1Dans leur synthèse de la littérature anglophone sur la question, Woolfolk Hoy et Weinstein (2006) décrivent le concept de gestion de classe (« classroom management ») comme se référant à des sujets pluriels tels que a) les actions de l’enseignant réalisées en vue d’établir un environnement d’apprentissage ordonné et productif, b) les mesures prises pour promouvoir des changements dans les comportements des élèves, ou encore c) les conduites visant à aider les élèves à remplir leurs responsabilités de manière aussi effective que possible.
2Le concept de gestion de classe recouvre ainsi une multitude de comportements de l’enseignant qui ne concernent pas l’enseignement des connaissances elles-mêmes mais des éléments tels que la façon dont l’enseignement est organisé ou le style d’interaction de l’enseignant avec ses élèves. À titre d’exemple, Kounin et Gump (1958) intègrent dans la gestion de classe des techniques enseignantes telles que le fait d’avoir conscience en permanence de ce qui se passe dans la classe (concept qu’ils nomment « withitness », révélant une capacité de réaliser, en même temps, plusieurs tâches qui se chevauchent), ainsi que d’autres pratiques préventives qui suscitent l’implication des apprenants.
3En dépit de la variété des sujets compris sous les termes de « gestion de classe », les chercheurs s’accordent à dire que celle-ci constitue une activité fondamentale du métier d’enseignant qui représente également une source d’inquiétude pour nombre d’enseignants ou futurs enseignants. Ainsi, les recherches portant sur les stades de développement des enseignants sont unanimes et explicites quant aux préoccupations majeures des enseignants en formation et débutants : leur inquiétude première est la gestion de classe, qu’ils considèrent comme un prérequis à la gestion des apprentissages eux-mêmes (Condon, Clyde, Kyle et al., 1993 ; Kilgore & Ross, 1993 ; McCormack, 2001 ; Pigge & Marso, 1997). Les débutants veulent faire leurs preuves face à une classe, soit montrer qu’ils sont capables de garder les élèves calmes et attentifs. Au-delà d’instaurer une discipline en classe, les débutants décrivent un bon enseignant comme ayant, entre autres compétences, celle de favoriser l’engagement de ses élèves (Weinstein, 1989). Ainsi, l’enjeu est double : d’une part gérer la discipline et d’autre part créer un climat de classe favorable aux apprentissages, ce que les enseignants débutants ne savent pas aussi bien réaliser que leurs pairs plus expérimentés (Jensen, Sandoval-Hernández, Knoll et al., 2012). La gestion de classe n’est toutefois pas une préoccupation réservée aux débutants. En effet, pour les enseignants plus chevronnés, il s’agit également d’une inquiétude. À ce sujet, l’étude internationale Teaching And Learning International Survey (TALIS ; Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2009) a révélé que figurent, parmi les besoins de développement professionnel les plus fortement exprimés par les enseignants, des formations continues sur la gestion des problèmes de comportements des élèves. La célèbre étude de Huberman (1989) auprès de 160 enseignants des collèges et lycées en Suisse romande avait elle aussi conclu que motiver les élèves peu intéressés figurait parmi les difficultés rencontrées tout au long de la carrière enseignante. Signalons encore que les enseignants qui pensent avoir le plus de difficultés à gérer leurs classes, soit un faible sentiment d’efficacité personnelle dans ce domaine, ont plus tendance à souffrir d’épuisement professionnel, comme l’ont montré l’étude de Brouwers et Tomic (2000) ainsi que la méta-analyse d’Aloe, Amo et Shanahan (2014). En bref, la gestion de classe est un sujet dont l’importance pratique est évidente.
- 1 Les croyances sont « une représentation que se fait un individu de la réalité ; celle-ci possède a (...)
- 2 Les croyances autocentrées réfèrent à la façon dont l’enseignant se perçoit. Autrement dit, ce son (...)
4Les pratiques de gestion de classe adoptées par l’enseignant sont dépendantes d’une multitude de facteurs relatifs aux élèves, à l’établissement scolaire et à l’enseignant lui-même. Concernant les élèves, ce sont autant leurs caractéristiques (par exemple l’âge, le sexe, les performances scolaires) que leurs comportements qui incitent l’enseignant à gérer sa classe d’une certaine manière. L’enseignant doit également adapter ses pratiques aux multiples conditions et demandes de l’environnement institutionnel (Everitt, 2012), par exemple en instaurant des règles communes qu’il se doit d’appliquer dans plusieurs classes ou en équilibrant la quantité de notions à enseigner par rapport au nombre d’heures de cours à disposition. Un changement dans le curriculum imposé aux enseignants par l’établissement peut également contraindre l’enseignant à changer ses pratiques. Everitt (2012) explique qu’un tel changement peut replonger l’enseignant dans une position d’enseignant débutant, qui doit réviser la palette de pratiques qu’il avait établie jusqu’alors. Finalement, comme le montrent les études sur l’effet-maître (Talbot, 2012), les facteurs relatifs à l’enseignant sont prépondérants dans l’explication des pratiques d’enseignement. En particulier, et au-delà des caractéristiques propres telles que le sexe, la formation pédagogique suivie ou les années d’expérience dans l’enseignement, les croyances jouent un rôle important (Buehl & Beck, 2015 ; Nespor, 1987)1. La recherche a particulièrement conceptualisé les croyances des enseignants comme constituant l’une des principales sources des pratiques d’enseignement (Clark & Peterson, 1986 ; Nespor, 1987 ; Pajares, 1992). Ce sont d’une part des croyances de type pédagogique (par exemple la pertinence attribuée à diverses méthodes d’enseignement) ou de type « autocentré » qui ont été analysées quant à leurs liens avec les pratiques2. Nous le verrons, la relation entre croyances et pratiques est envisageable comme réciproque ou à double sens : autant les croyances peuvent constituer le fondement des pratiques, autant ces dernières peuvent permettre des changements de croyances (Buehl & Beck, 2015 ; Crahay, Wanlin, Issaieva et al., 2010 ; Richardson & Placier, 2001). Concernant l’évolution des croyances, les recherches ont, nous le verrons, abouti à des conclusions mitigées, voire contradictoires : alors que certaines études indiquent des changements conséquents, selon d’autres la formation n’aurait que des effets très limités ou des effets sur certains types de croyances mais pas sur d’autres (Crahay, Wanlin, Issaieva et al., 2010).
5De ces constats découlent en particulier les deux questions suivantes. Premièrement, quelles croyances sont associées aux pratiques de gestion de classe ? En d’autres termes, nous interrogerons les facteurs à l’œuvre qui font qu’un enseignant adopte une certaine façon de gérer sa classe. Deuxièmement, comment les croyances et les pratiques de gestion de classe évoluent-elles durant la formation à l’enseignement et au-delà ? Ce sont ces deux questions qui guideront la présente note de synthèse. Partant de ces questions, ce texte vise à synthétiser les apports de la recherche sur les articulations entre les croyances des enseignants et leurs pratiques de gestion de classe. Nous présenterons, dans un premier temps, le type de croyances auxquelles adhèrent les enseignants dans le domaine de la gestion de classe et les pratiques qu’ils adoptent. Dans un deuxième temps, nous rapporterons les résultats de diverses recherches ayant analysé les articulations entre croyances et pratiques de gestion de classe. Troisièmement, nous synthétiserons les études s’étant penchées sur l’évolution de ces croyances et pratiques, en particulier suite à une formation pédagogique et plus largement durant les débuts de la carrière enseignante. Finalement, nous proposerons en conclusion des réflexions critiques ainsi que des pistes de recherches futures.
- 3 La note de synthèse de Sarrazin, Tessier et Trouilloud, publiée en 2006 dans cette même revue, off (...)
6Une grande variété de concepts a déjà été mobilisée pour décrire les pratiques de gestion de classe ainsi que les effets de ces pratiques sur les apprenants (Woolfolk Hoy & Weinstein, 2006)3. Dans le cadre de cette note de synthèse, nous abordons ces pratiques sous l’angle de la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2002, 2008). Selon cette théorie, une motivation autodéterminée (intrinsèque) a des conséquences positives sur les apprenants en termes d’engagement, de bien-être et d’apprentissage. De cette observation découle un intérêt des recherches autour des pratiques enseignantes qui favorisent ou entravent l’autodétermination des élèves. Cette théorie constitue ainsi un cadre optimal, puisqu’elle ne s’attache pas uniquement aux conséquences des types de motivations, mais également à leurs antécédents tels que les pratiques de gestion de classe. Toujours selon cette théorie, la motivation de l’individu serait affectée par la satisfaction de trois besoins : l’autonomie, la compétence et l’appartenance sociale (Deci & Ryan, 2000). Les pratiques enseignantes étant considérées comme des déterminants importants de la satisfaction de ces besoins, elles affecteraient la motivation. Nous proposons ci-dessous une analyse des activités de gestion de classe centrée sur une double perspective constituée de deux oppositions : a) une opposition entre le soutien à l’autonomie et le contrôle (Deci & Ryan, 1987), concepts développés dans le cadre de la théorie de l’autodétermination (voir Deci & Ryan, 2008) ; b) une opposition entre la structuration de la classe et le laisser-faire (Brophy, 1986, 2004 ; Skinner & Belmont, 1993), dont la paternité théorique est relativement obscure. Nous considérons, comme l’ont récemment proposé certains chercheurs (Jang, Reeve & Deci, 2010 ; Sierens, Vansteenkiste, Goossens et al., 2009 ; Skinner, Furrer, Marchand et al., 2008), que ces deux perspectives sont complémentaires.
