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Notes critiques

LAPARRA Marceline & MARGOLINAS Claire. Les premiers apprentissages à la loupe. Des liens entre énumération, oralité et littératie

Louvain-la-Neuve : De Boeck, 2016, 176 p.
Élisabeth Nonnon
p. 161-162
Référence(s) :

LAPARRA Marceline & MARGOLINAS Claire. Les premiers apprentissages à la loupe. Des liens entre énumération, oralité et littératie. Louvain-la-Neuve : De Boeck, 2016, 176 p.

Texte intégral

1Ce petit ouvrage constitue la synthèse de recherches menées conjointement par deux didacticiennes, l’une de français, Marceline Laparra, et l’autre de mathématiques, Claire Margolinas, dans le cadre du réseau RESEIDA (Recherches sur la socialisation, l’enseignement, les inégalités et les différenciations dans les apprentissages). Il repose sur une longue expérience d’observation de classes maternelles, surtout dans des zones d’éducation prioritaire, et croise les perspectives des études sur la littératie scolaire précoce menées à l’université de Metz, celles de la didactique des mathématiques (notamment des concepts de Brousseau), et les travaux menés à l’université Paris 8 sur les processus d’échec et de discrimination sociale dans les tâches scolaires. Il relaie d’autres travaux menés par l’équipe ESCOL, en insistant sur la nécessité de prendre en compte les élèves qui cernent mal la visée d’apprentissage et les caractéristiques pertinentes des situations, faute d’un enseignement explicite à l’école des connaissances invisibles qui rendent possible cette appropriation. Tout en s’inscrivant clairement dans cette lignée, il propose des apports stimulants et originaux sur deux points notamment.

2Il présente d’abord des observations extrêmement fines, « à la loupe » comme dit le titre, de conduites d’élèves confrontés à des tâches courantes de l’école maternelle (rituels, fiches visant des apprentissages mathématiques ou de l’écrit). Cette description minutieuse des tâtonnements, des reprises, des corrections, des productions d’élèves montre tout ce que ces conduites ordinaires supposent de connaissances autres que les savoirs didactiques visés, connaissances d’organisation notamment, dont on ne mesure pas la complexité et qu’on n’enseigne pas : gommer à bon escient en localisant la partie fautive dans une forme erronée, souligner, trouver des modes d’organisation de son travail dans des tâches de manipulation (par exemple, dans des tâches de tri, les façons de conserver des informations sur les objets traités et les démarches déjà effectuées). Elle éclaire la dimension matérielle des tâches et des objets scolaires, souvent méconnue par rapport à leur dimension notionnelle, montrant en particulier la place centrale de conduites liées à l’organisation de l’espace, ce qui est désigné par le terme de connaissances chronotopiques. Ces conduites relèvent de modalités différentes selon qu’il s’agit de tâches impliquant le corps et des manipulations matérielles (tri d’objets déplaçables, étiquettes ou jetons) ou de procédures relatives à des configurations non modifiables (sur des fiches notamment). On voit notamment tout ce qui est mobilisé dans la réussite de tâches de manipulation, dont on pense souvent qu’elles sont un élément facilitateur pour des élèves en échec.

