- 1 Une première version de ce texte a été élaborée pour la journée d’études « Les descendants d’immig (...)
1La France et la Grande-Bretagne sont deux pays d’immigration (Noiriel, [1988] 2006 ; Panayi, 2010). Les immigrés et leurs descendants forment une part importante, aux alentours d’un cinquième, de la population respective de ces deux pays (Lhommeau & Simon, 2010 ; Owen, 2003). Pour les descendants d’immigrés, l’école, institution capitale qui marque les trajectoires sociales de tous les individus, est investie d’attentes particulièrement fortes d’ascension et d’intégration sociale (Zeroulou, 1988 ; Brinbaum & Kieffer, 2005 ; Kao, Vaquera & Goyette, 2013). En s’inspirant des travaux existants sur les scolarités des enfants d’immigrés en France (en particulier Vallet & Caille, 1996 ; Brinbaum & Cebolla Boado, 2007 ; Brinbaum & Kieffer, 2009 ; Tucci, 2010 ; Brinbaum, Moguérou & Primon, 2012 ; Ichou, 2013) et en Grande-Bretagne (Rothon, 2007 ; Rothon, Heath & Lessard-Phillips, 2009 ; Wilson, Burgess & Briggs, 2011), ce texte1 propose une description et une explication des différences de résultats scolaires des descendants d’immigrés par rapport aux descendants de natifs dans les deux pays. Plus précisément, l’objectif est de tenir ensemble une triple comparaison des résultats scolaires : une comparaison dans le temps qui met à profit la dimension longitudinale des deux enquêtes mobilisées ; une comparaison dans l’espace entre deux systèmes nationaux de production des inégalités scolaires ; une comparaison entre groupes de descendants d’immigrés et de natifs. Ces comparaisons multiples favoriseront, comme le propose Durkheim ([1894] 2004, p. 137), le passage de la description à l’explication sociologique : le but final étant de proposer un principe explicatif cohérent des principaux faits sociaux observés.
2Pour rendre plus intelligibles les comparaisons empiriques contenues dans le corps de l’article, nous proposons une très brève description des systèmes scolaires français et anglais, ainsi que de l’histoire migratoire récente des deux pays.
3En France, alors que l’instruction n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans (et jusqu’à 16 ans), l’école maternelle est fréquentée par presque tous les enfants à 3 ans (Ministère de l’Éducation nationale, 2011, p. 81). L’école primaire commence à l’âge moyen de 6 ans et dure cinq années. À 11 ans, les élèves entrent au collège pour une durée de quatre ans, sauf s’ils redoublent. À l’âge de 15 ou 16 ans, à l’issue du processus d’orientation de fin de 3e, les élèves sont orientés en seconde générale et technologique, en seconde professionnelle, en apprentissage ou quittent l’école. Les élèves qui terminent le lycée passent, selon leur section, un baccalauréat général, technologique ou professionnel. Bien que les trois types de baccalauréat permettent officiellement l’accès à l’enseignement supérieur, leur prestige académique et l’origine sociale de leur public sont fortement stratifiés (Ichou & Vallet, 2011). Sauf pour un faible nombre de « miraculés » (Bourdieu, 1989), seuls les bacheliers généraux peuvent prétendre aux études universitaires longues et aux classes préparatoires aux grandes écoles.
4En Angleterre, l’école est obligatoire entre 5 et 18 ans – cet âge était de 16 ans jusqu’en 2013. L’école maternelle (nursery school), moins universelle qu’en France, est néanmoins fréquentée par la grande majorité des enfants à partir de 3 ans (OECD, 2012). Après la première année d’école primaire (reception year, entre 4 et 5 ans), cinq grandes « étapes-clés » (key stages) forment l’enseignement primaire et secondaire. Ces key stages structurent la scolarité des élèves anglais qui sont évalués par des tests standardisés à l’issue de chacun d’eux. Après le reception year, l’école primaire s’étend sur six ans et est composée du key stage 1 (entre 5 et 7 ans) et du key stage 2 (de 7 à 11 ans). Le collège (secondary school) dure cinq ans et contient le key stage 3 (de 11 à 14 ans) et le key stage 4 (de 14 à 16 ans). À la fin du collège, les élèves passent un examen : le General Certificate of Secondary Education (GCSE). Contrairement au lycée français, l’équivalent britannique (le sixth form college correspondant au key stage 5) n’est pas divisé en filières. Les lycéens choisissent une combinaison de matières, trois ou quatre le plus souvent, qui peut allier des matières « académiques » (qui aboutissent aux examens du A-level) telles que l’histoire, la littérature ou les mathématiques, avec des matières plus professionnelles. C’est sur la base des matières choisies et des notes obtenues aux A-levels que les élèves qui postulent à l’enseignement supérieur sont sélectionnés par les universités.
5La place manque pour proposer une comparaison plus fine des systèmes scolaires français et britannique. Pour être complète, une telle comparaison devrait rendre compte de la multiplicité des variations des contextes scolaires, des politiques qui encadrent les choix d’établissements, de l’organisation de l’enseignement spécialisé, du rôle de l’enseignement privé et de la sélection scolaire. Les contraintes d’espace ne permettent ici que de remarquer que la principale différence institutionnelle entre les systèmes scolaires français et anglais se situe après le collège, lorsque les filières relativement hermétiques du lycée français contrastent avec la plus grande flexibilité et réversibilité des combinaisons possibles de disciplines dans les sixth form colleges britanniques. À l’aune de la production des inégalités scolaires, le point commun le plus important est que, contrairement à l’Allemagne, à l’Autriche ou aux Pays-Bas, la période d’instruction obligatoire se déroule dans des établissements scolaires sans filières marquées (ce qui, bien entendu, n’empêche pas l’existence de différenciations sociales et scolaires plus fines au sein des établissements et des classes). Les recherches en éducation comparée ont bien établi que l’âge des élèves au premier palier d’orientation représente un élément déterminant pour rendre compte de l’ampleur des inégalités scolaires dans un système éducatif. Ces inégalités tendent à être d’autant plus fortes que la première orientation est précoce (Mons, 2007 ; Van de Werfhorst & Mijs, 2010 ; Felouzis, Charmillot & Fouquet-Chauprade, 2011 ; Crul, Schnell, Herzog-Punzenberger et al., 2012). L’absence de filières au collège liée à la présence d’un premier palier d’orientation tardif constitue donc une ressemblance fondamentale entre les systèmes scolaires français et anglais.