- 4 Notons que dans le courant théorique des buts de compétences, les chercheurs ont distingué deux cl (...)
7Dans le cadre de la théorie de l’autodétermination, l’influence de l’enseignant sur l’engagement des élèves a été conceptualisée sous la forme de deux types de pratiques (nommés « styles motivationnels ») constituant les deux opposés d’un continuum allant du soutien à l’autonomie au contrôle (Deci & Ryan, 2008 ; Pelletier, Séguin-Lévesque & Legault, 2002 ; Reeve, 2002, 2006 ; Reeve, Deci & Ryan, 2004)4. Ces types de pratiques ont également été décrits comme étant des styles interpersonnels auxquels recourent les enseignants pour interagir avec les élèves et les motiver (Deci, Schwartz, Sheinman et al., 1981).
- 5 Notons que certains chercheurs incluent également, dans leur définition du soutien à l’autonomie, (...)
8Le soutien à l’autonomie renvoie aux comportements de l’enseignant qui visent à identifier, nourrir et développer les ressources motivationnelles internes aux élèves. À l’opposé, le contrôle comprend des comportements coercitifs, visant à imposer aux élèves une façon spécifique de penser, de se percevoir et de se comporter (Deci, Schwartz, Sheinman et al., 1981 ; Reeve, 2009). Le soutien à l’autonomie s’observe en particulier dans la prise en considération par l’enseignant de la perspective, des pensées, sentiments et actions des élèves. Les objectifs de l’enseignant sont alors de soutenir le développement de la motivation et des capacités d’apprentissage (telles que les capacités à s’autoréguler) des élèves. Reeve (2002) distingue deux niveaux d’application du soutien à l’autonomie : le comportement et le langage. Au niveau de son comportement, l’enseignant qui soutient l’autonomie de ses élèves est à l’écoute de ceux-ci, leur laisse du temps pour travailler de manière indépendante, les incite à trouver les réponses par eux-mêmes, reconnait et accepte leurs expressions d’émotions négatives. Le langage de l’enseignant qui soutient l’autonomie des élèves est de type informatif : l’enseignant communique de façon empathique et apporte des encouragements. Le contrôle est quant à lui manifeste par exemple lorsque l’enseignant adopte uniquement sa propre perspective sur l’enseignement ou qu’il affirme son pouvoir pour faire taire toute plainte et expression d’émotions négatives. De manière plus extrême, des pratiques contrôlantes peuvent viser à contraindre les élèves à penser et agir comme l’enseignant le souhaite. Il s’agit, à titre d’exemple, de l’utilisation de méthodes visant à augmenter la motivation extrinsèque des élèves (récompenses et sanctions reflétant une perspective béhavioriste de la motivation), de l’utilisation d’un langage contraignant, de la communication des solutions ou des réponses aux élèves plutôt que d’une offre d’étayage, ou encore de l’expression de jugements sur les élèves.5
9Les recherches montrent que les enseignants tendent vers l’adoption d’un type de pratiques ou de l’autre ; mais pour la majorité des enseignants, le contrôle est privilégié (Hoffmann, Huff, Patterson et al., 2009 ; Newby, 1991 ; Reeve, 2009). L’étude de Newby (1991), par exemple, portant sur un échantillon d’enseignants dans leur première année d’exercice, a montré que ceux-ci s’appuyaient principalement sur des pratiques visant à promouvoir la motivation extrinsèque des élèves : récompenser les comportements ou réponses adéquates et sanctionner les comportements inadéquats. Autrement dit, il s’agissait de pratiques contrôlantes. En comparaison, favoriser la confiance en eux-mêmes des élèves et souligner la pertinence des activités étaient des pratiques significativement moins utilisées. D’autres études plus récentes dressent un constat similaire (Hoffmann, Huff, Patterson et al., 2009).
- 6 La structuration n’est pas sans rappeler d’autres concepts tels que celui de l’enseignement explic (...)
10Le soutien à l’autonomie est souvent, à tort, associé à un environnement permissif. Or, le soutien à l’autonomie optimal se réalise dans un environnement structuré. Selon le modèle de Skinner et Belmont (1993), la structuration est définie comme la quantité et la clarté des informations fournies par l’enseignant quant à ses attentes et à la façon dont les élèves sont censés atteindre de manière effective les résultats désirés. Skinner et Belmont envisagent ce concept comme multidimensionnel, comprenant quatre facettes toutes empiriquement fortement associées : l’enseignant structurant a) communique clairement ses attentes, b) répond de manière constante, prédictible et contingente, c) offre des instruments d’aide et de soutien, et d) adapte ses stratégies d’enseignement au niveau de l’élève6. À l’opposé, un environnement n’offrant pas ces informations est nommé « laisser-faire » ; il se caractérise par des messages de l’enseignant confus, contradictoires, des consignes et attentes communiquées de manière peu claire, ainsi qu’un manque d’information sur la façon dont les élèves sont censés atteindre les objectifs qui leur sont fixés (Skinner, Furrer, Marchand et al., 2008). Autrement dit, le laisser-faire est l’absence de structuration. Afin d’établir un environnement d’apprentissage structuré, il s’agit par conséquent pour l’enseignant de présenter des consignes claires, compréhensibles et explicites, de fournir aux élèves des indications pour guider leurs activités ou encore de donner des feedbacks constructifs sur la façon d’augmenter la perception par l’élève d’un « contrôle sur ses résultats » (Brophy, 1986, 1998 ; Skinner & Belmont, 1993 ; Skinner, Zimmer-Gembeck & Connell, 1998).
11Étant donné l’importance des pratiques de gestion de classe pour l’engagement des élèves, il est primordial de comprendre les facteurs qui y sont associés. Les croyances des enseignants constituent l’une des sources présumées de ces pratiques (Nespor, 1987 ; Buehl & Beck, 2015). La recherche a étudié ces liens dans le domaine de la gestion de classe, ce que nous synthétisons dans la section suivante.
12Les relations entre croyances et pratiques dans le domaine de gestion de classe ont été relativement peu investiguées par les chercheurs. Les études empiriques se sont en effet généralement penchées sur les effets des pratiques de gestion de classe sur une diversité de variables dépendantes telles que l’engagement des élèves, souvent en s’appuyant sur des plans de recherche contenant un temps de mesure unique (autrement dit, en mesurant pratiques d’enseignement et engagement des élèves en même temps). Les déterminants des pratiques de gestion de classe ont en revanche été négligés (pour une exception, voir Pelletier, Séguin-Lévesque & Legault, 2002). Or, il est à notre avis essentiel pour la formation des enseignants – dont l’un des buts premiers est d’orienter les futurs enseignants vers certaines pratiques – de comprendre les raisons sous-jacentes à l’utilisation de ces pratiques (Nolen & Nicholls, 1994). En effet, cette compréhension permettrait d’envisager un travail sur les déterminants, parmi lesquels figurent les croyances, afin de modifier les pratiques enseignantes. Nous nous intéresserons aux relations entre divers types de croyances et les pratiques de gestion de classe en deux temps. Premièrement, des croyances pédagogiques seront abordées : les croyances sur la motivation des élèves et sur l’enseignement et l’apprentissage en général ; deuxièmement, les croyances autocentrées de sentiment d’efficacité personnelle seront traitées. Enfin, les liens entre croyances et pratiques seront illustrés avec un exemple tiré d’une étude réalisée par les auteurs (Berger, Girardet, Vaudroz et al., 2018).
- 7 Soulignons que seule l’intensité de la motivation est considérée et que sa qualité ou son type est (...)
- 8 À noter que le terme de « croyances constructivistes » est celui utilisé par Landau (2009). Sa déf (...)
