Ngono, S. (Éd.). La communication de l’État en Afrique : discours, ressorts et positionnements
Ngono, S. (Éd.). (2020). La communication de l’État en Afrique : Discours, ressorts et positionnements. L’Harmattan. 37 €.
Texte intégral
1La communication de l’État en Afrique. Discours, ressorts, positionnements est un ouvrage collectif dirigé par Simon Ngono. C’est une première du genre à aborder – sur la base de recherches empiriques menées par des chercheurs – « les mécanismes, enjeux, modalités et déterminants de la communication de l’État dans les pays d’Afrique » (p. 14). Leurs réflexions traitent également, à partir d’une démarche compréhensive et critique, l’évolution d’une communication d’État en Afrique face aux nouveaux espaces de communication, dans ses façons stratégiques de faire en période de crise et post-crise, dans ses usages info-communicationnels des médias nationaux-transnationaux mais aussi dans sa relation avec une population devenue elle-même productrice d’information à l’ère des réseaux sociaux numériques.
2L’ouvrage est constitué de 3 parties. Chacune des parties comporte respectivement 4 chapitres. Dans la première partie Les renégociations et de pratiques médiatiques liées à la communication de l’État, Selma Mihoubi (chapitre I) propose à partir une étude circonscrite autour de 4 états de la zone sahélienne, la radiographie d’un paysage médiatique actualisé par l’arrivée d’un nouvel acteur – Radio Chine Internationale – et bousculé dans ses relations privilégiées ou non avec les sphères du pouvoir. Son travail donne à voir des formes de coopération mais aussi des tensions dans les relations entre ces radios transnationales et les acteurs politiques locaux. Alors que Radio Chine Internationale réalise un « traitement médiatique positif » des gouvernements locaux afin de favoriser son implantation sur ces territoires et obtenir l’exclusivité des informations officielles, radio France International et Broadcast British Corporation se refusent d’être le relai des communiqués officiels en proposant un « traitement pluraliste ». Celui-ci consiste à offrir du temps d’antenne aussi bien aux acteurs gouvernementaux que ceux de l’opposition et la société civile. Ce choix leur vaut d’être taxés de médias à la solde du pouvoir en place ou de l’opposition, selon les différents protagonistes politiques. Par ailleurs, en analysant les pratiques médiatiques à partir d’une perspective géopolitique enrichie d’exemples, le travail de l’auteure donne à voir selon les intérêts des pays à la tête de ces médias, une sur/sous-représentation d’acteurs, de sources dans le traitement des sujets d’actualité.
3Dans le chapitre II, Mamadou N’Diaye analyse l’évolution stratégique, et quelque peu forcée, d’une communication gouvernementale au Sénégal aux prises avec l’arrivée d’une presse privée critique mais qui doit aussi faire face aux enjeux des technologies de l’information et de la Communication pour la mise en place d’une bonne gouvernance. Bien que des avancées réelles ont été enregistrées suite au déploiement de dispositifs info-communicationnels, l’analyse de l’auteur laisse percevoir des limites au niveau des pratiques des acteurs. Celles-ci dénotent le prolongement de pratiques conservatrices qui consiste à percevoir les dispositifs de service public comme des outils au service de la propagande politique de l’État.
4Ce constat est aussi partagé par Marcy Delsione Ovoundaga qui, dans le chapitre III, rend intelligible les pratiques communicationnelles de l’État Gabonais vis-à-vis de la télévision publique. Alors qu’elle est censée « jouer le rôle d’une tribune politique nationale où se perçoit la vitalité démocratique » (p. 134), l’analyse réalisée par l’auteure à partir d’un corpus d’actualités télé, laisse percevoir la composition d’un espace public médiatique dominé par les acteurs institutionnels gouvernementaux. Loin d’être dépolitisé, le contenu de leurs discours donnent à voir, une forte référence à la figure du chef de l’État gabonais. Comme le mentionne l’auteure, cette façon de faire « ne peut se départir d’une stratégie politique » (p. 145).
5Dans le dernier chapitre de cette partie I, Tahirou Koné dresse le panorama des moyens de communication spécifiques adoptés par l’État ivoirien pour informer et promouvoir ses actions auprès d’une population dont les habitudes de consommation et de recherche informationnelle changent avec l’émergence d’un espace numérique. En partant d’une mise en visibilité des enjeux du web, des possibles problèmes informationnels qu’elle pourrait susciter, l’auteur appelle à une meilleure prise en compte des réseaux sociaux numériques dans la mise en œuvre de la communication gouvernementale. Mais bien avant, il dépeint les limites matérielles, méthodologiques, organisationnelles quant aux façons de faire des acteurs en charge de cette communication. Enfin, il propose des pistes de réflexion stratégique face à une population sujette d’une part, à des risques de désinformation, fake news et en quête d’autre part d’une meilleure interaction avec le pouvoir en place lors de l’élaboration des décisions politiques.
