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Dossier

Le numérique questionné par l’éthique située des écologies politiques

Éclairages par l’approche info-communicationnelle sur l’émergence de questionnements écologiques du numérique dans l’espace public français
Anh Ngoc Hoang, Sandra Mellot et Magali Prodhomme

Résumés

Cet article propose un questionnement éthique du numérique à partir de la dimension écologique. Pour ce faire, nous avançons l’hypothèse d’une force heuristique de l’approche des sciences de l’information et de la communication (SIC) en élaborant le « paradigme écologique », conçu ici à un double niveau : d’une part, la dimension écologique à l’épreuve de laquelle est soumis désormais le numérique. C’est l’avènement de ce que nous désignons par « l’hyperbien écologique »; d’autre part, l’approche des SIC appréhendée comme une épistémologie de nature écologique. En examinant les formulations et la circulation sociale du questionnement écologique du numérique dans l’espace public français (médiatique et culture- artistique), notre travail entend apporter une réflexion structurante en articulant le numérique, l’éthique et l’écologie. Ainsi, tout en participant aux débats publics sur la question écologique du numérique, notre investigation ambitionne de poursuivre, à nouveaux frais, les discussions de fond sur l’épistémisation des SIC.

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Texte intégral

1Cette étude s’inscrit dans un effort collectif pour « questionner l’éthique à partir des Sciences de l’information et de la communication (SIC), et en contexte numérique » (Groupe sur l’Éthique et le Numérique en Information-Communication, 2021). En effet, en partant d’« un nécessaire questionnement éthique sur la recherche à l’ère des Digital Studies » (Domenget et Wilhelm, 2017), Domenget et Wilhelm ont conduit, dans le cadre du projet PERL (Projet sur l’Éthique de la recherche en ligne) pour le compte de la Société Française des SIC (SFSIC), une enquête auprès des chercheur·e·s en SIC pour « mettre en débat » leur « positionnement vis-à-vis de nombreux principes éthiques, mais aussi la légitimité de la SFSIC à intervenir sur ces questions » (Domenget et Wilhelm, 2018, p. 102). Pour faire écho à l’une des orientations tirées de ce projet PERL, à savoir celle « d’ancrer le travail dans une approche interdisciplinaire et de respecter le cadre situé de chaque problématique éthique » (ibid. p. 109), nous proposons d’appréhender la question éthique du numérique dans une optique particulière : le questionnement écologique porté sur le numérique, qui est examiné, non pas en tant qu’instrument, méthode ou terrain, mais comme un objet d’investigation.

2En effet, notre projet de recherche s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle l’approche des SIC est en mesure d’apporter des éclairages spécifiques au questionnement éthique du numérique à partir de ce que nous désignons par le « paradigme écologique ». Le « paradigme écologique », est entendu ici à un double niveau : d’une part, la dimension écologique à l’épreuve de laquelle est soumis désormais le numérique ; de l’autre, l’approche des SIC appréhendée comme une épistémologie de nature « écologique ».

3Ainsi, ce « paradigme écologique » vise un double objectif articulé de manière étroite : d’un côté, dans le sillage de la communication environnementale, nous entendons prendre part aux débats publics portant sur les enjeux écologiques du numérique, et, par le même mouvement, nous cherchons à participer aussi aux questionnements éthiques de nos sociétés contemporaines, car « la crise écologique est « une crise tout à la fois morale, scientifique et politique » (Hache, 2011, p. 8. Nous soulignons). De l’autre, ce travail est aussi une tentative de poursuivre, à nouveaux frais, les discussions de fond sur l’épistémisation des SIC à l’aune de la pensée écologique (Bernard, 2018).

4Avant de poursuivre l’élaboration de notre problématique dans cette étude, il importe de souligner la distinction à établir entre « éthique » et « morale », telle qu’elle a été proposée par Paul Ricœur ([1990], 2015). En effet, dans l’héritage aristotélicien, l’« éthique » est caractérisée par sa perspective téléologique et elle signifie la visée d’une « vie bonne », accomplie sous le signe des actions estimées bonnes ; dans l’héritage kantien, la « morale » est définie par le caractère d’obligation de la norme, donc par un point de vue déontologique, et elle renvoie à des normes, des obligations, des interdictions, caractérisées à la fois par une exigence d’universalité et par un effet de contrainte (Ricœur, 2015, p. 200). Cette distinction nous sera éclairante par la suite pour saisir, dans l’analyse du phénomène du numérique, le caractère propre et l’imbrication de ces deux « pôles » de significations.

  • 1 Pour plus de détails, voir notre article intitulé « Le numérique à l’épreuve de l’écologie : la fab (...)

5Si nous soutenons le « paradigme écologique » comme une hypothèse d’analyse possible du numérique sous l’angle éthique, c’est sur la base de l’avènement d’un nouvel imaginaire social, à savoir l’« hyperbien écologique » un concept que nous avons forgé dans nos travaux récents (Hoang, Mellot et Prodhomme, 20221) en nous appuyant notamment sur les travaux de Charles Taylor (1998 ; 2004) et de Régis Debray (2020), et que nous pourrons résumer en trois points suivants.

6Premièrement, l’hyperbien écologique est un bien constitutif qui forme des sources éthiques majeures pour notre époque contemporaine : il détermine un cadre de référence pour définir ce qu’est une « vie bonne » qui est désormais celle où l’on agit à partir des « valeurs écologiques ». En plus, il fonde une nouvelle morale, traduite en normes, obligations, interdictions émergentes visant à défendre ces valeurs.

7Deuxièmement, comme tout bien constitutif, l’hyperbien écologique fournit une matrice d’identification à nos contemporains : l’identité individuelle et collective se construit désormais, pour beaucoup, en partie, sur la base des « valeurs écologiques ».

8Troisièmement, l’hyperbien écologique s’appuie sur et construit en même temps un nouvel imaginaire social qui est conçu, selon Charles Taylor (2004), comme une compréhension commune qui rend possible des pratiques sociales en leur donnant sens.

9Dans cette perspective théorique, nous choisissons de prendre l’émergence des questionnements éthiques portant sur le numérique comme un élément privilégié de preuve de la manifestation de l’« hyberbien écologique ». Pour ce faire, nous optons pour la dimension de la formulation comme une problématique de notre enquête : « Comment sont formulés et circulent les questionnements éthiques portant sur le numérique à partir des enjeux écologiques » ?

10Appréhender les questionnements éthiques du numérique en termes de formulations des enjeux écologiques, c’est accorder, à la suite de Charles Taylor, une grande importance au lien entre les biens et les formulations car « les biens […] n’ont existence pour nous que grâce à une certaine formulation. […] Les gens d’une culture donnée disposent d’une vision du bien parce qu’ils l’expriment d’une certaine manière » (Taylor, 1998, p. 155). Dans cette perspective, notre analyse portera sur le processus de formulation et de circulation sociale des enjeux écologiques du numérique aujourd’hui. Nous chercherons donc à voir comment le numérique est problématisé, par différents acteurs, dans l’espace public français, par des formulations qui le font passer, pour reprendre le cadrage théorique de Bruno Latour, d’un « matter of fact » à un « matter of concern » (Latour, 2004).

