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Résumés

L’article répond à une double visée : enrichir la réflexion contemporaine sur la question de la valeur en déjouant les apories inhérentes à la distinction usuelle entre valeur d’usage et valeur d’échange ; sonder les ressorts des rapports marchands en mettant au jour les rouages par lesquels la valeur advient à des biens et à des services. Il est ainsi montré au fil des analyses que loin de se plier aux lois de l’offre et de la demande ou de se déduire mécaniquement des coûts de production, la valeur relève d’abord d’une construction symbolique. C’est à ce titre la communication, conçue comme l’ensemble des moyens et des dispositifs d’ordre symbolique engagés dans la reproduction de l’ordre social et économique, qui fait l’objet d’une mise en perspective critique explicitant son rôle pour le capitalisme contemporain. Dire ce qui vaut revient en effet à disposer du pouvoir de faire advenir la valeur et de l’imposer pour en tirer profit. En retour, cela explique le développement de la communication comme levier des transformations de l’économie et, par extension, comme secteur d’activité et spécialisation professionnelle.

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Texte intégral

1L’on sait combien il peut paraître présomptueux de prétendre dire la vérité du spectre capitaliste qui hante nos vies et combien la prétention théorique, coupée de tout ancrage empirique, peut s’avérer vaine. Mais l’effort de théorisation pour peu qu’il soit borné, qu’il déjoue les facilités des jeux de langage et qu’il se confronte à la réalité de pratiques ou de domaines d’empiricité bien établis demeure primordial pour la connaissance. Quant à la question du capital au sens marxiste ou en un sens plus wéberien tel que Pierre Bourdieu en a vulgarisé l’usage, elle s’impose aux yeux d’un grand nombre de chercheurs, notamment dans le sillage du renouveau de la sociologie économique (Steiner & Vatin 2013), qui scrutent les sociétés contemporaines, qui cherchent à saisir les principes de structuration des rapports marchands, les mécanismes de production et de répartition (très) inégalitaires des richesses, les dynamiques de développement et d’organisation de ces sociétés.

2Au risque d’outrepasser ces précautions liminaires, la thèse que l’on souhaite présenter et développer au fil du présent article se résume à montrer que la compréhension du capitalisme contemporain comme système de production marchand basé sur l’anticipation de profits à réaliser mais aussi comme mode de structuration des rapports sociaux et économiques suppose l’analyse du développement de la communication et de ses applications à la plupart des domaines de l’activité humaine. Une raison à cela : c’est au travers des rapports de communication qu’advient une valeur aux choses, qu’une valeur leur est prescrite mais aussi que la valeur s’impose et, simultanément, est imposée. Cette thèse s’inscrit par conséquent dans le prolongement des débats récents autour du « renouveau matérialiste des théories de la valeur » (Benquet & Sobbel 2019) et invite à engager quelques hypothèses permettant d’interpréter la conquête de la société par la communication, dans la diversité de ses espaces sociaux et de ses filières productives (Miège 1996). Cela étant dit, il s’agit d’expliciter à la fois ce que l’on entend par cette thèse qui risque de paraître quelque peu opaque en raison de sa généralité et en quoi elle peut renouveler le regard que l’on porte sur la société et son économie et, en particulier, sur « la communication » qui, sous cet angle, se rapporte à l’ensemble des moyens d’ordre symbolique et des dispositifs engagés dans la reproduction de l’ordre social et économique. Après une rapide problématisation des mécanismes de construction de la valeur marchande, l’article se propose d’étayer la thèse précédemment évoquée en se basant sur deux terrains d’étude : les vins et les biens immobiliers. Les analyses se prolongent ensuite dans l’explicitation des modes de prescription de la valeur et s’attachent à mettre au jour les ressorts des rapports marchands au travers desquels la valeur advient.

Ce qui fait la valeur

3Pour satisfaire cette nécessaire explicitation, sans reprendre le fil de la pensée économique et sans refaire l’histoire des théories de la valeur, on remontera néanmoins aux propositions de Marx et à son concept de « plus-value » (1965, 3e et 4e section – ch. 7 en particulier). Pour ce dernier, loin de se réduire au seul profit, la plus-value découlait de l’exploitation de la force de travail. Le caractère primordial accordé à la question empirique des mécanismes de construction de la valeur et de formation du capital a émancipé l’analyse économique des spéculations sur de potentiels équilibres naturels résultant comme par magie des échanges marchands. Mais l’analyse de Marx aussi juste soit-elle pour son époque référait la construction de la valeur attribuée à la marchandise ainsi que la production de capital au surtravail. En d’autres termes, la valeur de la marchandise conservait toujours comme principe l’économie du processus productif au sein duquel le travail salarié jouait un rôle primordial comme force productive et comme source de production de richesse par la transformation de la matière.

4L’analyse de Marx appelle, sur ce point, la formulation de deux réserves. Inscrite dans un contexte historique déterminé, focalisée à la fois sur la manufacture (usine) comme modèle d’organisation du travail et sur la production de marchandises, elle est portée mécaniquement à ignorer les spécificités de la production de services et l’économie d’échanges qui excédent la seule réalité de l’objet manufacturé. Dans son livre L’empire de la valeur, André Orléan (2011, ch. 1) a d’ailleurs souligné ce point aveugle de la pensée de Marx puisqu’au final, l’auteur du Capital faisait du travail la substance de la valeur. Il aurait ainsi partagé avec les économistes néoclassiques (Polanyi 2011, ch. 2) une même croyance en un fondement de celle-ci dans la marchandise. La seconde réserve porte sur la distinction, coutumière depuis Adam Smith, entre valeur d’usage et valeur marchande, la seconde dérivant de la première puisque, comme l’indique Marx lui-même au début du Livre I du Capital, il n’est guère possible de concevoir une valeur marchande en soi, indépendamment de toute valeur d’usage.

  • 1 On se démarque cependant des analyses de Lucien Karpik sur un point : son analyse de l’économie des (...)
  • 2 On peut d’ailleurs identifier dans ce phénomène une des causes de la dépréciation croissante de la (...)
  • 3 Voire des entreprises, comme l’ont montré Marlène Benquet et Théo Bourgeron (2019 : 49), dont les a (...)

5Si la thèse de Marx s’imposait en son temps et se comprend toujours quand on analyse la production de type industriel et les mécanismes de construction de la valeur des produits manufacturés, correspondant à des biens de consommation courante, elle ne facilite guère la compréhension des mécanismes de valorisation de services ou d’objets non-manufacturés tels que les œuvres d’art ou, plus généralement, les produits artisanaux. Et, à la vérité, elle ne permet guère de comprendre des mécanismes de valorisation de produits et de marchandises « singuliers », au sens donné à ce terme par Lucien Karpik1 (2007), mais aussi plus généralement de produits que le marketing tend aujourd’hui à qualifier, à particulariser et, par conséquence, à valoriser. Or, dans cette économie contemporaine « tertiarisée », portée par des marchés de renouvellement et des logiques consuméristes de distinction, les mécanismes de construction de la valeur les plus importants, c’est-à-dire ceux qui sont à la base de la dynamique du capital, de la création apparemment magique d’un supplément de valeur, sont moins à rechercher dans l’exploitation de la force de travail2 que dans la puissance symbolique de valorisation des produits.3

  • 4 Sur l’importance de la pensée aristotélicienne dans la genèse de la critique marxiste, cf. Vadé (19 (...)
  • 5 Très diversement reprise et exploitée par J. Lacan et P. Bourdieu (Olivesi 2017).

6Mais qu’est-ce que cette puissance4 ? On rassurera le lecteur en lui indiquant qu’il ne s’agit ni d’une force obscure, ni d’un principe métaphysique mais plus prosaïquement, de l’ensemble des ressources d’ordre symbolique mobilisées et engagées dans la production en même temps que les ressources matérielles et financières et au même titre que celles-ci, puisqu’elles n’en sont pas moins des biens monnayables, afin de mettre en visibilité, de faire exister et de faire valoir le produit, en un mot de communiquer. On précisera aussi que cette puissance symbolique nous ramène à l’efficacité du langage théorisée par C. Lévi-Strauss (1949),5 c’est-à-dire à la capacité à faire advenir la valeur par le langage pour l’imposer, supposant à ce titre un pouvoir de faire être ce qui vaut, ainsi que des luttes incessantes et une concentration de ressources pour accéder à la jouissance de cette même puissance.

