgache à se faire dépister. Après l’éviction de Marc Ravalomanana à la tête de l’État en 2009, le président de la Haute Autorité de Transition, Andry Nirina Rajoelina, a soutenu deux projets de lutte contre le VIH/SIDA : le « Global Fund round 8 VIH » dont le mandat d’action s’étend sur cinq ans et le « plan d’action national du pays » entamé en 2007 et achevé en 2012. Pourtant, force est de constater que, durant ces années de transition, les questions sanitaires ont été mises à mal par l’arrêt des financements internationaux. De fait, la pandémie de SIDA a progressé à Madagascar dans toutes les catégories de la population durant ces quatre années de troubles, comme cela fut le cas lors de la crise politique de 1992. Ainsi, en 2008, ONUSIDA recensait environ 23 000 séropositifs à Madagascar sur une population globale avoisinant avec les 18 millions d’habitants. En 2013, les chiffres sont de 59 000 personnes vivant avec le VIH auxquels s’ajoutent 35 000 personnes qui ignorent leur séropositivité (ONUSIDA 2013).

Le VIH/SIDA dans la société malgache

12Le cas de Madagascar est néanmoins particulier car le taux de prévalence du sida est très faible en comparaison avec le continent (moins de 1 % d’après les chiffres 2013 d’ONUSIDA). Toutefois, comme le rappelle Patricia Rakotondrabe, responsable du suivi de l’évaluation au CNLS lors d’un échange que j’ai mené début 2014, les chiffres sur la prévalence à Madagascar ne sont qu’une « estimation ». Selon elle, il convient de nuancer ces chiffres en raison du contexte social dans lequel les données ont été récoltées : « Il n’est pas judicieux de tirer des conclusions sur l’évolution de l’épidémie en procédant à une comparaison directe des estimations d'une année à une autre. Les différences observées pourraient être pour l’essentiel liées à des améliorations de la méthodologie et à une compréhension accrue de l’épidémiologie du VIH, suite à la disponibilité de nouvelles données ou aux ajustements apportés aux modèles mathématiques, plutôt qu’à la tendance de la pandémie elle-même. »

13De plus, si les deux derniers chefs de l’Etat malgache se sont engagés publiquement à lutter contre les discriminations faites envers les personnes séropositives, elles ne se sont, en revanche, jamais risquées à promouvoir le préservatif. En effet, ils ont tous deux été soutenus dans leurs mandats par des instances religieuses qui prônent la fidélité et l’abstinence. Ainsi, l’église protestante Fiangonana Jesosy Kristy Madagasikara (FJKM) dont fait partie Marc Ravalomamana a déclaré être : « ni pour ni contre l’usage du préservatif. […]. Nous le considérons comme un médicament et laissons les médecins se charger de l’éducation » (IRIN 2007).

14Parallèlement aux principes des religions « officielles » (le protestantisme est devenu religion d’État sous la présidence de Marc Ravalomanana), d’autres croyances ont également cours. Ainsi, des « chercheurs » s’autoproclament « guérisseurs du SIDA » et vont même jusqu’à engager des procès pour « vol de formule magique contre le SIDA ».

15Ces années de transition ont aussi eu pour effet un assouplissement des interdits liés à la sexualité. Les lois relatives au tourisme sexuel et aux prostitutions n’ont été que très peu appliquées. La crise économique a plongé de nombreuses personnes dans une misère telle que ces activités n’étaient plus perçues comme illégales mais nécessaires à la survie. Ainsi, des adolescents, filles ou garçons, consentaient à des relations sexuelles en échange d’un “cadeau” (téléphone portable, bijou, etc.). Si la polygamie est officiellement interdite, la pratique du “deuxième bureau” c’est-à-dire l’entretien d’une maîtresse, est largement répandu comme étant un signe extérieur de réussite sociale. Toutes ces relations sont en majorité non protégées car un préservatif vendu dans les épiceries ou les pharmacies coûte entre 200 et 3 000 Ariary (entre 0,06 et 0,90 €) alors que le salaire minimal moyen à Madagascar est de 80 000 Ariary (environ 26 €).

16Enfin, le développement touristique étant une des principales ressources économiques du pays, il serait mal venu d’entacher cette destination avec le spectre d’une pandémie à grande échelle. Pour autant, le sida n’est pas nié.