11Ici, dans notre choix de l’approche info-communicationnelle, nous cherchons à articuler les éclairages théoriques en termes de « trivialité » (Jeanneret, 2008), de « ré-énonciation permanente » (Mitropoulou et Pignier, 2018) avec l’approche philosophique du pragmatisme de John Dewey formulée en « éthique située » (Dewey, 2010), mais reformulée dans la philosophie des sciences par Émilie Hache (2011) et dans l’éthique située de l’intelligence artificielle par Manuel Zacklad et Antoinette Rouvroy (2021).

12En effet, il s’agit d’examiner le processus dans lequel des textes, au sens large de ce terme, qui sont des formulations de questionnements écologiques du numérique, circulent à travers des espaces sociaux, par le jeu et les enjeux des différents acteurs. Cette dynamique de circulation transformative et créative des énoncés dans la société est ce que Jeanneret nomme la « trivialité » (Jeanneret, 2008), que Mitropoulou et Pignier reformulent dans ces termes :

[…] les textes au sens large d’énoncés artistiques, informatifs ou relevant de tout autre type de discours se ré-énoncent au fil de leurs circulations au sein de la vie sociale. Cette ré-énonciation permanente réoriente potentiellement l’expérience que nous pouvons en faire(Mitropoulou et Pignier, 2018, p. 8).

13Ces acteurs constituent le public au sens de Dewey, conçu comme « une communauté agissante », et caractérisé par « le fait de se sentir concerné par un problème commun et de souhaiter se mobiliser pour en trouver la solution » (Zacklad et Rouvroy, 2021, p. 6). Ici, l’approche de l’éthique située basée sur le pragmatisme deweyien qui interdit de séparer à la fois le « royaume des valeurs » du « monde des faits », et les fins des moyens, amène donc à « prendre en compte les questions de participation [du public] dans la définition même des problèmes à traiter » (Zacklad et Rouvroy, Ibid.). Le caractère « situé » de l’éthique deweyienne vient de l’importance capitale que le philosophe accorde à la « situation » (Dewey, [1938] 1967, p. 127-128).

14La prise en compte de la situation permet une objectivation de conflits de valeurs autour du numérique, tels que les conflits de valeur entre les « biens écologiques » et d’autres biens portés par le « numérique », plus généralement entre l’« hyberbien écologique » et l’« hypersystème numérique » (Hoang, Mellot et Prodhomme, 2022, op. cit.). Nous montrerons donc que le numérique, étant initialement « un fait avéré faisant consensus », est devenu désormais « un problème intéressant et rassemblant des protagonistes hétérogènes » (Hache, 2011, p. 191).

  • 2 Le Dictionnaire de l’Académie française explique : « xiiie siècle, responsaule ; xive siècle, respo (...)

15Cette éthique située permet également d’analyser le numérique dans l’optique d’une « écologie pragmatiste » élaborée par Émilie Hache, qui propose « une pensée de l’expérience, du monde en train de se faire et une méthode pour l’accompagner » et qui articule la double dimension morale et politique dans une responsabilité écologique (Hache, op. cit., p. 13). Renouvelant la question de « responsabilité » chère à Hans Jonas dans l’éthique écologique (Principe de responsabilité, Jonas, 2013), Hache ne s’arrête pas à la question « qui est responsable ? », mais questionne « comment répondre ? » en revenant au sens étymologique du terme « responsabilité »2. D’où l’importance que Hache accorde, dans le sillage du pragmatisme deweyien, aux expérimentations politiques qui ne sont pas justement séparées de la morale.

16Ici, dans le cadre d’une réflexion en SIC, certains travaux récents apportent un éclairage significatif pour articuler l’éthique située deweyienne aux dispositifs numériques. À titre d’exemple, Zacklad et Rouvroy ont montré les « enjeux éthiques situés de l’IA » en cherchant à « remettre en cause les présupposés de scientificité et de neutralité axiologique qui justifient le recours à la technologie en ouvrant des espaces de controverses scientifiques et politiques masquées telles des boîtes noires, par les promoteurs de la technologie inéluctable » (Zacklad et Rouvroy, 2021, p. 11-12). Cette éthique située se différencie de l’approche éthique externaliste qui « sépare la question des valeurs de celle des faits » et qui envisage la valeur « sans prendre en compte les questions de participation dans la définition même des problèmes à traiter » (ibid. p. 5).

17Cet éclairage théorique nous paraît d’une grande signification pour saisir la portée éthique des expérimentations qui émergent actuellement dans nos sociétés contemporaines autour du numérique pour envisager ce qui est nommé par le « numérique responsable », ou la « sobriété numérique », voire la « dénumérisation », etc. Dans ces cas, la notion du « public » telle qu’elle est conçue par Dewey prend tout son sens : le public n’est pas réduit à la figure de simple consommateur, d’utilisateur ou d’usager du numérique. La question qui nous intéresse est donc d’appréhender comment des individus se rassemblent autour d’une « chose commune » (res publica), en l’occurrence autour des enjeux écologiques du numérique. Ainsi, l’enjeu consistera dans le fait de permettre aux parties prenantes du numérique de « construire les modalités de leur participation effective » (Zacklad et Rouvroy, op. cit. p. 6) à l’élaboration des nouveaux possibles dans leurs manières de concevoir et d’utiliser le numérique dans une perspective écologique.

18À cette étape de problématisation de notre travail, il importe de souligner la dimension de médiatisation que Zacklad et Rouvroy ont mise en avant dans la définition du « public » conçue par Dewey et formulée par Joelle Zask :

  • 3 Joelle Zask, « Le public chez Dewey : une union sociale plurielle », Tracés. Revue de Sciences huma (...)

Un public est l’ensemble des gens ayant un plein accès aux données concernant les affaires qui les concernent, formant des jugements communs quant à la conduite à tenir sur la base de ces données et jouissant de la possibilité de manifester ouvertement ses jugements. On doit lui reconnaître une autorité en la matière, un droit d’exercer son jugement et une grande liberté dans le choix des moyens nécessaires à le faire entendre : opinion publique, presse, Internet, associations, débats publics et ainsi de suite. L’autorité du public suppose donc une liberté d’enquête, une pleine information, une éducation appropriée pour acquérir la compétence d’évaluer les corpus documentaires, voire de les constituer, et des droits politiques garantis.3

  • 4 Ernst Haeckel, Generelle Morphologie der Organismen, Berlin, Reimer, t. I, 1866, p. 8. Cité par Hac (...)

19Enfin, nous aborderons, pour clore cette réflexion initiale à visée d’ancrage théorique, le « paradigme écologique » sous l’angle épistémologique des SIC. En effet, si l’écologie est définie comme une science « qui étudie les conditions d’existence des êtres vivants et les interactions de toutes sortes qui existent entre ces êtres vivants »4, l’idée centrale de relation entre des êtres, plus précisément, d’intérêt pour la coexistence entre des êtres hétérogènes et interdépendants, semble aussi caractéristique du regard épistémologique des SIC conçu souvent « à l’aune du paradigme de la complexité » (Monoyer-Smith, 2008). Formulé dans l’espace francophone à travers notamment des travaux de Morin et Le Moigne (2007), en termes de « complexité générale ou épistémique », ce paradigme a trouvé un écho particulier dans l’élaboration d’une « épistémologie complexe des SIC » depuis un certain temps : à travers la notion de composite (Joëlle Le Marec, 2003), ou le focus sur une relation spécifique (une attache) des SIC à l’objet technique, si bien qu’« elles construisent leur objet de recherche sur la complexité et l’hétérogénéité intrinsèque des objets sociotechniques autour et à travers lesquelles se constituent les pratiques sociales analysées » (Jean Davallon, 2004, p. 34). Ainsi, Monoyer-Smith soutient que « l’originalité des SIC réside dans leur aptitude à tisser des liens dans la complexité et l’hétérogénéité des technologies et des pratiques sociales afin de fournir un cadre d’analyse aux rapports de médiations qui structurent cette complexité » (Monoyer-Smith, op. cit. p. 6).

