1L’intelligence économique, objet de recherche en sciences de l’information et de la communication demeure un champ d’études relativement isolé dans cette discipline. Cet article cherche à mieux appréhender son ancrage dans les SIC, en proposant une analyse d’un jeu de données issu de sa revue de référence, la R2IE, et ce depuis sa création. Ce jeu de données concentrant 188 articles, est aujourd’hui l’unique disponible en libre accès, téléchargeable sur l’entrepôt de données de l’Université́ de Lorraine (DOREL).
- 1 Collecte des données réalisée par les étudiants et leur enseignante dans le cadre d’un projet de Ma (...)
2Pour cette étude, nous avons recensé manuellement1 dans un tableur tous les articles ayant été publiés dans chaque volume de la R2IE, entre 2009 et 2020. Chaque onglet représente un numéro dans lequel sont indexés pour chaque article : année, volume, numéro, intitulé du dossier, titre, auteurs, mots-clefs, résumés et lien vers l’article.
3Dans un second temps, après un nettoyage et une homogénéisation de la saisie des données, nous avons effectué des recherches sur le profil des auteurs (leur profession, leur statut, leur discipline, leur organisme de rattachement) afin de pouvoir les cartographier, et ce pour une double finalité :
-
mieux comprendre le positionnement des auteurs dans la revue ;
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mieux comprendre le positionnement de la revue et de l’IE à travers les différents champs disciplinaires représentés par les auteurs.
4Afin de faciliter l’analyse des données sous Excel, nous avons créé quatre tableaux « sources », à partir desquels nous avons réalisé les tableaux croisés dynamiques (TCD) pour mettre en perspective les sujets abordés au fil des années au sein de la revue, et déterminer les auteurs qui s’emparent de ces sujets.
5Les données sont facilement exploitables, interopérables et réutilisables, en les croisant avec d’autres données en format xls ou csv ou en les complétant. Il est ainsi possible d’aboutir à des analyses qualitatives et quantitatives plus précises (via des outils tels que Nvivo et Iramuteq), ou en générant automatiquement des graphiques, cartographies ou encore datavisualisations selon ce que l’on souhaite représenter (par exemple, un réseau bibliométrique via Gephi et Voswiever).
6Ces analyses peuvent porter sur les auteurs, les mots clés où tous types de variables présentes dans le fichier de données.
7Les différents usages qui peuvent être faits de ces données, portent à la fois sur :
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la pédagogie sur les versants techniques et thématiques : apprendre à exploiter un jeu de données en le manipulant sous différentes formes (ajout, suppression, analyse des données, etc..) et prendre connaissance d’un champ disciplinaire (ici l’IE), à travers ses auteurs, ses concepts, etc.
-
la recherche en permettant l’exploitation de ces données pour alimenter ses propres réflexions sur le champ disciplinaire couvert (l’IE), pour les compléter avec d’autres données (issues par exemple d’autres revues ou d’un panorama plus large de la discipline), ou encore réaliser une analyse focus sur les citations des articles de la revue et comparer cette analyse avec d’autres analyses bibliométriques de revues en SIC, comme celle réalisée par Karla Margarita Y Ramirez (2010). De manière encore plus précise, il pourrait s’agir d’élaborer une base de connaissances recensant les auteurs et les mots clés qui leur sont associés, et dans laquelle puiser pour tout projet de recherche ou de composition d’un comité scientifique, et ainsi renforcer l’activité de la communauté scientifique en IE dans les SIC, et identifier par exemple, ses forces et ses faiblesses.
8Formats choisis : tables, graphiques et figures. Ces données sont intégralement réutilisables via un tableur Excel ou en format csv, disponible à l’adresse qui suit.
Identifiant permanent du fichier : DOI 10.12763/F3AR2Q/UTQE5C
URL de téléchargement : https://dorel.univ-lorraine.fr/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.12763/F3AR2Q
Fichier original MD5 : 1e535f0504f7227f12ae032cef27349e
Number of cases : 13
No. of variables per record : 19
Type of File : text/tab-separated-values
Date de publication : 2021-11-25
- 2 Le Bechec, M. et Atanassova, I. Data papers et dissémination des données de la recherche : quelles (...)
- 3 La R2IE a été reconnue qualifiante en 71e section, fin 2018.
