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Notes critiques

BARRÈRE Anne. Au cœur des malaises enseignants

Paris : Armand Colin, 2017, 208 p.
Géraldine Farges
p. 155-156
Référence(s) :

BARRÈRE Anne. Au cœur des malaises enseignants. Paris : Armand Colin, 2017, 208 p.

Texte intégral

1« Un malaise peut en cacher d’autres : c’est bien là un des fils conducteurs de ce livre » (p. 95), et la sociologie est la discipline scientifique la plus à même de dévoiler les sources enchevêtrées des malaises enseignants. Cet ouvrage, qui comporte six chapitres, est un « panorama » construit à l’intention des enseignants (p. 197). Il est volontairement très personnalisé par l’auteure, qui se met en scène, en quelque sorte, comme ancienne professeure du secondaire devenue chercheuse, à même de rapporter des expériences vécues dans lesquelles ses lecteurs se reconnaîtront et de présenter des connaissances scientifiques utiles pour comprendre les malaises enseignants.

2Dans les chapitres 1 à 5, l’auteure mobilise ses propres recherches ainsi que des classiques de la sociologie. Le premier chapitre se concentre sur le travail enseignant, composite et toujours changeant. L’auteure met en évidence quatre tensions structurelles fortes, communes, mais inégalement sources de difficulté selon les parcours et les ressources : « le deuil de la discipline », « la cyclothymie de la relation » avec les élèves, le « fantôme d’impuissance » quant à l’authenticité et à l’utilité des évaluations données aux élèves et « les enjeux de la reconnaissance » dans l’établissement (p. 36-40).

3Le second chapitre s’intéresse à l’importance actuelle pour les enseignants de la question de la reproduction des inégalités sociales à l’école. L’auteure propose une clarification des thèses de la sociologie critique des années 1970, car celles-ci sont souvent comprises à contresens comme révélant des « handicaps socioculturels » (p. 45). L’auteure expose le rapport ambigu des enseignants à ces thèses dénonciatrices de leurs implicites et de nombre de leurs pratiques.

4Le troisième chapitre, qui s’intéresse à la sociologie des « effets », par rapport à laquelle l’auteure se dit volontiers critique (p. 173), apporte des connaissances directement utiles sur ce qui facilite les apprentissages. L’auteure prend soin d’expliquer clairement de quoi il est question, donnant à ce chapitre des allures de compilation sur la question de l’efficacité en matière d’éducation. L’auteure explique aussi pourquoi les enseignants s’accrochent à des pratiques peu efficaces, tel le redoublement, ou encore que certaines pratiques, telle l’évaluation, ne poursuivent pas seulement des objectifs d’apprentissage.

5Le chapitre 4 a pour ambition de révéler des « angles morts qui sont une part essentielle de la vie au travail des enseignants » (p. 96), en mobilisant la sociologie interactionniste. Ces angles morts sont notamment liés à la « gestion de la classe » (p. 98), avec laquelle les enseignants, parfois très expérimentés, se démènent. Allant clairement à l’encontre de l’idée selon laquelle les problèmes d’autorité seraient réductibles à des pratiques pédagogiques ou didactiques, l’auteure souligne dans ce chapitre l’importance des situations individuelles et locales, des ressources, et pointe le jeu d’équilibre subtil qui caractérise le travail enseignant dans l’ordinaire des interactions scolaires.

6Le chapitre 5 met à profit les apports de la sociologie des organisations et explore l’accusation de résistance au changement souvent adressée aux enseignants. Pour cela, l’auteure commence par interroger la notion même de changement dans l’école, qui consiste surtout, depuis 1975, en des réformes de « moyenne portée » (p. 129) et en l’introduction de multiples dispositifs (cela pourrait d’ailleurs figurer parmi les causes de déstabilisation structurelle du travail enseignant exposées dans le premier chapitre). Trois grandes tendances se repèrent. En premier lieu, le travail enseignant est élargi à l’établissement, bousculant « l’individualisme » (p. 135) que l’auteure met en doute. En second lieu, la promotion des pédagogies dites actives place les enseignants face à une accusation de conservatisme, qui ne résiste pas à l’analyse sociologique. En troisième lieu, le changement actuel renforce l’encadrement du travail enseignant, notamment au niveau local. Les solutions proposées aujourd’hui peinant à correspondre aux problèmes bien réels qu’elles sont sensées résoudre, « une partie des évolutions du travail enseignant se fait dans un paradoxal demi-silence » (p. 156).