7Pour illustrer ce point et expliciter ainsi les rapports entre capitalisme et communication, on puisera un premier exemple dans l’économie symbolique du vin (Olivesi 2018). Les évolutions contemporaines de ce secteur se caractérisent en effet par un dépassement partiel des formes traditionnelles de valorisation des produits. D’un côté, on enregistre le recours aux savoir-faire éprouvés par ailleurs dans le domaine du marketing pour des produits de type industriel ou des produits de luxe et, de l’autre, la mobilisation de modes de valorisation singularisant, inspirés des mondes de l’art au sens où l’on produit des vins d’artisans-artistes en petite quantité, promus au moyen de la figure de leur « auteur », destinés à des marchés restreints de consommateurs « goûtant » ces vins.

  • 6 On peut observer le même phénomène pour de nombreux autres produits (baskets, objets technologiques (...)
  • 7 Outre le caractère socialement réducteur de ce type d’analyse (Cardebat 2017), on observe qu’elles (...)

8Dans un cas comme dans l’autre, on observe que la valeur marchande des produits ne se déduit pas mécaniquement des coûts de production6 qui ne se répercutent dans le prix de vente que d’une manière extrêmement variable. Cette variation laisserait même supposer que le rapport entre le prix de vente et les coûts de production est aléatoire. Elle s’explique tout simplement parce que la fixation du prix et, avant elle, la valeur symbolique qui fait qu’une bouteille sera prisée de certains acheteurs consentant à payer un prix élevé, sans rapport avec les coûts de production, advient par d’autres voies. De même, si l’on se tourne vers le « Marché » comme système de fixation des prix7, on peut toujours postuler que la valeur marchande dépend de la rareté du produit ou, inversement, que la dépréciation de certains produits découle d’une trop grande concurrence du côté de l’offre, mais rien n’explique ces phénomènes, ni la tension résultant de la différence entre les coûts de production et le prix de vente. Qu’est-ce qui fait que certains vins sont particulièrement recherchés et qu’est-ce qui conduit des acheteurs à consentir à payer un prix très élevé, sans même évoquer les phénomènes d’achats de vins à des fins de spéculation ?

  • 8 Ce processus de rationalisation de la production par l’aval, c’est-à-dire par les marchés, dans le (...)

9Ce n’est donc pas le « Marché » qui fait la valeur marchande des vins mais les investissements symboliques qui font que certains produits revêtent une valeur qui se matérialise ensuite sous forme monétaire pour s’échanger à des prix plus ou moins élevés. Se précise sur ce point le rôle et la place essentielle des dispositifs de communication dans ce que certains économistes appellent la coordination marchande et que l’on désignera plus précisément comme la construction symbolique de la valeur au sens où elle ne résulte pas de jeux d’ajustement neutres ou de simples interactions marchandes mais d’une véritable agonistique, d’un engagement de moyens souvent très importants, à la fois individuels et collectifs, ayant comme finalité de faire advenir la valeur du produit ou d’une gamme de produits en l’imposant aux acteurs influents dans la filière pour la prescrire ensuite à un plus large public d’acheteurs. Cette valorisation par la communication devient, à ce titre, le moment premier de la production8 puisqu’elle conditionne a priori l’engagement de moyens déterminés (capital) dans la production matérielle d’un vin, en fonction de la capacité à en faire exister ensuite la valeur sur la scène marchande.

10De manière convergente, dans son analyse de La formulation marchande des biens, Michel Callon (2013 : 265) écrivait :

Les marchés sont définis comme des dispositifs agonistiques où s’affrontent et s’éprouvent des définitions contradictoires des biens et de leur qualification. Ces affrontements se résolvent dans des compromis qui prennent la forme de transactions donnant lieu à des paiements monétaires. C’est pourquoi [] on ne peut séparer la qualification des produits, d’un côté, et les formes d’organisation et de fonctionnement des marchés de l’autre. Analyser un marché, c’est analyser le processus de qualification des biens qu’il commercialise.

  • 9 On regrettera de ne pas disposer d’indications chiffrées sur ce que représente aujourd’hui en Franc (...)

11Cette analyse (Callon 2017) met tout particulièrement l’accent sur la dimension agonistique de la relation marchande et présente, à ce titre, le double intérêt de s’émanciper d’une approche centrée sur la coordination, la coopération ou les conventions comme formes d’ententes (Orléan 1994) ou de réduire la valeur à une justification du prix (Boltanski & Esquerre 2017 : 138-144). S’il va de soi que le plus souvent, les prix sont fixés, ajustés, modelés par des mécanismes marchands, il ne faut pas oublier que cela ne résulte pas de mécanismes naturels mais de la capacité de groupes d’acteurs à produire avant même les biens et les services proposés, les conditions d’une profitabilité de ces échanges dans la mesure où ils concentrent et engagent un capital indistinctement économique, technique, scientifique, culturel et social permettant de les produire matériellement mais aussi et surtout de les faire valoir symboliquement. En ce sens, la construction de la valeur est première, dépendant des capitaux engagés, et n’advient à la marchandise que par transfert mais aussi, comme on le verra, par prescription, l’illusion réaliste consistant dès lors à postuler un ancrage déterminant dans celle-ci. Cette illusion conduit ensuite à s’interroger sur les énigmes du marché pour savoir comment s’ajuste la valeur marchande en fonction de la valeur d’usage sans voir que les objets d’échanges ne sont reconnus comme tels et dotés d’une valeur marchande que parce qu’ils sont a priori pourvus d’une valeur symbolique. L’importance accordée à la communication marchande qui pourrait se mesurer en termes d’engagements financiers9, mais aussi de spécialisation professionnelle et de développement de savoir-faire, réside précisément dans cette agonistique visant à faire advenir la valeur pour un bien, un service ou une marchandise, en l’imposant symboliquement, c’est-dire par des moyens qui sans puiser dans la contrainte physique n’en prolongent pas moins l’emprise.

Le capital socialisé : un premier objet à l’étude

  • 10 Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer, à titre d’exemples, les cas de Catherine et Gilles (...)

12Et pour étayer le propos, prendre la mesure de cette « agonistique », les mondes du vin s’apparentent à un cas d’école car, en leur sein, des hiérarchies de goût et, par conséquent, de valeur symbolique attribuée aux produits entrent aujourd’hui en conflit, contredisant les valeurs marchandes. Ainsi, un vin très fortement valorisé sur un segment de marché pourra être considéré comme un vin sans véritable valeur par des acteurs (producteurs, distributeurs, acheteurs…) opérant sur un autre segment. Il serait trop long de décrire ici les conflits opposant les défenseurs de l’économie des vins conventionnels aux promoteurs des vins « nature » et/ou « biodynamique » (Olivesi 2018), mais on peut rappeler les formes violentes de rejet et de stigmatisation dont les uns font l’objet de la part des autres et réciproquement, comme en témoignent les polémiques récurrentes, les luttes locales incessantes au sein de certaines AOC, mais aussi certains conflits ouverts, mis en visibilité par leur judiciarisation.10 Un vin loué par des experts peut en effet être considéré comme un produit technologique sans intérêt, voire toxique en raison du mode de viticulture et des intrants utilisés dans son élaboration ; et, réciproquement, un vin « nature » fortement valorisé peut être considéré comme un vin « déviant » ou « manquant de typicité » selon les critères de l’œnologie officielle. Derrière ces argumentaires savants et les controverses qui les accompagnent transparaissent évidemment des intérêts économiques, voire politiques au sens où des groupes sociaux et professionnels, institutionnellement reconnus, engagent jusqu’à leur existence dans ces luttes.

