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Pascal Catherine et Lipani Marie-Christine (dirs). (2021). Science ouverte/Open science : Regards croisés sur la transmission de la science, ses engagements, ses innovations et ses risques

(Vol. 9). OpenEdition Press
Adrien Mathy
Référence(s) :

Pascal Catherine et Lipani Marie-Christine (dirs). (2021). Science ouverte/Open science : Regards croisés sur la transmission de la science, ses engagements, ses innovations et ses risques (Vol. 9). OpenEdition Press. ISBN : 2491-1437. Gratuit en ligne.

Texte intégral

1Ce neuvième numéro de la revue Communication, technologie et développement s’intéresse à la Science ouverte en proposant au lecteur un dossier coordonné par Catherine Pascale et Marie-Christine Lipani, dont la variété des sujets, des terrains et des méthodes répond à l’objectif de transdisciplinarité et d’interdisciplinarité exposé en introduction. La particularité des sujets abordés réside par ailleurs dans leur aspect réflexif : outre l’expérimentation présentée, les auteurs se sont attachés à penser leurs pratiques, leurs épistémologies ainsi que la place de la science ouverte dans leur processus de recherche. Cette perspective réflexive et critique s’illustre ainsi dès le premier article dans lequel Hervé Squividant et Florance Revelin problématisent l’impact de l’ouverture des données – dans le contexte d’une massification des données qui transforme, conséquemment, les pratiques de recherche – sur l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité. Cette étude émerge d’un terrain de recherche spécifique, à savoir le projet Parchemins (2016-2020) qui s’intéresse aux relations entre agriculture et littoral en Bretagne. Dans cet article, les auteurs proposent une démarche mixte : d’une part, ils exposent les enjeux techniques et matériels liés aux questions d’instrumentation numérique du projet (quels outils et quels services utiliser pour répondre aux demandes des chercheurs ?) et d’autre part ils enrichissent ces questionnements d’une dimension (auto-)ethnographique en observant les dynamiques dans lesquelles s’inscrivent les différents acteurs dudit projet – acteurs issus d’horizons variés (agronomie, anthropologie, STI). Les auteurs décrivent et exemplifient les choix techniques qui étaient à leur disposition pour l’instrumentation numérique (outils préexistants et propriétaires, logiciels libres, outils maison) ainsi que le processus d’arbitrage envisagé ici comme un processus itératif de questionnements et de négociations entre les ingénieurs et les chercheurs, dont les attentes ne sont pas toujours formalisées, et entre les chercheurs eux-mêmes, dont les épistémologies et les matériaux diffèrent. Le partage des données implique alors une confrontation de cultures épistémiques dont résulte des attentes et compréhensions variées quant à ce que sont les données de recherche. Il y a dès lors une nécessite d’explication et « d’attention accrue au processus de fabrication de la recherche inter- et transdisciplinaire » (p. 12) qui explique, in fine, la posture réflexive des auteurs de l’article qui concluent que si l’instrumentation numérique ne favorise pas l’interdisciplinarité elle permet néanmoins l’hybridation des cultures épistémiques ainsi que l’élaboration d’outils qui pensent cette complexité et qui co-construisent un certain rapport aux données.

