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Tremblay, G., Bizimana, A.-J., & Kane, O. Le service public médiatique à l’ère numérique  : Radio-Canada, BBC, France Télévisions : expériences croisées

Presses de l’Université du Québec, 2019
Frédéric Marty
Référence(s) :

Tremblay, G., Bizimana, A.-J., & Kane, O. (2019). Le service public médiatique à l’ère numérique  : Radio-Canada, BBC, France Télévisions : expériences croisées. Presses de l’Université du Québec. 24 €.

Texte intégral

1Partant d’une métaphore darwinienne - pour survivre il faut s’adapter aux transformations de son environnement - les auteurs de l’ouvrage Le service public médiatique à l’ère numérique s’interrogent sur le devenir des services publics médiatiques dans l’écosystème numérique. Pour évaluer l’ampleur de ces transformations, ils confrontent trois contextes : celui du Canada avec la Canadian Broadcasting Corporation (CBC) / Société Radio-Canada (SRC), celui du Royaume-Uni avec la British Broadcasting Corporation (BBC) et celui de la France avec France Télévisions (FTV). Il s’agit essentiellement de mettre en regard l’expérience canadienne avec les cas français et britanniques, considérés comme des « modèles de référence en matière de télévision publique » (p. 2).

2Les auteurs s’appuient sur plus de quarante entretiens menés auprès des acteurs impliqués dans chaque pays (membres d’institutions publiques, de groupes médiatiques, d’associations professionnelles, producteurs, etc.) et sur une importante base documentaire constituée de plusieurs dizaines d’études et de rapports institutionnels ou professionnels, ainsi qu’une bibliographie abondante. L’ouvrage est organisé en cinq chapitres pour un total de 222 pages. Le premier pose les enjeux du numérique pour le service public médiatique (pp. 2-16), les trois suivants analysent les situations respectives du Canada (pp. 18-91), du Royaume-Uni (pp. 94-128) et de la France (pp. 130-172). Enfin, le cinquième chapitre revient sur les principaux enseignements que l’on peut tirer de ces diverses expériences.

Les services publics médiatiques au Canada, au Royaume-Uni et en France

  • 1 TREMBLAY, Gaëtan, LACROIX, Jean-Guy, 1991. Télévision : Deuxième dynastie, Sillery, Presses de l’Un (...)
  • 2 Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes (CRTC) pour BCB/SRC, Office of (...)

3Si l’objectif des auteurs n’est pas strictement comparatiste, ils présentent ces trois cas au travers d’un « canevas similaire pour décrire dans leurs grandes lignes [ces] institutions » et admettent un certain « parti-pris » pour le service public (p. 14). La BBC, FTV ou CBC/SRC ont une situation institutionnelle assez similaire. Après des débuts marqués par un relatif monopole, les auteurs évoquent un « changement dynastique »1 entre les années 50 et 80, « dans la continuité [et] dans une triple logique marquée par l’essor de la distribution, de la privatisation et de la transformation du rôle de l’État » (p. 24). Le contrôle de l’activité des opérateurs publics est désormais exercé de manière externe2 mais ils demeurent vigilants sur leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique (p. 24, 135).

  • 3 En 2017 c’est, par exemple, 1,78M $ de budget pour CBC/SRC ; 2,9M € pour FTV ; 4,9M $ pour la BBC.
  • 4 En 2017 c’est 12 % des ressources de FTV et 18 % pour CBC/SRC, alors que la BBC n’y a pas recours

4Pour l’ensemble de ces acteurs nationaux, les auteurs montrent que les questions budgétaires sont centrales, quoique d’ordres de grandeur différents3. Ces budgets oscillent en général entre trois modalités : la redevance, le financement public (subventions) ou le financement mixte (avec revenus propres) (p. 140). Concernant la redevance on observe des disparités importantes : cela varie de 97 $ (Royaume-Uni) à 29 $ (Canada) par habitant en 2014 (p. 60). La part des sources de financement doit également être distinguée en fonction du recours à la publicité4 ou des capacités plus ou moins grandes à valoriser ses activités commerciales : c’est 21,7 % des ressources de la BBC contre 1 % pour FTV en 2017. Enfin, les dotations publiques baissent tendanciellement pour l’ensemble de ces acteurs, mais dans une moindre mesure selon les cas : CBC/SRC a notamment dû faire face à plusieurs « compressions budgétaires » (pp. 19-20). Cela se traduit notamment par une baisse du personnel effectif des trois groupes.

5Indépendamment des moyens budgétaires, les objectifs demeurent relativement inchangés pour les services publics médiatiques. Le triptyque « informer, éduquer et divertir » se décline à la fois dans la structuration de l’offre (chaînes généralistes et chaînes spécialisées) et dans les contenus eux-mêmes. Par ailleurs, chacun des trois pays a mis en place un système de quotas afin de valoriser la production nationale, ou de « refléter la diversité linguistique, régionale et culturelle du pays » pour CBC/SRC (pp. 20-21). L’ensemble de ces missions sont toutefois réévaluées dans le cadre des stratégies numériques des différents groupes.

Stratégies numériques et services publics médiatiques

6Tous ces services publics médiatiques sont confrontés, selon les auteurs, à « une véritable révolution au sens industriel du terme » (p. 19) et cela suscite des stratégies d’adaptation du point de vue de l’offre et des nouveaux usages à appréhender. Plusieurs plans stratégiques réorganisent cette offre de manière successive, en associant professionnels et, plus marginalement, spectateurs. À l’image des initiatives de CBC/SRC, ce sont « autant de microprocessus d’une mutation médiatique que sous-tendent des facteurs technologiques, organisationnels, économiques et sociaux » (p. 47). L’arrivée de nouveaux opérateurs (Netflix, Apple TV, Google TV, etc.) structure les différents marchés dès les années 2010, sans aucun cadre légal équivalent aux opérateurs historiques.