13Les pratiques de structuration et de soutien à l’autonomie seraient en partie fondées sur les croyances des enseignants quant à la motivation à apprendre, c’est ce que Patrick et Pintrich (2001) ainsi que Reeve (2009) concluent de leurs revues de la littérature. De manière surprenante, relativement peu d’études se sont intéressées aux croyances relatives à la motivation des élèves et à la façon dont les enseignants pensent qu’elle peut être favorisée (Elliott, Hufton, Willis et al., 2005 ; Flink, Boggiano & Barrett, 1990 ; Hoffmann, Huff, Patterson et al., 2009 ; Nolen & Nicholls, 1994 ; Shalter Bruening, 2010). L’une des raisons pour lesquelles les enseignants adoptent des pratiques contrôlantes est analysée dans les études de Boggiano, Barrett, Weiher et alii (1987) ; il s’agit des croyances relatives à l’efficacité de ces pratiques. Selon ces études, les pratiques contrôlantes (par exemple récompenser) sont jugées comme plus efficaces que les pratiques liées au soutien à l’autonomie (par exemple expliquer les raisons de réaliser une tâche) pour accroitre la motivation intrinsèque des élèves. Ceci se vérifie indépendamment du degré d’intérêt que l’élève montre par rapport à l’activité scolaire qu’il doit réaliser. De plus, les adultes, que ce soient des parents ou des étudiants universitaires, croient que la probabilité que l’élève réalise non seulement de bonnes performances, mais aussi développe un intérêt à long terme pour les activités scolaires est proportionnelle à l’ampleur de la récompense promise à l’élève. Autrement dit, plus grande est la récompense et plus intéressé et performant serait l’élève. Ce jugement est révélateur de la croyance que les pratiques contrôlantes auraient le potentiel de combler les déficits de motivation à apprendre, ce qui permettrait d’obtenir rapidement et de manière fiable les résultats attendus d’un élève. Les entretiens conduits par Elliott Hufton, Willis et alii (2005) auprès d’enseignants en Angleterre, États-Unis et Russie confirment cette interprétation et révèlent que ces croyances se retrouvent dans diverses cultures. Les résultats de l’étude de Flink, Boggiano et Barrett (1990), réalisée selon un plan de recherche expérimental manipulant la pression exercée sur les enseignants afin que leurs élèves obtiennent de bonnes performances, permettent d’approfondir les constats précités. En effet, les enseignants sur lesquels une pression est exercée tendent à adopter des pratiques plus contrôlantes vis-à-vis de leurs élèves en comparaison d’enseignants qui ne subissent pas une telle pression. Étonnamment, ces enseignants ont été jugés comme étant plus intéressés, enthousiastes et compétents que ceux qui exerçaient un plus grand soutien à l’autonomie. Ces résultats sont expliqués par la croyance déjà mentionnée qu’exercer une pression sur les élèves afin qu’ils réussissent augmenterait leur motivation et leurs apprentissages (Flink, Boggiano & Barrett, 1990) ; ainsi, les enseignants exerçant cette pression sont perçus comme de « bons enseignants »7. Les raisons pour lesquelles certains enseignants recourent à des pratiques de gestion de classe contrôlantes, consistant à distribuer des récompenses ou punitions de manière contingente, ont également été analysées par Landau (2009), qui qualifie ces pratiques de « béhavioristes ». L’argument principal des enseignants concernerait l’efficacité de ces pratiques qui offrent une solution rapide et facile à mettre en œuvre (Landrum & Kauffman, 2006), par exemple face aux problèmes de comportement des élèves. De plus, cette solution donne à l’enseignant le sentiment de garder le contrôle sur ses élèves. Au contraire, les pratiques désignées par Landau (2009) comme « constructivistes »8 – soit des compliments et encouragements verbaux privés – sont passablement rejetées par ces enseignants qui jugent qu’elles ne peuvent pas fonctionner avec leurs propres élèves (Landau, 2009). Plus modéré, Reeve (2006) reconnaît que si le but de l’enseignant se limite à obtenir des élèves qu’ils fassent ce qui est demandé et orientent leurs comportements vers la tâche, alors les méthodes béhavioristes telles que l’utilisation de récompenses et de sanctions fonctionnent et ont du sens.
14L’analyse des croyances et pratiques de gestion de classe suggère qu’une concordance forte est peu plausible, tout comme cela a été observé dans les relations entre croyances et pratiques relatives à d’autres activités enseignantes (Kennedy, 2005 ; Schraw & Olafson, 2003). Si certaines études montrent que les enseignants (et plus généralement les adultes) croient en l’efficacité du contrôle et s’orientent ainsi vers ces pratiques (Deci, Schwartz, Sheinman et al., 1981 ; Flink, Boggiano & Barrett, 1990 ; Newby, 1991 ; Hoffmann, Huff, Patterson et al., 2009), d’autres concluent au contraire qu’ils adoptent des croyances en cohérence avec le soutien à l’autonomie (Nolen & Nicholls, 1994 ; Shalter Bruening, 2010). Les pratiques de soutien à l’autonomie ne sont toutefois pas forcément en adéquation avec ces croyances. Ainsi, les conclusions selon lesquelles les enseignants n’adoptent pas des pratiques favorables à la motivation ne signifient pas qu’ils ne sont pas conscients des pratiques permettant, idéalement, de motiver leurs élèves. Il existe, dans cette littérature scientifique, des contradictions qui mériteraient d’être investiguées par une méta-analyse. En conséquence, nous estimons important d’analyser de manière conjointe les croyances des enseignants et leurs pratiques, ce qui n’a été que trop rarement réalisé à ce jour.
- 9 Nous pouvons reprocher à la distinction entre croyances constructivistes et croyances de transmiss (...)
15Au-delà des croyances sur la motivation des élèves, d’autres croyances, plus générales, relatives à l’enseignement et à l’apprentissage jouent un rôle dans les pratiques d’enseignement. Les conceptions de l’enseignement divergent entre les individus : alors que certains conçoivent l’enseignant comme étant le détenteur du savoir qui se doit de le transmettre aux élèves, d’autres considèrent que l’enseignant devrait favoriser un apprentissage actif des élèves. Des travaux sur les croyances pédagogiques générales des enseignants (Chan & Elliott, 2004 ; Nie & Lau, 2009 ; Nie, Tan, Liau et al., 2012 ; Jensen, Sandoval-Hernández, Knoll et al., 2012) distinguent ainsi deux classes générales de croyances : des croyances dites de « transmission directe » et des croyances dites « constructivistes ». Les croyances de transmission directe impliquent l’idée d’une passation du savoir de l’enseignant aux élèves, ces derniers étant considérés comme des récipiendaires passifs. Le rôle de l’enseignant est alors de communiquer les savoirs de manière claire et simple, en communiquant les bonnes réponses aux problèmes qu’il pose aux élèves et en s’assurant que ceux-ci soient calmes et attentifs. Les croyances constructivistes ne se focalisent pas uniquement sur le savoir à acquérir, mais aussi sur les élèves, qui sont considérés comme acteurs dans l’acquisition de leurs connaissances. Ces croyances sont reflétées dans une vision des élèves comme participants actifs dans le processus d’acquisition de savoirs et dans une emphase sur le développement des processus de pensée plutôt que sur l’acquisition de savoirs spécifiques9. Le rapport TALIS (OCDE, 2009) montre que les croyances constructivistes sont corrélées avec des pratiques centrées sur les élèves, comme le soutien à l’autonomie. Cette corrélation positive a été observée dans 18 des 23 pays concernés par l’enquête. En contraste, les croyances de transmission directe sont associées à des pratiques de structuration telles que le fait de fournir aux élèves un environnement d’apprentissage fortement organisé.
- 10 Le sentiment d’efficacité pour la gestion de classe est souvent défini, de manière restrictive, co (...)
16Le sentiment d’efficacité à enseigner est une croyance autocentrée importante à considérer dans l’analyse de la gestion de classe car les études empiriques ont passablement documenté l’influence significative de ce sentiment sur la façon dont les enseignants géraient leurs classes10. Deux études de Woolfolk (Woolfolk & Hoy, 1990 ; Woolfolk, Rosoff & Hoy, 1990) examinant les liens entre le sentiment d’efficacité, les croyances sur l’enseignement et les pratiques déclarées ont notamment révélé que plus les enseignants ont confiance en leurs habiletés à enseigner, moins ils croient en l’importance d’un modèle scolaire traditionnel, soit un modèle fournissant un cadre rigide visant à maintenir l’ordre dans la classe, et plus ils encouragent l’autonomie, la confiance et la prise de responsabilités chez l’apprenant, autant de facteurs développant les motivations de type intrinsèque des élèves. À l’inverse, les enseignants qui ont une moindre confiance en leurs habiletés gèrent plus difficilement les comportements perturbateurs des élèves et tendent à utiliser récompenses, sanctions et punitions pour gérer leur classe. Ils s’appuient ainsi sur la motivation extrinsèque des élèves et adoptent des pratiques contrôlantes. Ce ne serait pas uniquement le sentiment d’efficacité à gérer la classe qui serait associé aux pratiques de gestion de classe, mais aussi les sentiments d’efficacité à engager les élèves et à recourir à des stratégies d’enseignement pertinentes. En effet, Wolters et Daugherty (2007) ont testé les relations entre ces trois sentiments d’efficacité et la structure de buts que l’enseignant déclare mettre en place. Les résultats indiquent que chacun des trois sentiments est prédictif de l’établissement d’une structure de buts de maîtrise alors qu’aucune relation n’est observée avec une structure de buts de performance. Ainsi il faudrait être en mesure de mobiliser des habiletés diverses pour gérer une classe et pas seulement des habiletés à faire de la discipline.
17Le sentiment d’efficacité personnelle constitue un facteur facilitant le fait de déclarer des pratiques soutenant l’autonomie des élèves (Girardet & Berger, 2017). Plus les enseignants ont confiance en leurs habiletés, moins ils se sentent accaparés par le stress. De ce fait, ils sont en mesure d’accorder de l’énergie et de l’attention à la manière de gérer la classe. Ainsi, le soutien à l’autonomie nécessite un fort sentiment d’efficacité personnelle car il s’agit d’une pratique de gestion de classe perçue comme plus difficile et coûteuse à mettre en œuvre que ne le sont le contrôle ou le laisser-faire.
