Elalouf Marie-Laure, Robert Aline, Belhadjin Anissa & Bishop Marie-France (dir.). Les didactiques en question(s). État des lieux et perspectives pour la recherche et la formation
Texte intégral
1L’ouvrage, qui regroupe les contributions d’une soixantaine d’auteurs, constitue de fait les actes du colloque du même nom, tenu les 7 et 8 octobre 2010 à l’université de Cergy-Pontoise. Les responsables d’édition ont procédé à une sélection des textes initialement retenus pour le colloque, les ont articulés et regroupés pour une mise en perspective en vue d’une lecture cohérente de l’ouvrage. Celui-ci se subdivise en deux parties reprenant respectivement chacun des thèmes du sous-titre : d’une part un état des lieux et, d’autre part, une réflexion sur une transposition des recherches vers la formation. Malgré cette mise en ordre, rendre compte d’une diversité touchant tant aux contenus des articles qu’aux didactiques disciplinaires distinctes auxquelles ils renvoient, et dont se revendiquent leurs auteurs, n’est pas chose simple.
2Dans ce sens, la préface signée de G. Vergnaud souligne la nécessité d’apporter, plus que de coutume, une attention particulière à chacune des contributions afin de pouvoir formuler une synthèse personnelle de la lecture de l’ouvrage. Ce « père co-fondateur » de la didactique des mathématiques, à côté de G. Brousseau et d’Y. Chevallard, choisit pour lui-même de tourner son regard une trentaine d’années en arrière, en le portant sur le rapport Carraz établi à la demande du ministre de la Recherche de l’époque. Un tel décalage temporel lui permet de mesurer l’évolution du champ des recherches qui se réclament de la didactique.
3Son premier constat est d’ordre quantitatif. En 1983, les recherches en didactique ne portaient guère que sur quelques disciplines (essentiellement les mathématiques, la physique et le français). Désormais, à la lecture de ce livre, presque toutes sont concernées par des recherches en didactique. Par disciplines il faut entendre en premier lieu, comme c’est le cas de la quasi-totalité des contributions à l’ouvrage, les « disciplines scolaires ». Mais G. Vergnaud souligne l’importance d’une sortie de ce qui relève du scolaire proprement dit. Un deuxième constat est d’ordre qualitatif. Les recherches en didactique s’élargissent vers des prises en compte nouvelles : formation professionnelle, élèves en difficulté, interdisciplinarité, nouvelles technologies. Sans méconnaître l’utilité d’une didactique du curriculum présente à travers certaines des contributions de l’ouvrage, il insiste aussi sur la nécessité première, pour la didactique, d’étudier et de produire des situations d’enseignement et d’apprentissage. On retrouve en ce point une convergence avec les finalités assignées à l’ouvrage.
4La responsabilité de la conclusion est laissée à J.-L. Martinand, didacticien des sciences et techniques et spécialiste de l’étude du curriculum. Resituant le débat au sein de l’actualité de l’époque, octobre 2010 et la mise en place de la mastérisation de la formation des enseignants sur laquelle revient M.-L. Elalouf en introduction à la deuxième partie du livre, il se demande fort à propos : « Que souhaitons-nous faire avec nos didactiques ? » L’ébauche d’une réponse passe par la proposition de quelques axes de réflexion. Parmi ceux-ci, la question des fonctions de la recherche en didactique, entre recherche fondamentale d’une part, intervention et expertise d’autre part. Cette mise en tension est, de son point de vue, à articuler avec les chamboulements curriculaires qu’il pressent pour le xxie siècle, tant pour le primaire et le secondaire que pour les contenus et les démarches d’enseignement. On ne peut que souligner dans ces propos une convergence de vue avec les analyses menées par un autre didacticien, absent du colloque de Cergy mais qui intervenait dans la même direction au même moment, le 15 octobre 2010, à l’Institut de mathématiques de l’université de Liège. Y. Chevallard y exposait ce qu’il percevait des évolutions sociales et scolaires du tournant du siècle : un changement qui va du dépérissement du « paradigme de la visite des œuvres » à l’émergence de celui du « questionnement du monde ». J.-L. Martinand avance de son côté l’idée du développement de programmes de recherches selon deux directions. D’une part des recherches « sur les contenus », dont les résultats s’adresseraient en premier lieu aux décideurs institutionnels. D’autre part des recherches sur la mise à l’épreuve de ce qui est du domaine du possible en matière de transformations des pratiques enseignantes. Leur mise en œuvre et les résultats qui en découleraient s’adresseraient aux enseignants, établissements, associations et collectivités territoriales. Il est frappant de retrouver derrière cette proposition une problématique de recherche-développement portée dès 2011 par l’Institut français de l’Éducation, notamment à travers la mise en place des Lieux d’éducation associés. On mesure ici encore la convergence entre l’actualité des réflexions sur les recherches en didactique et les dispositifs existants ou qui voient le jour pour les porter.
5Entre préface et conclusion, le corps de l’ouvrage se subdivise, comme on l’a dit, en deux grandes parties : un état des lieux des recherches en didactiques et une partie consacrée à la formation. Chacune d’entre elles est bâtie autour de six ou sept chapitres composés eux-mêmes de trois ou quatre contributions de dix à douze pages. L’effet d’habit d’arlequin qui en résulte peut être perçu de façons différentes, selon le type de lecteur : pour les uns, une difficulté certaine pour dégager une cohérence d’ensemble et, pour les autres, la possibilité d’une entrée sélective, par contribution, au gré de libres déambulations dans l’ouvrage. Ayant pris le parti de la deuxième option, on trouvera ci-dessous, et à titre de bref compte rendu, un résumé de deux contributions : une pour chaque partie du livre.