6Dans le chapitre V de la partie II dédiée à L’emprise des processus discursifs et la vulnérabilité de la communication de l’État, Aristide Menguele Meyengue a centré son observation sur la façon dont l’État Camerounais s’est servi de la rumeur dans un contexte de crise sécuritaire mettant en péril son intégrité territoriale. À partir d’une recherche documentaire combinant articles de presse, émissions radiotélévisées et ouvrages, l’auteur tente d’expliquer ce qui se joue la propagation de la rumeur politique : « La France soutient Boko Haram ». Mieux, au travers d’une mise en lumière successive d’évènements judiciaires, politiques, médiatiques, il rend intelligible la manière dont la rumeur est utilisée, manipulée de façon stratégique par les autorités camerounaises pour construire un imaginaire collectif. Celle qui consiste à entretenir la suspicion d’une déstabilisation du pays par une France en soutient à Boko Haram et désormais, contrainte de participer à l’effort de guerre contre la secte islamiste, au risque d’amplifier l’effet de croyance autour de sa duplicité avec la secte islamiste. Comme l’explique l’auteur, l’usage politique de la rumeur dans le cas ici présent, réside dans le fait qu’elle permet à des pays – tels que le Cameroun – ayant un rapport de force défavorable à un autre état, de pouvoir transmettre ou entretenir un message « diplomatiquement discourtois et manifestement impopulaire sans devoir en assumer la responsabilité » (p. 187).
7Dans un contexte de crise différent de celui du Cameroun, Marième Pollèle N’Diaye s’intéresse à la crise des bourses d’études survenue au Sénégal et ayant occasionné la mort d’un étudiant pendant une manifestation. À partir d’une analyse lexicographique et rhétorique appliquée à une série d’articles de presse et de discours prononcés par des membres du gouvernement, l’auteur dépeint les limites d’une communication qui « nuit à la lisibilité et visibilité » des actions de l’exécutif dans la gestion de cette crise. À l’origine de cette situation, se trouve selon l’auteure, une communication étatique protéiforme marquée par une pluralité d’acteurs qui se saisit de cet évènement médiatisé pour marquer leur présence et se lancer dans une quête de reconnaissance. Alors que le président Macky Sall rend intelligible - à l’approche des prochaines échéances électorales - ses capacités de gestion de crise et homme de la situation en abordant dans ses sorties médiatiques, le registre lexical de « la justice », « l’accalmie », « l’apaisement », son ministre et conseiller pointe à son tour, le laxisme du gouvernement et son manque d’anticipation dans la gestion des bourses d’études. Des postures paradoxales, qui comme l’explique l’auteure, donnent à voir une cacophonie remettant en cause le message d’apaisement et d’unité promue dans la communication présidentielle.
8Dans le chapitre VII, Simon Ngono aborde également dans une perspective critique la communication de l’État Camerounais en situation de crise sécuritaire, avec pour principale focale d’observation les prises et libérations d’otages de Boko Haram. À partir d’une analyse discursive des sorties médiatiques, l’auteur pointe du doigt, les lacunes d’une communication étatique ponctuée de déficits informationnels et tentatives de censure, pouvant conduire les citoyens à la recherche d’informations non officielles ou fausses. Pour lui, l’État Camerounais à travers cette manière de faire – qui rime avec amateurisme – tente avant tout de polariser le débat autour de la version gouvernementale et surtout écarter toute polémique sur son inaction dans la lutte contre Boko Haram. Ensuite, dans son analyse discursive, l’auteur va plus loin en démontrant la manière dont l’État se saisit de l’actualité sur la prise/libération d’otages pour construire une communication empreinte d’une logique guerrière. Celle-ci vise à asseoir aux yeux de la communauté internationale – dont on retrouve les ressortissants parmi les otages – l’image d’un État dominant et souverainiste capable de répondre au défi sécuritaire face à Boko Haram. Enfin, les résultats de son travail laissent percevoir une référence permanente à la figure d’un chef d’État camerounais providentiel, actif et déterminé. Or, comme il le fait remarquer, aucune modalité précise concernant les actions du chef d’État ne sont mentionnées dans les discours officiels. Ce culte de la personnalité et cette référence récurrente au président dans les discours officiels sont aussi présent dans les analyses réalisées par Troie Thiery Tagne (chapitre VIII) sur un terrain différent de celui de Simon Ngono, en l’occurrence la construction de l’action publique au Cameroun.