9Traiter de données produites au sein d’une revue académique reste une approche assez marginale en SHS, mais malgré tout émergente2. Elle interroge la dissémination des données de la recherche à travers un espace déterminé de publications scientifiques en traitant de la production de ces données, de leur analyse, jusqu’à leur partage. De par les enjeux que cela représente pour les SHS, nous avons souhaité investir cette problématique dans le champ des Sciences de l’information et de la communication (SIC) et plus précisément en intelligence économique (IE) et mettre à disposition notre jeu de données pour qu’il puisse être réutilisable par tous. Notre étude est née à la suite du changement de comité éditorial de la R2IE en 2020 et de la demande de renouvellement de sa qualification en 71e section3 en 2021.
10À ce jour, nous ne recensons aucune publication faisant état d’une analyse détaillée des données de publications issues de la revue de référence en IE (la R2IE) depuis sa création en 2009. Si par le passé, des études ont été publiées sur l’état de la recherche en IE (Moinet & Bulinge, 2013 ; Marcon, 2014 ; Daffeur et al, 2020) ou de la formation en IE associée au big data (Cansell et al, 2020 ; Desmoulins, 2020), pour l’heure, nous ne disposons pas de données précises et actualisées sur le sujet incluant des statistiques de publications et donc une approche bibliométrique. Toutefois, une première analyse avait été réalisée en 2020 s’appuyant sur 153 articles publiés dans la R2IE par des auteurs issus uniquement du monde académique (ne prenant donc pas en compte les praticiens) et interrogeant exclusivement la place qu’occupait l’épistémologie dans le champ de l’IE (Daffeur et al, 2020).
11Aussi, nous ne cherchons pas ici à rendre compte seulement d’une observation bibliométrique, mais à travers elle, à déterminer le positionnement de l’IE en SIC et à mieux comprendre, grâce à des données qualifiées, son évolution en tant qu’objet de recherche. Cette étude fait ainsi écho aux travaux menés par le passé par Christian Marcon sur les publications en IE parues entre 1996 et 2010, démontrant le peu de place accordée à la discipline au sein des revues en SIC (Marcon, 2015). L’objectif in fine est de proposer une cartographie de la communauté d’auteurs autour de l’IE, des thématiques récurrentes et émergentes répondant aux problématiques de la société actuelle que la recherche en IE se propose d’investir, par la maîtrise de l’information et de ses enjeux au 21e siècle.
12Cette cartographie à travers l’analyse de la R2IE nous parait d’autant plus pertinente et significative que la R2IE est la seule revue scientifique française, ouverte à l’international en IE et reconnue en SIC. Sa particularité réside dans son approche multidisciplinaire dans la mesure où elle intéresse différents champs scientifiques (sciences de l’information et de la communication (SIC), sciences de gestion et du management (SGM), sciences économiques (SE), informatique, linguistique, sciences politiques, etc.), différents contextes (civil, militaire, éducatif, culturel, etc.) et concepts (la veille, les risques, le territoire, la connaissance, l’influence, la sécurité, etc.). Ces concepts connexes à l’IE sont aussi intrinsèquement liés aux nouveaux phénomènes qui se manifestent aujourd’hui par leur singularité ou leur caractère protéiforme et évolutif (crise sanitaire, crise d’e-réputation, cybercriminalité, manipulation des données de masse, désinformation, etc.) nécessitant d’être analysés dans leurs dimensions infocommunicationnelles et organisationnelles, selon les ambitions mêmes de l’IE.
13Il s’agit donc ici de mieux cerner la dynamique scientifique qui se crée au sein d’une revue qualifiante et autour des dimensions qui composent l’IE, telles que la veille stratégique, l’influence, la gestion des connaissances ou encore l’intelligence territoriale (IT). Il convient alors d’identifier l’évolution, entre 2009 et 2020, des interrogations, des investigations tant sur le plan scientifique que de terrain, et de révéler la part investie respectivement par les chercheurs et celles des praticiens, ainsi que les thématiques récurrentes, faisant, a priori directement écho à l’actualité que nous vivons aujourd’hui. Nous partons en effet du postulat que les publications sont fondamentalement traitées sous le prisme de l’actualité socio-économique, selon la période couverte et qu’une revue qualifiante génère davantage d’articles de chercheurs que de praticiens.