6La première, signée par M. Hersant, trouve place au sein du chapitre 5 de la partie I. Celui-ci est intitulé « Approches épistémologiques et intelligibilité des contenus », et le texte rédigé par M. Hersant s’inscrit pleinement dans la réflexion sur le changement de paradigme scolaire évoqué précédemment. Ce texte pointe les difficultés didactiques, tout à la fois propres tant au travail des enseignants qu’aux contenus des apprentissages effectifs, rencontrées lors de la mise en œuvre de prescriptions institutionnelles portant la volonté d’engager les élèves dans un travail de recherche : « les problèmes pour chercher » (école primaire) et « la démarche d’investigation » (primaire et secondaire). À la lecture des documents officiels définissant ces deux dispositifs, il y a en effet matière à réflexion, tant aux plans didactique qu’épistémologique ; ce qui n’avait antérieurement pas échappé aux didacticiens. Cet article entre en consonance avec les productions du groupe de travail 10 du dernier colloque de l’Espace mathématique francophone, en février 2012 à Genève. L’intérêt du texte de M. Hersant réside en des propositions de réponses aux difficultés rencontrées. Celles-ci s’appuient sur les travaux menés au CREN de Nantes, notamment sur ceux de C. et D. Orange et ceux de M. Fabre sur la problématisation.
7La seconde, signée par M.-L. Elalouf, est l’introduction à la deuxième partie du livre, consacrée aux recherches sur la formation. Y sont rappelés les résultats établis lors de précédents colloques, notamment celui de 2009 à Clermont-Ferrand. Les contributions qui nourrissent cette deuxième partie sont catégorisées selon qu’elles décrivent des scénarios de formations dites « ascendantes ou descendantes ». Les scénarios ascendants visent « à modifier les connaissances des débutants en modifiant leur pouvoir d’agir ». Ceux à dominante descendante visent « à modifier le pouvoir d’agir des débutants en modifiant leurs connaissances ». Les contributions qui suivent sont alors majoritairement signées de formateurs d’IUFM.
8Enfin, signalons une réflexion personnelle mais qui sera sans doute partagée par d’autres didacticiens. Une question, d’ordre grammatical, interroge en effet le lecteur dès sa rencontre avec le titre de l’ouvrage : « didactiques » est écrit au pluriel, tandis qu’est laissé le choix entre singulier et pluriel pour « question(s) ». Les parenthèses enserrant ce dernier « s » peuvent être interprétées comme relevant d’une figure de style assurant un balancement dans l’interprétation. Mais une interrogation surgit sur l’écriture plurielle « didactiques » : ce pluriel incline à penser qu’il ne saurait y avoir que des didactiques situées forcément dans une relation étroite avec la spécificité des divers savoirs à enseigner. Il existe cependant un authentique débat dans la communauté des chercheurs en didactique : faut-il absolument distinguer selon des savoirs dont la spécificité relève de processus historiques, institutionnels, scolaires, scientifiques, sociaux ? Ou bien existe-t-il la possibilité d’une science nouvelle, la didactique, qui prend pour objet d’étude le didactique en tant que phénomène social, voire anthropologique, et qui porte son regard sur « l’homme à l’étude » ? La science didactique balaierait alors un espace qui va du spécifique, disciplinaire ou autre, au générique selon les institutions humaines ou sociales qui relèvent du didactique. L’article d’introduction que signe A. Robert, qui connaît ce débat mené à la fois par l’approche comparatiste en didactique et par la théorie anthropologique du didactique, toutes deux fort peu représentées dans l’ouvrage, éclaire quant à lui sur le choix revendiqué du pluriel de « didactiques ». Un tel choix s’ancre dans la complexité propre à l’enseignement scolaire contemporain qui se décline par champs disciplinaires, dans la dépendance étroite avec une discipline-mère. Un tel constat doit-il être pris comme un état de fait, à caractère ontologique, ou bien comme un moment dans l’histoire du développement d’un champ scientifique en construction ?
9En tout état de cause, compte tenu de la multiplicité des contributions, le lecteur trouvera dans cet ouvrage des textes qui lui permettront, selon ses centres d’intérêt, soit de prendre connaissance de ces diverses didactiques disciplinaires, soit d’approfondir sa réflexion, ou enfin de trouver des pistes pour la formation.
Pour citer cet article
Référence papier
Yves Matheron, « Elalouf Marie-Laure, Robert Aline, Belhadjin Anissa & Bishop Marie-France (dir.). Les didactiques en question(s). État des lieux et perspectives pour la recherche et la formation », Revue française de pédagogie, 183 | 2013, 167-169.
Référence électronique
Yves Matheron, « Elalouf Marie-Laure, Robert Aline, Belhadjin Anissa & Bishop Marie-France (dir.). Les didactiques en question(s). État des lieux et perspectives pour la recherche et la formation », Revue française de pédagogie [En ligne], 183 | avril-mai-juin, mis en ligne le 16 décembre 2013, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/4194 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.4194
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