6En tant qu’anciennes métropoles coloniales et puissances industrielles, la France et le Royaume-Uni partagent l’expérience d’une immigration importante, ancienne et diversifiée. Avant la seconde guerre mondiale, les immigrés en France venaient principalement d’Europe de l’Est et du Sud. Après la guerre, le besoin de main-d’œuvre entraîné par la reconstruction et la croissance a conduit à une hausse de l’immigration de travailleurs. Jusqu’au milieu des années 1970, la plupart des immigrés en France étaient des hommes arrivés d’Europe du Sud (Italie, Portugal, Espagne) et d’Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie). Après le milieu des années 1970, le regroupement familial et, dans une moindre mesure, la migration politique et économique ont été les principaux motifs d’immigration. Les flux d’Europe du Sud et d’Afrique du Nord se sont poursuivis et féminisés, et des migrants de Turquie, d’Afrique sub-saharienne (en particulier Sénégal et Mali), d’Asie du Sud-Est (Cambodge, Laos, Vietnam) et de Chine sont également arrivés.
7De la même manière, le Royaume-Uni a été la destination de nombreux migrants, en particulier postcoloniaux (Rothon, Heath & Lessard-Phillips, 2009). Exception faite des immigrés irlandais, déjà présents en nombre avant la seconde guerre mondiale, la majorité des groupes d’immigrés sont arrivés dans la deuxième moitié du xxe siècle. Les périodes d’arrivée diffèrent selon les groupes. La majorité des migrants noirs des Caraïbes est arrivée entre le milieu des années 1950 et le milieu des années 1960. Les immigrés d’Afrique noire (en particulier du Nigéria), d’Inde et du Pakistan sont arrivés au Royaume-Uni dans les années 1970 et plus tard dans le cas des Pakistanais. La plupart des migrants du Bangladesh et des Chinois (nés à Hong Kong, en Chine continentale et en Asie du Sud-Est) sont arrivés après 1980 (Owen, 2003 ; Lessard-Phillips, 2009, p. 53-56 ; Dustmann & Theodoropoulos, 2010).
8Ces descriptions même trop brèves des systèmes scolaires et migratoires français et anglais permettront de mieux comprendre les analyses qui suivent et dont nous présentons maintenant les fondements empiriques.
9Cet article utilise principalement trois enquêtes statistiques longitudinales, deux en France et une en Angleterre. En France, nous exploitons le Panel d’écoliers entrés au CP en 1997 (ou « Panel 1997 », N = 9 641) et le Panel d’élèves du second degré entrés en 6e en 1995 (« Panel 1995 », N = 17 830). Ces deux enquêtes ont été produites par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale en collaboration avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) (pour une description approfondie de ces enquêtes, voir Colmant, Jeantheau & Murat, 2002 ; INSEE/DEPP, 2008).
10Pour l’Angleterre, nous utilisons la Longitudinal Study of Young People in England (LSYPE), conduite par le ministère britannique de l’Éducation (Department for Education). En 2004, la LSYPE a commencé à suivre un échantillon de 15 770 élèves âgés de 13 ans entrant en 3e année de collège (Year 9, dernière année du key stage 3). Un suivi annuel a été effectué jusqu’en 2010, lorsque les répondants avaient entre 19 et 20 ans. L’appariement du LSYPE avec la base de données nationale des élèves britanniques (National Pupil Database) permet d’obtenir des informations précises sur les résultats scolaires des élèves aux tests standardisés du key stage 2 (à la fin de l’école primaire, vers 11 ans) jusqu’au key stage 5 (à la fin du lycée, vers 18 ans).
11Prises ensemble, ces trois enquêtes longitudinales comparables permettent de décrire précisément les résultats scolaires des élèves de l’école primaire au lycée et de relier les différences de résultats entre élèves à leurs propriétés sociales et migratoires.
12En complément de ces trois enquêtes, deux sources de données supplémentaires sont mises à profit. Premièrement, les vagues annuelles 2003 à 2006 de la General Household Survey britannique (devenue depuis General Lifestyle Survey) permettent d’analyser les relations entre génération migratoire et ethnicité déclarée en Angleterre. Pour l’objet qui nous concerne ici, cette enquête permet, en particulier, de connaître la proportion d’immigrés (« première génération »), d’enfants d’immigrés (« deuxième génération ») et de descendants plus lointains d’immigrés (« troisième [ou quatrième] génération ») parmi les individus qui déclarent appartenir à un groupe ethnique donné. Deuxièmement, la base de données de Barro et Lee (2010) contient les distributions du niveau d’éducation des populations de près de 150 pays du monde par sexe, âge et année de naissance entre 1950 et 2010. Elle rend possible la construction d’une mesure originale de la position éducative relative des immigrés dans leur pays d’origine, mesure qui s’avérera centrale dans l’interprétation des différences scolaires entre groupes et entre pays.
- 2 L’affaiblissement de la puissance statistique résultant de l’utilisation de catégories d’origine m (...)