2Dans la continuité de cette réflexion sur la co-construction, Bérengère Stassin s’intéresse à la construction d’un site collaboratif sur la transidentité nommé Wiki Trans. Pour saisir la portée du projet et de l’article, l’auteure s’attache dans un premier temps à réexpliquer ce que l’on entend par transidentité et en quoi le parcours de transition – qui est tant psychique que social, administratif ou, le cas échant, médical – implique une réappropriation de la parole ainsi qu’un besoin informationnel qui varie durant le processus, allant de la recherche d’informations sur la transidentité en elle-même afin de poser des mots sur un vécu spécifique, à la recherche d’informations relatives à la transition dans son aspect médical. Cette information médicale ou juridico-administrative peut avoir diverses sources, mais il s’agit principalement d’informations issues du web : forums, blogs de discussion puis réseaux sociaux permettent l’émergence de communautés qui formalisent des connaissances et des savoirs expérientiels des individus concernés permettant de facto leur autonomisation et leur émancipation – des institutions médicales, notamment, jugées pathologisantes. Cet usage d’internet n’est pas nouveau : dès les années 2000 des communautés de patients s’emparent de ces outils et accèdent, grâce à la science ouverte, à des informations tantôt non vulgarisées tantôt vulgarisées par des médecins voire par des patients ayant acquis une expertise suffisante. Il apparaît ainsi que les besoins informationnels sont hybrides, mêlant informations médicales mais aussi partage d’un vécu. Il émerge une figure du « patient expert » dont le parcours de vie fonde la légitimité et participe à l’autonomisation en permettant, entre autres, de rivaliser ou de contredire les savoirs des médecins. C’est en étudiant ces pratiques informationnelles que Bérangère Stassin croise, à de multiples reprises, le projet Wiki Trans qui cristallise les problématiques susdites. L’auteure a ainsi enquêté auprès de la créatrice du site et d’un des membres de l’association, enrichissant par ailleurs les entretiens d’une analyse du site. Il ressort de ce travail que le projet est caractérisé par une volonté de centraliser des informations certes existantes mais finalement dispersées et manquant conséquemment de visibilité. L’auteure retrace la genèse du site qui, d’abord personnel, est devenu collaboratif en s’ouvrant à d’autres rédacteurs et rédactrices. Toutefois, contrairement à Wikipédia, les contributions sont encadrées et soumises à une équipe qui sollicitent les contributions ou valident celles qui sont spontanées, autorisant ainsi une hétérogénéité des contributeurs et contributrices (mais aussi des usagers, qui peuvent être concernés ou « alliés », c’est-à-dire soutenant les concernés) qui aboutit à des savoirs hybrides et à un corpus que l’auteure qualifie de mosaïque, pour signifier la nature hétéroclite des matériaux ainsi que leurs objectifs communicatifs variés. Il reste encore, selon l’auteure, à analyser la place du Wiki Trans dans l’écologie informationnelle de la transidentité.

3Si le troisième article du dossier aborde un sujet et un terrain radicalement différent, il n’en est pas moins travaillé par la question de l’interdisciplinarité, de la co-construction des savoirs ou de la réflexivité des chercheurs sur le projet qu’ils mettent en place. Jean-Louis Le Goff et Roger Nguema-Obame cherchent à construit un modèle d’analyse qui permettrait d’établir une nouvelle activité agricole au Gabon, où les capacités de production locale ont été détruites par les politiques d’importation. Les deux auteurs mobilisent de nombreux concepts de sorte à articuler les notions d’innovation et de développement – dans le contexte de l’agriculture gabonaise – avec la notion d’accompagnent scientifique qui repose, notamment, sur la science ouverte. Après une description de leur terrain et de leurs objectifs, les auteurs élaborent les prémices théoriques de leur recherche en formulant une hypothèse selon laquelle le développement rural procède d’une dynamique d’innovation et d’un accompagnement des acteurs par des accompagnateurs – en l’occurrence des chercheurs. Sur ce point, ils expliquent que le projet émanant de chercheurs, il importe d’arriver à fédérer tous les acteurs concernés et à créer une dynamique d’innovation. Pour ce faire, les auteurs se sont appuyés sur les travaux de Michel Callon et ont développé cinq principes méthodologiques : (1) la problématisation, par laquelle ils ont créé un modèle qui leur permet d’être acteurs de la recherche, mais aussi expérimentateurs et observateurs ; (2) l’intéressement, étape durant laquelle les acteurs doivent intéresser les autres, en l’occurrence par un travail de démarchage auprès des universités et institutions gabonaises ; (3) l’enrôlement, qui est le pivot du projet en ce qu’il consiste à créer des alliances d’acteurs, chose difficile au Gabon, eu égard aux luttes d’influences ; (4) la désignation de porte-paroles pour chaque groupes d’acteurs ; (5) enfin la controverse qui « matérialise la ‘dissidence’ des acteurs » (p5), par exemple sur le leadership du projet. Par ailleurs, les auteurs définissent l’accompagnement comme réflexif, attendu qu’il s’agit d’évaluer, rétroactivement, les effets de leur recherche sur le développement. Utiliser la science et l’expertise pour l’aide au développement consiste ainsi en ce que les auteurs appellent un pari social, notamment parce que les effets sont incertains. Au terme de leur analyse, les auteurs proposent un retour critique sur les effets de la science ouverte, dans le cadre de leur travail. Ils notent d’abord la nécessité de faciliter les échanges entre les chercheurs et les usagers en générant une médiatisation des savoirs scientifiques, mais aussi en encourageant une recherche participative. Ensuite, ils relèvent l’importance de faciliter la réflexion collective en s’inscrivant dans une démarche que les auteurs qualifient de prospective et critique qui permet d’une part d’éviter le danger d’une science ouverte eurocentrique, qui impose un certain modèle des savoirs, et d’autre part de partager les savoirs « dans la diversité des intérêts individuels et collectifs » (p. 11). Ils envisagent enfin la science ouverte comme une science totale qui risquerait d’avoir sa propre ouverture comme seule et unique fin, et proposent de définir un horizon d’attente qu’elle doit définir afin d’éviter écueil.