- 4 En France, le décret n° 2021-1572 du 3 décembre 2021 relatif au respect de l’intégrité scientifique (...)
14Après un exposé succinct sur les fondamentaux de l’IE définis sous le prisme des processus, et de la méthodologie suivie, nous analyserons les données de publications de la R2IE depuis sa création, et terminerons cette étude sous forme de discussion, en y apportant un éclairage au regard des enjeux qu’elle peut représenter pour l’open fair science4.
15Pour faire suite au rapport Martre de 1994, universitaires et praticiens ont investi cet objet d’étude et de recherche en l’analysant sous l’angle stratégique (Besson & Possin, 2002 ; Buitrago Hurtado, 2014), managérial (Zara, 2008), organisationnel (Baumard, 1998) ou encore systémique (El Haddadi, 2015 ; El Haddani, 2018). Nous proposons ici un éclairage sous l’angle du processus informationnel et décisionnel (David, 2010), car cette approche a été principalement abordée dans le champ des SIC, des SGM, et des SE, des disciplines qui sont particulièrement représentées au sein de la R2IE. Cette approche a été notamment utilisée dans le champ des SIC pour étudier la composition du processus d’IE et sa proximité avec le processus infocommunicationnel, comme explicité par Claire Hennezel (Hennezel, 2017). Les étapes de ce processus sont l’explicitation de la demande et la reformulation, la collecte (recueil), l’analyse, le traitement (interprétation), la diffusion et le partage de l’information (transmission) que Maxime Quentin propose de corréler avec le processus décisionnel (Quentin, 2016) :
Figure 1. Les 3 processus
Quentin, 2016, p. 140
16Jessica Dematraz, dans ses travaux de recherche, associe le processus d’IE à celui de la gestion des connaissances : « ces processus vont de la recherche (de l’information) à l’analyse similaire et l’interprétation (connaissance), en passant par le partage, la collaboration et l’apprentissage » (Dematraz, 2018, p. 373).
17En 2013, dans une de ses publications, Ghizlane Salam indique que depuis le début des années 1990, nombreux sont les auteurs à percevoir l’IE en tant que processus informationnel comportant une pluralité́ d’étapes directement liées au cycle de gestion de l’information (collecte, traitement, interprétation et utilisation des informations pour la prise de décision et l’influence sur l’environnement) (Salam, 2013). Elle convoque notamment les travaux de Jean Louis Levet qui définit l’IE comme un processus d’apprentissage collectif et de coopération dont le but est « d’éclairer le processus décisionnel. » (Levet, 2001). D’autres définissent l’IE comme étant « un processus à caractère stratégique ayant pour ultime objectif de mener à une prise de décision, à un moment opportun. Ce processus se concrétise par un ensemble d’actions coordonnées entre elles, mettant en œuvre des moyens humains et matériels au sein d’une entreprise » (Goria et al, 2008). Des moyens humains soulevés également pas Alice Guilhon, pour qui le processus d’IE existe parce que des individus compétents ou des compétences collectives interagissent pour identifier, traiter, diffuser et pour transformer l’information en connaissances et en innovations (Guilhon, 2004). Enfin, Jean-Philippe Mousnier évoque l’objectif de l’IE à l’égard du processus décisionnel « la prise de décision représente quasiment le but ultime de l’IE, toutes les actions mises en place dans le processus d’IE se font en vue du processus décisionnel » (Mousnier, 2018 in Dematraz, 2008).
- 5 Tout au long de notre étude, ce sera essentiellement le premier mot-clé mentionné par l’auteur dans (...)
18Le premier tableau source recense tous les articles parus dans la revue depuis l’année 2009. Chaque ligne représente un article avec toutes les données qui lui sont associées (auteur(s), titre, mots-clefs, année, volume, etc.). À partir de ce tableau, deux tableaux croisés dynamiques ont été réalisés afin d’identifier 1) le nombre d’articles parus par année ; 2) les relations entre les mots-clefs principaux5 et les auteurs.
19Le second tableau source recense tous les auteurs ayant publié un article dans la revue, ainsi que le titre des articles, en veillant à séparer les auteurs d’un même article. Nous pouvons ainsi dégager deux types d’indicateurs 3) le nombre d’articles par auteur ; 4) les articles produits par chaque auteur.
