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Kintz Salomé (dir.). Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque

Villeurbanne : Presses de l’École Nationale Supérieure Sciences Information et Bibliothèques, 2020
Yves Laberge
Référence(s) :

Kintz Salomé (dir.). Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque. Villeurbanne : Presses de l’École Nationale Supérieure Sciences Information et Bibliothèques, 2020. ISBN : 978-2-37546-120-4 Prix : 22 €

Texte intégral

1L’éducation aux médias a bien évolué depuis seulement deux décennies, et le paysage médiatique a beaucoup changé également, que ce soit en France ou ailleurs. Au tournant du siècle, à l’époque de la « Media Literacy », les chercheurs se concentraient sur la télévision et la presse écrite ; mais avec l’avènement des médias sociaux, tous nos repères — comme les règles implicites, l’éthique, les modes de régulation et les frontières entre les sources fiables et les autres — ont considérablement changé, et le nombre de joueurs, c’est-à-dire la quantité de sources d’information, a probablement décuplé. Il existe désormais des espaces non-contrôlés, des zones virtuelles non-régulées. Plus que jamais, avec Internet, le meilleur peut parfois côtoyer le pire.

2Pour la définir brièvement, l’éducation aux médias veut guider les jeunes et les apprenants en général à utiliser les médias tout en prévenant les risques d’être bernés, manipulés ou exploités. Autrement dit, l’éducation aux médias incite les usagers des médias de toutes sortes à départager le vrai du faux, l’impartial du tendancieux, et le réel face au non-avéré. Dans les pays occidentaux, l’éducation aux médias s’adresse surtout aux écoliers et aux étudiants ; mais il faudrait aussi inclure les personnes provenant d’autres cultures ou de régimes totalitaires; là où, trop souvent, l’information est contrôlée uniquement par les pouvoirs politiques et/ou religieux, et où la diversité des points de vue est rendue impossible en raison de la mainmise de ces systèmes autoritaires. C’est précisément l’accès à des perspectives diversifiées qui permet une saine démocratie, où chaque citoyen peut se forger une opinion après avoir considéré des points de vue divergents. De nos jours, poser une question sur un quelconque moteur de recherche n’est plus un moyen facile et rapide de trouver des informations validées et des réponses si l’on est vraiment sérieux ; cela n’a jamais vraiment été le cas, car la recherche est exigeante et les pièges sont nombreux. C’est pour redonner quelques balises aux publics non-initiés que Salomé Kintz a convoqué les 19 chapitres de cet ouvrage de référence, à la fois guide et manuel, afin de mieux vivre avec les médias, pour pouvoir gagner en autonomie et se prémunir contre l’information tendancieuse, les fausses nouvelles, la désinformation, la censure et toutes les formes subtiles de contrevérité.

3Subdivisé en trois parties, le livre Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque procède d’une manière originale — et j’ajouterais même « démocratique » — en impliquant la bibliothèque (ou médiathèque) dans le processus de compréhension, de critique et d’éducation aux médias, au lieu de limiter le lectorat aux seuls experts et étudiants des domaines des sciences de l’information et de la communication. S’assurer de la véracité de l’information est l’affaire de tous, et pas seulement des journalistes ou des politiciens. Mais en outre, chaque citoyen a le droit d’accéder à une information authentique et exempte de censure; il ne devrait pas exister d’inégalités dans l’accès à une information juste.

4Dans sa présentation, Salomé Kintz rappelle le soutien et surtout la confiance accordée par une grande diversité de groupes et de citoyens aux bibliothèques, tout comme aux musées : ce sont indéniablement des « lieux de confiance des Français », peut-être davantage que les écoles ou les médias généralistes qui font souvent l’objet de critiques (p. 19). En ce sens, ces organismes (bibliothèques, musées) peuvent devenir des lieux privilégiés d’éducation aux médias et à l’information (ÉMI) et permettre des prises de conscience de toute une population face aux « vérités alternatives ». Ainsi, le savoir et l’information continue ne sont plus limités aux privilégiés ayant les moyens de fréquenter les lycées et les universités. C’est l’un des buts du présent ouvrage voulant valoriser les initiatives éducatives proposées par certaines bibliothèques mais qui restent encore trop méconnues.