Les discours sur le VIH/SIDA à Madagascar

17Dans les trois titres de la presse quotidienne nationale malgache étudiées ici, les discours sur le VIH/SIDA reflètent ces différentes représentations de la maladie et des malades dans ce pays. On recense en moyenne un article par mois sur le thème du VIH/SIDA, ce qui est nettement supérieur aux occurrences relevées dans les journaux français. Ce sujet est donc largement médiatisé dans L’Express de Madagascar, Madagascar Tribune et Midi Madagasikara. Néanmoins, la majorité de ces textes se concentre autour du premier décembre, date de la journée mondiale de lutte contre le sida. Entre 2007 et 2011, on dénombre ainsi soixante-dix articles sur ce sujet pour Madagascar Tribune, trente-huit pour l’Express de Madagascar et trente-sept pour Midi Madagasikara. À l’exception d’articles sur le procès des « guérisseurs du sida » (neuf articles), ils relatent l’organisation d’événements de sensibilisation, de prévention ou de dépistage au VIH/SIDA partout dans le pays. Si les articles expliquent comment ne pas avoir la maladie, ils ne décrivent que très rarement la différence entre séropositivité et SIDA. La maladie, prise dans son ensemble, est dite « mauvaise », « inquiétante », « menaçante », « dangereuse », « sournoise », « mystérieuse » ou « mortelle ». Un vocabulaire guerrier est alors employé pour « riposter » dans ce « combat » contre la maladie, il faut trouver des « armes » contre ce « fléau » qui fait « des victimes » et engendre la « peur ». À l’image des messages prônés par les églises, la plupart des articles se terminent par des appels à « la fidélité et à l’abstinence ». L’analyse de ces articles montre que ce n’est pas tellement la mort qui pose problème avec cette maladie mais plutôt l’exclusion qu’elle engendre. En effet, la mort est considérée dans la société malgache comme l’accès au statut respecté d’ancêtre et n’est donc pas perçue comme un événement dramatique. Par contre, le sida reste une maladie honteuse, que l’on cache non seulement à ses proches mais aussi à la société. Un médecin de l’Association Sisal explique le choix d’implanter un centre de prévention dans un quartier populaire de la capitale par un souci de discrétion : « On a choisi la stratégie d’être un peu discret […] pour que les gens ne soient pas gênés d’aller dans le centre ». (Agence Française de Développement ; Solidarité Sida : juin 2010). Alors parler ouvertement de sa séropositivité revient à faire preuve de « courage » et de « bravoure » (Réseau des femmes parlementaires francophones : 2005). Ces discours illustrent bien ces « mythes sociaux » dont parle Barthes car le VIH/SIDA n’est plus une maladie mais une « guerre ».

18Si la méconnaissance des moyens de transmission du VIH/SIDA tend à se réduire, il n’est pas rare d’entendre encore que le virus peut se transmettre par les moustiques. De même, l’idée que le sida est une maladie importée, que seuls les étrangers peuvent attraper, est fortement ancrée dans la société malgache et la population ne voit donc pas toujours l’utilité du dépistage. Il n’y a d’ailleurs pas de terme malgache pour dire « sida » et seul le mot en français est utilisé. Le mot « préservatif » est souvent remplacé dans la presse écrite par le mot anglais « condom », alors que le mot en malgache « kapaoty », présent sur les affiches de prévention, est absent des articles étudiés.

19Enfin, le faible nombre de personnes qui se fait dépister n’est pas à mettre sur le compte du manque de centres de dépistage (qui se sont multipliés dans l’île ces dernières années), mais sur la peur de la piqûre lors de la prise de sang car le dépistage salivaire, moins onéreux que la méthode sanguine mais tout aussi fiable, n’est pas encore généralisé à Madagascar.

La réponse des messages de prévention

20À toutes ces représentations de la maladie et du malade à Madagascar, quelles réponses apportent les messages de prévention au VIH/SIDA ? Alors que les termes de la presse écrite renvoient au champ lexical de la guerre pour parler de lutte contre la maladie, les images de prévention utilisées sont, elles, beaucoup moins combatives avec des photographies montrant des familles et des amis très unis et souriants.