13Les catégories d’origine migratoire identifiées répondent à un arbitrage entre précision sociologique des descriptions et puissance statistique des analyses. Comme dans des travaux précédents (Ichou, 2013 ; Ichou & Oberti, 2014), nous jugeons le « risque statistique » d’obtenir des résultats non significatifs du fait de la petitesse des groupes moins grave que le « risque sociologique » de ne pas rendre visible la diversité des trajectoires des descendants d’immigrés. Cette réduction volontaire de la puissance statistique des analyses implique, symétriquement, que, si une différence se révèle statistiquement significative, c’est que l’effet de l’origine migratoire sur les résultats scolaires est suffisamment fort pour apparaître malgré les faibles effectifs2.
14Conformément à une recommandation fréquemment évoquée dans les manuels de statistiques (Boos & Hughes-Oliver, 2000 ; Hogg, Tanis & Zimmerman, 2015, p. 202), nous mettrons systématiquement en évidence dans les tableaux les effectifs inférieurs à 30 pour lesquels l’inférence statistique classique s’applique moins bien que pour les groupes plus larges. Pour ces groupes, les résultats présentés devront être considérés comme indicatifs et demanderont à être confirmés par des études ultérieures sur des échantillons plus importants.
- 3 Comme nous le discutons ailleurs (Ichou, 2013, note 8, p. 15), l’inclusion des enfants de migrants (...)
- 4 Les enfants de parents nés à l’étranger dans deux régions du monde différentes ne sont pas inclus (...)
15Nous privilégions donc, en France comme en Angleterre, une catégorisation fine de l’origine migratoire des élèves. En France, nous distinguons les enfants dont les deux parents sont nés en France métropolitaine (le groupe majoritaire), en Europe du Sud (Portugal, Espagne et Italie), en Algérie, au Maroc, en Tunisie, au Sahel (Mali, Sénégal, Mauritanie), dans un pays limitrophe du Golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Cameroun, Guinée, Ghana, Guinée équatoriale), en Turquie, en Chine ou Asie du Sud-Est (Vietnam, Cambodge, Laos), dans un DOM-TOM3. Nous identifions également les enfants de « couples mixtes » au sein desquels un parent est né à l’étranger et l’autre en France4.
16Les modèles politiques nationaux de gestion des minorités sont adossés à des différences dans ce que Simon nomme « la statistique des origines » (Simon, 1997). De ce fait, contrairement aux données françaises, l’enquête anglaise, la LSYPE, ne mesure pas directement le pays de naissance des parents, mais l’ethnicité déclarée des élèves. C’est donc plutôt une origine subjective ou imaginée qu’une origine objectivée par un pays de naissance que nous prenons en considération.
17Dans quelle mesure cette différence dans l’appréhension statistique des minorités réduit-elle la comparabilité internationale des résultats statistiques obtenus ? Comme le remarque justement Simon, contrairement aux États-Unis, la dimension relativement récente de l’immigration de masse en Grande-Bretagne conduit à une correspondance forte, pour les jeunes, entre le fait d’appartenir à une minorité et d’être enfant d’immigrés (Simon, 1997, p. 32). Dans un travail empirique approfondi récent, Parameshwaran et Engzell se posent précisément la question de la correspondance, pour des enfants scolarisés dans les années 2000, entre la mesure du pays de naissance de leurs parents et leur ethnicité auto-déclarée (Parameshwaran & Engzell, 2015). Utilisant une enquête qui contient à la fois l’ethnicité des élèves et le pays de naissance de leurs parents, les auteurs montrent, après une analyse systématique des différences induites par l’une ou l’autre des deux mesures, un « substantial agreement across measures » (Parameshwaran & Engzell, 2015, p. 399). Ils concluent donc que « comparative research using secondary data need not be badly biased due to inconsistent measures » (Parameshwaran & Engzell, 2015, p. 399).
- 5 La difficulté de traduction des termes d’une société à une autre est un enjeu essentiel de l’entre (...)
18Des analyses que nous avons réalisées à partir de la General Household Survey montrent que la grande majorité des élèves du même âge que ceux de l’échantillon de la LSYPE et qui se déclarent appartenir à une minorité ethnique sont enfants d’immigrés (voir tableau 1). En effet, dans la plupart des groupes, les petits-enfants ou descendants plus lointains d’immigrés ne représentent qu’une proportion très faible des jeunes. Sauf pour les Black Caribbean dont l’immigration est plus ancienne, il apparaît justifié de considérer la plupart des élèves de l’enquête LSYPE se déclarant appartenir à une minorité ethnique comme des enfants d’immigrés. Les groupes d’origine identifiés sont les élèves se déclarant White British (le groupe majoritaire), Other White, Indian, Pakistani, Bangladeshi, Black Caribbean, Black African, Chinese, Turkish et Mixed5.
Tableau 1. Proportion de petits-enfants (ou descendants plus lointains) d’immigrés parmi les enfants de minorités ethniques âgés de 10 et 17 ans en 2004 en Angleterre
Groupe d’origine |
Proportion de petits-enfants (ou descendants plus lointains) d’immigrés (en %) |
Other White |
17,6 |
Indian |
11,4 |
Pakistani |
3,0 |
Bangladeshi |
0,0 |
Black Caribbean |
46,0 |
Black African |
1,4 |
Chinese |
0,0 |
Turkish |
0,0 |
Source : General Household Survey, 2003, 2004, 2005, 2006.
19Les variables qui décrivent les propriétés sociodémographiques et économiques des élèves et de leurs familles servent ici principalement de « variables de contrôle ». Elles ont été choisies parce que leur influence sur les parcours scolaires des enfants est largement documentée et qu’elles sont inégalement distribuées entre les différents groupes de descendants d’immigrés et les descendants de natifs. Ces variables sont choisies et recodées pour être strictement comparables dans les Panel 1995 et 1997 et dans la LSYPE. Ces variables sont : le niveau de diplôme de la mère (école primaire ou moins ; enseignement secondaire ; études supérieures), celui du père (idem), la profession du père, ou de la mère quand le père n’est pas présent (cadres supérieurs et enseignants ; employés, ouvriers, sans profession ; autres professions), la situation des parents par rapport à l’emploi (le ou les parents du foyer sont en emploi ; autres situations), la structure familiale (famille biparentale ; autres situations), le sexe de l’enfant (garçon ; fille) et la taille de la fratrie (enfant unique ; deux enfants ; trois enfants ; quatre enfants ou plus).