20Le troisième tableau source recense tous les mots-clés qui ont été cités par les auteurs dans leurs articles, en veillant à les séparer selon leur ordre d’apparition (MC1 ; MC2 ; MC3 ; MC4 ; MC5). À partir de ce tableau, trois tableaux croisés dynamiques ont été réalisés afin d’identifier 5) les mots clés récurrents dans la revue ; 6) les mots-clés cités par les chercheurs en SIC ; 7) la détermination de cluster mettant ainsi en évidence non pas uniquement le premier mot-clé, mais tous les mots utilisés ensemble dans un même article.
- 6 Derrière ce statut, nous faisons référence à l’enseignant, l’enseignant-chercheur, le chercheur, le (...)
- 7 Nous définissons le praticien comme une personne de terrain, menant des activités autres que celle (...)
21Le dernier tableau source propose une analyse statistique des auteurs de la revue avec un focus sur les auteurs en SIC. Pour aboutir à ce travail d’analyse, il a fallu en amont réaliser plusieurs recherches pour caractériser chacun des auteurs, selon leur statut professionnel (académique6 ou praticien7), leur métier (enseignant, enseignant-chercheur, consultant, militaire, ingénieur, etc.), leur discipline de recherche, et leur organisme d’appartenance (université, laboratoire, organisme à l’étranger). Ce travail a réclamé de la minutie, notamment pour les auteurs étrangers, dont les statuts diffèrent, ou pour ceux ayant changé entre-temps de laboratoire de recherche. Aussi, nous avons fait le choix de proposer une analyse de 8) la typologie des auteurs (académique vs praticien) ; 9) la répartition des auteurs en SIC selon leur université d’affiliation et laboratoire de rattachement ; 10) la couverture des disciplines.
22Nous présentons ici l’analyse de nos tableaux sources.
23188 articles au total ont été publiés dans la revue sur douze années (tableau 1). L’année la plus prolifique en matière de publications est la première année d’édition avec 24 articles, dont seuls quatre ont été écrits par des praticiens.
24Le nombre élevé de publications pour une première édition de revue qui n’est pourtant pas encore connue et reconnue peut interroger. Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’étant la seule revue scientifique dans ce champ émergent en 2009, elle ait suscité un certain intérêt auprès de la communauté scientifique qui peinait alors à faire valoir ses travaux dans d’autres revues en SIC (Marcon, 2015). Nous remarquerons d’ailleurs qu’ils étaient vingt universitaires (aux statuts différents) à avoir écrit et que beaucoup sont devenus depuis enseignants-chercheurs et auteurs réguliers de la R2IE.
25Pour cette année 2009, parmi les concepts clés mobilisés de façon récurrente, nous noterons notamment celui d’intelligence (économique) territoriale (IET). Cette remarque fait directement écho aux actions politiques mises en place en faveur de l’IE en région et qui ont été étudiées et analysées dans des travaux de recherche et de thèses à cette même période (Goria, 2006 ; Herbaux, 2007 ; François, 2008 ; Knauf, 2010).
Tableau 1. Détail du nombre d’articles par année publiés par la R2IE
Étiquettes de lignes
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Nombre de Titre
|
2009
|
24
|
2010
|
17
|
2011
|
11
|
2012
|
13
|
2013
|
13
|
2014
|
11
|
2015
|
5
|
2016
|
18
|
2017
|
21
|
2018
|
19
|
2019
|
20
|
2020
|
16
|
Total général
|
188
|
- 8 À cette même période, la revue s’est séparée de Lavoisier pour rejoindre VA éditions.
- 9 Voir à ce propos le projet de loi soumis par la sénatrice Marie-Noëlle LIENEMANN le 25 mars 2021 ht (...)
