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Notes critiques

Orange Sophie. L’autre enseignement supérieur. Le BTS et la gestion des aspirations scolaires

Paris : PUF, 2013, 228 p.
Jean-Yves Seguy
p. 130-132
Référence(s) :

Orange Sophie. L’autre enseignement supérieur. Le BTS et la gestion des aspirations scolaires. Paris : PUF, 2013, 228 p.

Texte intégral

1Les recherches sur la réussite universitaire ou sur les conditions d’entrée et d’adaptation en première année de licence se sont beaucoup développées depuis quelques années. Les travaux portant sur le public spécifique des sections de technicien supérieur (STS) en revanche étaient jusqu’alors quasi inexistants. L’ouvrage de Sophie Orange vient à point nommé pour combler ce manque. Gageons que cette recherche fera date, et qu’il sera désormais impossible de mener des investigations sur cette filière particulière de l’enseignement supérieur sans faire référence à cet imposant travail.

2Cet ouvrage est issu d’un travail de thèse dirigé conjointement par Stéphane Beaud et Gilles Moreau. Il s’agit pour S. Orange d’interroger l’existence, les fondements et les modes de fonctionnement des STS, afin de mieux comprendre la manière dont leurs élèves évoluent tout au long de leur passage dans ces formations. L’auteur souhaite ainsi poser les bases d’une sociologie des aspirations scolaires. Les STS, fort peu étudiées, ont souvent été associées à leur faux jumeau : les Instituts universitaires de technologie (IUT). L’ouvrage montre que les populations de ces deux formations de niveau bac + 2 sont radicalement différentes, tant sur le plan de leur origine que sur celui de leurs aspirations et de leur manière de s’approprier la formation dans laquelle elles évoluent. Pour montrer la particularité de la population des STS, S. Orange propose de les considérer comme des « formations sélectives de masse ». Cet oxymore résume toute l’ambiguïté de cette filière relevant de l’enseignement supérieur sans bénéficier de la même reconnaissance que les autres formations de ce niveau, sélective à l’entrée comme les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et les IUT, mais accueillant un plus grand nombre d’étudiants (19,4 % des bacheliers en 2010, contre 8,4 % pour les IUT et 7,5 % pour les CPGE).

3S. Orange se propose d’étudier la manière dont les étudiants traversent les STS. Elle analyse les facteurs qui conduisent les élèves de terminale à poser leur candidature pour ces classes, puis s’intéresse à la manière dont ils construisent leur parcours d’étudiant au sein de cette institution et considère enfin leur mode de sortie, en examinant en particulier la place qu’occupent la poursuite d’étude et l’insertion professionnelle directe dans l’après STS. Pour ce faire, elle met en place pendant trois ans un suivi de cohorte portant sur 900 étudiants : quatre passations de questionnaires complétées par une série d’entretiens. La base de données est exploitée de trois manières : une analyse diachronique, une analyse en coupe permettant de repérer les pratiques et les représentations à un moment donné et enfin un examen d’itinéraires individuels mené dans une perspective plus qualitative. Cette richesse et cette diversité des méthodes permettent d’appréhender de manière fine aussi bien des mécanismes généraux de choix que des processus individuels complexes. La méthode permet en outre d’éviter un écueil important, celui des reconstructions auxquelles les sujets interrogés se livrent nécessairement. En repérant les aspirations et perspectives des étudiants dès leur arrivée en STS, il est possible de saisir des évolutions infimes et, partant, de considérer le jeu des références familiales, du groupe de pairs, des attentes perçues, qu’une étude rétrospective aurait sans doute laissé de côté.

4Dans la première partie, « L’enseignement supérieur des autres », S. Orange montre clairement, en empruntant un détour historique, que, dès leur création en 1959, les STS apparaissent comme des formations hybrides à la frontière de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur. Elles entrent en concurrence avec les IUT à partir de 1966, mais sont appelées très rapidement à s’en démarquer par le double jeu de la « banalisation et de l’ouverture », là où les IUT sont présentés comme s’inscrivant dans la voie de la « rareté et de l’élitisme » (p. 22). Ce processus est particulièrement intéressant car, comme le précise S. Orange dans l’introduction, l’étude des populations fréquentant les STS nous donne à comprendre certains aspects du mouvement de démocratisation de l’enseignement qui s’opère dans la deuxième moitié du xxe siècle. La banalisation a ainsi « contribué à la création d’une nouvelle population étudiante et a participé à l’instillation de l’idée d’enseignement supérieur chez des élèves qui ne l’envisageaient pas jusqu’alors » (p. 27). Cette situation permet ainsi à des bacheliers d’origine populaire de s’emparer de la norme scolaire des poursuites d’études. Les cartes ne sont cependant redistribuées que de manière partielle. S. Orange montre en effet qu’alors qu’une majorité de bacheliers articulent leurs vœux entre IUT, CPGE, première année de licence, les bacheliers envisageant une STS ne considèrent souvent que cette voie de formation. Ces données accréditent l’idée d’« un marché segmenté qu’un grand nombre d’étudiants n’appréhendent que par morceaux » (p. 38). L’enseignement supérieur apparaît ainsi comme se donnant à voir de manière partielle pour certains élèves de terminale. Il y a un principe de conformité, d’« ordinarité » comme le mentionne l’auteur, qui rend le choix d’une STS quasiment « naturel » pour certains étudiants de milieu populaire, mettant ainsi en cause le principe d’une offre ouverte d’orientation dans l’enseignement supérieur.

