VEYRUNES Philippe. La Classe : hier, aujourd’hui et demain ?
VEYRUNES Philippe. La Classe : hier, aujourd’hui et demain ? Toulouse : Presses universitaires du Midi, 2017, 248 p.
Texte intégral
1Tout au long de sa carrière, Philippe Veyrunes a fréquenté la classe tout d’abord au quotidien en tant qu’instituteur, ensuite avec plus de distance en tant que conseiller pédagogique puis formateur et enfin avec les outils d’analyse du travail en tant que chercheur depuis une vingtaine d’années. Passionné pour comprendre ce qui s’y passe, comment cela se passe et comment on peut transformer l’École, il nous offre un livre d’une très grande richesse et sensibilité en réussissant à reconstruire l’expérience des principaux acteurs que sont les enseignants et les élèves avec beaucoup de rigueur scientifique.
2Dans le contexte médiatique et politique actuel, où les questions pédagogiques sont souvent traitées de manière superficielle et/ou dogmatique, l’ouvrage de P. Veyrunes arrive donc à point nommé pour apporter un regard distancié et éclairé sur le monde de la classe. En analysant la classe sous l’angle des « formats pédagogiques », c’est-à-dire des dispositifs d’organisation du travail en classe, cet ouvrage de 248 pages permet de comprendre les raisons de la pérennité de certains d’entre eux, les obstacles aux tentatives de transformation de la classe, mais aussi les innovations qui se développent au sein de l’École et les conditions de leur déploiement. L’appréhension de ces formats pédagogiques (le cours magistral, le cours dialogué, le travail individuel écrit) comme des formes scolaires culturelles stables et l’accès aux aspects implicites, invisibles, opaques de l’activité des élèves et de l’enseignant à la fois générés par ces organisations du travail et qui participent en même temps à leur organisation, permettent de mieux comprendre ce qui peut être perçu un peu rapidement de l’extérieur comme des « résistances au changement ». Cet ouvrage s’avère donc très utile professionnellement aussi bien pour des enseignants entrant dans le métier qui cherchent à s’approprier telles ou telles façons de faire la classe (plus ou moins innovante) et pour des enseignants expérimentés souhaitant réfléchir sur et infléchir leurs pratiques pédagogiques que pour des formateurs, tuteurs, conseillers pédagogiques, inspecteurs ayant en charge d’accompagner le développement professionnel de ces enseignants. Grâce à la richesse et la multiplicité de ces sources et éclairages scientifiques (historique, sociologique, en sciences de l’éducation, en anthropologie cognitive, en ergonomie et même en littérature), il constitue bien évidemment une référence pour tout chercheur s’intéressant aux dimensions individuelles et collectives de l’activité en classe ainsi qu’aux conditions de possibilité de transformation de la classe.
3Le titre de cet ouvrage éclaire la manière dont il est structuré. Il s’intéresse à « La Classe » dans son sens le plus courant intégrant à la fois le niveau de la classe, le groupe d’élève et le lieu d’enseignement. Il peut donc concerner aussi bien des enseignants du primaire, du secondaire que du supérieur, toucher des enseignements de différentes disciplines pouvant se dérouler dans une salle de classe ordinaire ou spécifique, un gymnase, une piscine, etc. L’intitulé « hier, aujourd’hui et demain ? » indique les trois parties qui structurent l’ouvrage.
4Dans une première partie, à partir d’une approche historique dite par la « réactivation » couvrant une période du xviie au xxe siècle, P. Veyrunes reconstruit comment sont apparus et se sont mis en place et généralisés certains formats pédagogiques qui sont toujours d’actualité dans le système éducatif français. En cherchant à revivre ces temps passés à travers certains extraits de roman du xixe siècle et d’auteurs de fiction du xxe, il révèle par exemple certains « aspects intemporels de la vie d’élève comme la recherche de distractions ou l’ennui ». Malgré les limites de cette approche de reenactment pointées par l’auteur, cette tentative d’accès à l’expérience d’élèves ou d’enseignants à des époques passées sur la base de traces indirectes et lacunaires s’avère féconde et éclairante pour reconstruire des dimensions communes et partagées de l’expérience scolaire sur plusieurs siècles. Ainsi, les évolutions de la classe sur trois siècles sont décrites et analysées : les changements du mode individuel au mode collectif en passant par le mode mutuel, l’apparition du cours magistral puis dialogué, du travail individuel écrit et de la lecture orale et collective au tableau. Les transformations lentes de ces formats pédagogiques sont repérées. Ils restent cependant à éclairer de manière plus approfondie, comme cela est suscité, à la lumière des contextes politiques, religieux et des transformations d’ordre culturel et pédagogique de chacune des époques.
