Ngono Simon. Médias audiovisuels et tolérance administrative au Cameroun : enjeux communicationnels et logiques d’acteurs
Ngono Simon. Médias audiovisuels et tolérance administrative au Cameroun : Enjeux communicationnels et logiques d’acteurs. Paris : L’Harmattan, 2021. ISBN : 978-2-343-23217-1 Prix : 20,50 €
Texte intégral
- 1 Pour Boyomo Assala Laurent Charles, c’est le fait en droit camerounais de la communication d’attrib (...)
1D’acception doctrinale et au « sexe juridique1 » indéterminé, la tolérance administrative a su s’imposer en droit camerounais de la communication, comme une notion cardinale de gouvernance médiatique. Lorsque certains y perçoivent une magnanimité de l’Etat à laisser fonctionner, bon nombre d’entreprises médiatiques en toute illégalité, Simon Ngono, par contre, y décèle une incongruité juridique dans l’encadrement du secteur de l’audiovisuel privé camerounais, qu’il qualifie « d’inceste ». À ce titre, au-delà d’une apparence de permissivité du régime gouvernant, la tolérance administrative fait figure, d’artefact juridique de contrôle de la liberté de communication dans le secteur des médias audiovisuels privés.
- 2 Cette expression est utilisée dans le sens de Foucault Michel comme un mode ou une technique d’exer (...)
2En effet, les enjeux sournois que pose cette notion vont bien au-delà d’un simple aménagement du secteur audiovisuel, pour se hisser en un éthos de gouvernementalité2 politique, socio-économique du pays. Au fond, « Médias et tolérance administrative au Cameroun. Enjeux communicationnels et logiques d’acteurs » s’est donné pour finalité de se saisir du droit positif applicable en matière de régulation des médias, tout en disséquant la question de tolérance administrative à travers « les ruses, les pratiques et les usages politiques » qu’elle met en lumière.
3Dans cette perspective, Ngono structure son argumentaire autour de six chapitres. Le premier chapitre aborde au moyen d’une lecture philosophique, juridique et gouvernementale, le sens à donner à la tolérance administrative. S’appuyant sur l’ensemble des textes juridiques en vigueur dans le secteur médiatique, le deuxième chapitre présente, le cadre légal et règlementaire de l’activité médiatique avec en toile de fond, la connivence entre le régime politique et le régime de la presse dans un pays. Le chapitre trois pour sa part, liste les conditions relatives à la création et au fonctionnement d’un média audiovisuel ; tout en faisant une critique des exigences financières et procédurales nécessaires avant l’ouverture d’une chaîne de radio ou de télévision. Pour ce qui est des chapitres cinq et six, lorsque l’un procède à une identification de l’usage fait de la tolérance administrative, dans un but d’intimidation et de musèlement des médias, aux lignes éditoriales situées « aux antipodes des attentes étatiques » ; l’autre questionne, les difficultés inhérentes à un possible retour à l’orthodoxie dans le secteur de l’audiovisuel camerounais.
- 3 Tjadè Èone, M. (2001). Démonopolisation, libéralisation et liberté de communication au Cameroun. Av (...)
4Il convient de préciser que l’émergence de la tolérance administrative au sein de l’espace public médiatique est consubstantielle à l’avènement du processus de « démonopolisation, libéralisation3 » du champ de la communication audiovisuel camerounais entamé à la fin de la décennie 80. Ainsi, au moment où la loi N° 90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale est adoptée, il aura fallu attendre dix ans plus tard pour voir son décret d’application signé par les autorités. Dès lors, face à ce silence juridique suspect de l’administration, des promoteurs privés s’investiront dans l’entrepreneuriat médiatique à travers l’ouverture de chaînes de radios et de télévisions. C’est ainsi que le ton est donné par Radio Reine, Radio Dana et Radio-Télévision Siantou.
