Daunay Bertrand, Reuter Yves & Thépaut Antoine. Les contenus disciplinaires. Approches comparatistes.
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif est issu du deuxième colloque de l’Association pour des recherches comparatistes en didactique (ARCD, janvier 2011 à Lille) même si, comme les éditeurs le précisent en avant-propos, il n’en constitue pas pour autant les actes. Le thème retenu des contenus disciplinaires (faisant intervenir les notions concomitantes de disciplines et de contenus) paraît à la fois fondateur et pérenne dans la perspective de didactique comparée qui est celle des auteurs de l’ouvrage. En introduction de l’ouvrage, B. Daunay et Y. Reuter arrivent sans peine à convaincre de la nécessité de faire se rencontrer les différentes didactiques autour de cette thématique. D’une part, la légitimité même des didactiques dépend de leur capacité à définir leur objet propre d’étude, le contenu disciplinaire constitutif d’une didactique donnée. D’autre part, le projet comparatiste ici défendu pourrait contribuer à élucider des aspects spécifiques (voire génériques ?) des questionnements ou approches didactiques sur l’enseignement et l’apprentissage des contenus disciplinaires. Dans leur propos introductif, B. Daunay et Y. Reuter présentent trois axes à même de structurer la problématisation de la thématique retenue : les catégories de contenus et leur mode d’organisation selon les disciplines, les manières dont les contenus spécifient l’enseignement et les apprentissages disciplinaires, les modes de circulation des contenus entre les disciplines. Ces trois axes de questionnement ne sont toutefois pas ceux retenus pour structurer la suite du livre, les contributions rassemblées faisant de fait souvent émerger deux, voire trois de ces axes de manière simultanée.
2À la suite de cette introduction, 4 parties numérotées rassemblent 14 contributions, représentatives d’au moins 7 ou 8 matières scolaires (EPS, français, histoire, mathématiques, philosophie, sciences, technologie, etc.). Les deux premières parties permettent d’explorer des variations des contenus selon les disciplines en lien avec les pratiques enseignantes (partie 1) et du point de vue des élèves (partie 2).
3Dans la partie 1, il s’agit de comparer des pratiques d’enseignement de matières scolaires en partant d’un « objet » commun qui, selon les cas, s’avère méthodologique (outil d’analyse des pratiques langagières), pragmatique (supports d’affichage à l’école, objet technique) ou notionnel (enseignement de l’énergie). Ce point d’ancrage commun peut solliciter les disciplines de façon indépendante ou convoquer à les croiser dans une logique que l’on peut qualifier de pluri- voire d’interdisciplinaire. Du fait de ces entrées multiples, cette première partie est plus hétéroclite que les suivantes. Notons toutefois qu’un point de convergence entre les contributions pourrait être la vigilance épistémologique nécessaire pour penser l’articulation de contenus liés à des matières scolaires différentes : qu’il s’agisse par exemple des pratiques enseignantes qui peinent visiblement à penser un enseignement intégré des technologies et des sciences (C. Fortin, C. Lasson & M. Coquidé) ou de « l’importation d’outils méthodologiques d’une didactique à une autre » (M.-F. Carnus & C. Garcia-Debanc, p. 72).
4Les contributions rassemblées dans la partie 2 visent la comparaison des phénomènes d’enseignement et d’apprentissage dans des disciplines différentes. Une partie des contributions met en lumière des aspects de ces phénomènes didactiques spécifiques de l’épistémologie des contenus concernés comme, par exemple, la problématisation théorique et technique de contenus en SVT et en EPS (B. Lebouvier & Y. Lhoste) ou la construction de l’événement et du phénomène en histoire et en sciences de la Terre (D. Orange Ravachol & S. Doussot). On peut penser, à l’instar de C. Souplet dans sa contribution, que les éléments de cadrage théorique communs sur lesquels s’appuient les auteurs de ces contributions (apprentissage par problématisation, communauté discursive scolaire disciplinaire, distinction entre événements et phénomènes) constituent peut-être des « objets frontières » entre les didactiques des disciplines, c’est-à-dire à même d’offrir « suffisamment de souplesse pour être mobilisés dans une discipline ou une autre, mais qui conservent des traits communs interprétables par les différentes didactiques » (p. 119). En cela, ils seraient susceptibles d’être de bons candidats pour élucider en quoi les apprentissages des élèves ont maille à partir avec la dimension des contenus disciplinaires. S’appuyant sur le concept théorique de conscience disciplinaire (D. Lahanier-Reuter & Y. Reuter), l’objet des deux dernières contributions de cette deuxième partie est différent. Les auteurs y cherchent à dégager les points de vue d’élèves sur la structuration de différentes disciplines enseignées (français, mathématiques, sciences). Les dissemblances entre ces points de vue sont interrogées au regard des modes spécifiques de structuration de ces disciplines (éventuellement réservés à ces disciplines, tributaires de formes scolaires, de modes de travail pédagogique, etc.), mais aussi au regard de la différenciation sociale entre les élèves.