5La deuxième partie, « Un petit supérieur », montre comment s’opère le processus de sélection et la manière dont les profils sont ensuite façonnés pendant les deux ans de formation. La concurrence d’autres formations sélectives (CPGE et IUT) conduit les équipes enseignantes à valoriser des dossiers d’élèves « maison » (qui avaient suivi leur scolarité secondaire dans l’établissement accueillant la STS demandée), d’élèves modestes, appliqués et impliqués pour lesquels la formation apparaît comme une fin et non comme le moyen d’une poursuite d’études à plus long terme. S. Orange montre en outre qu’en première année, les enseignants s’appliquent à mettre en œuvre une forme de « recadrage » incitant les élèves à se dégager de la logique du métier d’étudiant auquel ils auraient pu prétendre. L’ouvrage permet de mettre en évidence un double processus convergent conduisant les étudiants à une forme de « remise de soi » à l’institution, les enseignants encourageant en retour ces comportements, s’engageant même jusqu’à une forme de confiscation de l’autonomie.

6La troisième partie, « La gestion des aspirations », permet de repérer la manière dont les étudiants se projettent dans l’après STS. Elle est particulièrement intéressante, montrant encore plus nettement l’ambiguïté de cette formation qui génère de l’échec, des formes de désaffiliations, mais aussi des effets de réassurance scolaire. Cette expression de réassurance scolaire trouve sans doute son aboutissement dans un fait que S. Orange met bien en évidence, celui d’un taux de conversion non négligeable d’étudiants qui, en entrant en STS, envisageaient d’arrêter leur scolarité au terme de leurs deux années de formation et qui, insérés dans « une configuration collective qui induit le renforcement des aspirations » (p. 125), bénéficiant du soutien de la classe et des professeurs, envisagent une poursuite d’étude. S. Orange analyse précisément ces mécanismes au moyen d’une analyse factorielle des correspondances. Les rigidités académiques rappellent toutefois violemment à l’ordre certains, qui ne peuvent pas mettre en œuvre leur projet de poursuite d’études pour des raisons analysées précisément par l’auteur. L’analyse du paradoxe de la situation des STS se poursuit ainsi avec la présentation du double jeu d’une formation tout à la fois « espace de réassurance » et « lieu d’un rappel des limites inhérentes aux positions sociales professionnelles futures de ces étudiants » (p. 149).

7La dernière partie, « Les petites mobilités scolaires », prolonge l’analyse en montrant comment les étudiants de STS gèrent la confrontation entre les configurations amicales et sociales de leur milieu d’origine et la trame étudiante à laquelle ils sont supposés se soumettre. Cette partie est également l’occasion d’une approche complémentaire des trajectoires individuelles inscrites dans des trajectoires familiales complexes.

8Si l’on excepte quelques infimes réserves sans aucun doute liées au format de l’ouvrage qui ne permettait pas de développer certaines analyses, en particulier celles relatives aux éventuelles différences entre STS du secteur de la production et des services, ce travail apparaîtra particulièrement intéressant pour deux raisons au moins. Il permet en premier lieu de confirmer certaines idées qui jusqu’alors relevaient plutôt de l’intuition : la position ambigüe des STS, entre enseignement secondaire et enseignement supérieur, les processus de choix implicitement contraints du fait des origines sociales et scolaires des élèves. Il ouvre en second lieu sur des résultats qui apparaissent, de l’avis même de l’auteur, assez inattendus. Évoquons en particulier l’élévation des ambitions scolaires des étudiants de STS, en particulier dans les établissements installés en milieu rural. « Le caractère fortement intégrateur de ces formations, plutôt que de peser lourdement sur les destins, soutient plutôt les scolarités et les encourage » (p. 188). Autre idée reçue que l’ouvrage remet en cause, la tendance à l’assimilation entre STS et IUT. Cet amalgame ne résiste pas à l’analyse de la sociologue, qui montre que ce rapprochement contribue à jeter un regard faussé sur les spécificités de ces deux types de filières.

9Un ouvrage particulièrement précieux donc, pour les chercheurs, les praticiens… et les décideurs qui sont indirectement interpellés en conclusion, lorsqu’est évoquée la volonté, pour faire face à l’échec à l’université, d’aiguiller préférentiellement les bacheliers technologiques et professionnels vers les STS, renforçant sans doute ainsi la définition d’un positionnement particulier de cette filière de formation.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Yves Seguy, « Orange Sophie. L’autre enseignement supérieur. Le BTS et la gestion des aspirations scolaires »Revue française de pédagogie, 184 | 2013, 130-132.

Référence électronique

Jean-Yves Seguy, « Orange Sophie. L’autre enseignement supérieur. Le BTS et la gestion des aspirations scolaires »Revue française de pédagogie [En ligne], 184 | 2013, mis en ligne le 22 avril 2014, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/4273 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.4273

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Auteur

Jean-Yves Seguy

Université Jean-Monnet de Saint-Étienne, EA Éducation, Cultures, Politiques

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