5Une fois, le décret N° 2000/153 du 3 avril 2000 fixant les conditions et les modalités de création et d’exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelle adopté ; les promoteurs devaient en principe, se conformer à la loi afin de s’arrimer, au cadre juridique désormais en vigueur. Tout au contraire, ils continueront de fonctionner non sans avoir satisfait aux exigences légales nécessaires avant toute activité audiovisuelle (Licence d’exploitation, etc.). Et à leur suite, d’autres médias audiovisuels privés verront le jour. De fait, c’est dire que toutes ces structures médiatiques fonctionnent pour la plupart dans l’illégalité, et en marge de la législation en la matière. Par conséquent, de droit, si les organes de régulation audiovisuelle n’ont pas daigné interdire leur activité, c’est dire qu’ils la cautionnent par une posture résiliente et de silence. C’est la tolérance administrative médiatique.
- 4 Bopda, A. (2019, 16-20 juillet). Mobilités précaires et territoires rugueux [Communication]. Intern (...)
- 5 Ebanda, F. (2020). Le Conseil National de la Communication du Cameroun et ses décisions : une théor (...)
6À cet effet, outre les tracasseries administratives relatives au dossier et les coûts prohibitifs liés à l’ouverture d’une chaîne de télévision ou de radiodiffusion sonore privée, soit respectivement 100 millions de FCFA et 50 millions de FCFA ; viennent également se greffer les exigences asphyxiantes liées à l’entretien des locaux, des équipements, au fisc et aux salaires. Le tout couronné par une conjoncture de crises à répétitions, plombant alors l’économique nationale dans « un espace de rugosité et de précarité4 » ambiante. Comment est-ce que face à un tel contexte, les promoteurs d’entreprises audiovisuelles privées ne seraient-ils pas enclins à la désobéissance au droit camerounais de la communication5 ? Ou plutôt, délaisseraient-ils la « clémence » de l’administration à leur profit pour se conformer au droit applicable ?
- 6 (Tjadè Èone, 2001). op. cit.
7Du coup, pour Simon Ngono toutes ces pesanteurs qui jalonnent l’univers médiatique, s’illustrent comme « des entraves sournoises et souterraines6 » que mobilisent le pouvoir de Yaoundé pour tenir en laisse les promoteurs du paysage audiovisuel privé.
8Ainsi, à qui profite le crime peut-on se demander ? cet ouvrage postule que l’Etat apparait comme le principal bénéficiaire de la tolérance administrative dans le secteur de l’audiovisuel, eu égard aux enjeux entre autres de stabilité sociale, de contrôle des médias et de dispositif de pouvoir dont-il tire avantage. Pour preuve, lorsqu’un média devient un peu trop critique vis-à-vis du pouvoir, les structures de gouvernance du secteur médiatique n’hésitent pas à recourir à la fermeture de celui-ci au motif d’un « exercice illégale de la profession ». Dans ce cas de figure, la tolérance administrative est rendue inopérante comme l’indiquent les épisodes des fermetures en cascades des médias tels que : Freedom FM, Magic FM, Equinoxe, Sky one Radio, etc. Bien plus, son application à géométrie variable vient conforter l’ambivalence des interactions discursives, entre acteurs politiques et médiatiques. Ici, l’on réprime la violation de la loi, là, l’on la tolère sans raison objective.
- 7 Abe, C. (2015). L’esprit de l’article 66 a été trahi. La Météo [entretien]. http://www.camer.be/479 (...)
- 8 Pour Goffman Erving, le monde social est une succession de gestes, de paroles, de stratégies que le (...)
9Pourtant, force est de souligner que les membres du gouvernement, ayant succédé ces vingt dernières années à la tête du ministère de la Communication, nourrissent tous l’ambition, dès la prise de leurs fonctions, de rétablir l’ordre et la discipline dans le secteur de l’audiovisuel privé au Cameroun. Seulement, les actions ne précèdent pas les paroles. Or, Albert Camus ne soulignait-il pas qu’on ne peut point dévoiler qu’en projetant de changer ? Ngono inscrit cet écart entre le dire et le faire, à la suite de Claude Abe, dans « des gesticulations institutionnelles7 » mieux une « mise en scène8 » de la part des gouvernants.
- 9 Bourdieu, P. (1990). Droit et passe-droit [Le champ des pouvoirs territoriaux et la mise en œuvre d (...)
- 10 (Ebanda, 2020) op. cit.