5Dans une deuxième partie, P. Veyrunes présente quelques outils conceptuels et méthodologiques (par exemple l’« instruction par l’enfant ») pour analyser l’activité en classe (de l’enseignant et des élèves) de manière individuelle, interindividuelle et collective. Il fait un état des lieux des 4 principaux formats pédagogiques en usage dans la période scolaire actuelle et dans le système éducatif français (le cours magistral, le cours dialogué, le travail individuel écrit et le travail de groupe) en couplant pour chaque configuration un état de l’art et les résultats de ses propres travaux sur l’articulation de l’activité des élèves et de l’enseignant. La restitution de ces travaux est très riche car cette partie articule : a) des descriptions très fines issues d’études de cas combinant des données ethnographiques et des données documentant la conscience préréflexive des acteurs (élèves et enseignant), b) une montée en généricité de ces résultats par la comparaison de l’activité typique d’acteurs dans des mêmes situations (traitement statistique), c) un niveau d’analyse « surplombant » à partir de la notion de configuration de l’activité collective permettant d’accéder à une vision peu conscientisée par les acteurs de ce qui se passe dans tel ou tel format pédagogique. La viabilité, la stabilité et le potentiel d’apprentissage pour les élèves de ces différentes configurations sont caractérisés et discutés avec d’autres travaux plus ou moins proches.
6Dans une troisième partie, P. Veyrunes s’interroge sur les conditions pour accompagner des transformations effectives de l’École. Cherchant à dépasser le supposé « conservatisme » des enseignants qui constituerait le principal obstacle aux changements des pratiques de classe, il propose une analyse plus complexe des difficultés et/ou échecs relatifs à quelques tentatives de réformes pédagogiques. Pour ce faire, il propose une analyse multiniveau combinant : a) une analyse institutionnelle de la réforme en termes d’incorporation des normes, de légitimité cognitive et de compatibilité avec les formes organisationnelles anciennes, b) une analyse de l’activité des acteurs (élèves et enseignants) pour rendre plus explicites et comprendre les effets des formats pédagogiques sur les bénéficiaires de l’action, et c) une analyse des modalités de transmission implicite de la culture scolaire (par exemple la notion de métier d’élève). Pour finir, il explore les évolutions possibles de la classe et de l’activité qui s’y développe en analysant des innovations pédagogiques actuelles dans la classe : les pédagogies coopératives, le mouvement des « classes inversées », l’introduction des technologies de l’information et de la communication. Deux autres leviers importants d’accompagnement de ces transformations sont développés : l’architecture et l’ergonomie scolaires pour dépasser la réalité archaïque de la salle de classe à la française qui constitue un « obstacle au changement » en pensant en termes « d’espace scolaire » et pas seulement d’organisation de la classe ; la formation des enseignants conçue à partir d’une analyse du travail et des formats pédagogiques pour sortir d’une conception de la formation pilotée essentiellement par les savoirs disciplinaires et d’une perspective applicationniste des « bonnes pratiques ».
Pour citer cet article
Référence papier
Serge Leblanc, « VEYRUNES Philippe. La Classe : hier, aujourd’hui et demain ? », Revue française de pédagogie, 198 | 2017, 123-124.
Référence électronique
Serge Leblanc, « VEYRUNES Philippe. La Classe : hier, aujourd’hui et demain ? », Revue française de pédagogie [En ligne], 198 | 2017, mis en ligne le 31 mars 2017, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/5434 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.5434
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page