18Dans une étude récente (Berger, Girardet, Vaudroz et al., 2018), nous avons analysé les relations entre croyances et pratiques de gestion de classe dans un échantillon de 154 enseignants en école professionnelle suivant, en cours d’emploi, une formation à l’enseignement. Les participants ont complété plusieurs échelles évaluant diverses croyances ainsi que des vignettes évaluant leurs pratiques déclarées de gestion de classe :
- a) motivation intrinsèque pour gérer la classe (indice d’autonomie relative ; Fernet, Senécal, Guay et al., 2008) ;
- b) sentiment d’efficacité pour la gestion de classe et pour l’engagement des élèves (Tschannen-Moran & Woolfolk Hoy, 2001) ;
- c) croyances pédagogiques générales (constructivisme vs transmission directe ; Chan & Elliot, 2004 ; OCDE, 2009 ; Staub & Stern, 2002) ;
- d) croyances relatives à l’utilité de diverses façons de motiver les élèves (promotion de la motivation intrinsèque ou extrinsèque ; Nolen & Nicholls, 1994 ; Stipek, Givvin, Salmon et al., 2001).
- 11 Les possibilités de réactions consistaient à a) interroger les élèves sur les raisons de leur pass (...)
19Les pratiques déclarées étaient saisies par cinq vignettes décrivant chacune une situation problématique et proposant quatre possibilités de réactions – représentant les quatre types de pratiques : soutien à l’autonomie, contrôle, structuration et laisser-faire – par rapport auxquelles l’enseignant devait se situer sur une échelle de type Likert (Deci, Schwartz, Sheinman et al., 1981 ; Pelletier, Séguin-Lévesque & Legault, 2002). Par exemple, une vignette décrivait la situation d’une classe très passive, ne montrant pas d’enthousiasme et ne répondant pas aux questions posées par l’enseignant11. De plus, les enseignants ont rapporté leur expérience d’enseignement en termes de nombre d’années.
20Les résultats révèlent, premièrement, que les enseignants qui ont répondu favoriseraient les pratiques de soutien à l’autonomie plutôt que celles de contrôle et adopteraient des pratiques de structuration plutôt que de laisser-faire. Deuxièmement, des analyses de cheminement (path analysis), modélisées comme les effets statistiques des diverses croyances sur les pratiques de gestion de classe, indiquent que les relations entre croyances et pratiques rapportées sont multiples et complexes. Par exemple, le degré d’adhésion aux croyances pédagogiques constructivistes explique de manière indirecte le recours à des pratiques de soutien à l’autonomie ainsi que de structuration, alors que le degré d’adhésion aux croyances de transmission directe est associé aux pratiques de contrôle et de laisser-faire. Les effets des croyances pédagogiques générales sont médiatisés par d’autres croyances, à savoir l’utilité de promouvoir la motivation intrinsèque ou extrinsèque des élèves. Chacune des deux facettes du sentiment d’efficacité a des effets spécifiques sur les pratiques de gestion de classe. Ainsi, plus les enseignants ont confiance en leur capacité à gérer la classe (soit faire en sorte que les élèves se comportent selon les règles disciplinaires), plus ils rapportent utiliser des pratiques de structuration. De même, plus ils ont confiance en leurs habiletés pour favoriser l’engagement des élèves, plus ils tendent à soutenir leur autonomie. Contrairement aux attentes que nous avions formulées avec d’autres (Berger & D’Ascoli, 2011 ; Vermunt & Endedijk, 2011), la motivation intrinsèque pour gérer la classe n’entretient aucune relation significative avec les pratiques et elle n’est pas non plus associée aux autres croyances. Ceci place la motivation à gérer la classe, du moins telle que mesurée dans cette étude, comme un facteur isolé et qui n’aurait de fait pas d’importance quant aux pratiques de gestion de classe. Un autre résultat inattendu concerne les continuums théoriques (constitués du soutien à l’autonomie vs le contrôle et de la structuration vs le laisser-faire) qui ne sont pas corroborés par nos résultats. En effet, le soutien à l’autonomie n’est pas associé au contrôle (une corrélation négative était attendue ; une corrélation nulle est observée), mais il est associé à la structuration (une corrélation positive est observée) ; cette dernière n’est pas significativement associée au laisser-faire (une corrélation négative était attendue ; une corrélation nulle est observée). Ainsi, ces résultats vont à l’encontre des postulats théoriques et suggèrent que les diverses dimensions du modèle ne seraient pas organisées comme postulé. La conclusion de cette note sera l’occasion d’y revenir.
21L’étude décrite confirme qu’il s’avère important, dans l’analyse des pratiques enseignantes, de considérer les croyances qui y sont associées. Les croyances pédagogiques générales, les croyances sur la motivation des élèves, ainsi que les croyances autocentrées sont, parmi d’autres, des facteurs qui pourraient jouer le rôle de déterminants dans le processus d’adoption des pratiques de gestion de classe. Si l’on veut améliorer ces dernières, alors il s’avère important non seulement de comprendre les liens entre croyances et pratiques, mais également d’observer l’évolution de ces croyances et pratiques. Ces croyances et pratiques peuvent-elles changer ? Dans quelle direction les croyances et les pratiques de gestion de classe évoluent-elles ? Quels sont les facteurs qui jouent un rôle dans l’évolution (ou le manque d’évolution) de ces croyances et pratiques ? Nous nous efforçons de répondre à ces questions dans la suite de cette note de synthèse.
22Cette section synthétise la littérature portant sur le rôle des croyances préalables, les effets des formations reposant principalement sur des cours dispensés en institut de formation, en particulier les formations initiales, et les effets de formations à prédominance pratique, reposant sur une formation théorique venant appuyer des expériences pratiques, en particulier les formations continues en cours d’emploi.
- 12 L’ancrage des croyances était évalué sur la base des analyses du journal que les futurs enseignant (...)
23Afin d’observer l’évolution des croyances quant à la motivation des élèves au cours de la formation à l’enseignement, Mansfield et Volet (2010) ont mené une étude longitudinale. Elles ont suivi huit enseignants en formation initiale pendant dix mois et analysé leurs croyances à des moments clés de cette formation (les croyances sont mesurées à six reprises de manière régulière pendant la durée [10 mois] de la formation, qui inclut également douze semaines de stages). Elles s’appuient sur une décomposition de l’évolution des croyances en différentes étapes aussi nommées « mondes ». Le PastRealWorld est le monde duquel émergent les croyances des étudiants avant qu’ils ne prennent la décision de devenir enseignants et s’étend jusqu’à l’entrée en formation. Ces croyances viennent de leurs expériences personnelles (Huberman, 1983 ; Lortie, 1975) et constituent le socle sur lequel vont se développer leurs croyances futures. Les chercheuses ont observé que, durant la formation à l’enseignement, l’évolution des croyances quant à la motivation des élèves dépendait du degré d’ancrage des croyances préalables dans le répertoire cognitif12. Ainsi, certains enseignants entrent en formation avec des croyances fortement ancrées, qui vont filtrer, sélectionner voire déformer, les informations et les idées rencontrées durant la formation. Les croyances de ces enseignants sont difficilement modifiables et évoluent presque exclusivement en se renforçant. McDiarmid (1992) a observé les changements de croyances dans un groupe d’enseignants qu’il formait dans le cadre d’un cours qui visait spécifiquement le changement des croyances sur l’enseignement et l’apprentissage. Bien que la plupart des étudiants en soient venus à reconsidérer leurs croyances préalables, McDiarmid se dit sceptique quant aux effets réels du cours. En effet, même s’il a observé des changements conséquents dans le discours de ses étudiants, il explique que le seul moyen de connaître les effets réels de son cours serait de retrouver ces anciens étudiants et d’aller observer leurs pratiques en classe. Si son cours a amené les étudiants à reconsidérer certaines de leurs croyances sur l’enseignement et l’apprentissage, les autres cours suivis dans le cadre de leur formation à l’enseignement (souvent calqués sur un modèle académique) ne poursuivent pas le même objectif et n’incitent pas à l’exploration et au questionnement des croyances. McDiarmid doute donc de l’efficacité de son cours : selon lui, les croyances sont analogues à une toile d’araignée dans laquelle la force de chaque fil de croyance est considérable. Les fils sont liés entre eux et forment une toile d’une incroyable résistance ; parvenir à altérer l’un des nombreux fils diminue à peine la force du tout. Ces résultats corroborent ceux d’autres études qui montrent que les croyances que les étudiants ont à l’entrée en formation influencent leur réceptivité aux nouvelles notions qui leur sont présentées (Hollingsworth, 1989 ; Holt-Reynolds, 1992). Les enseignants dont les croyances sont plus faiblement ancrées sont plus réceptifs aux messages de la formation (Mansfield & Volet, 2010). À cela s’ajoute le constat que la résistance au changement dépendrait fortement de l’ampleur du changement nécessaire entre la croyance initiale et la croyance souhaitée (Crahay, Wanlin, Issaieva et al., 2010 ; Huberman, 1973 ; Nisbett & Ross, 1980). Ces observations suggèrent que l’évolution des croyances des enseignants dépendrait non seulement de l’orientation de ces croyances, mais également du degré auquel ces croyances sont ancrées dans le bagage cognitif de l’enseignant. Non seulement les croyances préalables agissent comme des filtres sur l’adoption et l’évolution des pratiques de gestion de classe (Borko & Putnam, 1996 ; Hollingsworth, 1989 ; Holt-Reynolds, 1992 ; Mansfield & Volet, 2010), mais ces mêmes croyances sont elles aussi sujettes à évolution. Les croyances sont par conséquent en même temps modulatrices et cibles de changements. La suite du texte s’intéressera aux facteurs pouvant influer sur ces croyances.