10In fine, il ressort que Simon Ngono a omis que le jeu avec la règle fait partie intégrante de la règle de jeu ainsi que le souligne Pierre Bourdieu.9 Que ce soit, la non-consécration textuelle de la tolérance administrative comme principe de gestion du secteur audiovisuel privé, ou son application à géométrie variable ; « c’est fonction des intérêts et des “habitus” des agents qui détiennent le monopole de la mise en œuvre de la norme, que son application peut être une dérogation, un “passe-droit” ou alors une transgression pure et simple.10 » En d’autres termes, le retour à l’orthodoxie, certes, n’est pas chose évidente, mais possible, fonction de la volonté de la puissance publique à faire régner l’ordre et la discipline dans le secteur audiovisuel privé camerounais.
11Au demeurant, cette analyse riche d’enseignements se veut une œillère scientifique à partir de laquelle, la tolérance administrative à l’œuvre, dans le paysage médiatico-socio-politique camerounais se doit-être saisie. L’auteur adresse cet objet dans une trajectoire d’interdisciplinarité propre aux Sciences de l’Information et de la Communication. Dès lors, l’imbrication entre l’Histoire politique, la Sociologie, le Droit et les Sciences de l’information et de la communication constitue le terreau disciplinaire qui participe, de la pertinence de cette réflexion qui, suscitera, pourquoi pas, de nouveaux angles de lecture de l’espace public médiatique camerounais.
12Cet ouvrage constitue donc pour les chercheurs en Sciences Humaines et Sociales en général et ceux des Sciences de l’Information et de la Communication en particulier, une source indéniable d’informations afin de décrypter l’univers camerounais de la communication. De manière concrète, il documente l’analyse sociologique et même juridique de la presse en inscrivant la perception critique du recours à la tolérance administrative comme un mode de gouvernance du paysage audiovisuel privé camerounais.
Notes
1 Pour Boyomo Assala Laurent Charles, c’est le fait en droit camerounais de la communication d’attribuer un sens précis à une catégorie ou à un objet juridique donné. C’est le cas de la définition textuelle du journaliste, de la carte de presse, de l’entreprise de presse etc.
2 Cette expression est utilisée dans le sens de Foucault Michel comme un mode ou une technique d’exercice du pouvoir par l’État sur les populations. Ainsi, dans la perspective de Ngono Simon d’autres secteurs à l’instar de l’hôtellerie, la santé, l’éducation et la religion sont sous le coup de l’illégalité, et partant bénéficient de la tolérance administrative.
3 Tjadè Èone, M. (2001). Démonopolisation, libéralisation et liberté de communication au Cameroun. Avancées et reculades.
4 Bopda, A. (2019, 16-20 juillet). Mobilités précaires et territoires rugueux [Communication]. International Conférences Fabien Eboussi Boulaga≠1 « Insecurity and precarity in Africa », ESSTIC-Yaoundé.
5 Ebanda, F. (2020). Le Conseil National de la Communication du Cameroun et ses décisions : une théorie de la désobéissance au droit [Mémoire de Master-SIC]. Université de Yaoundé 2-ESSTIC.
6 (Tjadè Èone, 2001). op. cit.
7 Abe, C. (2015). L’esprit de l’article 66 a été trahi. La Météo [entretien]. http://www.camer.be/47969/6:1/cameroun-claude-abe-sociopolitiste-lesprit-de-larticle-66-a-ete-trahi-cameroon.html.
8 Pour Goffman Erving, le monde social est une succession de gestes, de paroles, de stratégies que les acteurs sociaux mobilisent pour une présentation de soi. Ainsi, dans « la mise en scène de la vie quotidienne », « l’acteur doit agir de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en retirer une certaine impression ».
9 Bourdieu, P. (1990). Droit et passe-droit [Le champ des pouvoirs territoriaux et la mise en œuvre des règlements]. Actes de la recherche en sciences sociales, 81(1), 86-96.
10 (Ebanda, 2020) op. cit.
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Référence électronique
Ebanda Francis, « Ngono Simon. Médias audiovisuels et tolérance administrative au Cameroun : enjeux communicationnels et logiques d’acteurs », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 25 | 2022, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/13739 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.13739
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