13Le phénomène met clairement en lumière que la valeur marchande des produits repose avant tout sur l’agonistique de la valeur symbolique du produit, traduite par la fixation d’un prix de vente au terme de nombreux échanges qui ne se réduisent pas à des interactions marchandes neutres et engagent tous les acteurs de la filière (producteurs, distributeurs, médiateurs, consommateurs) dans les rapports sociaux et économiques qu’ils entretiennent. L’intensité des luttes symboliques et la mobilisation de moyens, souvent collectifs, de plus en plus conséquents en témoignent (Olivesi 2018 ; Olivesi 2019b). C’est la raison pour laquelle, comme on l’a indiqué, le moment premier de la production de vin réside aujourd’hui dans la communication : avant même de produire un quelconque vin s’impose la construction symbolique d’un produit qui doit « parler » aux acteurs interdépendants mobilisés dans ce que les gestionnaires appellent « une chaîne de valeur » afin d’espérer faire reconnaître le produit pour une juste valeur, conforme à cet ordre symbolique des valeurs marchandes.

  • 11 Comme on l’a montré par ailleurs, la critique sous la forme de guides « papier » a par le passé jou (...)

14La question de la construction symbolique de la valeur et de l’imposition de celle-ci au moyen de dispositifs de communication devient donc centrale11. Elle renvoie en partie à l’importance des investissements directs dans la communication, c’est-à-dire aux actions ponctuelles ou régulières visant à promouvoir le produit et le producteur, mais surtout aux investissements indirects et collectifs inhérents à l’établissement de la hiérarchie des valeurs et aux institutions en charges de la promotion de la filière ou, plus précisément, de segments de celle-ci. Il faut par conséquent ajouter pour éviter les simplismes qu’un acteur ne maîtrise jamais les ressorts de la construction symbolique d’un produit. Il peut parvenir avec plus ou moins de succès, sous l’effet de sa socialisation et de son positionnement, à jouer sur ces ressorts et sur ces ressources collectives car la valeur d’un produit prend place dans un ordre symbolique qui prédéfinit la hiérarchie des valeurs.

15Un vin n’est donc « grand » que parce qu’il répond à une échelle de valeurs relativement stabilisées, adossées à un ordre social-marchand, traduisant l’intérêt d’un groupe d’acteurs, promoteur de cette hiérarchie. Un acteur peut investir dans la communication d’importants moyens, multiplier les actions, appliquer des techniques de marketing (allant du packaging jusqu’à la définition gustative du produit en fonction des cibles marchandes), sa communication au sens trivial du terme – choix de supports, types de messages, stylisation de l’étiquette, modalités de mise en visibilité… – ne joue qu’un rôle secondaire car elle reste très largement conditionnée par cet ordre symbolique prédéterminant. Par contre, sa valeur est une construction communicationnelle au sens où la valorisation d’un produit n’est jamais l’expression du génie d’un producteur, ni de son seul savoir-faire marchand, applicable à l’image de recettes de cuisine, mais de la mobilisation d’un capital socialisé, c’est-à-dire d’un ensemble de ressources communalisées à la disposition d’opérateurs, véritables « associés-rivaux » au sens de Mauss (1923-24), pouvant l’investir sous certaines conditions dans une pratique pour en tirer un profit, symbolique et financier, se déduisant d’abord de la reconnaissance de la qualité par les pairs. Ces derniers n’en reconnaissent d’ailleurs la valeur qu’à la condition d’en tirer à leur tour et de manière indirecte un profit symbolique collectif.

16Appréhender la valorisation des produits à partir du capital socialisé, mobilisé, investi et reproduit, c’est aussi rompre avec la vision que véhiculent à la fois la notion juridique du « capital social », référée à un capital partagé par des associés, et la conception bourdieusienne du capital (et du capital social en particulier) référée exclusivement à l’agent. Cette dernière se révèle pertinente si l’on s’attache à analyser ce que fait ou ne fait pas un agent dans un champ en fonction de ses ressources relationnelles propres, mais elle paraît impropre pour comprendre comment ce dernier parvient à mobiliser des ressources communes (sociales, symboliques mais aussi indistinctement économiques, voire financières par l’obtention de prêts) et, plus encore, comment il parvient à imposer la reconnaissance de sa production dans un environnement concurrentiel auprès de ses pairs. Si l’acteur mobilise comme ressource un capital socialisé dont il n’a pas la jouissance exclusive, en retour, son profit économique et, surtout, symbolique profite aux autres acteurs qui en partagent indirectement la jouissance. Dans le domaine vinicole, le phénomène s’observe en de nombreuses appellations où « des locomotives », c’est-à-dire un, deux, trois voire quatre producteurs, tirent à la hausse la valeur marchande de tous les vins produits, y compris de ceux produits par des vignerons sans notoriété particulière, produisant des vins relativement standardisés.

  • 12 Le dernier ouvrage de T. Piketty propose une stimulante mise en perspective historique et économiqu (...)

17La difficulté à concevoir le « capital socialisé » réside très certainement dans notre mode de pensée individualiste qui veut que le capital soit référé à un ou plusieurs acteurs/agents qui en seraient détenteurs consciemment ou inconsciemment. Elle fait indirectement écho à « la théorie des communs » développée par Elinor Ostrom (2008 : 2010) puisqu’elle met l’accent sur le caractère largement collectif de la production et le partage de certaines ressources, tout en introduisant une critique du « propriétarisme »12 qui est la condition même d’une compréhension élargie des phénomènes économiques, marchands et institutionnels. La valeur est relationnelle : rien ne vaut en soi sans reconnaissance, négociation, rapports de force, dépossession, imposition de ce qui est amené à recouvrer une valeur. Et, par conséquent, on s’interdit de comprendre la production si l’on réfère celle-ci à un individu ou un groupe d’individus, possesseurs du capital en soi, tirant à terme profits de leurs investissements, pour au moins deux raisons. La première, la plus élémentaire, est que le capital en soi n’a pas de valeur ; sa valeur dépend également de sa reconnaissance sociale et de son adossement à un groupe politique qui la garantit. La seconde, plus essentielle pour l’analyse des phénomènes économiques, est que les ressources matérielles, cognitives, sociales requises par toute production sont strictement irréductibles au capital propre à un acteur (individu ou groupe – « le capitaliste en soi ») ; une grande partie de ces ressources, en raison du droit de propriété et de la (div-)vision du monde « propriétariste » qu’il induit, passe inaperçue ou est tenue pour négligeable, expliquant d’ailleurs les atermoiements de nombreuses modélisations économiques qui ne prennent en considération que ce qui appartient à des acteurs économiques privés ou publics, propriétaires des moyens de production. L’analyse économique nous a d’ailleurs trop habitué à négliger les moyens communalisés et à ne percevoir le capital que sous l’angle financier et « propriétariste », oubliant d’ailleurs qu’il repose avant tout sur la mutualisation de l’épargne ; cette dernière suppose à la fois la communalisation de ressources financières et, tout aussi essentiel, un accord et une reconnaissance de la valeur même du capital.

18Dans le cas de la filière vitivinicole, ce capital socialisé s’appréhende ainsi sous la forme purement symbolique de marques collectives (les appellations ainsi que certains labels), mais il se matérialise surtout dans des dispositifs à la fois pratiques et symboliques : mise en commun d’outils de coordination, de promotion, de valorisation, de formation, d’amélioration des connaissances appliquées et de diffusion des savoirs, etc. Il n’appartient donc à aucun opérateur ou groupe d’opérateurs en propre mais permet, sous certaines conditions, de bénéficier de ces ressources communalisées et d’en tirer un profit plus ou moins grand. Et si l’on veut saisir les raisons pour lesquelles certains tirent davantage profit que d’autres de ce capital socialisé, concourant à son accroissement, il importe alors de reconsidérer les caractéristiques sociales de l’agent, au sens bourdieusien, et les facteurs qui lui permettent d’exploiter ce capital socialisé mieux ou plus que d’autres.

  • 13 Le lecteur aura compris qu’il ne s’agit pas du capital symbolique au sens bourdieusien, c’est-à-dir (...)