24De nombreuses études ont découlé de l’interrogation suivante : la formation initiale, soit une formation à l’enseignement préalable à l’exercice du métier, a-t-elle un impact sur les croyances des enseignants ? Les formations initiales sont généralement constituées d’un certain nombre de cours dispensés en institut, auxquels s’ajoutent un ou plusieurs stages en classe permettant notamment d’appliquer et d’expérimenter les contenus abordés lors des cours en institut. La conception théorique de Mansfield et Volet (2010) illustre les étapes d’une formation initiale classique : l’ITEWorld (Initial Teacher Education World) est le monde de la formation initiale des enseignants via des cours dispensés en institut de formation. Lors de cette phase, les étudiants sont formés sur des sujets tels que la pédagogie, le curriculum, les philosophies de l’éducation, le contexte éducatif ou encore la psychologie de l’éducation. Ce monde est suivi par le FieldWorld, dans lequel les étudiants réalisent leurs premières expériences sur le terrain, souvent sous forme de stages en classe. La structure des formations initiales varie grandement d’une formation à l’autre. La phase de stages peut suivre la phase de cours dispensés en institut, mais il arrive que les stages en classe soient imbriqués entre différentes phases de cours dispensés en institut. Il arrive que des séminaires d’intégration cours-stages soient mis en place. Parfois, des formateurs ou mentors rattachés à l’institut de formation accompagnent l’étudiant sur le terrain. D’autres fois, ce dernier est encadré par des enseignants au sein de l’école dans laquelle il réalise son stage.
- 13 Notons que ces résultats sont tirés d’une étude dont le plan de recherche était de type transversa (...)
25Les études de l’impact de la formation initiale sur les croyances relatives à la gestion de classe ont abouti au constat d’un impact faible, comme Borko et Putnam (1996) ou Crahay, Wanlin, Issaieva et alii (2010) l’avaient conclu de leur revue de littérature considérant une plus large palette de croyances. Quelques études indiquent que les croyances des enseignants sur la façon d’engager les élèves sont, à l’entrée en formation initiale, déjà largement similaires aux croyances valorisées par la recherche (Nolen & Nicholls, 1994 ; Shalter Bruening, 2010). Traitant des croyances relatives aux façons de motiver les élèves, Nolen et Nicholls (1994) montrent que, chez des enseignants en formation, ces croyances sont similaires à celles des enseignants en activité depuis plusieurs années et correspondent aux pratiques encouragées par les conclusions des recherches scientifiques13. Ainsi, les enseignants néophytes savent-ils déjà quelles pratiques sont théoriquement adéquates. Certaines études ont appliqué un plan de recherche longitudinal, interrogeant de manière répétée les croyances d’un même échantillon sur une certaine période temporelle. C’est le cas de l’étude de Weinstein (1990), qui a examiné les effets d’un cours préparatoire à la formation en enseignement sur les croyances des étudiants. Pour cela, la chercheuse a administré des questionnaires (en début et en fin de semestre) à 38 étudiants inscrits et en a interviewé 12 durant le semestre suivant. Le cours préparatoire consistait en une combinaison de formation en institut et d’un stage en classe, durant lequel les étudiants observaient, interrogeaient et assistaient un enseignant mentor. Au début du semestre, les étudiants imaginaient que les problèmes rencontrés dans l’enseignement, en particulier les problèmes liés à la gestion de classe, les toucheraient moins fortement que leurs pairs apprentis enseignants, exprimant ainsi un fort optimisme : autrement dit, ils pensaient être plus à même de gérer leur classe que ne le seraient leurs pairs. À la fin du semestre, cet optimisme ou sentiment d’efficacité personnelle irréaliste était encore présent chez les étudiants : le cours suivi a ainsi exercé un impact très limité sur les attentes des étudiants quant à leur future performance.
26Afin d’observer l’impact des différentes composantes des formations initiales sur l’évolution des croyances, certains chercheurs ont distingué, dans leurs observations, le rôle de la formation délivrée en institut de celui des stages en classe. Ainsi, Boraita et Crahay (2013) ont décrit, dans une note de synthèse, l’impact de la formation initiale sur l’évolution des croyances ; ils en concluent que les cours dispensés en institut de formation à l’enseignement ont un impact très limité sur l’évolution des croyances des enseignants. En effet, la majorité des études qui analysent les effets de la formation initiale théorique sur les croyances conclut à une évolution mitigée, voire une absence d’évolution des croyances (par exemple, Hoy & Woolfolk, 1990 ; McDiarmid, 1992). Boraita et Crahay (2013) expliquent que les futurs enseignants auraient tendance à retirer des cours suivis en institut uniquement les contenus qu’ils peuvent lier à leurs croyances préalables et à leur vécu personnel. Les croyances préalables des enseignants semblent ainsi inhiber les apprentissages des futurs enseignants durant la formation (Mansfield & Volet, 2010) en incitant ces derniers à considérer les contenus théoriques comme faiblement pertinents et à ne pas remettre en question leurs croyances préalables (Borko & Putnam, 1996). Une autre explication de l’apparente inefficacité des cours en institut de formation à faire évoluer les croyances préalables réside dans les caractéristiques des formations initiales : de nombreux programmes de formations dispensent les cours dans un format académique, c’est-à-dire des cours magistraux. En effet, les étudiants sont souvent amenés à reproduire des connaissances dispensées par un professeur de manière transmissive (Borko & Putnam, 1996 ; McDiarmid, 1992), ce qui ne les encourage pas à examiner leurs croyances préalables.
27L’effet des stages en classe est décrit comme plus prononcé que celui des cours en institut de formation (Boraita & Crahay, 2013). Plus généralement, dans une synthèse sur les changements chez les enseignants en général, Richardson et Placier (2001) affirment que la pratique permet l’application des contenus abordés durant la formation en institut. C’est cette mise en pratique qui influencerait le plus fortement l’évolution des croyances des enseignants. Ainsi, les cours dispensés en institut et l’expérience face à des classes ne seraient pas forcément antagonistes, mais pourraient constituer deux facteurs complémentaires agissant sur les croyances. Cependant, ces auteurs mettent l’accent sur l’importance d’accorder plus de place aux expériences en classe et à leur intégration aux apports des cours théoriques dans les formations initiales (Richardson & Placier, 2001). De même, Jones et Vesilind (1996) ont souligné l’importance des expériences pratiques qu’ils présentent comme source dominante de la modification des croyances au sujet de ce qu’est un enseignement efficace. Dans cette étude, les chercheurs ont suivi et interrogé 23 étudiants en faculté d’éducation durant deux semestres. Le premier semestre était principalement constitué de cours en institut de formation et le deuxième semestre consistait en un stage en classe de seize semaines. Les chercheurs concluent que les étudiants utilisent la pratique pour confirmer leurs croyances, ou pour les infirmer et les modifier en conséquence. Le stage en classe s’avère le lieu dominant des changements, grâce notamment aux dissonances cognitives vécues par les étudiants entre la pratique, leurs croyances et leurs connaissances préalables.
28Cependant, l’effet des stages en classe sur les croyances des enseignants en formation n’est pas toujours positif ; il peut même s’avérer délétère. C’est ce que montre l’étude de Shalter Bruening et Anderman (2010), qui ont analysé les croyances des futurs enseignants à trois moments : à l’entrée en formation, après avoir suivi des cours en institut de formation et finalement après la réalisation d’un stage en école. À la fin des cours en institut de formation, les croyances des étudiants s’orientaient vers un enseignement et un encouragement à la motivation davantage centré sur les caractéristiques individuelles de l’élève qu’elles ne l’étaient avant la formation. Cependant, l’analyse des réponses à l’enquête après le stage montre une régression : suite à celui-ci, les étudiants croyaient moins en l’utilité de motiver les élèves de manière différentielle selon leurs caractéristiques individuelles qu’ils ne le croyaient à l’entrée en formation. Une interprétation de ce phénomène « à rebours », avancée par Crahay, Wanlin, Issaieva et alii (2010), consiste à dire que les futurs enseignants expérimenteraient des pratiques de type béhavioristes lorsqu’ils sont confrontés aux difficultés inhérentes à la gestion de classe lors des stages, ce qui les inciterait à intégrer ces croyances et pratiques dans leur quotidien.
29Mansfield et Volet (2010) ont relevé des consonances, mais également des dissonances entre les perceptions des croyances préalables (PastRealWorld), des cours délivrés en institut de formation (ITEWorld) et des stages en classe (FieldWorld). Lorsque les expériences dans ces trois mondes sont cohérentes ou complémentaires, les étudiants ont graduellement évolué et appris en combinant leurs propres croyances, celles valorisées par la formation pédagogique et les expériences vécues sur le terrain. Cependant, certains étudiants rencontrent des conflits dans leurs croyances lorsqu’ils se retrouvent confrontés à la pratique. Si ces dissonances entre les expériences vécues lors de stages et les cours dispensés en institut ont souvent un impact positif en ce qu’elles permettent aux étudiants de remettre en question leurs propres croyances, elles peuvent également avoir un impact négatif sur l’enseignant dans le cas où ses croyances préalables entrent en conflit avec les croyances encouragées par la formation pédagogique. Les messages perçus comme contradictoires entre la formation théorique et la formation pratique peuvent en effet mener à une confirmation, voire un renforcement des croyances préalables de l’enseignant en formation : c’est l’effet à rebours décrit notamment par Crahay, Wanlin, Issaieva et alii (2010). Ceci indique que la pratique annulerait en quelque sorte les effets des apprentissages réalisés en cours, en faisant évoluer les croyances des futurs enseignants vers une gestion de classe peu en phase avec les conclusions des recherches, c’est-à-dire de type plus contrôlant. Ce phénomène pourrait être dû à l’influence des mentors. Ainsi, lors des stages, les enseignants mentors exerceraient une pression sur les enseignants néophytes afin qu’ils adoptent des pratiques de type contrôlant plutôt que de soutenir l’autonomie (Hoy & Woolfolk, 1990). Une autre explication serait à trouver chez les enseignants en formation eux-mêmes : ceux-ci contribueraient au développement d’une perspective instrumentale selon laquelle ce qui fonctionne à court terme afin que la leçon se déroule dans le calme et de manière ordonnée est pris comme un critère majeur d’une activité d’enseignement de qualité. Le contrôle deviendrait ainsi une fin en soi plutôt qu’un moyen utilisé afin de « favoriser » les apprentissages (Tabachnick & Zeichner, 1984).