4Le quatrième et le cinquième article, réalisés respectivement par Julien Salava, Holimalala Randriamanampisoa, Thierry Razanakoto, Pierre Lazamanana, Aina Andrianjakatina et Mahefasoa Randrianalijaona, pour le premier ; Hermann L. Lemena, Jaurès C. Raliyera, Julien Salava, et Mahefasoa Randrianalijaona pour le second, s’intéressent au concept de résilience en étudiant le contexte spécifique de Madagascar. Les deux articles participent eux aussi d’une articulation entre science ouverte et co-construction des savoirs ou participation des acteurs concernés. Ainsi, le premier article, plutôt succinct, propose une étude de cas. En étudiant une communauté rurale du Sud Est de Madagascar, Ambaro Bekibo, sinistrée par la tempête tropicale Chedza en 2015, les auteurs cherchent à appliquer une méthode d’évaluation de la résilience, basée notamment sur l’Indice Multidimensionnel de la Résilience (IMR). La résilience est définie comme la capacité de résister, in extenso, aux effets d’un danger. Pour améliorer la résilience d’une communauté donnée, l’approche participative est favorisée, attendu que la communauté ciblée doit prendre des responsabilités aux différents stades du programme de développement – le développement des ressources et des structures étant une condition sine qua non de la résilience – et être capable de s’organiser en conséquence. La résilience est donc mesurée d’une façon scalaire, et non binaire. Dans cette perspective, l’indice utilisé (l’IMR) consiste en une moyenne arithmétique de plusieurs variables, réparties en sept catégories (économique, social, institutionnel, etc.), et organisées sur six niveaux, de zéro (sans résilience) à cinq (très bonne résilience). La communauté sélectionnée pour l’application de l’IMR obtient un résultat mitigé que les auteurs décrivent et exemplifient. En effet l’indice permet de cibler spécifiquement les critères à améliorer. Ainsi, dans le cas étudié, le critère culturel, institutionnel ou encore le critère de renforcement de capacités ont une bonne évaluation. A contrario, les critères économique, organisationnel et environnemental ont reçu une évaluation négative. De plus, la granularité du dispositif permet d’envisager certaines variables au sein de chaque critère : par exemple, le critère social est composé d’une variable santé, éducation, emploi ou wash – qui désigne l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Au terme de leur analyse des différents critères et variables, les auteurs concluent d’une part qu’un des facteurs principaux de résilience est la capacité de s’entraider au sein de la communauté et d’autre part, qu’avec un score de deux, il existe néanmoins une marge d’amélioration qui repose, justement, sur la coopération au sein de la communauté. Le cinquième article s’inscrit dans la continuité du quatrième. Il propose d’étudier l’importance de l’approche participative dans la résilience communautaire et l’évaluation des risques en appliquant la méthode l’Évaluation des Risques à Base Communautaire afin de comprendre en quoi la participation de la communauté dans la gouvernance des risques est bénéfique. L’approche participative est décrite comme un outil pour un processus de prise de décision plus efficace, attendu que les membres d’une communauté locale ont une compréhension certaine, malheureusement mésestimée par les officiels et les experts, des problèmes locaux. Les auteurs ont ainsi réalisé plusieurs focus group dans les deux régions concernées par l’étude – la région SAVA et la région Atsimo Andrefana. Il ressort de leur travail que l’ERBC a permis d’identifier d’une part les différents aléas qui pèsent sur la région, touchant les habitants, la santé, les infrastructures ou encore l’agriculture, et d’autre part le rôle de chaque acteur de la communauté. Cette approche, quoique riche, présente néanmoins plusieurs limites, notamment organisationnelles.