26A contrario, l’année 2015 n’a donné lieu qu’à un seul volume. Les données en elles-mêmes ne nous permettent pas d’en connaitre la raison, cependant, nous avons pu noter un changement d’éditeur pour la revue8. Cette nouvelle configuration a inévitablement pesé sur la gestion de la revue. De plus, de par notre connaissance de ce champ disciplinaire, nous pouvons aussi avancer l’hypothèse d’un certain essoufflement durant cette période ; avec toutefois un regain après 2016 (Loi NoTRE), s’expliquant notamment par un réengagement de l’état en faveur d’une nouvelle politique d’IE9 et de son impact sur la recherche et la formation en France. Nous avons ainsi connu trois périodes clés entre 1994 (rapport Martre) et 2020 : 1995, 2003-2005 et 2016 sq. Olivier Coussi et Nicolas Moinet rapportent d’ailleurs cette observation dans leur article sur la politique d’intelligence territoriale mise en œuvre ces vingt dernières années et de son « manque de fluidité », avec la nécessité de réduire les espaces et champs libres des acteurs dans les territoires (Coussi et Moinet, 2018).
27Nous délimitons donc notre analyse au premier concept-clé mentionné par les auteurs dans leur résumé et remarquons par exemple qu’entre 2009 et 2015, deux mots-clés ont été récurrents (hormis « intelligence économique » qui est omniprésent) : « brevet » et « influence », même si leur fréquence de citation était modeste.
Figure 2. Occurrence des mots-clés selon les années
- 10 Concept lié à la politique publique d'intelligence économique (PPIE). Il constitue un élément d'ana (...)
28L’objectif de cette analyse réside dans d’identification des mots-clés utilisés par les auteurs, à savoir le nombre d’auteurs ayant utilisé ces mots-clés et le type d’auteurs. Nous avons recensé 480 mots-clés différents mentionnés dans les 188 publications, ce qui nous semble particulièrement élevé et permet difficilement de dégager des tendances. Cependant, pour cet exemple-ci (tableau 2), nous avons choisi d’analyser l’occurrence de l’expression « intelligence économique territoriale »10 permettant ainsi d’identifier six auteurs ayant cité cette expression dont, un seul n’est pas enseignant-chercheur. Les second et troisième mots-clés peuvent également nous éclairer sur l’orientation des articles en lien avec l’IET. Pour l’un, c’est l’aspect acteur qui est directement associé à l’IET, pour un autre la communication, ou encore la gestion des connaissances. En allant plus loin dans cette analyse, nous constatons que quatre des cinq auteurs universitaires sont issus des SIC.
Tableau 2. Le mot-clé "intelligence économique territoriale" utilisé par les auteurs de la R2IE
-
Une référence manifeste aux trois piliers de l’IE
29L’analyse des concepts abordés dans les publications de la revue depuis sa création permet de distinguer nettement les trois piliers de l’IE : la veille, l’influence, et la protection (ici à travers le mot clé brevet) ainsi que les enjeux/préoccupations actuels auxquels l’IE répond, tels que le développement durable, l’innovation, le réseau, ou encore le territoire (ici à travers l’expression « intelligence économique territoriale »). Notre analyse a porté sur le premier mot-clé mentionné dans le résumé.
Figure 3. Les premiers mots-clés les plus mentionnés par les auteurs de la R2IE
30Le mot clé « intelligence économique » apparait bien évidemment avec une occurrence de 50.
31En revanche, nous remarquons que la très grande majorité́ des mots-clefs a été utilisée une seule fois, ce qui souligne la diversité́ des sujets traités dans la revue (rappelons-le, 480 mots-clefs différents ou expressions ont été cités).
32Parmi les éléments d’explication, celle du comité éditorial dont le choix de la thématique du numéro impacte directement sur l’orientation des articles et donc du choix des mots-clés. Ce choix de thématique est très souvent déterminé selon les enjeux socioéconomiques qui peuvent être traités par l’IE sur la période couverte par le numéro en cours. Le développement durable en fait partie.
33Cette analyse vise à comprendre de quelle manière peut être traitée l’IE par les chercheurs en SIC. En nous appuyant sur les premiers auteurs des articles et en filtrant les premiers mots-clés mentionnés, nous remarquons que ce sont sensiblement les mots-clés les plus récurrents révélés précédemment (tableau 3).
