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Notes critiques

LESSARD Claude & CARPENTIER Anylène. Politiques éducatives. La mise en œuvre

Paris : PUF, 2015, 224 p.
Cintia Indarramendi
p. 143-145
Référence(s) :

LESSARD Claude & CARPENTIER Anylène. Politiques éducatives. La mise en œuvre. Paris : PUF, 2015, 224 p.

Texte intégral

1Ce livre de Claude Lessard et Anylène Carpentier porte sur le « tournant de la mise en œuvre » des politiques éducatives. L’ouvrage fait dialoguer les évolutions de la recherche et les transformations des politiques éducatives en Amérique du Nord et en Europe. Il met en avant l’intérêt accru de la recherche et de l’action pour les processus d’interprétation, de traduction et donc de transformation des politiques éducatives par des acteurs à différents niveaux du système éducatif.

2Dans le premier chapitre, les auteurs présentent une brève histoire des changements éducatifs mis en place dans les pays industrialisés au cours des soixante dernières années. Ils identifient deux grands référentiels des politiques éducatives : un premier référentiel de « modernisation et démocratisation de l’éducation », de 1945 à 1973 ; et un deuxième référentiel de l’éducation comme « production efficace et efficiente des connaissances et des compétences requises par la société du savoir », des années 1990 à aujourd’hui. La période intermédiaire (entre 1973 et les années 1990) est présentée comme un mouvement conservateur et restaurateur de transition entre ces deux moments plus structurants. C’est pendant cette période intermédiaire, et face aux constats de la « mise en œuvre ratée » des politiques de démocratisation, que commence le « tournant de la mise en œuvre » : la prise de conscience par les responsables politiques et administratifs qu’il importe de développer une compréhension des dynamiques d’implantation des politiques et de les saisir « par le bas ». Les exemples des politiques de plusieurs pays, et plus particulièrement de la France et des États-Unis, permettent aux auteurs de montrer une évolution commune, bien qu’à des degrés variés, de l’éducation comme un droit vers l’économie du savoir.

3Dans le deuxième chapitre, les auteurs s’attardent sur « l’espace intellectuel » anglo-américain et européen afin de présenter l’évolution des cadres d’analyse qui s’intéressent davantage à l’appropriation, la traduction et l’hybridation des politiques dans leur mise en œuvre. Les auteurs proposent ici une analyse multidisciplinaire des similitudes et divergences des différentes approches sur l’implantation des politiques, du fonctionnalisme américain à la sociologie de l’action publique. L’approche fonctionnaliste, fondée sur « une théorie normative du changement », apparaît comme l’axe autour duquel se structure l’évolution du champ : du côté anglo-américain pour l’enrichir et le complexifier (Weik, Coburn, Spillane, Honig) – première partie du chapitre ; du côté européen pour le contester et le dépasser (Muller, Ball) – deuxième partie du chapitre. C’est en incorporant de nouvelles perspectives (de la sociologie des organisations, du néo-institutionnalisme, de la cognition située) que les analyses arrivent à rendre compte des politiques actuelles qui se présentent plus comme des moyens d’insuffler des dynamiques de changement que comme des prescriptions d’actions. Derrière des convergences entre les approches, les auteurs soulignent des différences importantes (dans la place accordée à la dimension instrumentale ou symbolique des politiques, dans les rapports entre la recherche et les politiques, dans la posture du chercheur).

4Dans le troisième chapitre, les auteurs proposent une présentation des évolutions plus récentes qui caractérisent les politiques éducatives dans les pays industrialisés en évoquant des exemples issus de divers contextes, à savoir : l’autonomisation des établissements, la décentralisation, la responsabilisation des acteurs, la mise en concurrence des établissements, la gestion à partir des résultats et la mise en place d’un quasi-marché éducatif. À partir des résultats des recherches, ils dressent le bilan de ces évolutions politiques : il y a des controverses en ce qui concerne l’impact sur la qualité éducative, mais une entente importante des chercheurs pour montrer la recrudescence des inégalités territoriales et sociales suite à ces transformations. Les principes de justice, de cohésion sociale, d’efficacité et de liberté se disputent l’attention des décideurs politiques et ne sont pas toujours faciles à concilier.