5Dans le cinquième article, Marième Pollèle Ndiaye s’intéresse à l’impact du libre accès sur la communication concernant le changement climatique en Afrique en considérant en quoi les sciences de l’information et de la communication peuvent participer à la promotion du développement durable. La problématique de l’auteure résulte de l’articulation de plusieurs constatations : d’abord le manque d’engagement des chercheurs dans les sciences ouvertes qui auraient dû favoriser le dialogue entre les chercheurs d’une part et entre les chercheurs et les acteurs du terrain d’autre part ; deuxièmement le manque de visibilité des travaux sur la communication en ce qui concerne le changement climatique. Sur ce deuxième point, l’auteure remarque que la communication est indispensable au changement de mode de vie qu’implique le changement climatique ; dès lors, les SIC ont un rôle à jouer. La première piste que poursuit l’auteure est relative à l’ouverture des données qui implique d’ancrer culturellement les travaux ; en effet, concernant la mobilisation environnementale, elle s’inscrit dans un contexte culturel spécifique qui impacte l’efficacité de la communication – l’auteure donne l’exemple des traditions, des coutumes et des croyances qui peuvent conditionner le rapport d’une population donnée à la biodiversité locale. L’auteure enrichit par ailleurs l’analyse en envisageant l’impact des temporalités organisationnelles, c’est-à-dire l’adéquation entre les temporalités des chercheurs et celles des institutions. Ces perspectives ne suffisent néanmoins pas à saisir l’invisibilisation constatée par l’auteure. Elle envisage une seconde piste en considérant l’aspect rhizomique des SIC, leur transdisciplinarité et transversalité, ainsi que la prolifération des données, qui, in fine, peut nuire à l’ouverture des données en les noyant, en quelque sorte. Afin de vérifier ces hypothèses, l’auteure propose un protocole de recherche qu’elle mettrait en place à l’Université Gaston Berger.

6Enfin, dans un dernier temps, Billel Aroufoune, propose de repenser l’identité à l’aune des représentations sociopolitiques libanaises. Convaincu que la notion d’identité mérite d’être investiguée sur des terrains complexes, l’auteur s’intéresser à la construction identitaire du Libanais qui se réalise de façon communautaire, dans un pays multiconfessionnel et pluricommunautaire. L’identité au Liban n’est pas une question figée. Afin d’investiguer le sujet, l’auteur a mené une enquête par entretien semi directif. Il montre que l’individu libanais se définit d’abord par ses patronymes, ensuite par son appartenance confessionnelle qui apparaît plus importante que son appartenance nationale. Pour autant, cette dernière n’est pas sans importance. En effet, comme l’explique un des enquêtés, les citoyens libanais doivent s’identifier d’abord à leur pays puis manifester une de ses multiples identités. Après analyse des entretiens, l’auteur arrive à la conclusion que, malgré les nombreuses frictions, il y a un dénominateur commun à l’identité libanaise, à savoir un état-nation basé sur une appartenance linguistique et un référentiel historique qui lui est lié.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Adrien Mathy, « Pascal Catherine et Lipani Marie-Christine (dirs). (2021). Science ouverte/Open science : Regards croisés sur la transmission de la science, ses engagements, ses innovations et ses risques »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 24 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/12763 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.12763

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Auteur

Adrien Mathy

Assistant Professeur Université de Liège

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