19Le capital socialisé fonde symboliquement la valeur du capital détenu par les acteurs : s’il se déprécie symboliquement, c’est par exemple la valeur marchande des produits mais aussi de la propriété foncière qui se déprécient. Et le capital des acteurs, engagé collectivement dans la défense de leur produit, de leur terroir et la promotion de leur marque, renforce le capital socialisé, pouvant demeurer à l’état de puissance symbolique mais aussi se matérialiser sous la forme d’institutions ou de dispositifs. Dans cette dynamique, rien n’oppose la dimension symbolique et la dimension financière du capital socialisé, comme d’ailleurs du capital propre à chaque acteur. La traduction monétaire qui différencie le capital symbolique du capital financier fait bien plus que donner la mesure du capital des acteurs et du capital socialisé, en rendant partiellement évaluable le capital symbolique13 ainsi transformé en ressource financière par ceux qui spéculativement l’évaluent. L’investissement toujours incertain de moyens financiers dans la production ne se peut sans la mobilisation spéculative d’un capital symbolique sur lequel est en quelque sorte gagée la reproduction du capital financier. On saisit sur ce point la cécité partielle de tous les projets d’investissement puisqu’ils ne peuvent s’apprécier de manière comptable qu’à la condition de spéculer sur ce qui symboliquement fait et fera la reconnaissance de la valeur de la production.

20En tout cas, sur le terrain de la communication, ce capital socialisé, capital en grande partie d’ordre symbolique, d’ordre non-financier, joue un rôle primordial. Dans le secteur vinicole, tous les producteurs indépendamment de leur taille et de leurs ressources économiques y ont recours afin d’investir très significativement dans la communication pour exister, à la fois collectivement et individuellement, et pour valoriser leurs produits parce que le problème pour ces acteurs n’est pas de produire du vin mais de pouvoir (bien) le valoriser. Recourir à ce capital revient de fait à mutualiser les coûts croissants de communication mais, plus fondamentalement, c’est la possibilité même de communiquer qui dépend des conditions d’usage de ce capital et renvoie très précisément aux rapports de force, aux luttes entre acteurs économiques, à la puissance qu’ils mobilisent collectivement pour faire valoir leur intérêt au travers de la valorisation collective de ce capital commun.

Le capital socialisé : un second objet à l’étude

  • 14 Si l’on souscrit volontiers aux termes de la critique de l’économie développée par P. Bourdieu (200 (...)

21Le raisonnement est largement reproductible pour de nombreux autres produits présentant d’évidentes similitudes : les alcools comme les bières, le whisky ou le saké mais aussi certains produits alimentaires… Ne l’est-il pas également, sous d’autres formes, pour le secteur immobilier ? Ni les coûts de construction, ni les mécanismes marchands naturalisés qui n’en sont que la conséquence n’expliquent la structuration de la valeur des biens.14 Contrairement à la vision naturaliste qui se satisfait de pointer que la valeur marchande des biens immobiliers dépend essentiellement de l’attractivité économique du territoire sur lequel ils se situent ou de la rareté des biens en regard de la demande sans trop chercher à expliciter ce qui fait cette attractivité ou ce qui explique cette rareté relative, l’analyse de la valorisation de ces biens nécessite la reconnaissance d’un capital socialisé sous-jacent au capital financier, pour les biens destinés à des particuliers comme d’ailleurs pour ceux destinés à des sociétés de gestion d’actifs mais sous une autre forme.

22Ce capital permet notamment de comprendre la volonté d’appropriation de biens, qui renvoie au désir, socialement structuré, du fait de la dépendance des agents à ce qui leur apparaît désirable (Lacan 2013). Ces derniers signifient leur identité (de classe) par l’appartenance à des groupes sociaux se définissant eux-mêmes par le logement, ses qualités et sa localisation, puisqu’il constitue un des principaux éléments de ce que Veblen appelait « consommation ostentatoire » (1970 : ch. 4 et 5). Cette logique du désir (de l’autre) qui conduit l’individu à désirer ce qui s’impose à lui comme socialement désirable conditionne la définition de son identité sociale et, à terme, induit un renforcement des frontières à la fois symboliques et spatiales entre les groupes sociaux en renforçant les processus d’inclusion/exclusion constitutifs de l’appartenance ou de la non-appartenance des individus à ces groupes. Sous l’angle économique, cette même logique se rapporte aux profits indissociablement individuels et collectifs qui sont tirés de la valorisation symbolique de certains biens détenus par les agents du groupe social dominant, générant ainsi à terme un processus d’accumulation du capital foncier dans leurs mains.

  • 15 On pourrait d’ailleurs imaginer qu’à l’impôt sur la plus-value immobilière corresponde une allocati (...)
  • 16 En France, le phénomène est relativement récent puisqu’il remonte au milieu des années 90 avec l’ar (...)

23La valorisation symbolique de ces biens et leur traduction financière ne se dissocient pas de la dépréciation des biens détenus par les agents économiquement dominés/relégués symboliquement et spatialement15. Les processus de gentrification (Bourdin 2008) et, corrélativement, de ghettoïsation (Mucchieli 2007 ; Pinçon, Pinçon-Charlot 2007), tout comme les phénomènes de concentration des richesses au sein de métropoles régionales au détriment des petites et moyennes agglomérations environnantes en témoignent. Ces processus ne sont évidemment ni uniformes, ni homogènes mais ils se traduisent par l’importance croissante du capital immobilier par rapport au revenu national dans des pays comme la France, le Royaume-Uni, l’Italie (Facundo et al. 2018 : 295). Tout porte en effet les individus, pour des raisons indistinctement sociales et économiques, à reconnaître et à renforcer à leur tour, à leur dépens ou à leur profit, ces logiques de valorisation/dévalorisation des biens immobiliers en cherchant à se les approprier ou à les rejeter. Et ces mêmes logiques sont largement dépendantes de la financiarisation de l’immobilier16 au sens où, selon l’hypothèse largement étayée d’Antoine Guironnet et Ludovic Albert (2018), les secteurs traditionnels de production de l’immobilier urbain tendent à épouser les critères d’investissement des gestionnaires d’actifs, courtisés par les acteurs publics et les développeurs, renforçant ainsi la dynamique des processus de valorisation/dévalorisation.

24Pour les biens destinés à des particuliers, détenus en propre ou sous la forme de SCI (Société civile immobilière), la définition de la valeur marchande repose d’abord sur la valorisation symbolique du bien et cette dernière emprunte les voies de la communication non pas au sens où il suffirait de produire quelques belles images pour enchanter le produit mais parce que le produit est déjà un bien symbolique avant même d’être un bien matériel, objet de transaction. Une maison, un appartement, ne s’apparentent ni à une grotte, ni à une hutte au pays de nulle-part mais à un bien socialement situé, socialement façonné selon des codes et des coutumes qui en font potentiellement la valeur pour ceux qui le possèdent comme pour ceux qui désirent éventuellement l’acquérir. Le logement se transforme ainsi en capital traductible financièrement parce qu’il revêt une valeur symbolique, expression directe du capital socialisé ou, pour mieux dire, communalisé par le groupe social qui en impose la valeur. Et la valeur du bien ne se dissocie pas de la signification sociale de sa possession, directe comme résidence, ou indirecte, comme capital immobilier. Cette signification, c’est donc celle que le groupe social en fonction de ses ressources et de sa position confère à certaines catégories de biens qui concentrent une partie du capital socialisé qu’il revendique.

25Pour les biens immobiliers détenus et échangés par des sociétés de gestion d’actifs, la construction de la valeur marchande passe notamment, comme l’a montré Marine Duros, par le travail d’experts « indépendants » qui réalisent « un travail de justification ex post d’une valeur en partie préétablie avant les calculs de valorisation, selon une division sociale du travail spécifique […], participant à la légitimation de l’arbitraire de la valeur. » (2019 : 38) La définition de la valeur marchande repose, là encore, sur la valorisation symbolique du bien qui s’opère, cette fois, avec le concours de ces experts qui produisent des représentations permettant aux protagonistes non seulement de réaliser formellement et légalement l’échange mais de stabiliser les rapports de force entre eux et avec les banques partenaires. C’est d’ailleurs ce qui explique les phénomènes observés de « bidouillage » de la valeur (Duros 2019 : 23) ou d’obtention d’une fourchette de valeur par les experts dont la fonction essentielle dans ces processus est de parvenir à une stabilisation symbolique, garante de la crédibilité de la valeur marchande du produit.