30L’effet à rebours observé lors des stages se retrouve à l’entrée dans la carrière enseignante après la formation initiale. Huberman (1989) a décrit l’entrée dans la carrière enseignante comme une phase dite de survie et de confrontation à la réalité. Lors de cette phase, l’enseignant est focalisé sur lui-même et doit gérer le décalage qui existe entre l’idéal qu’il a construit et les réalités quotidiennes de la classe souvent bien plus difficiles qu’attendu. Ces constats relatifs à l’effet à rebours sont préoccupants, car l’entrée dans la carrière enseignante après la formation initiale est une étape cruciale qui peut avoir un impact sur la motivation de l’enseignant néophyte et ainsi sur sa persévérance dans la carrière. Rots, Kelchtermans et Aelterman (2012) ont réalisé des études de cas de 12 étudiants en formation à l’enseignement. Comme d’autres, ils ont montré que les croyances des étudiants après la formation pédagogique sont souvent remises en question lors de la confrontation à la réalité de la classe. Les débats au sujet de la notion de ce qu’est un bon enseignant, les problèmes de gestion de classe et les conflits avec les mentors à propos des méthodes d’enseignement constituent des problèmes fréquemment rencontrés. Ces chercheurs ont montré que les dissonances entre la réalité de la classe et les croyances des enseignants affectent leur motivation à enseigner, ce qui pourrait les mener jusqu’à un arrêt prématuré de leur carrière dans l’enseignement.
31Des résultats des études portant sur l’effet de la formation initiale transparaît la difficulté à modifier les croyances des futurs enseignants. L’une des explications majeures de cette résistance au changement serait que les croyances changent quand les enseignants exercent leur métier et non au moment de la formation initiale. Si la difficulté de changement des croyances durant la formation pédagogique peut être expliquée par le manque de confrontation à la pratique de l’enseignement, cela laisse supposer qu’une formation avant tout axée sur la pratique pourrait changer plus efficacement les croyances.
32Une implication possible de la littérature sur l’évolution des croyances est qu’il serait judicieux, dans les programmes de formation à l’enseignement, de renforcer encore davantage les ponts entre institut de formation et pratique de l’enseignement (sous la forme de stage ou en emploi), ce qui permettrait de soutenir une démarche réflexive sur la pratique plus poussée. Le fait de situer la théorie dans le contexte de la pratique permet d’augmenter la pertinence des notions vues au cours de la formation et de favoriser la remise en question des croyances préalables (Guthrie, Harris, Simons et al., 2009). Ainsi, il s’agirait de davantage s’efforcer de renforcer les liens et la consonance entre les divers lieux de formation des enseignants. Une formation alternant de manière cohérente théorie et confrontation au terrain faciliterait le développement d’une pratique réflexive et une modification des croyances et pratiques enseignantes (Gelin, Rayou & Ria, 2007). Ne pas tarder, au cours de la formation initiale, à insérer des stages en classe lors desquels les étudiants sont accompagnés par des formateurs ou mentors associés à l’institut de formation pourrait représenter une manière d’élargir les ponts entre théorie et pratique. Les cours dispensés en institut pourraient également davantage utiliser les expériences pratiques des étudiants comme bases de réflexion sur la théorie. Des séminaires d’intégration cours-stages pourraient également être mis en place pour offrir un espace dans lequel l’étudiant peut consciemment faire des liens entre les expériences réalisées lors des cours en institut et lors des stages en école. Finalement, une grande importance devrait être accordée au développement de formations continues (ce qui est déjà le cas dans beaucoup de pays).
33En effet, partant de l’idée que théorie et pratique doivent être coordonnées afin d’obtenir des résultats optimaux dans les formations à l’enseignement, certaines études ont montré qu’une intervention, dans le cadre d’une formation continue, relativement courte, permettait aux enseignants d’apprendre à adopter des pratiques favorisant l’autonomie des élèves (Reeve, Jang, Carrell et al., 2004). Les interventions se sont révélées efficaces tant pour faire évoluer les pratiques déclarées d’enseignants en formation (Reeve, 1998) que pour modifier les pratiques observées d’enseignants expérimentés (de Charms, 1976 ; Reeve, Jang, Carrell et al., 2004), indiquant ainsi que les pratiques de gestion de classe sont modifiables, ceci même par une formation courte. Autrement dit, il est possible d’apprendre à soutenir l’autonomie des élèves. De nombreuses autres études portant sur les effets de formations continues ou d’interventions visant à faire évoluer les pratiques et croyances des enseignants en activité ont conclu à des résultats favorables (Herrington, Yezierski, Luxford et al., 2011 ; Maulana, Helms-Lorenz & van de Grift, 2015 ; Rushton, Lotter & Singer, 2011 ; Smith, 2015). Par exemple, Swan et Swain (2010) ont étudié l’impact d’une formation continue de six jours répartis sur une durée de neuf mois sur les croyances et pratiques observées de 24 enseignants en activité. Les analyses des entretiens, questionnaires et observations en classe montrent que les croyances et pratiques de la plupart des enseignants ont été profondément affectées par la formation. Les pratiques sont devenues moins transmissives et les enseignants ont commencé à instaurer des environnements d’apprentissage collaboratifs au sein desquels les apprenants pouvaient confronter leurs difficultés et endosser des rôles plus actifs dans la classe. À noter que ces cours de développement professionnel étaient spécifiquement élaborés pour bousculer les croyances et pratiques existantes des enseignants.
34Le programme suivait les principes suivants :
- a) construire sur la base des connaissances préalables des enseignants ;
- b) exposer et discuter les idées reçues courantes ;
- c) utiliser des questions promouvant l’explication, l’application et la synthèse plutôt que l’apprentissage par cœur ;
- d) travailler en petits groupes de manière collaborative ;
- e) encourager la qualité de la réflexion plutôt que se concentrer sur la quantité de matériel à couvrir ;
- f) utiliser des tâches riches et collaboratives ;
- g) créer des liens entre les sujets.
- 14 En anglais, « meaningfulness ».
35Toutes les études interventionnelles ne concluent toutefois pas à un tel succès. Ainsi, Turner (2010) a collaboré avec des enseignants pour que ceux-ci adoptent des croyances et pratiques qui pourraient améliorer l’engagement des élèves. Durant des rencontres de 90 minutes une fois par mois sur une durée de neuf mois avec un groupe de six enseignants du secondaire, l’auteure présentait des principes sur la motivation et l’engagement des élèves (sentiment de compétence, sentiment d’appartenance, sentiment d’autonomie et sentiment de signification14) ainsi que des stratégies que les enseignants pouvaient mettre en place pour appliquer ces principes. Elle a pu observer que le maintien de l’ordre dans la classe revêtait une importance primordiale pour les enseignants, le soutien à l’autonomie étant perçu comme une source potentielle de désorganisation. Autrement dit, une croyance empêchait le changement de pratiques. Malgré le travail effectué avec les enseignants pour instaurer un climat fondé sur l’autonomie dans les classes, les enseignants ont rencontré passablement de difficultés à modifier leurs croyances sur l’efficacité des pratiques d’enseignement. Leurs expériences passées en tant qu’enseignants jouent un rôle de filtre et leur font penser que des pratiques de ce type sont irréalistes. Ce type de croyances, tel le fait de penser que les méthodes encourageant l’autonomie des élèves prendraient plus de temps que les méthodes traditionnelles, amène l’enseignant à mettre en avant des obstacles institutionnels ou des aspects relatifs à l’établissement de formation (par exemple, la quantité de matière à traiter durant l’année scolaire) pour justifier la non-mise en œuvre de ces pratiques. À ce sujet, la manière dont fonctionne l’établissement dans lequel les enseignants exercent peut affecter leurs pratiques (Rayou & van Zanten, 2004) ; les enseignants auraient par exemple tendance à se reposer sur les règlements intérieurs de l’établissement lorsqu’il s’agit de faire face aux problèmes de discipline en classe ou à adopter des pratiques de gestion de classe similaires à celles des collègues avec qui ils parlent régulièrement (Girardet & Berger, 2017). Ce résultat nuance l’idée selon laquelle les croyances seraient des déterminants directs des pratiques enseignantes. En effet, si on ne peut nier le lien entre croyances et pratiques, il semble qu’il existe de puissantes variables modulatrices de la relation croyances-pratiques, dont feraient partie les contraintes institutionnelles et les aspects sociaux au sein de l’établissement.