3D’autre part, la collaboration entre une didacticienne du français et une de mathématiques pour observer de mêmes situations de classe et en rendre compte sur le plan théorique permet le croisement des perspectives disciplinaires et un transfert de quelques concepts clés de l’une à l’autre, ce qui élargit ces notions au-delà d’une interprétation restrictive, strictement disciplinaire. La notion clé, en didactique des mathématiques, d’énumération n’est plus systématiquement associée au dénombrement et recouvre les procédures de désignation exhaustive et méthodique de tous les éléments d’une collection, qu’il s’agisse du classement de jetons, de mots ou de lettres composant des mots. La notion de littératie très usitée en didactique du français ne recouvre plus ici la littératie linguistique et la culture de l’écriture. Chez des enfants pas encore entrés dans l’écrit, elle recouvre la mobilisation implicite de catégories propres aux sociétés de culture écrite (dans le parcours spatial pour explorer une liste ou une constellation de points sur une fiche, par exemple) et l’usage de marquages même non linguistiques pour contrôler le traitement des données, mémoriser les étapes d’une démarche. On peut ainsi comprendre en quoi des tâches apparemment différentes dans les contenus visés relèvent des mêmes connaissances d’organisation, mettant en difficulté certains élèves pour les mêmes raisons. De même, on voit en quoi des tâches apparemment analogues sur le plan des procédures et du contenu notionnel diffèrent profondément en fonction de la variation de certains éléments, notamment matériels. L’ouvrage réhabilite ainsi dans l’enseignement auprès de jeunes élèves des démarches mobilisant des connaissances relevant de l’oralité, souvent occultées par une centration trop exclusive sur l’écriture, et insiste sur le continuum entre les savoirs de l’oralité et ceux de la littératie.

4L’ouvrage a une visée de formation des enseignants : il cherche, et parvient à provoquer un décentrement en décapant le filtre que constitue la connaissance adulte de l’écrit pour comprendre comment des enfants qui ne savent pas encore lire peuvent interpréter les situations et les supports de travail qui leur sont proposés. Il engage à affiner l’analyse des composantes implicites des tâches, notamment des compétences d’organisation qu’elles exigent, et à trouver les moyens de donner plus explicitement des outils aux élèves sur ce point. Il appelle à observer pour cela le plus finement possible les conduites des élèves dans le processus même de travail, sur lequel le résultat final ne donne pas forcément des informations pertinentes, et fournit des outils pour cela, même si les multiples contraintes du travail de l’enseignant en situation ne le mettent pas dans des conditions comparables à celles des chercheurs. De ce fait, même si l’ouvrage cible très spécifiquement l’univers de la maternelle, la centration et la démarche peuvent avoir un écho pour d’autres contextes scolaires.

5La démonstration proposée est claire et très didactique, partant de descriptions concrètes pour ensuite expliciter la définition des concepts qui les sous-tendent, pour ensuite revenir à l’analyse d’un cas. Cette démarche spiralaire et progressive accompagne pas à pas le lecteur, de façon parfois un peu insistante, au prix de quelques redondances, pour lui faire entrevoir la complexité invisible d’un quotidien qui peut paraître évident. Une petite réserve suggérée à la lecture de cet ouvrage, par ailleurs très éclairant : il peut donner l’impression d’une insistance plus grande sur ce que les enseignants ne savent pas voir, sur leurs interprétations souvent peu ajustées des productions de leurs élèves, que sur les intuitions et les réponses qu’ils peuvent mettre en jeu dans le quotidien ordinaire de la classe, étant donné les contraintes de nombre d’élèves et de temps dans lesquelles se définit leur activité professionnelle. Il ne faudrait pas qu’une volonté de mise en lumière des démarches d’apprentissage invisibles et méconnues des élèves en difficulté amène à occulter les connaissances invisibles et méconnues des enseignants en situation et les réponses, même insuffisamment informées parfois, qu’ils tentent face aux difficultés de leurs élèves. Reste que la méthode d’observation et les notions proposées ici peuvent utilement outiller ces intuitions et ces réponses, et ainsi contribuer à prévenir certaines dynamiques d’échec socialement marquées, inhérentes aux tâches scolaires.

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Pour citer cet article

Référence papier

Élisabeth Nonnon, « LAPARRA Marceline & MARGOLINAS Claire. Les premiers apprentissages à la loupe. Des liens entre énumération, oralité et littératie »Revue française de pédagogie, 196 | 2016, 161-162.

Référence électronique

Élisabeth Nonnon, « LAPARRA Marceline & MARGOLINAS Claire. Les premiers apprentissages à la loupe. Des liens entre énumération, oralité et littératie »Revue française de pédagogie [En ligne], 196 | 2016, mis en ligne le 30 septembre 2016, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/5111 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.5111

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Auteur

Élisabeth Nonnon

Université Lille 3, Théodile-Cirel EA 4354

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