- 6 Une précaution s’impose concernant l’analyse des résultats scolaires après la fin de la scolarité (...)
20Les résultats scolaires sont mesurés par les scores des élèves à des évaluations standardisées ou, au minimum, à des épreuves communes. Le Panel 1997 contient les résultats scolaires mesurés à trois reprises : par des évaluations standardisées en début de CP et en début de 6e, par les épreuves communes du brevet des collèges en fin de 3e. Les résultats au baccalauréat, provenant du Panel 1995, servent d’indicateur de résultats scolaires à la fin du lycée. Pour améliorer la comparabilité des résultats entre les trois principales filières (générale, technologique et professionnelle), nous n’utilisons pas directement le score obtenu sur 20, mais la position relative (en centile) à laquelle ce score place chaque élève au sein de sa filière. Dans la LSYPE, les scores aux tests standardisés à la fin des « étapes-clés » (key stages) 2 à 5 sont utilisés comme mesure des résultats scolaires6. Pour faciliter la lecture et la comparaison, toutes les variables de résultats scolaires sont centrées et réduites pour devenir des « scores z » qui ont une moyenne de 0 et un écart-type de 1, de sorte que les élèves qui ont des résultats supérieurs à la moyenne de l’échantillon se retrouvent avec des scores z positifs et ceux qui ont des résultats inférieurs à la moyenne se trouvent avec des scores z négatifs.
- 7 Pour une description détaillée de cette méthode, de ses intérêts et de ses limites dans l’étude de (...)
21Pour comparer les résultats scolaires des descendants d’immigrés à ceux des descendants de natifs de mêmes milieux sociaux, nous employons la méthode de l’appariement exact (exact matching)7. Telle que nous l’utilisons ici, cette méthode consiste à associer chaque descendant d’immigrés d’une certaine région du monde aux descendants de natifs qui partagent avec lui les mêmes propriétés sociales pertinentes. Ces propriétés sont comme les « variables de contrôle » dans le contexte de l’analyse de régression. Prenons un exemple dans lequel la comparaison se fait entre les descendants d’immigrés italiens et les descendants de natifs et où l’on considère la profession et le niveau d’éducation des parents comme les propriétés sociales dont il faut tenir compte. Un descendant d’immigrés italiens, dont le père est ouvrier qui est allé jusqu’au collège et la mère est employée diplômée du lycée sera apparié avec tous les descendants de natifs de l’échantillon qui ont ces mêmes caractéristiques. Cette procédure d’appariement est effectuée pour chaque descendant d’immigrés italiens. Ensuite, les résultats scolaires des descendants d’immigrés italiens sont comparés, non pas à ceux des descendants de natifs en général, mais à ceux des descendants de natifs qui appartiennent au sous-échantillon apparié (matched sample) formé par tous les enfants de natifs qui partagent les mêmes propriétés sociales.
22En plus de sa simplicité, la méthode de l’appariement exact a deux avantages principaux. Premièrement, l’appariement exact est bien adapté à la comparaison de petits groupes – ici, les groupes de descendants d’immigrés – avec un groupe plus large – les descendants de natifs. Une fois les groupes appariés, leurs résultats scolaires sont comparés par une simple différence de moyenne (test t), plus adaptée que la régression multivariée lorsqu’un des groupes est de petite taille (Harrell, 2001, p. 60). Deuxièmement, l’appariement exact, contrairement à la régression linéaire, ne suppose pas que les variables explicatives ont des effets linéaires et indépendants sur la variable à expliquer. Le fait de ne pas présupposer l’indépendance des effets a pour conséquence que, dans la comparaison entre les résultats scolaires des enfants d’immigrés et de natifs, toutes les interactions entre les variables explicatives sont implicitement prises en compte.
23Avant d’entamer la comparaison des résultats scolaires des différents groupes, il n’est pas inutile de prendre conscience des différences importantes qui existent dans leur composition sociale. C’est le niveau de diplôme de la mère, variable capitale en sociologie de l’éducation (Duru-Bellat & van Zanten, 2012, chapitres 2 et 8), qui est choisi comme indicateur des propriétés sociales du milieu de socialisation familiale des élèves (voir tableaux 2 et 3).
Tableau 2. Niveau d’éducation de la mère des élèves selon l’origine en France
Origine |
Aucune qualification% |
Enseignement supérieur% |
N |
France métropolitaine |
21 |
24 |
7 567 |
Europe du Sud |
61 |
2 |
111 |
Algérie |
67 |
5 |
115 |
Maroc |
84 |
5 |
155 |
Tunisie |
77 |
0 |
53 |
Sahel |
84 |
2 |
49 |
Golfe de Guinée |
46 |
12 |
26 |
Turquie |
81 |
2 |
88 |
Asie SE – Chine |
53 |
9 |
47 |
DOM-TOM |
28 |
13 |
46 |
Mixte |
33 |
19 |
1 020 |
Total |
26 |
22 |
9 277 |
Source : Panel 1997.
Note : les statistiques en italique doivent être interprétées avec une prudence particulière car elles se rapportent à des groupes dont l’effectif est inférieur à 30.
24En France, les descendants d’immigrés ont des mères nettement moins éduquées que les descendants de natifs : dans tous les groupes, la proportion de mères n’ayant aucune qualification est très supérieure à celle des descendants de natifs et la proportion de mères diplômées du supérieur est très inférieure. Il existe néanmoins des différences importantes entre les groupes au sein des descendants d’immigrés. Les mères originaires du Sahel et de Turquie sont celles qui combinent les proportions les plus importantes de sans diplôme (84 % et 81 %) avec les proportions de diplômées du supérieur les plus basses (2 % dans les deux cas). Au contraire, les mères originaires d’un pays du Golfe de Guinée (dont le nombre est très faible) ou d’Asie du Sud-Est sont parmi les plus éduquées et les plus rarement sans qualification. Les mères migrantes des DOM-TOM ou celles qui appartiennent à un couple mixte sont celles dont le niveau de diplôme se rapproche le plus de celui des mères natives.