21Outre les nombreux documentaires produits par des organisations internationales à destination des populations malgaches, deux films de fiction ont été conçus et réalisés localement. Le premier est un moyen-métrage de quarante-sept minutes intitulé Liza. Il est signé par Ignace Solo Randrasana en 1995. Il a été initié par le docteur Jean-Louis Lesbordes, médecin français officiant pendant cinq ans à l’hôpital de Soavinandriana d’Antananarivo, et financé par la Mission Française de Coopération, l’Alliance Française et le Programme de Lutte contre les MST/SIDA. Liza est l’histoire d’une jeune fille originaire de la campagne, qui épouse un riche homme de la ville plus âgé qu’elle. Un jour, elle le surprend avec une autre femme et décide de le quitter. Elle rejoint un musicien auprès duquel elle devient une chanteuse internationalement reconnue. Mais le succès la change et elle multiplie les liaisons amoureuses. Un jour, peu avant d’entrer sur scène, elle fait un malaise. Les examens médicaux lui révèlent sa séropositivité. Elle décide de cacher sa maladie aux médias et de continuer à chanter jusqu’à sa mort.

22Dix ans plus tard, un second film de fiction sur le thème du VIH/SIDA a été produit à Madagascar. « Vero sy Haingo » est un long-métrage de soixante-treize minutes co-réalisé en 2004 par Patrick Vergeynst et Anil Kessavdjee pour le compte de l’UNESCO. Il raconte le parcours très différent de deux sœurs, Vero et Haingo, qui rêvent d’une vie meilleure que celle de leurs parents, dont le père est au chômage et la mère élève cinq enfants. La cadette, Vero, décide de réussir ses études afin de devenir institutrice. L’aînée, Haingo, rêve d’argent facile, et, entraînée par son cousin, elle se prostitue. Mais un jour, elle tombe enceinte et découvre sa séropositivité. Honteuse, elle décide de ne plus rentrer chez ses parents. Finalement, son père la retrouve et lui pardonne.

23Ces fictions ont toutes les deux été adaptées en bandes dessinées et en cassettes vidéos afin d’être gratuitement et largement diffusés sur l’ensemble du territoire malgache. De même, elles ont fait l’objet de deux versions, l’une en français, l’autre en malgache. La seconde version étant plus longue que la première pour, selon le réalisateur Ignace Solo Randrasana, « permettre au public malgache d’assimiler les discours par la répétition des images et des dialogues ». Ces deux films ont été tournés avec des comédiens amateurs. À l’inverse, les affiches de prévention utilisent l’image de personnalités du petit et du grand écran malgaches et des artistes locaux, ce qui parfois engendre la confusion : « elle fera un concert ici » a-t-on pu entendre à la vue d’une affiche de prévention mettant en scène une chanteuse malgache.

24Bien que tournées avec dix ans d’écart, ces deux films montrent que les représentations sur le VIH/SIDA n’ont guère changé. Tout d’abord, les personnages principaux sont des jeunes femmes qui contractent le VIH lors de relations sexuelles non protégées. Ce choix de mettre en avant des personnages féminins va dans le sens des données recueillies par les associations qui soulignent que la majorité des personnes séropositives sont des femmes à Madagascar comme en Afrique, non pas parce qu’elles sont plus à risque mais surtout parce qu’elles se font davantage dépister que les hommes.

25Ces fictions se déroulent en ville, dans la capitale malgache pour Liza et à Mahajunga, sur la côte ouest du pays pour le second. Les deux films ont choisi l’angle de la transmission par relation sexuelle, la plus fréquente à Madagascar, mais n’évoque aucun autre mode de transmission possible. Ils soulignent que ce sont les comportements et l’infidélité qui exposent au sida, relayant encore le message des églises. Cela est d’autant plus marqué dans Vero sy Haingo avec le pardon final accordé par le père de la jeune fille. De plus, le fait que les deux personnages atteints par le virus cachent leur séropositivité aux médias et à leur entourage renforce ce sentiment de honte vis-à-vis de la maladie.

26Liza se termine par une scène expliquant ce qu’est le VIH/SIDA tandis que la projection du film Very sy Haingo a été souvent suivie d’une distribution de préservatifs. Ainsi, loin d’aller à l’encontre des représentations culturelles liées au VIH/SIDA, ces deux œuvres de fiction confortent les « mythes » sociaux.

Quel avenir pour la prévention médiatique du VIH/SIDA à Madagascar ?