36Les divergences entre les effets des diverses interventions mentionnées ci-dessus laissent penser que le succès d’une intervention ou d’une formation, que ce soit une formation initiale ou continue, varie en fonction des contenus et caractéristiques des formations en question.
37Certaines études ont tenté de dégager les caractéristiques des formations conduisant à une plus grande probabilité de réussite quant à la modification des croyances et pratiques enseignantes en direction des croyances et pratiques préconisées par la recherche. À ce sujet, une revue de littérature analysant 24 études longitudinales axées sur l’évolution de la gestion de la classe des enseignants (Girardet, sous presse) est arrivée à la conclusion que les programmes de formation ayant le plus grand taux de réussite quant à l’évolution des croyances et pratiques revêtent les caractéristiques suivantes :
- a) la réflexion sur les croyances préalables ;
- b) l’étude de pratiques pédagogiques alternatives ;
- c) la mise en action de ces pratiques ;
- d) la réflexion sur cette mise en action ;
- e) cela dans un environnement d’apprentissage collaboratif.
38Cette revue a également montré que les croyances préalables, le contexte de l’établissement scolaire et le manque d’ouverture au changement des enseignants représentent les principaux obstacles au changement des croyances et pratiques de gestion de la classe (Girardet, sous presse). Finalement, cette revue de littérature a conclu qu’une caractéristique cruciale des formations à l’enseignement est de situer la formation dans une démarche réflexive. L’accent ou le manque d’accent mis sur la réflexion sur les croyances et pratiques est une explication potentielle des divergences d’efficacité des interventions présentées dans la section précédente. En effet, alors que l’intervention décrite par Swan et Swain (2010) met un fort accent sur le fait d’engager les enseignants dans une réflexion sur leurs croyances et pratiques, Turner (2010) décrit son intervention davantage en termes de présentation de principes et de stratégies à mettre en place. Partir des pratiques enseignantes pour engager les enseignants dans un cycle de réflexion itératif sur leurs croyances et les pratiques semble être une des clés amenant à une évolution optimale des croyances et pratiques.
- 15 Les participants de cette étude étaient des enseignants exerçant dans le domaine de la formation p (...)
39La revue de littérature mentionnée ci-dessus a conclu à l’importance de situer l’apprentissage dans un environnement collaboratif (Girardet, sous presse). Les études incluses dans cette revue montrent également qu’un accompagnement et un suivi poussés des étudiants seraient nécessaires pour que la pratique consolide les croyances favorisées par la formation. Sans cela, on reviendrait à l’état initial des croyances (avant le début de la formation), voire même à une amplification de ces croyances initiales (Shalter Bruening & Anderman, 2010). Un accompagnement est nécessaire pour les enseignants lors de leur formation, mais également lorsque ceux-ci sont en fonction depuis plusieurs années. Cet accompagnement prendrait alors la forme d’échanges entre collègues, ou de réseautage au sein de l’établissement (ou inter-établissements). L’importance du réseautage pour les enseignants a été discutée par Figgis (2009) qui montre que les enseignants les plus novateurs (soit ceux qui mettent plus facilement en pratique les réformes pédagogiques et dont les croyances et pratiques évoluent dans le sens encouragé par la recherche) sont aussi ceux qui tendent le plus à partager leurs expériences et leurs idées avec des collègues. Dans le même ordre d’idées, Meirink, Meijer, Verloop et alii (2009) ont conduit une étude auprès de 34 enseignants en activité afin de comprendre les relations entre les activités de l’enseignant et les changements de croyances sur l’enseignement et l’apprentissage. Il s’avère que les enseignants ayant changé leurs croyances de manière favorable, soit dans le sens encouragé par la recherche, ont souvent rapporté des partages de pratiques d’enseignement avec leurs collègues. Ces liens entre enseignants encourageraient les innovations et les pratiques favorables d’enseignement. Dans notre propre étude par entretiens (Girardet & Berger, 2017), nous avons observé un lien entre les degrés de changement des croyances et de pratiques et les échanges vécus par les participants durant leur formation ou au sein de l’établissement dans lequel ils exercent15. En effet, les enseignants ayant vécu les changements les plus conséquents les ont attribués, en totalité ou partiellement, à des échanges avec des modèles, mentors ou collègues. Ces résultats concordent avec ceux de nombreuses études qui ont relevé le rôle prépondérant des interactions et collaborations dans les changements de croyances et de pratiques des enseignants (Davis, 2003 ; Guthrie, Harris, Simons et al., 2009 ; Hail, Hurst & Camp, 2011).
40Cette note de synthèse avait pour objectifs de présenter l’état des connaissances sur deux questions majeures liées à la gestion de classe. Premièrement, comment s’articulent les croyances et les pratiques enseignantes relatives à la gestion de classe ? Deuxièmement, comment évoluent ces croyances et pratiques durant la formation et au-delà ? En d’autres termes, la formation à l’enseignement a-t-elle un effet sur les croyances et les pratiques de gestion de classe des enseignants ? Les constats les plus importants émergeant de cette synthèse sont repris et élaborés ci-après. Avant d’aborder les réponses aux deux questions précitées, un détour par une critique du cadre théorique que nous avons exploité pour traiter de la gestion de classe s’impose.
- 16 Ces associations empiriquement observées peuvent être attribuées, pour partie, à l’utilisation d’é (...)
41Les quatre concepts représentant autant de types de pratiques de gestion de classe et sur lesquels nous avons appuyé cette note de synthèse présentent un haut niveau de généralité. Autrement dit, chacun de ces concepts chapeaute une multitude de pratiques enseignantes qui sont associées entre elles16. Cette généralité pourrait masquer des effets différentiels de certaines pratiques ; de ce fait une décomposition de chacun des construits est pertinente. C’est la piste suivie par le modèle tridimensionnel du soutien à l’autonomie, qui constitue une avancée théorique pour comprendre spécifiquement quels aspects de ce soutien agissent sur l’engagement des élèves (Stefanou, Perencevich, DiCintio et al., 2004). Ce modèle propose de distinguer trois formes de soutien à l’autonomie : organisationnelle, procédurale et cognitive. Le soutien d’ordre organisationnel consiste à encourager les élèves à s’approprier l’environnement d’apprentissage et inclut les comportements de l’enseignant offrant des choix tels que celui de l’endroit où s’asseoir en classe ou des règles de vie en classe. Le soutien procédural se manifeste dans l’encouragement de l’appropriation de matériel ; il peut inclure le choix d’un média pour présenter ses idées ou du matériel pour réaliser un projet. Finalement, le soutien cognitif consiste à encourager les élèves à s’approprier leur apprentissage et inclut par exemple les comportements suivants : demander aux élèves de justifier ou argumenter leurs réponses et opinions, leur demander de générer leurs propres solutions ou procédures, ainsi que d’évaluer leurs idées et celles des autres. Stefanou, Perencevich, DiCintio et alii (2004) affirment que c’est principalement ce dernier type de soutien à l’autonomie qui est responsable de l’engagement que les enseignants souhaiteraient observer chez leurs élèves. Bien qu’intéressantes pour affiner et décomposer le concept de soutien à l’autonomie, nous pouvons reprocher à ces catégorisations leur caractère quelque peu réducteur. En effet, elles ne prennent en compte qu’une part de ce qu’est le soutien à l’autonomie, alors que selon la définition générale donnée plus haut, ces pratiques comprennent également de multiples aspects de « soutien psychologique » (écoute, empathie, etc.) qui sont eux aussi des pratiques relativement aisées à mettre en place et peu chronophages.
42Concernant la structuration, les diverses pratiques qui en sont représentatives s’avèrent fortement corrélées, que ce soit dans les déclarations des élèves ou des enseignants. Une décomposition dans les quatre facettes (communication claire des attentes, réponses prédictibles et contingentes, instruments d’aide et de soutien, et adaptation des stratégies d’enseignement au niveau de l’élève) pourrait révéler leur importance relative, ces facettes ou dimensions se conjuguant avec celles du soutien à l’autonomie pour affecter l’engagement des élèves. Notons encore que le construit de laisser-faire, constituant l’opposé conceptuel de la structuration, est sous-défini au niveau théorique : il est simplement envisagé comme étant l’absence de structuration. Ceci limite l’interprétation des résultats et des implications de la recherche. Pourtant le laisser-faire pourrait être étudié comme une pratique en soi. Il serait important de comprendre pourquoi certains enseignants tendent à ne pas réagir aux comportements des élèves, autrement dit à « laisser-faire », comment les élèves comprennent les intentions de l’enseignant dans ces cas-là ou encore quelles sont les conséquences de ce manque de réaction pour l’engagement des élèves. Les études (par exemple Jang, Reeve & Deci, 2010) montrent que les diverses pratiques ne sont pas forcément corrélées comme postulées théoriquement. En effet, les pratiques de soutien à l’autonomie et de structuration sont positivement associées ; il est ainsi fort probable qu’une classe bien structurée soit aussi favorable à l’autonomie des élèves. De plus, les enseignants alternent les pratiques en fonction notamment des comportements des élèves, ce que les études corrélationnelles peinent à mettre en lumière. En bref, nous estimons que des affinements et élaborations de ce cadre théorique sont judicieux, voire nécessaires.