26Les variations de la valeur marchande des biens immobiliers s’ordonnent à la logique du capital socialisé qui garantit aux détenteurs de biens, la valeur symbolique de leur possession en raison de sa localisation ou d’autres caractéristiques participant à la définition de ce même capital. C’est la convertibilité du capital symbolique en capital financier qui fait que le capital va au capital et la dépréciation de certains biens renforce la paupérisation de leurs détenteurs. Car la valeur marchande n’est pas indexée principalement sur les qualités matérielles du bâtiment, sinon rien ne permettrait d’expliquer les importants écarts de prix pour un même type de bien ou un même prix pour des biens sans commune mesure. L’apparente objectivité de la valeur financière fait oublier que sa définition reste quelque peu aléatoire, soumise à fluctuation en raison de son indexation sur la valorisation symbolique du bien qui est avant tout une construction sociale collective, résultant de la capacité de groupes sociaux à faire valoir leurs intérêts en définissant à leur profit ce qui vaut et ce qui ne vaut pas. Dans ce cas, la plus-value ne s’ancre pas dans un quelconque sur-travail mais dans l’incessant effort de sur-communication et d’investissement symbolique opéré autour de catégories de biens dont seuls certains détenteurs de capitaux, se différenciant ainsi, peuvent se porter acquéreur.

27Une telle construction symbolique et son négatif, c’est-à-dire l’éventuelle dépréciation de biens, dépendent de ce capital socialisé qui est lui-même amené à varier parce qu’il s’inscrit sous la dépendance de la communication au sens du travail de légitimation des intérêts propres aux groupes sociaux dominants et aux acteurs qui à la fois les composent et œuvrent pour eux. Déployée sous la forme de campagnes de promotion de biens et d’ensembles de biens immobiliers, la communication permet de mettre en valeur ces biens, propriétés d’acteurs, mais la valorisation dépend surtout de tout un environnement socio-économique associé à ces biens, constitutif d’un capital socialisé, moins visible mais plus essentiel économiquement. En ce sens, ce ne sont pas des actions ponctuelles de communication, de promotion de biens, qui peuvent influer significativement sur la valeur marchande. Elles reflètent bien davantage la possibilité pour les détenteurs de capitaux de contrôler l’accès au capital socialisé et de faire ainsi valoir leur intérêt par la valorisation de leur propre patrimoine immobilier.

Valeur prescrite contre valeur d’usage : puissance de la communication

28Ce qui fait la valeur, ce n’est donc pas directement l’éventuelle rareté d’un produit sauf en des cas plutôt exceptionnels de crise, de pénurie ou, plus subtil, de captation de ressources par un (groupe d’)acteur économique qui parvient à créer la rareté à son profit ; c’est avant tout la double capacité de posséder et de déposséder symboliquement et, par conséquent, matériellement les autres individus de ce qui a de la valeur selon une agonistique des échanges que Mauss avait explicité dans son Essai sur le don. Ce sont les groupes sociaux et, en leur sein, des individus différenciés mais solidaires qui parviennent à accaparer ce qui vaut ou, ce qui revient au même, à faire valoir ce qui jusqu’alors n’avait pas ou avait peu de valeur. Le pouvoir de prescrire une valeur, toujours relative, ne se dissocie pas du pouvoir de déprécier de manière tout aussi relative ce que les autres protagonistes produisent, possèdent, échangent.

29Ce pouvoir économique de faire la valeur se résume, à ce titre, à une naturalisation de la domination au sens où le dominant impose au dominé de reconnaître la valeur de ce qu’il possède et de ce dont, d’une certaine manière, il le dépossède. Cette naturalisation constitue la trame des échanges les plus anodins. Mais à l’échelle macro-sociologique, elle a pu être observée à différentes phases de l’histoire, notamment au fil de la colonisation portée par les anciennes puissances européennes ou aujourd’hui par l’hégémonie des États-Unis (Lebaron 2013), suivant un cheminement qui conduit de la conquête par la force, passe par la domination culturelle (linguistique notamment) pour s’achever dans l’exploitation par l’économie, cette dernière supposant en quelques sortes les deux précédentes contrairement au schéma idéologique qui conduit à se focaliser sur la seule puissance économique. Dans son livre Ce que parler veut dire, Pierre Bourdieu analysait ces phénomènes de domination, montrant comment la langue du groupe dominant s’avère constitutive de l’exercice du pouvoir qui est au cœur de l’économie puisque non seulement elle dépossède les dominés de la maîtrise du langage et de la construction symbolique du monde pour mieux leur rappeler leur position d’infériorité, mais elle les prive du pouvoir de dire ce qui vaut et ce qui ne vaut pas.

  • 17 Une analyse historique de la construction des stéréotypes coloniaux reste à entreprendre à la fois (...)
  • 18 Cf. la tribune de Michel Rocard parue dans Le Monde le 31 août 2000, reprise dans Chabanon (2019).
  • 19 Les travaux inédits de Fabien Gaveau (2018 ; 2020) apportent des éclairages essentiels sur ce point

30On peut d’ailleurs prendre l’exemple presque caricatural de la domination exercée par la France sur la Corse – ou celui de la domination anglaise sur l’Irlande à la suite de T. Piketty (2019 : 221-226) – consistant à s’imposer d’abord par les armes, puis à minorer langue et culture, notamment par l’intermédiaire d’élites promptes à convertir leurs ressources symboliques dépréciées en faisant acte d’allégeance dans l’espoir de conserver en partie leur position et les rentes afférentes, légitimant ainsi l’ordre imposé par la force, pour enfin imposer son ordre économique. Dès lors, le dominé, réduit au statut d’indigène, enregistre la dépréciation à la fois de ce qu’il est17 et de ce qu’il continue à produire ou finit par arrêter de produire (taxation, réglementation, privation de débouchés commerciaux…) et, réciproquement, la valorisation de ce que le dominant produit et qu’il doit acquérir au prix fort.18 Dans le cas de la Corse, environ 95 % des échanges économiques se font aujourd’hui avec la France pour des raisons qui ne sont en rien économiques et encore moins géographiques. Et il faut surtout rappeler pour prendre la mesure du phénomène qu’au xixe siècle, malgré la mise en œuvre progressive d’une économie coloniale coupant l’île d’une grande partie de ses débouchés naturels et imposant des lois contraires à la structuration coutumière de l’activité agro-pastorale, la Corse continuait à exporter de nombreux produits à forte valeur ajoutée (vins et agrumes notamment, à côté de l’huile d’olive, des amendes, de céréales, de nombreux produits de l’élevage et des activités forestières…).19

  • 20 Relevant que l’on ne sait jamais de quoi l’on parle quand on évoque « le prolétariat », « les class (...)
  • 21 C’est ce qui permet de comprendre que les anciennes sociétés « socialistes » aient pu être inégalit (...)
  • 22 Comme on l’observe parfois avec le recyclage de cultures contestataires…

31De la même manière, à l’intérieur des États, le groupe social dominant – « la bourgeoisie » ou « la classe supérieure », pour aller vite20 – impose sa domination : les biens et les marchandises, mais aussi la culture valent parce que le groupe social dominant et, en son sein, les agents en chargent de les faire valoir, les imposent comme ayant une valeur supérieure.21 Évidemment, cela n’évite ni les luttes ni les rivalités dans la définition de la valeur des objets (simples marchandises ou produits culturels), ni même des formes de consécration paradoxale d’objets propres au groupe dominé,22 mais les intérêts de classe s’imposent aux agents d’une même classe ou d’un même groupe social d’une manière que l’on pourrait qualifier de « naturelle » parce qu’elle traduit « naturellement » leur intérêt à la fois individuel et collectif et leur volonté de les faire prévaloir parce qu’il en va tout simplement de leur intérêt.