27Le VIH/SIDA n’est pas un sujet tabou à Madagascar. Au contraire, les hommes politiques et les médias se font les relais des discours de prévention. Des formations destinées aux professionnels de l’information sont même organisées afin de leur permettre de connaître cette maladie et d’ainsi mieux communiquer les méthodes de prévention à leurs lecteurs ou auditeurs. Néanmoins, leurs propos restent encore cloisonnés aux limites des « mythes » culturels communément admis dans la société malgache. Aucune image provocante ou à caractère sexuel n’est utilisée. L’analyse de ces discours sur le VIH/SIDA par le biais d’une approche sémiotique a permis de se rendre compte de l’usage d’un vocabulaire presque exclusivement lié au registre lexical de la guerre. De plus, il est à souligner l’emploi fréquent d’emprunts étrangers pour désigner la pandémie, alimentant encore le mythe d’une maladie importée, mais aussi la concomitance entre la maladie et l’affect par des occurrences appartenant au champ lexical des émotions et des valeurs (religieuses par exemple). Ainsi, les messages de prévention devraient veiller à la signifiance du vocabulaire, et notamment à ses représentations, car le changement des comportements à risques viendra aussi d’une adaptation du langage. La sémiologie culturelle permet ainsi de mettre en lumière l’importance du contexte et de l’étude des mythes sociaux, préalables à l’élaboration de tous messages de prévention.

28De plus, les supports de communication sont également à prendre en compte dans cette élaboration des messages de prévention. Comme Barthes le rappelle, chaque média possède son propre « langage » ou « grammaire » qui recouvre à la fois des codes techniques et symboliques. Il convient donc considérer ce que dit le message, dans quel contexte il est produit mais également comment le message est formulé. Barthes a démontré le triple discours contenu dans l’image publicitaire, un message à la fois plastique, linguistique et symbolique. L’image cinématographique possède aussi un impact plus grand car elle est perçue instantanément. En raison de sa polysémie, le discours verbal doit alors guider la compréhension afin que le message de prévention ne soit pas déformé. Ainsi, le texte sert à abolir la subjectivité de l’image. Il peut également ajouter une valeur affective au message, prenant également une valeur symbolique. Cette chaîne sémiologique construit le « mythe » selon Barthes qui souligne enfin l’absence d’arbitraire dans la construction des mythes sociaux :

« Tout système sémiologique est un système de valeurs ; or le consommateur du mythe prend la signification pour un système de faits : le mythe est lu comme un système factuel alors qu’il n’est qu’un système sémiologique » (Barthes 1957 : 204).

29Dans cette étude empirique, j’ai souhaité interroger l’importance du discours publique sur le VIH/SIDA qui souvent fabrique et diffuse ces « mythes », participant alors, non plus à la prévention, mais à la désinformation autour de cette pandémie. En effet, le mythe s’adapte à son récepteur car « le caractère fondamental du concept mythique, c’est d’être approprié ». (Barthes 1957 : 192).

30Dans ce travail, j’ai choisi de me focaliser sur les discours médiatiques (presse et cinéma), laissant de côté les discours privés. Cette étude pourrait donc être prolongée par l’analyse des messages de prévention au sein d’une famille ou d’un groupe social défini. Madagascar est une société matriarcale. Les femmes pourraient ainsi jouer un rôle non négligeable dans la diffusion des messages de prévention auprès de leurs enfants ou de leur cercle amical.

31Par ailleurs, dans ce travail, je suis partie du postulat que le chiffre de 1 % pour le taux de prévalence au VIH/SIDA à Madagascar était sous-estimé. Même s’il est compliqué d’obtenir des chiffres fiables, l’augmentation des personnes infectées est, elle, bien réelle. De ce fait, dans les années qui viennent, la prévention devra aussi développer de nouveaux outils pour toucher toutes les populations qui composent la société malgache. Une des pistes envisagées est la diffusion de messages personnalisés via les téléphones portables et les messageries électroniques. En effet, les nouveaux médias commencent à se généraliser dans les villes et pourraient permettre de relayer des messages de prévention ciblés pour que chacun puissent s’informer plus facilement sur cette maladie et ses moyens de transmission. Les discours relayés entre amis ou parents pourraient alors avoir un impact beaucoup plus grands que les messages officiels.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Karine Blanchon, « Représentations du sida dans les discours médiatiques à Madagascar »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 6 | 2015, mis en ligne le 23 janvier 2015, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/1375 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.1375

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Karine Blanchon

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