20Sur le plan épistémologique, en questionnant les enjeux écologiques du numérique sous l’angle de l’éthique située, notre étude s’inscrit dans une volonté partagée par des chercheurs en SIC qui choisissent d’affronter un défi pour dépasser des représentations de la recherche énoncées et ré-énoncées « dans les catégories de l’anthropocentrisme, du techno-centrisme et du naturo-centrisme » (Bernard, 2018, p. 59). Dans cette perspective, le questionnement que Mitropoulou et Pignier ont proposé en SIC sur « le sens au cœur des dispositifs et des environnements » offre un éclairage particulier : comment interroger « les conditions d’émergence du sens en interaction continue entre les signes et leurs milieux » (2018, p. 8). Ainsi, interroger la dimension écologique du numérique revient à faire le choix de porter l’attention aux liens qui relient le numérique à ses multiples environnements. Façonné dans les interactions permanentes avec les « milieux » qui l’habitent mais qu’il contribue aussi à façonner, le numérique est peut-être conçu comme un « être culturel » (Jeanneret, 2008) qui ne cesse de « bouger » dans nos imaginaires socio-historiques. Par conséquent, nous avançons qu’il y a une force heuristique de l’épistémologie complexe des SIC pour appréhender cet « objet flottant » (Coutant et Domenget, 2014) dans une attention particulière aux articulations et au reliant, notamment dans l’environnement médiatique et l’environnement artistique.

L’écologie du numérique dans l’espace médiatique et artistique : méthodologie et corpus

21Sur le plan méthodologique, nous nous focalisons sur une analyse socio-discursive pour appréhender le positionnement (Charaudeau, 2006) des acteurs médiatiques et artistiques et leurs rôles dans la médiation et médiatisation des enjeux écologiques du numérique. En effet, nous analyserons dans un premier temps comment ils sont formulés dans la presse quotidienne nationale (PQN) française autour de la « sobriété numérique ». Dans un deuxième temps, il s’agira d’appréhender comment l’espace artistique investit la problématique écologique du numérique.

22Nous choisissons donc de concentrer notre analyse sur ces deux espaces, médiatiques et artistiques, car nous pensons qu’ils constituent des acteurs de la médiatisation et de la médiation (des « communautés agissantes » selon Dewey [2010]) d’une éthique de l’écologie du numérique en construction dans des environnements différenciés. Ce choix est motivé par l’importance accordée entre 2019 et 2021 à cette question dans la PQN et dans les lieux de création numérique.

23En effet, aux côtés des acteurs sociaux et publics, aux effets de cadrage pressants sur ces normes à conduire pour rejoindre un numérique responsable (Hoang, Mellot et Prodhomme, op. cit.), s’ajoutent les médias et le secteur artistique participant au construit culturel d’une éthique écologique du numérique. La presse quotidienne nationale (PQN) dont l’implication particulièrement forte sur la thématique environnementale a fait récemment l’objet d’une étude de l’association Reporters d’Espoirs. En effet, le questionnement écologique porté sur le numérique n’échappe pas à une couverture médiatique qui, depuis deux ans environ, s’est accélérée à mesure que circulent les chiffres de l’impact carbone de la techno-sphère (Rapport Shift Project, 2021).

24Le secteur culturel et artistique amorce également ces dernières années l’analyse de son impact écologique au regard de ses pratiques technologiques. En témoigne l’étude sectorielle du Shift Project dont le rapport intermédiaire du 12 mai 2021 « Décarbonons la culture » montre la part croissante des nouvelles technologies dans les institutions dont les pratiques numériques de conception, de médiation et de diffusion sont plébiscitées par les instances décisionnelles. Outre les préconisations « classiques » adaptables à chaque secteur, des leviers d’actions spécifiques visent à questionner en profondeur les enjeux du numérique dans la culture en encourageant un ralentissement de l’« événementialisation de la culture et à une croissance permanente des jauges, des dispositifs techniques », mais aussi en proposant un « renoncement aux opportunités les plus carbonées [comme] la diffusion en UHD, 4K et 8K, la VR, le développement du cloud-gaming etc. ». Cette approche « décroissante » est mise en tension avec l’engagement politique d’un numérique « solutionniste » et l’engouement du public pour des pratiques culturelles consommatrices de nouvelles technologies.

  • 5 On note par exemple que l’article posté par Camille Pène en septembre 2021 sur LinkedIn, membre fon (...)

25Ce sont les associations, organisations non gouvernementales, acteurs de la société civile qui pressent le pas des médias et plus largement du secteur culturel et créatif à considérer les enjeux environnementaux du numérique comme un fait de société et, avec d’autres acteurs, à participer à une « ré-énonciation permanente » (Mitropolou et Pignier, 2018, p. 8). Le « numérique responsable », par stratégie d’irrigation discursive conduite par les acteurs sociaux et publics, devient donc un objet de valuation. Dewey définit par valuation la formation de valeurs liées à des désirs et une attention dans une situation problématique (Dewey, 2011)5. Il s’agit donc d’un objet qui fait question, qui est soumis au pragmatisme de l’attention et dont l’observation empirique permet de dégager le processus par lequel on se donne pour fin, ici, un numérique responsable et pour moyen, la sobriété numérique en tant que valeur. Priser le numérique responsable, c’est donc « apprécier » la valeur « sobriété numérique » comme « objet de désir » soutenu par l’horizon de l’hyperbien écologique en ce sens que la crise écologique est d’abord une crise de la sensibilité. Ce n’est pas tant la valeur en soi qui est questionnée mais bien le processus de valuation par lequel la valeur devient un objet d’enquête par nature sociale et est érigée comme objet de désir commun. « La fixation du désirable apparaît comme produit de « cette discussion avec la situation » (Renault, 2012) et permet sinon « la créativité de l’agir » (Joas, 1999), du moins de désigner « ce à quoi nous tenons » (Hache, 2011)

26Ce double procédé de valuation et de ré-énonciation notamment affecté à la norme émergente de la « sobriété numérique » amène à questionner les médias et les acteurs artistiques en tant que « communauté agissante » (Dewey 2010) et leur discours en tant qu’il participe de cette médiation de la valuation. Notre analyse vise donc ici à interroger la nature de cette médiation dans les discours de la PQN et des acteurs des arts et cultures numériques en France en considérant les éléments contextuels et interdiscursifs de la convocation de la « sobriété numérique », dans les articles et événements artistiques produits entre 2020 et 2021.

27Notre corpus est constitué d’une part de 22 articles issus de la PQN, extraits de la base Europresse par le filtrage des mots-clés « Sobriété numérique »/« Sobriété_ET_numérique » sur la période de juin 2020 à octobre 2021.

28Notre travail s’est inspiré des podcasts du Centre d’expérimentation en méthodes numériques pour les recherches en Sciences humaines et sociales (CERES) – une unité de service de la Faculté des Lettres de Sorbonne Université -, notamment pour la gestion des métadonnées6.