32La capacité à prescrire une valeur symbolique puis marchande n’est jamais dissociable de la domination au sens où, pour dire et pour imposer la valeur, il faut d’abord que s’impose un ordre social des valeurs à l’intérieur duquel il devient possible de dire et, par extension, de faire être ce qui vaut et ce que cela vaut. Toute prescription d’une valeur ne se peut que par la mobilisation et l’engagement de moyens matériels et de moyens communalisés, c’est-à-dire d’un important capital socialisé, jouant un rôle coercitif par les ressources qu’il offre à ceux qui en ont la jouissance en raison de leur qualité sociale. Ces moyens apparaissent sous les traits pacifiés d’une violence communicationnelle, d’ordre symbolique, en ce sens précis qu’ils ne font pas que prescrire une valeur à des biens ou à des marchandises. Ils disent en même temps qui sont ceux qui s’avèrent en mesure de faire valoir leur intérêt en les mobilisant. Mais ces moyens ne seraient pas coercitifs s’ils ne reposaient que sur leur seule force symbolique intrinsèque. En dernière instance, cette violence communicationnelle de la prescription prolonge la violence de l’ordre social qui la rend légitime à la fois aux yeux de ceux qui la subissent et de ceux qui l’exercent en imposant à leur profit ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, ce qui vaut et ce qui ne vaut pas.

33A l’encontre du naturalisme économique qui hypostasie une valeur d’échange, à la fois résultat d’un accord marchand sur la base d’une hypothétique valeur d’usage et indice monétaire de la valeur de la chose échangée, l’attention doit porter sur les modes visibles et invisibles de fixation de la valeur. La partie visible – définition de la valeur marchande - n’en est que la traduction monétaire puisque l’essentiel reste invisible au regard, renvoyant à la construction au fil de rapports socio-économiques, de la valeur symbolique des biens. Une boîte de sardines, un camembert, un légume « bio » ne valent pas en soi mais parce qu’ils répondent d’un ensemble de déterminations imaginaires et symboliques, objectivables sous la forme de marques, de labels, de classements ou de catégories plus informelles, qui reviennent à les positionner dans une échelle de valeurs marchandes.

34Et ces processus de construction de la valeur renvoient à leur tour à la répartition des ressources sociales et financières à l’échelle de la société. Les échanges marchands ne constituent d’ailleurs qu’une partie de l’ensemble des formes d’échange (de biens, de services, d’informations…) propres à une économie. La focalisation sur la seule valeur d’échange et les mécanismes de fixation de cette valeur marchande revient, à ce titre, à opérer une double abstraction : par réduction de la construction symbolique de la valeur à sa définition monétaire mais aussi par réduction des formes d’échange aux seules transactions financières identifiables. L’analyse de la construction symbolique de la valeur invite à rejeter cette coupure puisque les échanges marchands ne sont pas indifférents aux échanges non-marchands. Ils ne peuvent être saisis « purs » qu’à l’état d’abstraction. Le concept de « capital socialisé » et les phénomènes précédemment évoqués autour de la construction d’identités dans le secteur vinicole le prouvent, tout comme l’observation de l’activité économique qui ne met pas en présence des boules de billards interagissant et des monades socialement indistinctes. La mise en intelligibilité des échanges marchands a pour condition la prise en considération de la totalité des rapports sociaux et économiques constituant le creuset dans lequel se forme la valeur symbolique des biens et des marchandises.

Une économie politique des valeurs

  • 23 On se démarque sur ce point de la critique de Thomas Piketty (2013 : Introduction) reprochant à Mar (...)

35Les économistes appréhendent trop souvent les valeurs marchandes comme si elles étaient des choses à l’égal des choses dont elles sont censées traduire la valeur symbolique. On le mesure quand ils analysent les phénomènes de concentration de capital en les ramenant à des lois ou des règles économiques ou, inversement, quand ils analysent la paupérisation de pans entiers de la société. S’il ne s’agit pas de contester la justesse des propositions de ceux qui défendent des politiques publiques de redistribution et la mise en œuvre de dispositifs visant à corriger plus que les inégalités, la production de misère et de relégation sociale, ce qu’il importe de saisir - pour éventuellement en proposer la correction -, c’est la dynamique même du capital qui fait que la valorisation comme la dépréciation ne se dissocient pas des luttes sociales concourant à la définition de ce qui vaut. Le processus d’accumulation du capital, on le sait depuis Marx, a pour envers la paupérisation23. Mais le problème n’est pas tant de redistribuer une partie limitée du capital pour corriger le processus, le rendre supportable, que de redéployer les outils de lutte et d’action permettant aux démunis de ne pas être trop dépossédés de ce par quoi la valeur advient ou, pour le dire autrement, de devenir à leur tour des acteurs de la production de valeur et, pour cela, de prendre possession de la communication comme outil de construction symbolique du monde (Pagis & Comby 2018) et des valeurs en son sein.

36Mais prétendre restituer aux groupes sociaux dominés des moyens de créer de la valeur ou de contrebalancer les logiques de concentration de ressources symboliques pourrait passer pour un vœu pieux puisque cela reviendrait à contester la domination et la dépossession corrélative des moyens de lutte. Il suffit pourtant d’observer la valorisation/dévalorisation du travail salarié pour mesurer que la fixation de la valeur symbolique puis marchande du travail dépend d’abord du rapport de force non pas seulement entre les salariés d’une organisation déterminée et leur employeur mais entre les groupements de salariés et d’employeurs. Le raisonnement peut aussi valoir sous certaines conditions pour des produits ou des marchandises supposant non seulement de nouvelles formes d’organisation productive mais aussi de nouveaux modes de consommation conduisant à valoriser autre chose que ce qui est habituellement imposé dans le cadre de l’ordre social et économique. On pourrait en ce sens s’enthousiasmer en observant l’émergence de modes de consommation alternatifs, la mise en œuvre de circuits courts de distribution, la revalorisation de produits et de (petits) producteurs locaux mais ces phénomènes qui restent relativement marginaux à l’échelle globale de l’économie ne doivent pas faire illusion. Ils sont souvent portés par des groupes sociaux qui concentrent suffisamment de ressources symboliques et matérielles pour contester à leur avantage l’échelle des valeurs, en d’autres termes pour reconduire la domination sous d’autres formes.

37La dynamique même de la valorisation ramène invariablement à la domination dans sa double détermination matérielle et symbolique. Il peut donc sembler étrange que ne vienne à personne l’idée de reprendre quelques intuitions nietzschéennes (1971) sur ce point pour sonder la généalogie des valeurs (marchandes) sachant que la valeur marchande anticipée conditionne la production et l’investissement de moyens dans celle-ci. L’enjeu serait dès lors de saisir l’origine de ces valeurs et ce qui fait la valeur de ces valeurs. On retrouverait dans la définition de la valeur les investissements symboliques, c’est-à-dire l’engagement de capital socialisé, mobilisé par ceux qui sont parvenus à l’imposer à leur profit ; réciproquement, on saisirait les mécanismes de construction de la croyance des dominés, constitutive de la reconnaissance de la valeur supérieure de ce qui leur est imposé par l’efficacité du symbolique (Lévi-Strauss, 1949) parvenant ainsi à leur faire accepter la prescription sans nécessiter le recours à la contrainte. Qu’est-ce d’ailleurs que la publicité marchande sinon la manifestation de la puissance de ceux qui imposent des produits ou des marques, et qui les imposent de manière d’autant plus effective qu’ils mobilisent des moyens qui en imposent, rappelant « à leurs cibles » qu’ils disposent de ces moyens leur permettant de signifier ce qui vaut et, de ce fait, ce qui est. La possession de l’objet manufacturé sur lequel figure l’icône marchande, pour parler comme Peirce (1978), fournit à son détenteur un peu de la puissance (imaginaire) découlant du capital investi dans la marque.