5Le quatrième chapitre est consacré à la « substantification » des politiques, c’est-à-dire leur traduction en leviers et instruments de changement des systèmes éducatifs. Les auteurs insistent sur l’intérêt des instruments, rarement pris comme objet d’études et pourtant « point d’ancrage important du rapport des acteurs à la politique ». Le chapitre se centre sur l’étude des transformations de l’action publique en éducation dans le contexte états-unien suite au rapport A Nation at Risk de 1983 et pendant la « transformation cognitive de l’action publique » dans les années 1990 en se focalisant sur le modèle de comprehensive school reform (CSR). Deux boîtes noires ont été ouvertes par la recherche en éducation pour répondre à la « sous-performance » de l’école et développer un marché de « modèles de changement dits efficaces » : celle qui concerne « la définition de la performance scolaire et les moyens “objectifs” d’amélioration de celle-ci », et celle liée aux mécanismes de la mise en œuvre des politiques se penchant sur les acteurs, leur rôle et leur réponse. Les auteurs montrent que ces programmes de recherche sont surtout des programmes d’action visant à implanter des « modèles » de développement de « pratiques efficaces » au niveau des établissements et développent des technologies du changement contribuant au renouveau du paradigme dominant en éducation.

6Dans le cinquième chapitre, les auteurs proposent une analyse de l’évolution du rapport entre la recherche et la politique. Comme conséquence de ce qu’ils appellent « la triple crise, ou mise en crise, de l’État, de l’éducation et de la recherche en éducation » (p. 157), la recherche pénètre la politique et sert d’argument et de source de légitimité. Le chapitre nous permet de comprendre le contexte d’émergence de l’Evidence based policy (EBP) et les enjeux que cela pose pour la recherche, particulièrement quand l’EBP conduit à lui assigner un objectif d’efficacité et à la soumettre à des critères d’évaluation de ses résultats. Se renforce ainsi l’opposition ancienne entre les conceptions du chercheur comme ingénieur ou expert, ou comme intellectuel critique, opposition que tente de dépasser le « modèle du dialogue informé ».

7Lessard et Carpentier mettent en avant tout au long de l’ouvrage l’incapacité de l’État à imposer de manière durable une politique éducative aux valeurs clairement affichées ainsi que les difficultés des sociétés modernes à construire des consensus éducatifs qui ne soient pas des finalités creuses ou ambiguës. La mise en œuvre, en tant que « produit d’une réponse du milieu et du bas de la pyramide à une injonction de changement venue du haut du système et de la société » révolutionne la vision étato-centrée des politiques publiques. S’oppose ainsi à une vision « instrumentale » des politiques et de l’action publique comme « façons de résoudre des problèmes plus ou moins prédéfinis », une vision « symbolique » qui les analyse plutôt comme « des visions du monde, des tentatives de la société d’agir sur elle-même, de se construire un présent et un avenir, d’affirmer des valeurs et une identité ».

8« Les analogies entre les mouvements d’idées, les discours de légitimation et l’orientation des réformes entreprises autorisent [les auteurs] à parler de manière confondue des discours de changement éducatif » des différents systèmes nationaux. Forcément, dans l’objectif de faire dialoguer différents contextes et approches de la recherche, l’analyse perd parfois en précision (par exemple, dans la présentation des effets des politiques de quasi-marché, il y a une généralisation des recherches qui portent sur des objets [politiques] différents).

9Face à la « fragmentation et à la technicisation de la recherche » (Ball, 2006, cité page 183), l’ouvrage propose une perspective globale. Il a le grand intérêt de travailler le lien entre recherche et action publique, les rapports entre l’évolution des modèles conceptuels et des pratiques et ceci dans une approche internationale mettant en avant la nature profondément politique de l’éducation mais aussi de la recherche. Il pointe également la nécessité de développer et exploiter davantage l’analyse des instruments et des outils des politiques publiques en éducation, souvent négligés par la recherche.

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Pour citer cet article

Référence papier

Cintia Indarramendi, « LESSARD Claude & CARPENTIER Anylène. Politiques éducatives. La mise en œuvre »Revue française de pédagogie, 199 | 2017, 143-145.

Référence électronique

Cintia Indarramendi, « LESSARD Claude & CARPENTIER Anylène. Politiques éducatives. La mise en œuvre »Revue française de pédagogie [En ligne], 199 | avril-mai-juin 2017, mis en ligne le 30 juin 2017, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/6713 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.6713

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Auteur

Cintia Indarramendi

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, équipe CIRCEFT-ESCOL

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