29Notre deuxième corpus est extrait d’une observation de la programmation des lieux référencés art et numérique. Les lieux dont la programmation entre 2019 et 2021 associent « écologie » et « numérique » sont retenus pour cette étude à savoir : Stereolux, laboratoire ArtsetTechs situé à Nantes, https://www.stereolux.org ; Le Cube, espace dédié aux arts numériques et à l’intérêt général à Issy-les-Moulineaux, https://lecube.com ; Mirage festival, festival de création artistique et des technologies, www.miragefestival.com/2019/le-festival ; Maintenant Festival, de l’association Electroni[k], festival dédié à la création artistique d’aujourd’hui dans les domaines du son, de l’image et des nouveaux médias, https://www.electroni-k.org/​association) ; Chroniques, biennales des imaginaires numériques, https://chroniques.org.

30L’analyse des discours, des scènes énonciatives (numériques et d’exposition) de ces deux communautés vise à comprendre comment les médias et les lieux de la culture numérique participent des mutations de l’agir humain par la promotion de normes de conduite, ici celle de la sobriété numérique, et de la fabrication d’une conscience écologique du numérique.

Formulation de l’éthique du numérique autour de la « sobriété numérique » dans l’espace médiatique français

31La référence à la « Sobriété » mobilisée dans les 22 articles de la PQN comme « valeur » montante des enjeux écologiques du numérique témoigne d’abord de sa prégnance significative dans les discours sociaux et politiques dont les médias rendent compte dans une forme dispersée qui vient mécaniquement placer cette nouvelle valeur sur le registre de la conflictualité. En ce sens, les médias participent de la construction culturelle d’une éthique du numérique en combinant différents plans de références qui organisent ce que nous appellerons le compromis. Il est repérable dans notre corpus à la fois dans la manière dont la convocation de la valeur sobriété numérique « s’affiche » en mode dispersé dans les médias mais également dans « les systèmes de justification » qui sont retenus et mis en conflit par le discours médiatique. Le discours de la PQN apparaît ici comme nécessaire à la recherche du compromis dont Ricœur rappelait le bien-fondé dans la recherche d’une éthique.

Médias et « sobriété numérique », à la recherche d’une éthique située du numérique

32Preuve de sa récente émergence, la « sobriété numérique » mobilise de plus en plus les colonnes de la presse quotidienne nationale amenée à se positionner sur un sujet émergent à l’intersection duquel se joue la confrontation de deux ordres de grandeurs : l’hyperbien écologique et l’hypersystème numérique. S’enquérir de ce qu’est ou de ce que représente la « sobriété numérique » dans le discours médiatique, c’est d’abord faire l’expérience, en tant que lecteur, d’un sujet ou d’un objet non situé et dispersé. Cette dispersion est visible à la fois dans la convocation formelle de la notion au sein du média (rubricage, spécialisation du journaliste, figures d’expertises) mais également dans le pluralisme de définitions et de justifications contextuelles qui accompagnent la médiation de sa valuation. Cette dispersion illustre selon nous un ancrage social encore flottant de cette valeur, médiatisée dans une grande variété de « situations », en même temps qu’une préoccupation à la faire exister dans le conflit.

33Cette dispersion s’observe sur plusieurs niveaux. En effet, la mention de la valeur « Sobriété numérique » révèle une grande hétérogénéité des rubriques organisant l’exploitation des articles qui s’y rapportent : Opinons (LaTribune.fr) ; Entretien (La Croix) ; Opinion-écologie (lesechos.fr) ; IdéesetDébats/Prospectives (Les Échos) ; Débats-Champs Libres (Le Figaro) ; Planètes-Pollutions (lemonde.fr) ; Technologies (L’Humanité) ; Sciences et environnement (Lefigaro.fr) ; Les dossiers du fil Fil vert (Libération) ; Tribune (Les Échos) : Technologie (L’Humanité).

34Ces rubriques, aux fléchages dispersés qui prennent en charge la notion de sobriété numérique, sont révélatrices d’une mise en débat d’une éthique du numérique indistinctement située comme l’illustre fort bien l’exemple du rubricage de deux articles qui interrogent la même question de fond :

« Quels usages pour un numérique non climaticide ? » L’Humanité, Rubrique Technologies ;

« Quel impact du numérique sur l’environnement ? » lefigaro.fr, Rubrique Sciences et environnement.

35Ainsi, le questionnement implicite d’un numérique responsable du côté des usages ou des impacts s’éprouve ici dans deux domaines qui viennent possiblement brouiller l’application d’une sobriété numérique prise en étau dans le compromis pour ne pas dire le dilemme d’une perspective soit techno-sphèrique soit environnementale.

36Cependant, la part belle aux rubriques dites « débat » témoigne à la fois d’une conversion de l’attention et d’une mise en discussion des situations d’une valeur émergente qui interroge encore et semble à l’évidence difficile à déclencher.

37À l’instar du rubricage qui illustre une catégorisation instable du traitement de la valeur de sobriété numérique, sa mise en écriture est le fait de spécialités de journalisme, exception faite de l’énonciation des figures d’expertises, qui correspondent certes aux champs d’application de la valeur (le politique qui légifère, l’entreprise qui innove, l’acteur social qui questionne) mais également à sa légitimation dans le discours médiatique. Ainsi la sobriété numérique fait l’objet d’une attention portée par des journalistes spécialisés dans les domaines santé (registre de la modération y compris dans ses usages numériques), finances, économie-social, transition écologique, entreprise, environnement, tech, planète ou encore littéraire. Autant de spécialisations que de ré-énonciations d’une valeur naissante prise dans des dynamiques éditoriales aux multiples assignations.

  • 7 Les expertises convoquées sont le fait de plusieurs acteurs sociaux qui participent d’une problémat (...)

38Par ailleurs, parmi les niveaux participants de cette dispersion, celui des situations démultipliées de convocation de la valeur ne facilite pas son ancrage dans une visée pragmatique qui en ferait un objet d’engagement et de désir pour répondre à la question environnementale du numérique. Ces attelages contextuels qui pointent l’écologie comme hyperbien, horizon indépassable d’un mode de vie durable, se trouvent contrebalancés dans sa portée d’objet désiré et désirable, par un numérique érigé en pharmakon platonicien et une absence, à de rares exceptions, d’incarnation des pratiques promues de la sobriété numérique. Comme si sa convocation discursive, renforcée par l’argumentation d’expertises7, suffisait à en éprouver le désir, et son projet social s’imposait dans le compromis.

39Son émergence dans le discours médiatique poursuit la controverse suscitée par la Sobriété numérique dans d’autres champs de l’arène publique (social, politique, économique, écologique et même scientifique), controverse qui se manifeste au travers de registres discursifs révélateurs d’une tension : Il s’agit de « disqualifier », de « dénoncer » et d’« interpeler » les environnements constitutifs de la « situation » de la valeur (le gouvernement, le capitalisme, l’innovation, la technologie, le numérique, l’hyperconsommation, la décroissance, la neutralité du net, la liberté) comme en témoigne le relevé qui suit, extrait de notre corpus de presse.

  • Registre de l’interpellation dans la mobilisation discursive de la sobriété numérique

« La mesure de la sobriété la plus pertinente est sans doute l’impact carbone de notre consommation ». La Tribune, 16/10/2021.

« Notre société continue d’associer la consommation à la réussite ». La Croix, 05/10/2021.

« La pollution numérique, soit la quantité de CO2 émis, dépend beaucoup de l’utilisateur final. Donc il faut promouvoir les bonnes pratiques […] ». Libération, 24/10/2021.