25En Angleterre, la situation est sensiblement différente (voir tableau 3) : le niveau de diplôme des mères appartenant aux minorités ethniques est souvent plus proche de celui des mères du groupe majoritaire. Les descendants d’immigrés appartenant aux minorités pakistanaise, bangladeshie et turque sont ceux dont les mères sont les moins éduquées (respectivement 74 %, 87 % et 78 % sans qualification et seulement 8 %, 2 % et 9 % avec un diplôme du supérieur). Dans les autres minorités, bien que la proportion de mères sans qualification scolaire soit la plupart du temps plus importante que dans la population majoritaire, plusieurs groupes ont, proportionnellement, autant (Other White, Chinese) ou plus (Black Caribbean, Black African) de mères diplômées du supérieur que les White British.
Tableau 3. Niveau d’éducation de la mère des élèves selon l’origine en Angleterre
Origine |
Aucune qualification% |
Enseignement supérieur% |
N |
White British |
16 |
24 |
9498 |
Other White |
26 |
24 |
717 |
Indian |
45 |
15 |
978 |
Pakistani |
74 |
8 |
880 |
Bangladeshi |
87 |
2 |
673 |
Black Caribbean |
15 |
31 |
745 |
Black African |
39 |
33 |
710 |
Chinese |
53 |
26 |
43 |
Turkish |
78 |
9 |
23 |
Mixed |
23 |
30 |
568 |
Total |
27 |
23 |
14 835 |
Source : LSYPE.
Note : les statistiques en italique doivent être interprétées avec une prudence particulière car elles se rapportent à des groupes dont l’effectif est inférieur à 30.
26Dans les deux pays, la distribution du capital scolaire parental, tel qu’indiqué par le niveau d’éducation de la mère, est très inégale selon les groupes. Les élèves du groupe majoritaire sont les plus avantagés à cet égard. Néanmoins, une différence importante existe entre la France et l’Angleterre : en France, relativement aux descendants de natifs, les descendants d’immigrés sont bien plus démunis en capital scolaire maternel que les descendants d’immigrés en Angleterre. Comme la section suivante le montre, l’inégale distribution du capital scolaire dans la génération des parents se transmet largement à la génération suivante.
27Dans cette partie, nous décrivons d’abord la stratification des résultats scolaires selon les groupes en France et en Angleterre, puis son évolution de l’école primaire au lycée. Nous proposons ensuite des pistes explicatives pour rendre compte des formes de cette stratification scolaire dans les deux pays.
28Les figures 1 et 2 sont une représentation des comparaisons des résultats scolaires entre chaque groupe de descendants d’immigrés et les descendants de natifs à différentes étapes de la scolarité. À chaque fois sont représentés les écarts « bruts » sur l’échantillon total qui ne tiennent pas compte des différences des propriétés sociales des groupes et les écarts « nets » sur les échantillons appariés qui comparent des élèves de mêmes milieux sociaux (c’est-à-dire qui partagent les mêmes combinaisons de propriétés sociodémographiques).
29Dans les deux pays, et pour chaque groupe à divers degrés, la prise en compte des propriétés sociales des élèves et de leur famille telles que mesurées par les « variables de contrôle » réduit sensiblement l’écart scolaire avec les descendants de natifs. C’est un résultat bien connu qui est reproduit ici : le niveau d’éducation des parents, leur profession et les caractéristiques démographiques de la famille ont une influence forte sur les résultats scolaires des élèves et l’inégale distribution de ces propriétés entre descendants d’immigrés et descendants de natifs explique une grande partie des écarts scolaires entre les groupes (Vallet & Caille, 1996 ; Rothon, 2007 ; Brinbaum & Kieffer, 2009).
30En France, au début de l’école primaire, tous les groupes de descendants d’immigrés ont des résultats scolaires significativement inférieurs à ceux des descendants de natifs, sauf pour les élèves d’origine asiatique. À milieu social similaire, les descendants d’immigrés de Turquie, du Sahel et d’Algérie ont toujours des résultats scolaires significativement inférieurs à ceux des descendants de natifs, bien que les écarts se soient considérablement réduits. Les deux seuls groupes qui ont toujours un désavantage scolaire important (supérieur à un demi écart-type) sont les enfants d’origine turque et sahélienne.
31En 6e, les écarts se sont resserrés par rapport au début de l’école primaire. En termes de différences nettes, trois groupes se distinguent significativement des descendants de natifs : les descendants d’immigrés de Turquie ont les résultats les plus faibles, alors que les descendants d’immigrés du Maroc, mais surtout d’Asie du Sud-Est et de Chine ont, en moyenne, les meilleurs résultats.
32Les résultats scolaires en 3e de la plupart des groupes de descendants d’immigrés ne diffèrent pas significativement de ceux des descendants de natifs de milieu social similaire. Mais, comme au début de l’école primaire et du collège, les deux groupes qui diffèrent le plus des descendants de natifs sont les descendants d’immigrés turcs occupant la position scolaire la plus basse et les élèves d’origine d’Asie du Sud-Est et de Chine occupant le haut de la stratification scolaire. Ces résultats font écho à d’autres observations similaires produites sur des échantillons différents (voir en particulier Caille, 1993 ; Brinbaum, Moguérou & Primon, 2012).