38La même question – qui crée la valeur ? – se pose pour les transactions d’entreprise et les dispositifs d’intermédiation marchande. Les analyses de Valérie Boussard (2013) invitent à modifier le regard traditionnellement porté sur l’augmentation de ce type de transactions en considérant que ce marché constitué durant les dernières décennies et les acteurs spécialisés qui le font le vivre et qui en tirent profit, s’imposent comme de véritables créateurs de la valeur. Leur capacité à mesurer la valeur des entreprises et à imposer leurs modèles de mesure aux autres acteurs économiques fait d’eux les véritables maîtres de la valeur. Plus que dire la valeur supposée réelle de l’entreprise, ils évaluent ce que son optimisation pourrait générer comme profit et construisent ainsi sa valeur marchande sur la base de systèmes de représentations qu’ils parviennent à imposer. Ils font ainsi advenir la valeur non seulement au sens où, au travers des rapports et des expertises qu’ils produisent, ils se contenteraient de la mettre au jour, mais en ce qu’ils la créent par anticipation, non sans chercher à accorder ce qui peut être « raisonnablement », c’est-à-dire stratégiquement, proposé comme prix et ce qui peut en être, tout aussi « raisonnablement », offert. Ils opèrent par conséquence un double travail de construction de représentations de la réalité participant à la définition même de celle-ci et d’élaboration d’un consensus marchand sur fond de rapports de force économiques.

39On pourrait, à ce titre, dire de l’activité économique ce que Max Weber (1971 : 41-42, tome 1) disait de l’État, à savoir qu’elle existe à la fois comme étant (réalité pratique) et comme représentations de quelque chose qui doit être, ces représentations étant amenées à jouer un rôle déterminant dans la manière dont les agents se coordonnent, échangent, apprécient la valeur de ce qu’ils échangent. La dimension symbolique de la valeur revêt une double face, indissociablement sociale et cognitive : une chose ne vaut que parce qu’elle est reconnue comme ayant une valeur au moyen de représentations communes, partagées, ajustées dans une conjoncture. Le problème de l’articulation de l’économie libidinale et de l’économie marchande, autrement dit de l’ajustement entre ce qui est désirable pour un sujet (Olivesi 2017) et ce qui, au sein de la société, revêt une valeur marchande stabilisée, se résout dans l’emprise du symbolique qui amène le sujet à voir dans ce que les autres valorisent quelque chose de désirable et, réciproquement, à désirer ce qui a une valeur marchande effective, signifiant de sa valeur symbolique.

40Mais que dire de phénomènes tels que la spéculation boursière qui paraissent bien loin des échanges marchands et de leur dimension symbolique ? Ils relèvent eux aussi d’échanges au sein desquels la valeur est désindexée de la marchandise (même si le capital devient à son tour une marchandise) sans pour autant s’émanciper de cette emprise du symbolique, sociale et cognitive, comme en témoigne l’importance du rapport au temps dans l’anticipation des profits à réaliser (Orléan 2011 : chapitre 6) ou la réputation dans l’appréciation de la valeur des actions d’une société. Celui qui vend et celui qui achète anticipent sur la valorisation de ce qu’ils vendent ou achètent, concourant ainsi à faire advenir la valeur en se basant sur les informations dont ils disposent. M. Benquet montrait, dans son enquête ethnographique sur les fonds d’investissement, que la valeur des entreprises, objets de transactions financières, est principalement définie « par les revenus futurs qu’(elles) pourraient générer et leur mesure est conditionnée à la circulation efficiente des informations disponibles sur elles et à la prédictibilité de leur développement » (2019 : 60).

41Et que dire de la monnaie dont l’invisibilité au sein des sciences sociales ne cesse de surprendre (Orléan, 2013) ? Faut-il rappeler que Max Weber (1971 : 158-159, tome 1) l’appréhendait comme « un moyen de combat et une récompense » ? Clé de l’ordre marchand, elle s’appréhende comme un système de représentations faisant lien social du fait de la reconnaissance de sa valeur et de sa puissance, mais aussi comme symbole instrumentalisé/institutionnalisé, cristallisation de rapports de force et de luttes. Ceux qui l’imposent et imposent sa valeur imposent indistinctement leur domination. Si l’on suit la thèse institutionnaliste selon laquelle « il n’est d’économie marchande que monétaire » (Orléan 2013 : 215) au sens où la monnaie s’impose comme mesure économique de toute chose, force est d’en déduire que le système des échanges marchands est d’abord un système de relations sociales orientées vers une finalité monétaire supposant la reconnaissance commune de sa valeur, à la manière d’une croyance magico-religieuse, mais aussi et indistinctement un système de domination pacifié et stabilisé au moyen de cet équivaloir symbolique.

Pour conclure. Le paradoxe du modèle du marché

42Le paradoxe du modèle du marché, de l’offre et de la demande, est qu’il s’applique apparemment mieux à des domaines où l’objet de l’échange présente la caractéristique de ne pas avoir de réalité matérielle et de ne pas avoir de valeur monétaire. Pierre Bourdieu avait mis en lumière ce point en faisant paradoxalement jouer le modèle du marché qu’il récusait par ailleurs, pour l’appliquer aux échanges linguistiques, et l’on pourrait tout autant, pour la même raison, l’appliquer aux relations sexuelles (Tabet 2004). S’il convient moins aux échanges marchands, monétisés, c’est parce que dans ce cas, tout un travail social de construction symbolique de la valeur de la marchandise, financièrement stabilisée en fonction de jeux d’ajustements, de rapports de force, de luttes d’influence, est opéré, conditionnant précisément l’offre et la demande qui, de ce fait, deviennent les points sociologiquement aveugles de l’analyse économique classique.

  • 24 On fait référence ici aux paradoxes des marchés publics ou des partenariats « privés-publics » qui (...)

43Les cas de marchés dits « faussés » ou « truqués », soit par des acteurs recourant à la violence ou ne respectant pas les règles de droit, soit du fait de la corruption des édiles, soit de logiques institutionnelles peu rationnelles24, soit d’ententes illicites entre acteurs économiques, soit encore par l’action des États, comme on peut le constater avec les marchés internationaux de l’armement, peuvent paraître trop singuliers, voire « anormaux » pour livrer des enseignements généraux. Ils rappellent pourtant cette vérité élémentaire qu’à la racine de toute transaction marchande, on retrouve un rapport de force, une agonistique comme le pointait déjà Marcel Mauss, qui n’apparaît plus comme tel aux protagonistes dès que les échanges se routinisent et que la monnaie naturalise l’opération, en occultant la puissance de celui qui l’engage contre celle de celui qui cède ce qu’il possède en échange de celle-ci.

44Inversement, si ce modèle s’applique mieux aux échanges non-marchands, c’est parce que ceux-ci ne sont pas traduits monétairement, sauf en des cas extrêmes comme la prostitution qui constitue, à ce titre, un défi pour l’économie des relations sexuelles en ce qu’elle dénature ce jeu économique ou, plutôt, instaure une sorte de double jeu, pervertissant le non-marchand en marchand comme pour mieux en mettre au jour la vérité. Ces échanges engagent directement la valeur symbolique de ce qui fait l’objet d’une transaction jouant sur l’incertitude ressentie par chaque partie en l’absence d’étalon monétaire. Plus ce type d’échange occupe une place importante et plus la violence risque d’être grande dans la société, pour la simple raison que ces échanges laissent plus facilement entrevoir l’agonistique qui les sous-tend. On mesure sur ce dernier point la fonction pacificatrice et civilisatrice de la monnaie. En stabilisant l’échange, en le naturalisant par routinisation, elle en dissipe la violence potentielle, effective ou symbolique.

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Notes

1 On se démarque cependant des analyses de Lucien Karpik sur un point : son analyse de l’économie des singularités complexifie l’appréhension des rapports économiques en mettant en avant l’importance de l’appréciation de la qualité et des dispositifs de coordination marchande mais sans jamais entrevoir les logiques sociales et les stratégies d’acteurs constitutives de la production de singularités et de leur mode de valorisation.