« Et dans le contexte actuel, ce type d’innovation numérique [La 5G] ne peut se permettre de suivre une logique de croissance infinie et doit parvenir à s’autolimiter » ; « Et lorsqu’une situation dépasse l’entendement, on ne parvient pas à en prendre la mesure, ce qui entraîne une démobilisation et un renoncement à agir. Cette incompréhension doit être une alerte qui incite à dépasser les non-sens ». Le Monde, 31/05/2021.

  • Registre de la dénonciation dans la mobilisation discursive de la sobriété numérique

« Le projet d’Emmanuel Macron n’est pas de répondre aux besoins sociaux et environnementaux mais à ceux du capital […] Il n’y a rien sur la sobriété, rien sur les services publics, rien sur les délocalisations ». L’Humanité, 24/10/2021.

« Le plan passe par le tout technologique […] et ne prend pas en compte une sobriété nécessaire. Il s’agit toujours de produire et de consommer plus ». La Croix, 13/10/2021.

« Nous ne sommes pas condamnés à la décroissance pour sauver la planète ». Le Figaro, 05/04/2021.

  • Registre de la disqualification dans la mobilisation discursive de la sobriété numérique

« Si la sobriété numérique implique qu’une main invisible, ou, à défaut un régulateur fasse le tri entre les contenus en fonction de l’importance qu’il souhaite leur accorder, la liberté s’en trouvera fortement limitée ». Le Figaro, 05/10/2020.

« Tenter de limiter ou de réduire ce processus [la numérisation de l’économie] est illusoire. Imaginer se passer du numérique, ou même l’enfermer dans des quotas, serait comparable à tenter de priver le monde d’électricité […] ». Les Échos, 13/04/2021.

40Ainsi la valeur se trouve déjà dépassée par d’autres enjeux, politiques, sociaux, économiques, et moraux et sert de prétexte à questionner plus largement son projet politique et social dans une société hypermoderne dont les marqueurs sont mobilisés dans le discours médiatique. La formulation du bien écologique « sobriété numérique » au sein de notre corpus renvoie à un étayage éthique qui maintient le conflit de valeurs entre deux intentions, la modération comme condition d’une conscience écologique d’une part et l’innovation érigée comme impératif des sociétés capitalistes technologiquement avancées d’autre part (Voir tableau ci-dessous). Ainsi, si la nécessité de la sobriété s’impose dans une éthique du numérique située dans nos usages et dans notre rapport à la technologie, sa formulation comme bien écologique, c’est-à-dire « qui possède une valeur pour », se confronte dans le discours médiatique à d’autres biens tels que le numérique, l’innovation, la liberté, le plaisir, le futur. Ici le discours médiatique régule une expérience convergente de la sobriété numérique sans pour autant en faire une expérience commune au sens de Taylor : « Quelque chose est commun quand il existe non pas seulement pour moi et pour vous, mais pour nous » (Taylor, 1982, p. 260).

Exemples de formulation du bien écologique « sobriété numérique »

Exemples de formulation d’autres biens en confrontation avec « sobriété numérique »

« La sobriété, une idée en pleine croissance ». (Libération, 01/06/2020)

« Notre société continue d’associer la consommation à la réussite. Beaucoup affichent également une volonté de conserver une liberté de consommation et de se faire plaisir ». (La Croix, 05/10/2021)

« Si la sobriété est souvent mise en avant comme le comportement vertueux à adopter pour répondre au défi de la transition verte ». (La Tribune, 16/10/2021)

« Si la sobriété numérique implique qu’une main invisible, ou, à défaut un régulateur fasse le tri entre les contenus en fonction de l’importance qu’il souhaite leur accorder, la liberté s’en trouvera fortement limitée ». (Le Figaro, 05/10/2020)

« Aujourd’hui, on consomme du numérique sans faire attention à l’impact sur l’environnement, mais cela ne peut pas durer ». (Les Échos, 12/10/2012)

« Le plan passe par le tout technologique […] et ne prend pas en compte une sobriété nécessaire. Il s’agit toujours de produire et de consommer plus ». (La Croix, 13/10/2021)

« Quels usages pour un numérique non climaticide ? ». (L’Humanité, 31/03/2021)

« Nous ne sommes pas condamnés à la décroissance pour sauver la planète ». (Le Figaro, 05/04/2021)

« Le numérique face au défi environnemental ». (Les Échos, 06/09/2021)

« La sobriété numérique, un concept en trompe-l’œil » ; « Tenter de limiter ou de réduire ce processus [la numérisation de l’économie] est illusoire. Imaginer se passer du numérique, ou même l’enfermer dans des quotas, serait comparable à tenter de priver le monde d’électricité […] », « Car il s’agit de ne pas condamner l’innovation sous prétexte de sobriété ». (Les Échos, 13/04/2021)

« L’inquiétante croissance de l’empreinte écologique du numérique » ; « Impératif environnemental » (Le Monde, 25/06/2021)

« Nous nous sommes aperçus que le numérique était un lien de survie économique, social, éducatif… Tout passait par là […] Il est illusoire de penser qu’on peut désormais faire marche arrière » (La Tribune, 11/06/2021)

« La mesure de la sobriété la plus pertinente est sans doute l’impact carbone de notre consommation ». (La Tribune, 16/10/2021)

« Reste un domaine dans lequel les jeunes refusent de se limiter : l’usage des réseaux sociaux, en partie peut-être par méconnaissance de l’impact environnemental du numérique ». (La Croix, 05/10/2021)

« La pollution numérique dans le viseur des députés ». (La Tribune, 11 juin 2021)

« Certes, ces nouvelles technologies ont bien une empreinte matérielle et environnementale mais celle-ci peut être tout à fait limitée au regard de la valeur ajoutée qu’elles peuvent procurer si on les utilise à bon escient ». (Le Figaro, 5/04/2021)

« En complément, une vraie question est dans notre rapport à la technologie : est-ce que l’on parie que cette dernière va résoudre tous les problèmes environnementaux et que l’on pourra consommer des biens matériels au même rythme ? Ou bien, au contraire, que nous devrons modérer cette frénésie ? ». (L’Humanité, 12/10/2021)

« Et pourtant, il semblera bien difficile de se passer du numérique si l’on veut mener à bien la transition énergétique. […] En revanche, la numérisation est une condition de la réalisation de la transition énergétique » (Les Échos, 6 septembre 2021)

« Il faut faire un travail de pédagogie sur la sobriété numérique, en un mot, apprendre à se déconnecter ». (Le Figaro, 09/06/2021)

« Moi, j’avais le sentiment que la civilisation basée sur la croissance, notre modèle énergétique, la cohésion sociale allaient être mis à rude épreuve ». (Le Figaro, 21 octobre 2021).

« Le numérique, exutoire fallacieux, ressemble à la roue dans laquelle les hamsters tournent de plus en plus vite ». (Le Figaro, 21 octobre 2021).