43La dichotomie entre croyances de type constructiviste et de transmission directe, développée notamment dans l’étude TALIS, peut elle aussi être critiquée pour son caractère simpliste. Évidemment, il existe de multiples croyances sur l’enseignement et l’apprentissage ; celles-ci ne peuvent pas être réduites en deux types seulement. Les croyances des enseignants peuvent être analysées à divers niveaux de généralité, un niveau très général ne permettant que des conclusions éloignées des réalités quotidiennes de l’enseignement. Probablement, ces choix de réduction des croyances en nombre limité de types sont-ils liés aux disciplines (psychologie de l’éducation nord-américaine) et aux méthodes de recherches employées (par exemple l’utilisation de questionnaires et de méthodes d’analyse factorielle).
44Plusieurs types de croyances s’articulent aux pratiques enseignantes de gestion de classe : les croyances sur la meilleure façon de motiver les élèves, les croyances pédagogiques générales ou encore le sentiment d’efficacité personnelle. Si les études ont souvent conceptualisé les croyances en tant que sources des pratiques (Pajares, 1992), ces relations sont sans doute plus complexes (Crahay, Wanlin, Issaieva et al., 2010 ; Richardson & Placier, 2001). En particulier, il est judicieux d’envisager les liens entre croyances et pratiques sous la forme d’une causalité réciproque en les analysant grâce à un plan de recherche longitudinal incluant des mesures répétées tant des croyances que des pratiques. En effet, la question de la direction de causalité est actuellement débattue dans la littérature (Crahay, Wanlin, Issaieva et al., 2010), certains auteurs postulants qu’il est nécessaire d’agir sur les croyances des enseignants pour modifier leurs pratiques d’enseignement, alors que d’autres pensent, au contraire, qu’une modification des pratiques est nécessaire en vue de changer certaines croyances. Finalement, il est probable que les influences soient réciproques, autrement dit les croyances et pratiques s’interrogeraient et s’affecteraient mutuellement (Richardson, 1996 ; Richardson & Placier, 2001). C’est en observant non seulement les associations à un moment donné, mais surtout les évolutions et les interactions de ces croyances et pratiques de manière longitudinale que la recherche sera en mesure d’offrir une compréhension précise de ces connexions.
45Par ailleurs, l’un des constats de cette synthèse est que croyances et pratiques de gestion de classe ne vont pas nécessairement de pair : des dissonances entre croyances et pratiques d’enseignement ne sont pas rares. Ces dissonances sont explicables en particulier par les contingences du contexte d’enseignement, telles que les comportements des élèves, la quantité de contenus à couvrir dans un temps imparti ou les influences de mentors ou de pairs enseignants. Notons encore que la conception de ce qu’est un bon enseignant par le grand public ou même par certains enseignants ne correspond pas aux conclusions des recherches sur ce que constituent des pratiques de gestion de classe optimales.
46L’évolution des croyances et pratiques enseignantes s’avère, elle aussi, un phénomène complexe à analyser. La multitude de facteurs en jeu dans ce processus de changement (ou de résistance au changement) souligne l’importance d’adopter des plans de recherche longitudinaux dans une perspective temporelle longue afin de poursuivre l’analyse de cette évolution. En effet, plusieurs recherches ont révélé la nature parfois éphémère des changements de croyances. Si des changements sont observés durant le temps où l’enseignant est en formation, cela ne constitue pas une garantie du maintien des nouvelles croyances et pratiques au fil des années. De plus, cette synthèse a mis en évidence la difficulté de modifier les croyances et pratiques d’enseignement dans le domaine de la gestion de classe. Comment expliquer l’absence de changement souvent observée ? Décrivant les caractéristiques des enseignants réfractaires au changement, Huberman (1973) accorde une place importante à leurs traits de personnalité. Parmi ces traits, il fait notamment état de la force de primauté, qui implique que les modèles établis en premier tendent à persister, ceci même s’ils sont ultérieurement contredits à maintes reprises par la formation à l’enseignement. Cet effet de primauté serait épaulé par la force de l’habitude : l’enseignant préfère ce qui lui est familier. Ces caractéristiques inhérentes à l’humain pourraient en partie expliquer la grande difficulté à faire évoluer les croyances et pratiques enseignantes. À cela s’ajoute la préférence pour des pratiques qui ont un effet à court terme et permettent de garder une classe calme et des élèves silencieux, sans considération pour les effets à plus long terme ou pour les processus d’apprentissage des élèves. Les souvenirs d’école, les premiers modèles enseignants (Lortie, 1975), ainsi que les premières projections de l’individu dans son futur rôle d’enseignant sont ainsi des facteurs dont le rôle est à considérer dans l’analyse de l’évolution des croyances et pratiques de gestion de classe. Ces croyances et souvenirs endossent un rôle majeur bien que largement méconnu dans le futur de l’enseignant.
47Un autre facteur pouvant agir sur la résistance au changement est le sentiment d’efficacité personnelle (Tschannen-Moran & Woolfolk Hoy, 2001). Un manque de confiance en ses habiletés professionnelles freine l’enseignant en l’incitant à chercher la sécurité et à fuir le changement, perçu alors comme un danger ou une menace (Gregoire, 2003 ; Huberman, 1973). Les novateurs (soit les enseignants enclins à changer leurs pratiques dans le sens prôné par les recherches et la formation) seraient, au contraire, des enseignants dont le sentiment d’efficacité personnelle est relativement élevé. Également candidat explicatif de la résistance au changement, la dépendance : l’enseignant sera peu enclin à adopter de nouvelles pratiques si celles-ci ne correspondent pas aux attentes de l’établissement ou des supérieurs hiérarchiques dont il dépend (Huberman, 1973). Considérer les aspects contextuels est ainsi pertinent à la compréhension de l’évolution des croyances et pratiques de gestion de classe.
48En bref, faire évoluer les croyances des enseignants s’avère un véritable défi. Celles-ci semblent changer suite aux expériences pratiques vécues plutôt que par la formation théorique. Autrement dit, les formations à prédominance théorique semblent avoir moins d’impact sur les croyances que les formations qui se fondent sur une réflexion sur les expériences pratiques des étudiants ou enseignants pour introduire des notions théoriques. Dans le cadre des formations initiales, l’entrée dans la carrière semble pouvoir provoquer un retour en arrière vers des croyances plus ancrées dans des souvenirs, des modèles d’enseignants que dans les notions pédagogiques et didactiques abordées en formation. Continuer à travailler sur le « bon » développement des croyances durant une plus longue période de temps pourrait constituer une partie de la solution et permettre d’éviter l’effet à rebours. S’il est difficile d’influencer l’évolution des croyances durant la formation initiale, peut-être faudrait-il s’efforcer de les influencer à plus long terme, en mettant en place des systèmes de formation continue et de réseautage entre les enseignants durant leur carrière, réseaux qui pourraient intégrer également des chercheurs soutenant sur la longueur les innovations ou changements inspirés par les résultats de recherches. Finalement, fonder la formation sur un modèle en alternance permettant une forte articulation entre la pratique et la théorie semblerait pouvoir faciliter l’évolution des croyances et pratiques. Altet (2010) énonce, pour le lecteur intéressé, les conditions nécessaires pour que l’alternance constitue un modèle propice dans l’apprentissage de la profession d’enseignant.
49De ces conclusions découlent certaines implications pour de futures recherches. Premièrement, il est important que les chercheurs étudiant l’évolution des croyances prêtent attention aux différents contextes de formation des études déjà effectuées. Il semblerait en effet que les caractéristiques de la formation (formation à prédominance théorique vs à prédominance pratique ; formation préalable à l’emploi vs en cours d’emploi) puissent avoir une importance dans l’évolution des croyances des enseignants. Il semble également important de ne pas négliger le contexte institutionnel dans lequel les enseignants exercent, l’établissement scolaire étant « l’espace de regards et d’appréciations constants aussi bien que latents sur le travail des autres » (Barrère, 2003, p. 111). De plus, étant donné l’importance des échanges entre pairs enseignants comme source de changement, l’impact potentiel de l’établissement scolaire ne doit pas être négligé.
50Finalement, reste la question suivante pour la formation des enseignants : comment faire évoluer les croyances de façon durable ? À la lumière de la recherche, il semble qu’une adéquation soit nécessaire entre les croyances fondées sur les souvenirs d’école et expériences passées de l’enseignant, certains aspects de personnalité, le sentiment d’efficacité personnelle, les connaissances acquises durant la formation ainsi que le contexte dans lequel l’enseignant exerce. Cette adéquation faciliterait le changement des croyances et pratiques de l’enseignant. La formation est en mesure de faire émerger les souvenirs d’expériences passées de l’enseignant, de les rendre explicites, puis de les remettre en question et de les confronter à d’autres pratiques d’enseignement (Borko & Putnam, 1996). Créer, dans les formations à l’enseignement, un environnement propice aux changements, dans lequel les cours dispensés en institut de formation et les expériences en classe œuvrent dans une même direction, de manière parallèle et surtout complémentaire, est également primordial. Idéalement, les établissements de stage seraient aussi impliqués : au vu de l’importance du contexte institutionnel sur le maintien des croyances et pratiques acquises au cours de la formation à l’enseignement, une adéquation entre les valeurs véhiculées par les établissements et par la formation semble indispensable. Les formations à l’enseignement intègrent bien entendu déjà tout ou partie de ces pistes pour modifier les croyances des enseignants. Si ces pistes sont nombreuses, la difficulté de la tâche n’en reste pas moins conséquente.