2 On peut d’ailleurs identifier dans ce phénomène une des causes de la dépréciation croissante de la force de travail manuelle, externalisée dans les pays à bas coûts, au profit de la force de travail intellectuelle.

3 Voire des entreprises, comme l’ont montré Marlène Benquet et Théo Bourgeron (2019 : 49), dont les analyses ont éclairé les mécanismes par lesquels le capital-investissement permet d’extraire une plus-value selon des modalités sans lien direct avec l’exploitation directe de la force de travail puisqu’elle consiste notamment à faire rembourser la dette générée par le rachat de l’entreprise au moyen des profits devant être réalisés et à jouer sur un ensemble de dispositifs budgétaires permettant d’exonérer ce capital « vertueux » aux yeux d’acteurs étatiques en relation directe ou indirecte avec les capital-investisseurs.

4 Sur l’importance de la pensée aristotélicienne dans la genèse de la critique marxiste, cf. Vadé (1993).

5 Très diversement reprise et exploitée par J. Lacan et P. Bourdieu (Olivesi 2017).

6 On peut observer le même phénomène pour de nombreux autres produits (baskets, objets technologiques…) dont la valeur marchande semble déconnectée des coûts réels de production. Le phénomène s’explique en partie par l’importance des coûts de communication mais aussi par le caractère distinctif (Bourdieu 1979) de produits dont la valeur découle directement de la capacité à faire de ces objets des signes de distinction et, par conséquent, des signes de valeur valorisant leur détenteur ; ce dernier doit dès lors accepter d’en payer le prix, c’est-à-dire un prix sans rapport avec les coûts de production pour signifier sa propre qualité au travers de la chose possédée comme par un effet de métonymie.

7 Outre le caractère socialement réducteur de ce type d’analyse (Cardebat 2017), on observe qu’elles se basent essentiellement sur des chiffres officiels, produits par des acteurs à des fins utilitaires. Elles restent dépendantes de ces sources, s’engageant dès lors dans le commentaire de celles-ci sans trop mesurer leur conditionnement et la vision partiale des phénomènes économiques qu’elles induisent.

8 Ce processus de rationalisation de la production par l’aval, c’est-à-dire par les marchés, dans le cas de la filière vitivinicole, a fait l’objet d’analyses dans de précédents travaux mettant tout particulièrement l’accent sur les fonctions conjointes de l’œnologie et du marketing qui ont rendu possible cette véritable révolution productive opérée à partir des années soixante-dix (Olivesi 2018 : ch. 2 ; Olivesi 2019 a). Cette révolution se rattache aux transformations des modes de consommation ainsi qu’à la mondialisation des marchés (Garcia-Parpet 2009).

9 On regrettera de ne pas disposer d’indications chiffrées sur ce que représente aujourd’hui en France ce secteur, sur le chiffre d’affaires cumulé des agences de communication, sur l’évolution des budgets de communication selon la taille des organisations et leur secteur, mais aussi sur ce que représente sous l’angle de la masse salariale, la proportion de salariés se consacrant directement à des activités de communication.

10 Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer, à titre d’exemples, les cas de Catherine et Gilles Vergé en Bourgogne, d’Alexandre Bain, producteur de Pouilly-Fumé, d’Olivier Cousin en Anjou ou de Rié et Hirofumi Shoji.

11 Comme on l’a montré par ailleurs, la critique sous la forme de guides « papier » a par le passé joué un rôle fondamental (Olivesi 2016). Sans elle, beaucoup de producteurs n’auraient pu s’émanciper du négoce ou de la coopération et, sans elle, une culture du vin conditionnant l’enchantement marchand du produit n’aurait pu aussi largement se diffuser.

12 Le dernier ouvrage de T. Piketty propose une stimulante mise en perspective historique et économique du droit de propriété (2019 : chapitre 3).

13 Le lecteur aura compris qu’il ne s’agit pas du capital symbolique au sens bourdieusien, c’est-à-dire des ressources symboliques d’un agent, mais de la dimension symbolique du capital socialisé, ce dernier pouvant faire partiellement l’objet d’une traduction financière mais restant souvent à l’état symbolique.

14 Si l’on souscrit volontiers aux termes de la critique de l’économie développée par P. Bourdieu (2000), on s’en démarque cependant sur un point essentiel. Son insistance à traiter des agents et du champ de production pour analyser le marché de la maison conduit paradoxalement à retrouver à son terme le modèle économique du marché, initialement critiqué, puisqu’il requalifie l’offre et la demande, échouant dès lors à pénétrer la logique des mécanismes de construction de la valeur.

15 On pourrait d’ailleurs imaginer qu’à l’impôt sur la plus-value immobilière corresponde une allocation de compensation sur la moins-value (absolue et plus encore relative) mais le mécanisme finirait tout simplement par fausser la finalité du jeu économique, à savoir la domination comme expression de la volonté de puissance.

16 En France, le phénomène est relativement récent puisqu’il remonte au milieu des années 90 avec l’arrivée des fonds de pension américains sur le marché de l’immobilier professionnel parisien. Pour plus de détails, cf. le témoignage de Nappi-Choulet & Cléret, 2013.

17 Une analyse historique de la construction des stéréotypes coloniaux reste à entreprendre à la fois sous l’angle de la stratégie consistant à déprécier le colonisé, réduit au statut de sauvage et d’arriéré, indolent et caractériel, pour mieux justifier la nécessité de le civiliser et à la manière dont les stigmatisés eux-mêmes négocient le stigmate, le subissant parfois sur le mode d’une prophétie auto-réalisatrice.

18 Cf. la tribune de Michel Rocard parue dans Le Monde le 31 août 2000, reprise dans Chabanon (2019).

19 Les travaux inédits de Fabien Gaveau (2018 ; 2020) apportent des éclairages essentiels sur ce point.

20 Relevant que l’on ne sait jamais de quoi l’on parle quand on évoque « le prolétariat », « les classes moyennes » ou « la grande bourgeoisie », T. Piketty (2013 : 393-396) proposait de trancher les débats au moyen d’un critère économique élémentaire que l’on se propose d’adopter : la classe supérieure recouvre la population des individus dont les revenus correspondent au décile supérieur, soit les 10 % des revenus les plus élevés par rapport à la population totale.

21 C’est ce qui permet de comprendre que les anciennes sociétés « socialistes » aient pu être inégalitaires sans que l’on puisse enregistrer de flagrantes inégalités liées à la répartition du capital financier.

22 Comme on l’observe parfois avec le recyclage de cultures contestataires…

23 On se démarque sur ce point de la critique de Thomas Piketty (2013 : Introduction) reprochant à Marx de ne pas avoir disposé de données empiriques suffisantes pour apprécier la réalité du phénomène. Cette critique repose sur une conception réaliste de la valeur, la résumant à la valeur monétaire et au capital financier (le capital étant d’ailleurs appréhendé comme stock), et elle fait de Marx un théoricien méconnaissant à la fois l’existence de conflits, de luttes, de crises venant rebattre les cartes et, plus encore, la dimension relationnelle de la valeur même du capital. De manière similaire, la critique de la baisse tendancielle du taux de profit (2013 : 360-364) postule que la comptabilité privée ou publique puisse fournir des représentations d’une fidélité telle que l’on pourrait retrouver et saisir le réel historique, méconnaissant le fait que ces écritures comptables sont d’abord l’expression de l’intérêt de ceux qui définissent l’ordre économique et se dotent à cette fin d’outils étatiques de mesure.

24 On fait référence ici aux paradoxes des marchés publics ou des partenariats « privés-publics » qui aboutissent parfois à des transactions plus déséquilibrées encore que dans des cas de corruption avérée en raison de la nature de la rationalité des acteurs publics qui les porte à s’abriter derrière le formalisme légal au détriment de l’intérêt économique de l’institution dont ils sont censés pourtant défendre l’intérêt.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Stéphane Olivesi, « Le capital et la communication. Sur la construction symbolique de la valeur »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 22 | 2021, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/11239 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.11239

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Auteur

Stéphane Olivesi

Université Paris-Saclay. Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines. stephane.olivesi@uvsq.fr

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