« Réconcilier progrès et écologie », « Il s’agit de dépasser la pensée mécaniste en prenant au sérieux la finitude, la vulnérabilité et la communauté de destin que nous avons avec les autres vivants ». (Le Monde, 31/05/2021)

41La valeur « sobriété numérique », dans sa convocation médiatique, est comme assignée au compromis. Sa ventilation dans des intitulés de rubriques extrêmement variés ne contribue pas à clarifier ce à quoi elle renvoie en termes d’intelligibilités comme de conduites et ne facilite pas la prise de conscience. Elle permet toutefois d’asseoir sa « magie sociale » par le seul fait de l’énoncer alors même que sa mise possible en application ne suscite que peu d’enthousiasme. La question posée dans l’article de Libération sonne d’ailleurs comme une réponse a priori : « La sobriété est-elle notre futur ? ». Elle témoigne, du côté de la PQN, de l’indétermination de cette valeur, possiblement interprétable comme condition de sa nécessité. Car, cet exercice de valuation la place dans un registre de conflictualité des points de vue et dans le même temps en situation de compromis permanent avec un numérique érigé en « lien de survie économique, social, éducatif » (Chaize, La Tribune, 2021).

42En résumé, la formulation de « sobriété numérique » se construit, dans l’espace médiatique français comme un « hyberbien écologique » en pleine confrontation avec d’autres biens concurrentiels de notre ère d’hyper-modernité. Flottant entre une « éthique des vertus » valorisant des choix individuels et une norme morale, imposée car légiférée désormais par l’impératif quasi-kantien d’ordre écologique, la « sobriété numérique » incarne, dans sa formation discursive actuelle cette tension indépassable entre l’« éthique du progrès », héritière de la pensée marxiste et libérale, et l’ « éthique de la responsabilité » formulée par Jonas. Le questionnement de l’éthique située sur « ce monde qui est en train de se faire » que doit être un « numérique sobre » s’effectue aussi dans l’espace culturel et artistique.

Formulation des enjeux écologiques du numérique dans l’espace artistique

43Les lieux de création numérique inscrivent dans leurs missions premières une réflexion sur l’écologie du numérique qui prend différentes orientations : réflexives (comment interroger nos pratiques ?), performatives (comment encourager les leviers numériques ?), sociologiques (comment penser et ancrer une éthique numérique dans un contexte social et politique ?). Ces réflexions sont notamment énoncées dans la présentation des objectifs de chaque structure sur leur site web : « questionner la société et notre rapport aux technologies » (Stereolux) ; « faire du numérique un levier de créativité, de solidarité et de responsabilité » (Le Cube) ; « s’interroger sur l’avenir de l’Homme face aux conséquences du progrès » (Mirage Festival, édition 2019) ; « réfléchir à son impact environnemental et son ancrage politique et social » (Electronik, Festival Maintenant, 2019).

44Les sites web des acteurs de la scène artistique numérique de notre corpus nous permettent en effet d’analyser différentes formulations de l’impératif écologique qui, selon notre hypothèse de l’hyperbien écologique, constituent un cadre de référence pour la construction d’une éthique du numérique. Nous poserons la question des fonctions de l’art dans ce construit culturel de l’hyperbien écologique en régime numérique.

Des formulations de l’hyperbien écologique : désordre, turbulence, effondrement

45Nous observons dans l’énonciation des programmes artistiques des lieux une gradation de l’impératif écologique selon qu’il soit nommé :

  • « Désordre écologique » (« des réponses technologiques au désordre écologique ? » est le titre de la programmation virtuelle 2021du Cube). Les « réponses » exposées face au désordre suggèrent d’emblée le rôle possible et attendu de l’artiste (ou du citoyen plus généralement) dans une remise en ordre ;

  • « Crise environnementale » (dans le texte de présentation de l’édition 2019 du Festival Maintenant) renvoie à un phénomène global de société traversé par de multiples « crises » économiques, environnementales, sociales… ;

  • « Turbulence » (titre de la saison 2019 de Mirage Festival) emprunte au registre des catastrophes naturelles subies ;

  • « Effondrement » (dans le texte de présentation de Chroniques, Biennale des imaginaires numériques, 2020) considère un état irrémédiable ;

  • « Hypernature » (titre de l’exposition de Stereolux, Scopitone, 2021), révèle ici l’extrême importance du vivant.

46Des éthiques du numérique nous semblent sous-jacentes à ces formulations qui réorientent potentiellement l’expérience (Mitropoulou et Pignier, 2018) de la nature et du numérique des différents acteurs et publics. Ces différents énoncés de la situation sont révélateurs des multiples positionnements de la valeur « écologie » dans la pratique artistique numérique, et des expériences plus au moins intenses configurées dans les dispositifs. Chacun perçoit et agit plus ou moins intensément dans un environnement et ces variations d’intensité créent une gradation des valeurs émergeantes (plus ou moins attentif à la nature, plus ou moins alarmiste face à la crise écologique, plus ou moins responsable, plus ou moins confiant en la technologie, etc.).

47Le désordre énoncé dans le texte de programmation du Cube est posé comme un constat, « une nouvelle normalité, à laquelle nous devons faire face ». Le même constat est défini dans Chroniques, la biennale des imaginaires numériques : « l’effondrement programmé de notre civilisation ne s’est jamais appuyé sur des indicateurs aussi alarmants ». Le discours accompagnant la programmation de Cube montre les réponses possibles du numérique en termes d’adaptabilité à une nouvelle situation en convoquant des œuvres dont la fonction est de réparer. Les œuvres de Jeanne Vicérial et de Jérémy Gobé exposées au Cube formulent des réponses utilisant la technologie mais ne la surexposant pas, ne faisant pas du numérique l’objet central mais un outil, une science au service de la créativité : la machine-robot capable de créer un vêtement en une seule fois sans déchet (Jeanne Vicérial) ou la création de supports en dentelle qui facilitent la régénération des coraux (Jérémy Gobé). Le numérique est invisibilisé car placé en coulisse dans le dispositif technique et est considéré dans son impact positif pour l’environnement. Cette fonction réparatrice de l’art engage le numérique dans une éthique de l’attention qui est ré-énoncée à plusieurs reprises dans cette programmation comme dans la rencontre virtuelle intitulée « L’art au service de l’écologie, l’urgence de prendre soin ».

48Cette fonction réparatrice de la création numérique est précédée d’une fonction de responsabilisation. Les textes de présentation des programmations du Cube et du Mirage Festival introduisent en effet le questionnement des artistes par des expressions comme « nous devons faire face » (Le Cube) ou encore « Cette septième édition du Mirage Festival place l’humain face à ses propres incertitudes et contradictions ». Pour responsabiliser, les lieux de création numérique peuvent également choisir de montrer, révéler les impacts technologiques sur l’environnement. Dans l’exposition Hypernature, les œuvres sont de véritables mises en lumière (au sens propre comme figuré) des effets de l’humanité sur la nature et révèlent dans une approche esthétique la fragilité du vivant et la responsabilité de notre société. Lumière est ainsi faite sur un glacier en formation sous cloche (Barthélemy Antoine-Loeff ; Tipping Point), les mutations d’une plante soumise à la radioactivité (Elise Morin ; Spring Odyssey), l’exploration des états de la matière (Claire Wiliams ; Zoryas). Le numérique fonctionne ici comme un révélateur artistique de ces effets et des possibles futurs et est, contrairement à la proposition artistique du Cube, extrêmement visible.