7Le chapitre 6 se place dans une tradition d’intervention sociologique, inspirée par les démarches d’Alain Touraine et François Dubet. Dix enseignants, amis ou connaissances indirectes de l’auteure, ont lu et donné leur avis sur les cinq premiers chapitres au cours d’entretiens sociologiques, que l’auteure analyse dans ce dernier moment du livre. Ces enquêtés ont renvoyé à l’auteure la correspondance entre leur expérience et le propos du chapitre 1, leur intérêt toujours bien présent pour les thèses de la sociologie critique, dont ils ont découvert l’actualisation pour ce qui concerne les « pédagogies de l’activité, du détour ou du projet » (p. 168). Ils ont montré leur intérêt pour le thème de l’efficacité, tout en révélant que ce terme pouvait être compris de plusieurs manières. À la surprise de l’auteure, les apports de la sociologie interactionniste ont été considérés comme « trop descriptifs » (p. 184). L’auteure et ses lecteurs se rejoignent sur le constat d’un grand fossé entre les prescriptions officielles et la réalité du travail enseignant, alors même que les enseignants jugent parfois les premières intellectuellement intéressantes. Ils réagissent en prenant de la distance avec ces prescriptions, ce dont l’analyse sociologique exposée dans le chapitre 5 fait un peu les frais.

8Le livre est-il, comme souhaité, utile aux enseignants interrogés ? L’auteure se console d’une réponse en demi-teinte en signalant l’utilité de la démarche pour son activité de recherche : oublis soulignés, ouvertures esquissées, mises en question exprimées. Mais l’utilité principale de la démarche réside surtout, selon l’auteure, dans l’ouverture d’espaces de discussion. Ceci ne semble pourtant pas aller de soi à la lecture du livre. En effet, dans les chapitres 1 à 5, l’auteure relate parfois des échanges musclés avec certains enseignants autour de ses recherches. Dès lors, si la question de l’utilité de la sociologie pour les enseignants reste en suspens au terme de l’ouvrage, la raison pourrait aussi être recherchée dans les relations entre les chercheurs et les acteurs-objets de recherche. Des rapports de pouvoir parcourent aussi les relations des chercheurs avec les « praticiens » maîtres de leur classe (van Zanten, 2004, p. 195). L’expertise en matière d’éducation est un bien disputé, qui, lorsqu’elle provient d’acteurs qui ne sont pas concernés au même titre par l’ordinaire du travail en école, collège ou lycée, peut éventuellement être considérée comme une autre forme d’atteinte à l’autonomie des enseignants, plaçant bien malgré eux les chercheurs au rang des prescripteurs. Ce n’est pourtant absolument pas là l’objectif de l’ouvrage (la quatrième de couverture avertit que l’ouvrage est écrit « au plus loin de toute prescription de “bonnes pratiques” »), qui entend surtout replacer l’expérience individuelle du travail enseignant dans un cadre collectif, ce que l’auteure fait pour elle-même en expliquant ses propres expériences par des enjeux qui les dépassent.

9L’ouvrage voudrait aussi, dans une logique de « dévoilement » empruntée à la sociologie critique, inciter les enseignants à démocratiser réellement le système éducatif, au-delà des discours. C’est ainsi que l’on peut comprendre les mises en garde de l’auteure sur certaines pratiques, telles que les pédagogies misant sur l’activité ou le projet, ou la pathologisation de l’échec scolaire. Au final, si l’auteure souligne que ce sont d’autres changements que ceux voulus par les décideurs que les enseignants appellent de leurs vœux, en premier lieu des changements des curricula et des exercices, elle insiste sur l’idée que les changements les plus conséquents au niveau collectif passeront par le niveau le plus fin de l’action pédagogique, dont les enseignants minimisent beaucoup le potentiel et dont l’ouvrage entend leur démontrer, ou rappeler, à quel point ils ont tort à ce sujet. Espérons que sa lecture parviendra à déclencher une telle prise de conscience.

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Bibliographie

van ZANTEN A. (2004) « Les sociologues de l’éducation et leurs publics ». In G. Chatelanat, C. Mora & M. Saada-Robert (dir.), Unité et pluralité des sciences de l’éducation, sondages au cœur de la recherche. Berne : Peter Lang.

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Pour citer cet article

Référence papier

Géraldine Farges, « BARRÈRE Anne. Au cœur des malaises enseignants »Revue française de pédagogie, 196 | 2016, 155-156.

Référence électronique

Géraldine Farges, « BARRÈRE Anne. Au cœur des malaises enseignants »Revue française de pédagogie [En ligne], 196 | 2016, mis en ligne le 30 septembre 2016, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/5102 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.5102

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Auteur

Géraldine Farges

Université de Bourgogne Franche-Comté, IREDU

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