  • 5 Ici Tou.tv au Canada en 2010 ; Pluzz.tv en France en 2010 ; iPlayer au Royaume-Uni en 2007.
  • 6 BritBox en 2017, Salto en 2019.
  • 7 Plateforme “IRL” pour FTV (2017), réalité virtuelle dans l’émission The Current pour CBC/SRC (2016) (...)
  • 8 Laboratoire RAD et Accélérateur d’idées pour CBC/SRC (2016) ; Ideas Service pour la BBC (2015).

7Dès lors, pour répondre à cette nouvelle concurrence chaque groupe va déployer une offre en ligne généraliste5 et/ou spécialisée (portails dédiés à l’information, au sport, à l’éducation, etc.), avec parfois des chaînes privées, alliées de circonstances6. Au-delà de l’accès aux contenus, les opérateurs publics cherchent à renouveler le ton et les formats des programmes pour séduire ou reconquérir un public plus jeune. Cela se traduit par des expérimentations autour des nouvelles écritures audiovisuelles7, de nouvelles organisations internes ou partenariats8.

8Finalement, ces initiatives visent toutes à étendre les ambitions du service public aux nouveaux usages des téléspectateurs devenus, ou nativement, internautes et mobiles. Le défi de la « découvrabilité des contenus » (p. 27) incite à démultiplier les canaux de diffusion (via des sites dédiés, des applications ou les plateformes de vidéos en ligne) et à accentuer la « délinéarisation » des offres (p. 150).

Les incertitudes d’un nouvel écosystème technologique et économique

9Ces transformations nécessiteraient une stabilité ou une augmentation budgétaire. Pour autant, même si les budgets qui abondent les stratégies numériques des groupes croissent, force est de constater que c’est essentiellement en dégageant des marges de manœuvre internes. Les services publics peuvent-ils alors incarner de « nouveaux communs » (p. 177) et être un moteur des industries créatives nationales ?

  • 9 MOSCO, Vincent, 2017. Becoming Digital : Toward a Post-Internet Society, Bingley, Emerald Publishin (...)
  • 10 DELAVAUD, Gilles, 2011. Permanence de la télévision, Rennes, Éd. Apogée, 205 p.

10À l’issue de ce panorama, les auteurs s’interrogent sur l’avenir du service public médiatique, d’autant que son rôle serait plus important dans un contexte de désinformation. Avec leur « distinctiveness »(p. 99), il s’agit de penser le renouvellement de la notion de « public utility »9 et de bien commun, offrir sans doute un cadre plus clair dans lequel porter leurs missions. Les évolutions technologiques et les nouveaux acteurs qu’elles charrient devraient s’accompagner d’une action des pouvoirs publics, légalement a minima. Pour les auteurs, le cadre néo-libéral qui a accompagné les vagues successives de réformes n’est pas pertinent (p. 8). Au contraire, une réflexion doit être engagée sur l’évolution des modèles d’affaires et la relation avec les producteurs indépendants nationaux. Nous pourrions également ajouter que les terminaux et les réseaux (FAI) doivent aussi être investis par les États : les origines de la télévision sont, à ce titre, exemplaires10. Finalement, la place du service public médiatique ne peut se situer exclusivement en aval de l’écosystème audiovisuel tant les enjeux de formats sont prégnants.

11Les études de cas proposées par les auteurs posent en tout cas les enjeux du « tournant numérique » opéré par les opérateurs publics (p. 181). La richesse de la base documentaire, des nombreux entretiens et de la mise en regard de trois situations nationales, font de cet ouvrage une contribution éclairante aux questionnements que décideurs, chercheurs et citoyens doivent se poser quant à l’avenir des services publics médiatiques.

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Notes

1 TREMBLAY, Gaëtan, LACROIX, Jean-Guy, 1991. Télévision : Deuxième dynastie, Sillery, Presses de l’Université du Québec, 163 p.

2 Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes (CRTC) pour BCB/SRC, Office of communications (OFCOM) pour la BBC, Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) pour FTV.

3 En 2017 c’est, par exemple, 1,78M $ de budget pour CBC/SRC ; 2,9M € pour FTV ; 4,9M $ pour la BBC.

4 En 2017 c’est 12 % des ressources de FTV et 18 % pour CBC/SRC, alors que la BBC n’y a pas recours

5 Ici Tou.tv au Canada en 2010 ; Pluzz.tv en France en 2010 ; iPlayer au Royaume-Uni en 2007.

6 BritBox en 2017, Salto en 2019.

7 Plateforme “IRL” pour FTV (2017), réalité virtuelle dans l’émission The Current pour CBC/SRC (2016), robots conversationnels pour BBC News (2018).

8 Laboratoire RAD et Accélérateur d’idées pour CBC/SRC (2016) ; Ideas Service pour la BBC (2015).

9 MOSCO, Vincent, 2017. Becoming Digital : Toward a Post-Internet Society, Bingley, Emerald Publishing Limited, 248 p.

10 DELAVAUD, Gilles, 2011. Permanence de la télévision, Rennes, Éd. Apogée, 205 p.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédéric Marty, « Tremblay, G., Bizimana, A.-J., & Kane, O. Le service public médiatique à l’ère numérique  : Radio-Canada, BBC, France Télévisions : expériences croisées »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 21 | 2021, mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/10808 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.10808

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Auteur

Frédéric Marty

Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 au sein du LERASS (EA 827)

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