49Les fonctions démonstrative et prospective de l’expérimentation artistique poursuivent une éthique du numérique garant de la multiplicité des points de vue. L’intention d’ouvrir les débats est clairement énoncée dans le résumé de l’exposition sur le site web de Stereolux : « leurs travaux permettent une compréhension des enjeux actuels et offrent de multiples interprétations du monde à venir » (Stereolux, Hypernature). C’est une éthique ouverte également énoncée dans les objectifs fixés par la Biennale des imaginaires Numériques, Chroniques qui met en avant l’importance de l’exploration pour ne pas polariser la réflexion sur un numérique salvateur ou destructeur. La présentation du cycle de conférences associée à la biennale met en évidence cette approche polyphonique des relations avec la technologie : « La pensée prédictive de l’artiste, faite autant de sa prospection intime que de l’acuité de ses sens permet en outre d’explorer des futurs probables, désirables, souhaitables, obsolètes, contraints, défectueux, d’écrire des scénarios spéculatifs et de nous extraire de la dichotomie utopie (la technique va nous sauver)/dystopie (il n’y a plus rien à faire). » (Présentation du cycle de conférences Ambivalences, co-organisé par Stereolux, Oblique/s et Electroni[k], 2021).

50La communauté artistique engage, par ces différentes expositions, une reformulation de l’urgence écologique dont les gradations « désordre, turbulence, effondrement », assignent à la création numérique différentes fonctions au service de l’hyperbien écologique : responsabiliser, réparer, anticiper. Ces différentes énonciations de l’écologie du numérique marquent des éthiques plurielles : considérée dans sa fonction réparatrice, la création numérique se situe dans une éthique de l’attention (prendre soin) ; considérée dans sa fonction prospective, elle s’engage dans une éthique analytique (au sens d’offrir différents points de vue, différents scénarios).

Une éthique du numérique fondée sur l’action émancipatrice de la création : décroissance, low tech, expérience de la rareté

51Les acteurs de la création numérique engagent également une réflexion sur l’impact écologique de la pratique artistique faisant usage des technologies. Les articles postés sur les réseaux sociaux montrent l’intensité du débat et la nécessité de mettre en place des solutions pratiques ramenant les enjeux dans le concret, dans l’action. Nous pouvons citer, parmi ces acteurs engagés, le collectif Augures dont les articles sur LinkedIn interpellent la communauté professionnelle sur les solutions concrètes du « low tech », sur le sens et l’efficacité même des pratiques high-tech comme celle de la réalité virtuelle en regard des intentions esthétiques, sociales de la création : « En articulant intelligemment low et high-tech numérique, la culture peut construire un avenir numérique plus enviable et en faire un outil efficace au service de la création » ; « Peut-on vraiment compter sur la VR pour faire vivre la culture hors de ses murs ? Si le rôle essentiel des acteurs culturels est de créer les conditions d’une expérience esthétique et sociale, d’un partage politique de la beauté, pourrait-on l’envisager en mode low tech ou basse def ? » (Article LinkedIn de Camille Pène du 31 mars 2021).

52La programmation de Stereolux engage une réflexion sur les solutions de l’art dans ses fonctions émancipatrices de l’hypersystème technologique. La mission fixée par ces lieux de création numérique est double : donner à la création une fonction dans ce débat (qu’elle soit de démonstration, de réparation, de prospection) mais aussi faire de la création numérique un exemple d’usage technologique responsable. On peut ainsi lire dans le dossier « contraintes créatives éco-conscientes » publié sur le site de Stereolux en 2019 les enjeux suivants : « un domaine artistique qui doit se battre à la fois économiquement pour produire des œuvres énergiquement et technologiquement neutres, mais également proposer un discours idéologique à même d’offrir une alternative soutenable au développement de nouvelles formes d’art “durable”. »

53De plus en plus d’acteurs de la création numérique affichent ce positionnement en faveur d’un usage limité de la technologie en cherchant une « décroissance », et une attitude responsable en s’éloignant du spectaculaire technologique. Nous notons cette dichotomie affichée (« décroissance » versus « prouesse technologique ») dans les discours de ces acteurs culturels. Nous l’observons par exemple dans le texte de programmation du Festival Maintenant : « Dans un contexte de course à l’innovation, de plus en plus de projets et d’artistes s’emparent du concept de “décroissance esthétique”. Philosophie, acte de création alternatif, il consiste moins à renier le numérique qu’à concentrer la création artistique dans une dynamique plus humble, capable de prendre ses distances avec les “prouesses technologiques” ». D’autres voix proposent de limiter non pas la technologie elle-même mais le nombre de représentations, d’expositions. Cette expérience de la rareté est moins intensément relayée dans les discours sur le web mais néanmoins révélatrice de la réflexivité recherchée par les acteurs de la création numérique par rapport à leurs propres usages technologiques. Dans un article en ligne consacré à « la conquête des mondes virtuels par les musiques actuelles » (Centre National de la musique), l’auteur considère par exemple que « la solution à cette équation [numérique et impact écologique] réside peut-être dans une forme d’économie de la rareté qui contribuerait à rendre ces expériences exceptionnelles. »

54Si les solutions proposées sont plus ou moins engageantes, contraignantes pour les artistes et les lieux programmant des œuvres numériques (moins de technologies ou moins de représentations) elles mettent toutes en tension l’expérience permise par le numérique (esthétique et immersive) avec une éthique partagée par cette communauté, celle de l’action émancipatrice de la création qui doit donc également pouvoir s’émanciper d’une forme d’hypersystème numérique.

Conclusion

55Au terme de notre investigation qui porte sur un questionnement de l’éthique du numérique à partir des enjeux écologiques, deux contributions nous semblent importantes à souligner dans cette partie conclusive.

56Sur le plan théorique, l’approche des SIC s’est avérée heuristique pour appréhender cet « objet flottant », à savoir la formation de l’hyperbien écologique à l’aune duquel le numérique est désormais jaugé, évalué. Cet éclairage particulier vient d’une épistémologie complexe des SIC qui permet de saisir non seulement des éléments constitutifs du phénomène inévitablement « complexe » de l’« écologie du numérique » (textes, dispositifs, acteurs, pratiques, imaginaires), mais surtout des liens, des interactions entre eux en relation avec différents environnements. Ainsi, l’épistémologie complexe des SIC est, selon notre analyse, de nature écologique au sens où elle porte une attention particulière sur la dimension relationnelle et interactionnelle qui relie les éléments les uns aux autres dans une dynamique de circulation permanente et transformante, à partir des médiations matérielles, techniques, sociales et symboliques, si bien qu’elle permet d’appréhender de manière spécifique un « objet » in progress, en cours de formation tel que notre phénomène « écologie du numérique ».

57Ainsi, l’éthique située deweyienne a été ici renouvelée et approfondie dans notre approche des SIC : c’est dans un processus de ré-énonciation permanente à l’œuvre dans des médiations multiples que les acteurs, en l’occurrence médiatiques et artistiques, ont été transformés en « public » au sens de « communauté agissante » deweyienne. Formant certes des « communautés interprétatives » pourvues de capacité à donner du sens pluriel au numérique contemporain, ces « publics » constituent surtout des « communautés performatives » qui agissent par le dire et par le faire, dans des contextes situés et avec des médiations « situantes ». Par ce même mouvement, ils élaborent des « éthiques situées » inévitablement plurielles.