9Dans la partie III De la communication politique à la communication gouvernementale : dissidences de représentations, Alexandre T. Djimeli invite le lecteur à mieux percevoir les pratiques communicationnelles de l’équipe dirigeante du président ivoirien – nouvellement élu à la sortie d’une élection controversée et dont les résultats étaient contestés – pour rétablir la légitimité de son pouvoir sur la scène internationale. En axant son analyse sur les actions des officiels ivoiriens envers un pays influent de l’Afrique centrale tel que le Cameroun, l’auteur rend compte des modes opératoires et raisons d’être d’une pratique communicationnelle des représentants ivoiriens peu courante chez les États Africains. Celle-ci consiste à se saisir de façon voilée et informelle « des activités diplomatiques classiques » (p. 269) pour projeter auprès de l’opinion publique d’un pays étranger, l’image d’une classe dirigeante reluisante et d’un pays en voie de croissance. L’auteur caractérise cette façon de faire stratégique des officiels ivoiriens par la notion de “communication par embuscade diplomatique”.
10Dans le chapitre X, Ferhat Méchouèk rend compte des moyens déployés par l’État Bissau Guinéen pour se réapproprier un espace médiatique en pleine mutation avec l’arrivée de radios communautaires. Sur la base d’exemples tirés de sorties médiatiques des officiels Bissau-guinéens à la suite d’évènements socio politiques et sanitaires, l’auteur met en exergue une stratégie étatique qui ne se contente plus de son emprise sur les médias publics – jugées inaccessibles chez une grande partie de la population – mais qui s’invite sur les platebandes des médias privées. L’objectif étant de les transformer en « des intermédiaires comparables à des influenceurs, pour dialoguer indirectement avec les populations villageoises, majoritairement illettrées, dont les voix électorales comptent » (p. 314).
11Dans le chapitre XI, Symplice Bouga Mvondo met en exergue les limites d’une communication gouvernementale camerounaise aux prises avec la montée en puissance de mouvements contestataires issus de la crise dite anglophone. Pour l’auteur, le dispositif info-communicationnel déployé par l’État a participé à l’amplification de la crise. Et ce, en raison d’une stratégie qu’il qualifie de « timide et attentiste », donnant la possibilité aux acteurs du mouvement contestataire et aux réseaux informels, d’occuper l’espace médiatique. Il s’ensuit par conséquent, une remise en cause systématique des décisions politiques du gouvernement par l’opinion publique. L’auteur dénote également la diffusion de messages contre-productifs marqués par un durcissement du ton – avec l’emprisonnement de figures du mouvement – et l’usage d’un déni qui consiste à réduire la crise à un simple mouvement de groupes marginaux.
12Dans le 12e et dernier chapitre de cet ouvrage, l’analyse critique proposée par Manuella Heuchou Nana, donne à voir les intentions de communication gouvernementale qui se cachent derrière la mise en place du forum « FODIAS ». Il s’agit d’un outil communicationnel institué par l’État camerounais pour instaurer une communication personnalisée et de proximité avec sa diaspora. Pour l’auteure, cette initiative relève d’une volonté de contrôle social et laisse paraître une logique de manipulation visant à susciter l’adhésion de la diaspora aux projets politiques du président camerounais.
13Malgré son volume important, cet ouvrage est facile à lire et accessible à tout profil (étudiant, professionnel, chercheur) passionné des questions de communication d’État en Afrique. Ses différentes contributions permettent au lecteur de percevoir la manière dont la communication gouvernementale dans les pays d’Afrique est conçue et mise en œuvre dans des contextes différents les uns des autres. Elles révèlent les enjeux et jeux des acteurs en charge de cette communication. Par contre, deux éléments attirent notre attention : celle d’abord de la pertinence du titre La communication de l’État en “Afrique” alors que les contributions de l’ouvrage semblent accorder une part belle aux pays de l’Afrique de l’Ouest et centrale. Ensuite, certains contributeurs ont tendance à traduire les plateformes Facebook, Twitter, WhatsApp, Youtube sous le terme de « Réseaux sociaux ». Or, celles-ci relèvent en réalité, des réseaux sociaux numériques. Cela dit, ces observations n’entachent en rien la qualité des enseignements de l’ouvrage.
Pour citer cet article
Référence électronique
Mahamadou Cisse, « Ngono, S. (Éd.). La communication de l’État en Afrique : discours, ressorts et positionnements », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 21 | 2021, mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfsic/10740 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfsic.10740
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