33Du fait des limites exposées plus haut, les analyses des résultats scolaires à la fin du lycée doivent être prises avec précaution. De manière générale, les élèves jugés comme les plus faibles scolairement n’appartiennent plus à l’échantillon de ceux qui passent le baccalauréat et les écarts, bruts ou nets, entre les descendants d’immigrés et de natifs sont logiquement beaucoup plus faibles à ce niveau.
Figure 1. Différences « brutes » et « nettes » de résultats scolaires en CP, 6e, 3e et au baccalauréat entre les groupes de descendants d’immigrés et les descendants de natifs (groupe de référence) en France
Sources : Panel 1997 (CP, 6e, 3e) et Panel 1995 (Bac).
34En Angleterre, la stratification des résultats scolaires est différente et, de manière générale, bien plus favorable à la plupart des descendants d’immigrés (voir figure 2). Dès la fin de l’école primaire (key stage 2), les résultats scolaires de nombreux groupes sont significativement supérieurs à ceux des descendants de natifs de même milieu social : c’est le cas des élèves d’origine bangladeshie, indienne et chinoise. Au milieu du collège (key stage 3) s’ajoutent aux élèves de ces trois groupes les descendants d’immigrés pakistanais dont les résultats scolaires sont significativement meilleurs que ceux des enfants du groupe majoritaire qui partagent les mêmes propriétés sociales. À 11 ans, comme à 13 ans, les deux seuls groupes dont les résultats sont significativement inférieurs à ceux du groupe majoritaire, une fois pris en compte les effets de leurs propriétés sociales sont les Black Caribbean – dont beaucoup sont petits-enfants d’immigrés (voir tableau 1) – et les Black African. Ce désavantage net n’est néanmoins que de faible intensité : jamais supérieur à un quart d’écart-type. À la fin du collège (key stage 4), tous les groupes de descendants d’immigrés ont des résultats scolaires supérieurs ou non significativement différents de ceux des descendants de natifs de mêmes milieux sociaux. Comme en France, les différences de résultats scolaires à la fin du lycée (key stage 5) sont de bien moindre ampleur qu’aux étapes précédentes de la scolarité, dans la mesure où les élèves sont, à ce stade, déjà sélectionnés sur des critères de réussite scolaire.
35Un autre point commun remarquable avec la France est que les élèves se définissant comme Chinois (dont les parents sont nés en Chine continentale, à Hong Kong ou en Asie du Sud-Est) ont la même position scolaire relative, en haut de la stratification scolaire, que les enfants d’immigrés d’Asie du Sud-Est et de Chine en France. Des observations similaires sur les situations scolaires opposées des enfants Black Caribbean (au bas de la hiérarchie scolaire) et Chinese (en haut) ont également été effectuées sur d’autres échantillons (Dustmann, Machin & Schönberg, 2010 ; Plewis, 2011 ; Strand, 2014).
Figure 2. Différences « brutes » et « nettes » de résultats scolaires aux key stages 2, 3, 4 et 5 entre les groupes de descendants d’immigrés et les descendants de natifs (groupe de référence) en Angleterre
Source : LSYPE.
36Pour résumer, trois observations importantes méritent d’être réitérées : (1) les propriétés sociales et démographiques des descendants d’immigrés participent à expliquer les désavantages scolaires de nombreux groupes par rapport aux descendants de natifs en France et en Angleterre ; (2) dans les deux pays, une forte hétérogénéité scolaire existe entre les groupes d’origines migratoires différentes, et le groupe qui se distingue le plus des autres par la constance de sa position scolaire relative est celui des descendants d’immigrés asiatiques (auto-déclarés ethniquement chinois en Angleterre) qui occupent systématiquement le haut de la hiérarchie scolaire ; (3) les descendants d’immigrés occupent des positions scolaires plus favorables en Angleterre qu’en France.
37L’évolution de la position scolaire relative des descendants d’immigrés par rapport aux descendants de natifs au fil des trajectoires scolaires est difficile à lire sur les graphiques précédents. La figure 3 est plus éclairante à cet égard. En France comme en Angleterre, la période entre les deux premières mesures des résultats scolaires (entre le CP et la 6e en France, entre la fin de l’école primaire et le milieu du collège en Angleterre) est, en moyenne, favorable aux descendants d’immigrés. Que l’on s’intéresse aux écarts bruts ou nets, l’évolution des différences par rapport aux descendants de natifs se fait au bénéfice des descendants d’immigrés : ils progressent davantage.
38L’amélioration de la position scolaire relative des descendants d’immigrés se poursuit dans la deuxième moitié du collège en Angleterre (entre key stage 3 et key stage 4). La tendance se retourne au contraire en France : entre la 6e et la 3e, l’écart (brut et surtout net) entre les descendants de natifs et les descendants d’immigrés augmente à nouveau au détriment de ces derniers.
Figure 3. Évolution des écarts « bruts » et « nets » de résultats scolaires entre descendants d’immigrés et de natifs au cours de la scolarité obligatoire en France et en Angleterre
Source : Panel 1997 et LSYPE.
39L’observation de progrès scolaires plus importants des descendants d’immigrés par rapport au groupe majoritaire de l’école primaire à la fin du collège en Angleterre est en accord avec les résultats des travaux existants (Dustmann, Machin & Schönberg, 2010 ; Wilson, Burgess & Briggs, 2011). En France, les progrès plus rapides des enfants d’immigrés à l’école primaire avaient également déjà été rapportés dans quelques travaux (Caille & Rosenwald, 2006 ; Caille, 2008 ; Ichou, 2013).