58Par conséquent, sur le plan analytique, cette approche des SIC considère à la fois les procédés de la médiatisation d’un concept émergeant, « la sobriété numérique », et les enjeux de sa médiation et de sa mise en pratique dans la création numérique. Le dire (analysé dans le corpus médiatique) apparait comme « flottant », dans le « compromis », soumis aux environnements économiques, politiques, sociaux de l’hypersystème numérique. Le faire (analysé dans notre corpus sur la création numérique), dépasse le schéma hyperbien écologique versus hypersystème numérique par une approche graduée de la valeur écologique comme de l’usage du numérique faisant émerger des éthiques plurielles (fondées sur l’analyse, l’attention, la rareté). Ici, le dire et le faire ne s’opposent pas, mais donnent à voir, à notre sens, des modalités différentes de formulations du questionnement écologique du numérique, en cherchant à produire du cohérent et du sens à une réalité émergente qui comporte, en son sein, des tensions, des contradictions : une logique de « remédiation », au double sens, d’une part, celui d’une quête de « remède » (du latin remedium), de « réparation » face à un numérique qui s’avère problématique sur le plan écologique ; et de l’autre, celui de « remédiatisation » (sens de remediation en anglais) comme le passage d’un média à un autre en vue d’une performance communicative.

  • 8 Le philosophe Cornelius Castoriadis soutient que « les significations imaginaires et sociales sont (...)

59Enfin, sur le plan de la communication environnementale, notre travail contribue à une réflexion structurante en proposant d’articuler le numérique, l’éthique et l’écologie. Notre élaboration du concept « hyperbien écologique », qui en est une illustration, permet de rendre raison d’une formation sociale-historique en cours de réalisation, cristallisée autour des « valeurs écologiques » à l’aune desquelles le numérique est désormais évalué (par un processus de valuation au sens deweyien). Notre analyse montre que concernant le numérique, l’hyperbien écologique s’oppose, pour certains, à d’autres biens (progrès, croissance, innovation, etc.), et s’articule, pour d’autres, avec ces biens, avec des graduations (entre l’appel à la « dénumérisation totale » d’un côté, et la quête d’un numérique écologiquement réparateur par des créations artistiques, de l’autre). Elle rejoint et approfondit l’analyse sur l’imaginaire social-historique en général8 et notamment celle de la confrontation entre « techno-imaginaires » et « éco-imaginaires » (Bernard, 2021). Au fond, toute pensée écologique n’est-elle pas un effort d’imaginer, dans une certaine configuration, la « maison [eco] commune » que les humains construisent et partagent avec leurs semblables, mais aussi les autres êtres vivants et non-vivants ?

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Taylor Charles, « Theories of meaning », dans Philosophical Papers I. Human Agency and Language, Cambridge : Cambridge university Press, 1985, pp. 248-292.

Taylor Charles, Les Sources du moi. La formation de l’identité moderne, Paris : Le Seuil. [1989], 1998.

Taylor Charles, Modern Social Imaginaries, Durham, NC, Duke University Press, 2004.

Valadier Paul, L’anarchie des valeurs. Le relativisme est-il fatal ?, Albin Michel, 1997.

Zacklad Manuel et Rouvroy Antoinette, « Enjeux éthiques situés de l’IA », XXIIe congrès de la SFSIC, 2021.

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Notes

1 Pour plus de détails, voir notre article intitulé « Le numérique à l’épreuve de l’écologie : la fabrique de la « sobriété numérique » comme nouvelle norme ? » qui sera publié dans la revue Interfaces Numériques, XI (1), 2022.

2 Le Dictionnaire de l’Académie française explique : « xiiie siècle, responsaule ; xive siècle, responsable. Dérivé savant du latin responsum, supin de respondere, « garantir à son tour », puis « répondre » : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9R2100, consulté le 20 octobre 2021.

3 Joelle Zask, « Le public chez Dewey : une union sociale plurielle », Tracés. Revue de Sciences humaines (15), 169-189. 10.4000/traces.753,2008. Cité par Zacklad et Rouvroy, op. cit. p. 6.

4 Ernst Haeckel, Generelle Morphologie der Organismen, Berlin, Reimer, t. I, 1866, p. 8. Cité par Hache, 2011, p. 17-18.

5 On note par exemple que l’article posté par Camille Pène en septembre 2021 sur LinkedIn, membre fondatrice du collectif Les Augures, « qui accompagne les acteurs du monde culturel dans leur transition écologique » est immédiatement repris dans plusieurs articles sur internet. Celui-ci titre : « La sobriété numérique dans la culture : renoncer pour innover ».

6 https://dropsu.sorbonne-universite.fr/s/QnTe4XfQkaBtcpT et https://dropsu.sorbonne-universite.fr/s/Co4t6xTZW6NnQDn, consultés le 15 octobre 2021.

7 Les expertises convoquées sont le fait de plusieurs acteurs sociaux qui participent d’une problématisation renouvelée d’une éthique du numérique au travers l’appréhension de la valeur sobriété numérique : avocat, conseillère en communication, professeur des universités, président du Syntec numérique, haut-fonctionnaire du ministère de l’économie, acteurs de Think et Do tank, spécialistes de nouvelles technologies.

8 Le philosophe Cornelius Castoriadis soutient que « les significations imaginaires et sociales sont celles qui tiennent la société ensemble », dans Les Carrefours du labyrinthe. 4. La Montée de l’insignifiance, Paris, Éd. Le Seuil, 1996, p. 251. Cité par Françoise Bernard, 2021, texte en ligne http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/imaginaire-social-et-historique, consulté le 31 mars 2022.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anh Ngoc Hoang, Sandra Mellot et Magali Prodhomme, « Le numérique questionné par l’éthique située des écologies politiques »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 25 | 2022, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/13239 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.13239

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Auteurs

Anh Ngoc Hoang

Maitre de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, membre du Centre de recherche Humanités et Sociétés (CHUS) à l’Université catholique de l’Ouest et membre associé du GRIPIC (EA 1498), Anh Ngoc Hoang mène un examen critique d’un certain nombre de transformations socio-anthropologiques contemporaines liées aux dispositifs numériques : l’identité collective, l’activisme en ligne, les imaginaires sociaux, la diaspora vietnamienne, les pratiques de foi catholique, la question de la place de religions dans l’espace public. Ses travaux récents portent sur la problématique de l’approche communicationnelle sous l’angle épistémologique, la communication environnementale et le rapport Numérique et Écologie. Courriel : ahoang@uco.fr

Articles du même auteur

Sandra Mellot

Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, membre du Centre de recherche Humanités et Sociétés (CHUS) à l’Université catholique de l’Ouest, les recherches de Sandra Mellot portent sur les formes d’engagement et de médiation écologiques, culturels et solidaires en environnement numérique. Par l’analyse du design et des pratiques - les visées et potentialités des dispositifs, les processus de conception, les expériences individuelles et collectives – elle questionne les manières de se relier et d’agir comme les effets de ces modes engagements en direction d’un monde durable et solidaire. Elle a codirigé avec Wallenhorst, N., Theviot, A. en 2020 l’ouvrage collectif Inter-connectés ? Numérique et convivialisme aux éditions Le Bord de l’eau, collection La Bibliothèque du MAUSS. Courriel : smellot@uco.fr

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Magali Prodhomme

Maître de conférences en Sciences de l’information et de la Communication, membre du Centre de recherche Humanités et Sociétés (CHUS) à l’Université catholique de l’Ouest et membre d’ARÈNES (UMR CNRS 6051), Magali Prodhomme conduit des recherches depuis de nombreuses années sur les mutations discursives et identitaires des journalistes en portant une attention particulière sur les questions éthiques constitutives du groupe professionnel. Plus récemment, ses travaux ont porté sur les dispositifs de fact-checking et l’agrégation à l’identité journalistique d’un ethos parrêsiastique. Parallèlement, elle travaille sur les mutations des organisations médiatiques face aux défis environnementaux et entame un travail sur les stratégies de décarbonation des médias. Courriel : magali.prodhomme@uco.fr

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