34Cependant, aussi surprenant que cela puisse paraitre, le terme communication ne ressort pas en premier mot-clé cité par des chercheurs en SIC. Une des explications pourrait être que la communication est sous-entendue et transversale et que les auteurs ne jugent pas la nécessité de la citer exclusivement. L’autre explication est que cette notion est très peu traitée, voire « oubliée » par la communauté de chercheurs et praticiens qui abordent l’IE essentiellement sous le versant informationnel. C’est ce que nous enseigne Christian Marcon lors d’une étude menée sur un corpus de « 7 thèses ou mémoires de HDR et de 46 articles et communications produits entre 1999 et 2010 consacrés à l’intelligence économique […] et montrant un rapport d’un à dix entre l’usage du mot communication et celui du mot information » (Marcon, 2012). Nous notons toutefois que ce mot-clé est parfois mentionné en 2e, voire en 3e mot-clé (c’est le cas notamment pour les auteurs Moinet et Bertacchini).
Tableau 3. Rapport 1er auteur (issu des SIC) et 1er mot-clé cité dans la R2IE
- 11 Datavisualisation réalisée sur VOSviewer puis modifiée sur Gephi
35Cette datavisualisation11 (figure 4) permet de distinguer les termes associés à un concept qui peut être souvent ou occasionnellement abordée dans les articles de la revue.
36L’analyse repose ici sur les termes qui composent les clusters afin de déterminer lesquels sont utilisés ensemble de façon récurrente. Par exemple : le terme « système » qui a pu être cité autant dans le titre de l’article que dans les mots-clefs, est relié à des termes tels que « intelligence territoriale », « intelligence économique » ou encore « territoire ». De cette observation, nous pouvons déduire qu’un certain nombre articles de la revue évoque l’IE ou l’IT comme étant un système. Afin de vérifier cette affirmation, nous avons parcouru les articles mentionnant ces mots-clés et pouvons confirmer que les expressions « système d’intelligence économique » ou « système d’intelligence territoriale » sont souvent évoquées.
Figure 4. Datavisualisation de clusters de termes parus dans les titres et mots-clés
37La part des universitaires constitue près de 73 % des articles publiés. Parmi les universitaires, ils sont 18 à ne pas être enseignants-chercheurs (ce sont souvent des doctorants ou des professeurs agrégés qui interviennent dans le supérieur) (tableau 4).
38Cette observation valide partiellement notre hypothèse selon laquelle une revue qualifiante attirera davantage d’auteurs enseignants-chercheurs et que la part accordée à l’évaluation avec la rigueur scientifique qui l’accompagne peut entrainer un désintérêt ou une perte de temps de la part des praticiens. Elle peut aussi s’expliquer par la sélection des articles dont le contenu écrit par des praticiens ne correspond pas toujours aux normes scientifiques de la revue.
Tableau 4. Typologie des auteurs de la R2IE
39En effectuant des recherches sur les auteurs de la revue, nous avons également collecté des informations concernant l’université́ à laquelle les enseignants-chercheurs appartiennent. Ainsi, malgré les quelques données manquantes, nous pouvons proposer un graphique représentant la part des universités dont sont issus les enseignants-chercheurs en SIC ayant publié au moins un article dans la revue (figure 5). Sur ce graphique, un laboratoire peut comprendre deux universités différentes, car les deux auteurs concernés peuvent être rattachés au même laboratoire, mais pas à la même université. Par exemple avec l’IMSIC pour lequel un auteur est rattaché à l’université de Toulon et l’autre à Aix-Marseille ou encore pour le DICEN (un rattachement au CNAM et l’autre à Gustave Eiffel). Notons également que certains laboratoires se sont réunis entre temps, tels que I3M et IRSIC pour devenir l’IMSIC. Enfin, il est nécessaire de préciser que la grande majorité de ces laboratoires n’a pas comme discipline unique les SIC.
Figure 5. Représentation des universités et laboratoires de recherche des enseignants-chercheurs en SIC ayant publié dans la R2IE
40Nous relevons à travers ce graphique (figure 6) que les SGM et les SIC sont les deux disciplines dominantes, ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où en France, elles couvrent principalement le champ de l’IE. Les auteurs en SE sont souvent des auteurs étrangers. Pour aller plus loin dans cette analyse, il faut préciser que parmi les auteurs en SGM, vingt proviennent de l’étranger (contre 8 en SIC) sur 37 auteurs étrangers au total qui ont contribué pour la R2IE. La revue a en effet édité trois numéros spéciaux consacrés à l’IE au Canada, au Brésil et au Maroc, éclairant ainsi leur appréhension de la recherche et des pratiques dans la discipline. Pour le Maroc, nous avons pu remarquer une part importante d’auteurs issus des SGM et SE.