40Une piste explicative de ces progrès relatifs plus importants des descendants d’immigrés dans les deux pays pourrait être liée aux progrès linguistiques effectués par les enfants d’immigrés, en particulier pendant leurs premières années de scolarisation. Les données utilisées ici ne permettent pas de vérifier cette hypothèse. Néanmoins, des travaux, en France, en Grande-Bretagne comme aux États-Unis, attestent la crédibilité de cette conjecture (Gibson, 1987 ; Tribalat, 1995 ; Dustmann, Machin & Schönberg, 2010). Pourquoi ces progrès relatifs plus importants se retournent-ils au détriment des descendants d’immigrés en France pendant l’enseignement secondaire ? Là encore, l’explication ne peut-être qu’hypothétique. Une piste explicative plausible est celle des effets néfastes de la ségrégation sociale et ethnique sur les résultats scolaires des descendants d’immigrés dans les collèges français (Felouzis, 2003 ; Ichou, 2013). Comme nous avons tenté de le montrer ailleurs (avec des données existantes imparfaites), la ségrégation ethnique au collège français a tendance à augmenter les inégalités scolaires en défaveur des enfants d’immigrés, alors que la concentration des minorités ethniques dans les secondary schools anglaises ne leur semble pas défavorable (Ichou, 2014a, chapitre 8).
41Plus fondamentalement, au-delà de l’explication des progrès relatifs au cours de la scolarité, l’objectif de ma recherche est de proposer un système explicatif, aussi cohérent et unifié que possible, qui permettrait de rendre compte à la fois de la stratification des positions scolaires entre groupes de descendants d’immigrés en France et en Angleterre et des différences moyennes entre les deux pays.
42Pour expliquer les différences dans les scolarités des descendants d’immigrés en France et en Angleterre, insister sur les différences institutionnelles entre les deux systèmes scolaires ne s’avère pas d’un grand secours tant l’importance des similarités l’emporte sur les différences, au moins au cours de la scolarité obligatoire. L’explication devrait-elle alors se faire plus culturaliste et tenter d’identifier dans les « cultures d’origine » des groupes immigrés les causes des positions scolaires relatives de leurs enfants ?
43C’est en fait une piste interprétative alternative qui nous semble la plus convaincante et qui nous permet de proposer un seul principe explicatif pour rendre compte des différences scolaires entre les deux pays, comme au sein de chacun d’entre eux. La prise en compte des effets de l’inégale répartition du capital scolaire et économique permet, on l’a vu, de faire un pas dans l’explication des écarts scolaires entre descendants d’immigrés et de natifs : les différences scolaires se réduisent effectivement lorsque l’on considère les écarts « nets » plutôt que « bruts ». Mais, une fois cette inégale répartition prise en compte, toutes les différences scolaires ne disparaissent pas. C’est qu’il convient de considérer la dimension internationale des processus de stratification sociale au sein des familles immigrées. Les immigrés étant d’abord des émigrés (Sayad, 1977), leur statut social et les ressources qui y sont liées ne sont pas réductibles à leur position sociale mesurée dans la société de destination (la France et l’Angleterre ici). Il y a de bonnes raisons de penser que les caractéristiques des immigrés dans leur société d’origine sont des facteurs pertinents pour la compréhension de leurs trajectoires sociales et de celles de leurs descendants.
44Comme Lee l’exprimait il y a presque 50 ans, « migrants are not a random sample of the population at origin » (Lee, 1966, p. 56). Les conséquences sociologiques de ce principe simple n’ont pas été suffisamment tirées dans l’étude empirique des trajectoires des immigrés et de leurs descendants, bien que des travaux fondateurs sur les familles immigrées algériennes aient produit des interprétations très stimulantes à ce sujet (Zeroulou, 1988 ; Laacher, 1990 ; Santelli, 2001). Il faut reconnaître que la mesure de la position (éducative ou sociale) relative des immigrés dans leur pays d’origine est loin d’être aisée. Elle nécessite la comparaison des caractéristiques des immigrés (« ceux qui partent ») à celles des non-migrants (« ceux qui restent ») dans leur pays d’origine. À cet égard, les recherches de Feliciano (2005) aux États-Unis constituent une avancée majeure : pour chaque groupe d’origine nationale, elle a créé une mesure agrégée du niveau relatif d’éducation des immigrés par rapport à celui de la population du pays d’origine. Ce type de mesure agrégée a récemment été répliqué dans une comparaison internationale de dix pays d’immigration dans un chapitre (Van de Werfhorst, van Elsas & Heath, 2014) de l’ouvrage collectif de Heath et Brinbaum (2014). Nous avons parallèlement proposé une mesure individuelle de la position éducative relative de chaque immigré par rapport à la population de son pays d’origine (Ichou, 2014b).
- 8 Pour correspondre au plus près aux parents des élèves de la LSYPE, seuls ont été retenus, dans la G (...)
45C’est cette mesure que nous construisons ici en combinant la base de données internationale de Barro et Lee (2010) sur le niveau d’éducation atteint dans près de 150 pays du monde par sexe, âge et période avec les données du Panel 1997 (pour la France) et celle de la General Household Survey (pour l’Angleterre). Il est malheureusement impossible d’utiliser directement la LSYPE car cette enquête ne contient pas d’informations sur le pays de naissance exact des parents des élèves8.
46Il en résulte une mesure du « niveau d’éducation relatif » de chaque immigré qui correspond à sa position dans la distribution des niveaux d’éducation de la population du même sexe et de la même cohorte de naissance dans son pays d’origine. Ce niveau d’éducation relatif est une manière d’approcher empiriquement la mesure de la position sociale relative des immigrés dans leur pays d’origine. La mesure du niveau d’éducation relatif oscille entre 0 et 1 : plus elle est proche de 1 plus l’immigré en question vient du haut de la distribution des niveaux d’éducation dans son pays d’origine, plus elle est proche de 0, plus elle indique une position éducation relative basse.