5Le chapitre d’ouverture de Pascal Froissart esquisse une conceptualisation du syntagme de « Fake News », qu’il distingue de certains termes voisins comme « intox », « désinformation », « canular », « rumeur », etc. (p. 27). D’ailleurs, l’idée même de « Fake News » ne saurait être réduite à sa traduction littérale de « fausse nouvelle », dans la mesure où il y a dans les « Fake News » une intention malfaisante, une stratégie délibérée d’induire en erreur, ce qui la rendrait beaucoup plus proche de la désinformation, qui fabrique de toutes pièces des événements n’ayant jamais eu lieu. S’inspirant des travaux théoriques en sociologie des médias et en communication politique, Pascal Froissart s’intéresse aux modes de diffusion et de validation des « Fake News » dans les médias généraux et le mainstream, notamment par la citation et même le démenti, par exemple sur des chaînes généralistes ou sur la télévision d’État : ainsi, telle information fausse, circulant dans les médias sociaux et suscitant des doutes, voire la controverse, a par la suite été démentie par le gouvernement, ce qui aux yeux de certains esprits sceptiques rendrait cette information pourtant non-avérée et non-vérifiée comme étant automatiquement crédible, en suivant le raisonnement irréfléchi voulant que « si le gouvernement prend la peine d’apporter un démenti, c’est que c’est vrai et qu’ils veulent nier leurs erreurs ». Ainsi sont colportées les « Fake News » auprès d’un auditoire plus large et au-delà du cercle plus restreint des réseaux des médias sociaux; même en étant invalidées et décriées, celles-ci font leur chemin et peuvent rejoindre d’autres publics. Enfin, Pascal Froissart conclut sa démonstration en se demandant à qui profite la désinformation et les « Fake News »? À qui le crime profite-t-il? La réponse courte serait : à ceux qui propagent ces informations fausses ou vides de sens. Sur Internet, il existerait un marché très lucratif des clics des internautes sur les sites qui hébergent ce type de contenus douteux; ce sont les usagers et les personnes voulant vérifier à la source des informations invraisemblables qui contribueraient — inconsciemment — à propager à très large échelle ces informations fautives ou farfelues, toutes ces rumeurs et autres inventions de toutes pièces (p. 37). Et paradoxalement, pour beaucoup de gens, le nombre de clics recueillis deviendrait une confirmation de l’intérêt, voire de la véracité de cette fausse nouvelle.

6D’autres aspects sociologiques sont abordés dans les chapitres subséquents. Selon Sophie Jehel, le problème de la désinformation serait aggravé par un sentiment largement répandu : le manque d’adhésion des jeunes face aux médias confirmés; cette défiance chez beaucoup d’adolescents constitue une partie de l’explication pour comprendre pourquoi une portion significative des auditoires contestent ou rejettent les informations vérifiées et validées fournies par les réseaux socio-numériques (RSN) et les sources officielles (p. 54). Inversement, ces auditoires défiants fonctionneraient à l’opposé du bon sens et ainsi, les thèses complotistes sont validées et suscitent l’adhésion de plusieurs de ces jeunes incrédules; comme toujours, l’ignorance peut mener aux pires dérives chez ceux qui croient fermement détenir la vérité (p. 65).

7Rappelant quelques principes fondamentaux d’éducation civique et citoyenne, la sociologue Raphaëlle Bats réaffirme avec conviction la nécessité pour les bibliothèques de servir non seulement de lieu d’émancipation et promouvant la liberté d’expression, mais aussi de site d’accès à une information juste et fiable, dans un esprit « de laïcité, pluralisme » (p. 86). On sent que ces lieux au potentiel si riche sont sous-exploités.

8Plus pratique, la partie centrale de l’ouvrage présente une série de stratégies, ateliers (sur « Info-intox », p. 111), animations et médiations scientifiques afin de décoder et de désamorcer les « Fake News », et beaucoup de ces initiatives se produisent dans un espace neutre, hors des collèges et des lycées : dans les bibliothèques et médiathèques, aux côtés de « monsieur et madame tout le monde » (p. 111).

9La section finale expose des expériences concrètes de l’usage de la bibliothèque — publique ou universitaire — comme une ressource privilégiée d’animation et/ou de consultation pour une variété de pratiques et par différents types d’usagers ou de professionnels. Ainsi, une animatrice de Radio-France témoigne de son usage régulier d’une bibliothèque publique afin de préparer des émissions littéraires destinées au grand public (p. 201).

10Les nombreuses annexes sont appréciables et concises. Une bibliographie minimale d’une seule page — centrée sur des parutions de France, cependant — complétée par quelques suggestions de sites Internet fiables, suivies d’un glossaire des termes employés (allant de « actualité froide » et « actualité chaude » à « Viralité » et « Web Literacy ») complètent utilement l’ouvrage. Il ne manquerait à la liste des termes réunis que quelques concepts de base comme « idéologie », « mésinformation » et « propagande ». Mais cette remarque n’est pas vraiment un reproche; même les meilleurs glossaires sembleront toujours trop brefs aux yeux des universitaires.

11Difficile à trouver en librairie, ce livre des Presses de l'ENSSIB sera indispensable aux enseignants, aux étudiants de licence, aux bibliothèques publiques car il se veut un outil de vulgarisation et d’éducation populaire. Ici, pas de jargon, pas de théories sémiologiques indéchiffrables, mais uniquement des argumentations claires et concrètes pour déjouer les messages pernicieux. En ce sens, on imaginerait très bien ce livre de la collection « La Boîte à outils » dans la bibliographie d’un cours en bibliothéconomie, en philosophie de la connaissance, en éducation civique ou en sociologie des médias. En somme, Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque est une réussite et une ressource à privilégier dans le domaine de l’éducation aux médias. L’ouvrage est disponible à un coût moindre en version pdf ; mais ce serait se priver d’une belle édition de format moyen, que l’on voudrait conserver près de soi à tout moment.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Yves Laberge, « Kintz Salomé (dir.). Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 25 | 2022, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/13685 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.13685

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Auteur

Yves Laberge

Ph.D., Centre ÉRE, Université du Québec

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CC-BY-NC-SA-4.0

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