41Par ailleurs, le terme « autre » désigne des disciplines comme la sociologie, l’histoire, le droit, la médecine, les lettres ou encore l’informatique.
42Enfin, notons que près d’un tiers des articles a été produit par des enseignants-chercheurs en SIC ce qui représente une proportion non négligeable au regard de la diversité des auteurs, tant par leur champ disciplinaire que par leur statut. Cependant, cette tendance n’a pas été à la hausse les deux dernières années (2019 et 2020) malgré le fait que la revue ait obtenu une qualification en SIC.
Figure 6. Représentation des disciplines couvertes par les auteurs de la R2IE
43Notre étude reposant sur l’analyse de 188 articles, 205 auteurs et 480 mots-clés parus dans la R2IE sur douze années, a permis de mettre en lumière des thématiques récurrentes, mais aussi des auteurs publiant dans la revue, selon leur champ disciplinaire et leur statut. En dressant cet état des lieux, nous avons pu rendre compte de l’impact des sujets traités sur deux aspects :
-
L’évolution des thématiques au fil des années en lien avec les enjeux économiques et sociétaux ;
-
Les types d’auteurs qui s’emparent de ces sujets.
44Nous avons aussi constaté que certaines années comptaient vingt articles et plus (en 2009, 2017 et 2019) et d’autres moins de douze (2011, 2014 et 2015). Notre étude reposant sur des données purement empiriques, la prise en compte du contexte a été réalisée a priori et de manière non systématique, de par notre connaissance des domaines couverts et de l’évolution du champ de l’IE au fil des années. Ce sont 73 % d’auteurs issus du milieu académique (chercheur et/ou enseignant, doctorant, agrégés…) et 27 % du monde économique (consultants, ingénieurs, militaires, gérant de sociétés, etc.) qui ont partagé leurs visions de la discipline, leurs observations, leurs expertises et leurs expériences. Une répartition qui témoigne de cette « alliance » recherche/terrain que Moinet et Bulinge soulevaient très justement en 2013 : « l’intelligence économique s’appuie sur des méthodologies issues du terrain qui demandent une assise théorique forte » (Moinet & Bulinge, 2013 in Knauf et Coussi, 2020). Nous avons également remarqué une thématique particulièrement investie par les enseignants-chercheurs en SIC, à savoir l’IET, et des mots-clés cités souvent en lien avec les problématiques sociétales de notre siècle (voir la figure 3).
Figure 7. Les 20 Mots-clés les plus fréquemment mentionnés par les auteurs de la R2IE sur ces 12 dernières années
45Pour autant, une analyse reposant essentiellement sur des statistiques ne nous permet pas d’apporter des éléments d’explicitation de différents phénomènes que nous avons observés (années productives et d’autres non, part des auteurs étrangers en SGM, citation de certains mots-clés), et c’est ce qui fait les limites de ce type d’étude essentiellement tournée vers le quantitatif. Elle gagnerait ainsi en légitimité et en richesse en s’appuyant sur l’interprétation de ses données par d’autres acteurs du domaine. Ce jeu de données ouvert est ainsi appelé à évoluer et permettre à tout chercheur souhaitant l’exploiter et le compléter, de mettre en perspective ses propres observations au regard d’autres objets de recherche abordés en SIC. C’est là aussi tout l’enjeu des principes du FAIR12 et du positionnement d’une revue comme la R2IE vis-à-vis de la science ouverte : la valorisation des données de la recherche avec des données normalisées, standardisées, pérennisées, qui facilite leur réutilisation et leur citation (Kratz & Strasser, 2004 ; Gay, 2021) et ce, dans le respect d’un cadre juridique s’appuyant notamment sur la loi pour une République numérique13 (Maurel, 2017).
46Par la suite, nous envisageons de dresser un parallèle entre l’état de la recherche en IE en France et les publications au sein de la R2IE, à l’aide d’une méthodologie de recherche mixte, qui inclurait un volet qualitatif en plus de notre étude bibliométrique. Cette analyse qualitative nous permettrait notamment de répondre aux questions soulevées dans cet article et de mettre en contexte les phénomènes observés et restés sans réponse.