47La figure 4 montre la pertinence de la prise en compte du niveau d’éducation relatif dans le pays d’origine pour expliquer les écarts scolaires nets entre descendants d’immigrés et de natifs en France comme en Angleterre. Ce graphique montre que les écarts scolaires nets à la fin du collège entre chaque groupe de descendants d’immigrés et les descendants de natifs (axe des ordonnées) sont très liés au niveau moyen d’éducation relatif de ce groupe (axe des abscisses). Les groupes de descendants d’immigrés dont les positions scolaires sont les plus basses, par rapport aux descendants de natifs de mêmes milieux sociaux, sont aussi ceux au sein desquels, en moyenne, les immigrés ont les niveaux d’éducation relatifs les plus bas dans leur pays d’origine (au « sud-ouest » de la figure 4). Symétriquement, les descendants d’immigrés dont les positions scolaires sont les plus hautes, une fois prises en compte leurs caractéristiques en France ou en Angleterre, sont ceux qui viennent des groupes qui occupaient les positions scolaires relatives les plus hautes dans leur pays d’origine (au « nord-est » de la figure 4).
48Ce même principe explicatif rend également raison des différences dans les écarts scolaires constatés entre la France et l’Angleterre. Si les descendants d’immigrés en Angleterre ont des positions scolaires plus favorables qu’en France, par rapport au groupe majoritaire, c’est que les caractéristiques pré-migratoires des populations immigrées en France et en Angleterre diffèrent. Les niveaux d’éducation relatifs moyens des immigrés en Angleterre sont plus hauts que ceux des immigrés en France. Autrement dit, pour parler à la manière des économistes et démographes, les immigrés en Angleterre sont plus positivement sélectionnés qu’en France, ce qui expliquerait – plus que toute différence institutionnelle ou culturelle – les meilleurs résultats scolaires de leurs descendants.
Figure 4. Relation entre le niveau d’éducation relatif des parents immigrés et la différence « nette » de résultats scolaires avec le groupe majoritaire en fin de collège en France et en Angleterre
Source : Panel 1997, LSYPE, General Household Survey et Barro & Lee (2010).
49Par quels mécanismes sociologiques la position scolaire des immigrés dans leur pays d’origine aurait-elle des effets sur la scolarité de leurs descendants, au-delà de leurs caractéristiques sociales dans le pays de résidence ? On peut supposer que les dispositions des immigrés envers l’école se construisent aussi et parfois davantage en référence à leur société d’origine et à leur position sociale et scolaire dans cette société. Même si ce n’est pas reflété dans la position sociale qu’ils occupent dans la société de destination, les parents immigrés qui – pour reprendre l’expression des économistes des migrations – sont « positivement sélectionnés », c’est-à-dire qui ont un niveau d’éducation et un statut social relativement plus élevé que les non-émigrants dans leur pays d’origine, ont tendance à posséder les dispositions et les représentations associées à leur statut social passé. Ils ont en particulier des attentes scolaires pour leurs enfants plus hautes que leur position actuelle dans la société de destination ne le prédirait (Ichou, 2014a, chapitre 7).
50Dans ce texte, nous avons tenté de décrire la stratification des résultats scolaires des descendants d’immigrés et de natifs en France et en Angleterre pendant la scolarité obligatoire. Ce faisant, nous avons essayé de combiner cinq éléments qui distinguent cette recherche de beaucoup des travaux existants : (1) contrairement aux travaux fondateurs sur la question en France (Vallet & Caille, 1996 ; Brinbaum & Kieffer, 2009), cette recherche adopte une approche explicitement comparative portant sur deux sociétés d’immigration ; (2) elle s’inscrit dans une perspective résolument longitudinale qui débute dès l’école primaire et jusqu’à la fin du lycée, alors que Vallet et Caille (1996) et Brinbaum et Kieffer (2009) n’analysent les résultats scolaires qu’à partir du collège ; (3) elle met en œuvre la méthode de l’appariement exact, dont les hypothèses sont plus réalistes que celles de la régression linéaire traditionnelle ; (4) elle utilise des catégories fines de l’origine migratoire qui permettent, davantage que les travaux cités et après d’autres (Brinbaum, Moguérou & Primon, 2012 ; Ichou, 2013), de remettre en question l’homogénéité scolaire de la « seconde génération » ; (5) elle propose un principe explicatif unique des différences scolaires entre groupes au sein de chaque pays et entre la France et l’Angleterre.
51Après avoir décrit les formes de la stratification des résultats scolaires selon l’origine migratoire en France et en Angleterre, nous avons proposé une explication des différences scolaires entre groupes et entre pays qui accorde une place centrale aux propriétés sociales des parents immigrés dans leur pays de résidence, mais aussi dans leur pays d’origine. Une fois tenues constantes les caractéristiques des familles immigrées dans le pays d’immigration, la position éducative relative des immigrés dans leur pays d’origine semble pouvoir expliquer les différences restantes entre groupes dans les écarts de résultats scolaires avec le groupe majoritaire en France et en Angleterre, ainsi que la meilleure réussite scolaire des descendants d’immigrés en Angleterre.
52Davantage que les différences institutionnelles entre systèmes scolaires ou que les différences culturelles entre groupes d’immigrés, il semble donc que les processus plus classiques d’héritage des positions éducatives soient à l’œuvre (Rothon, Heath & Lessard-Phillips, 2009). Les propriétés sociales et scolaires des parents immigrés dans leurs sociétés d’origine et de destination permettent de rendre compte des modalités de stratification des résultats scolaires de leurs descendants.
53Pour finir, il est utile d’insister sur la dimension partielle des analyses présentées. D’abord, la faible taille des groupes et l’espace restreint n’ont pas permis l’examen des interactions entre les effets de l’origine migratoire et du sexe sur les résultats scolaires. Plus fondamentalement encore, si l’importance des propriétés pré-migratoires comme principe de différenciation des scolarités des descendants d’immigrés est démontrée ici, la construction des inégalités scolaires s’effectue par la rencontre, dans l’école, des propriétés et dispositions des élèves avec les exigences scolaires. Les analyses produites ici pourront donc s’enrichir par l’articulation avec des recherches ethnographiques attentives aux variations locales et qui décrivent plus finement la formation des inégalités scolaires dans les interactions à l’école et en classe.