5La troisième partie de l’ouvrage, plus brève que les autres, réunit deux contributions qui ont ceci de commun que leurs auteurs étudient des variations de contenus au sein d’une même matière scolaire (les mathématiques et le français). La première se centre sur des aspects externes de la transposition des savoirs numériques ou géométriques au sein de ressources (ou « moyens ») d’enseignement (A. Flückiger & P. Gibel). La deuxième se centre sur la part plus interne du processus de transposition, liée à des pratiques d’enseignement des savoirs relatifs à la grammaire ou à la production d’écrits dans la classe (M. Jaubert & M. Rebière). Dans les deux cas, on voit comment les phénomènes didactiques attenants, nonobstant le fait qu’ils relèvent d’une même discipline, se différencient. Par exemple, la seconde contribution montre comment des mises en textes de savoirs en langue ou en littérature se jouent différemment en classe, les processus de décontextualisation et recontextualisation visant dans un cas le savoir, dans l’autre, sa pratique, et sollicitant dès lors des positions énonciatives différentes. Les auteurs de ces textes invitent donc le lecteur à s’interroger sur des logiques de transposition ou de pratiques de classe spécifiques de « sous-domaines » disciplinaires.
6La quatrième partie de l’ouvrage rassemble trois textes dont l’objet commun est l’étude des processus de disciplinarisation, autrement dit des processus liés à l’émergence et à la constitution de disciplines ou de « pseudo-disciplines » scolaires (le débat philosophique à l’école, le Français langue seconde et la technologie). Les deux contributions de A. Destailleur-Bigot et de C. Mendonça Dias montrent comment, s’agissant de disciplines émergentes dans le contexte scolaire ou de « pseudo-disciplines » (le débat philosophique, le FLS), les reconfigurations disciplinaires dépendent fortement de représentations que les enseignants se font des disciplines apparentées (la philosophie, le français ou le Français langue étrangère) ou des contenus en jeu (comme le débat). Se posent dès lors des questions relatives à l’autonomisation ou à l’identification des contenus disciplinaires visés. La troisième et dernière contribution de cette partie adopte une perspective plus externe à la classe et macrodidactique, à la fois historique et curriculaire, sur la disciplinarisation de la technologie. En conclusion, C. Hamon et J. Lebeaume précisent l’enjeu de leur proposition d’étude des « configurations disciplinaires » dans l’examen de divers enseignements tels que la technologie, mais aussi les sciences expérimentales, les mathématiques avec leurs variations dans différentes voies générale, technologique et professionnelle, dans une perspective de didactique comparée.
7En guise de conclusion, trois auteurs (J.-L. Martinand, C. Orange et N. Tutiaux-Guillon) ouvrent de nouvelles perspectives de recherche liées à la thématique retenue des « contenus disciplinaires » émergeant des travaux synthétisés dans les différentes parties de l’ouvrage. La contribution de J.-L. Martinand donne à voir des possibles encore à même d’être explorés à l’issue de ces travaux. Il incite à envisager diverses entrées (sociologique, historique, didactique et pédagogique) et de nouveaux découpages théoriques pour problématiser cette thématique, nécessaires en vue de dépasser les frontières des disciplines scolaires et afin d’étudier la contribution de contenus disciplinaires à ce qu’il appelle des « matières éducatives » de manière plus ouverte (p. 253). C. Orange, quant à lui, explore la variété des contributions rassemblées dans l’ouvrage et plus généralement des recherches comparatistes en didactique. Il représente de manière schématique l’espace de variations de ces travaux en dégageant trois axes principaux de comparaison entre les didactiques : l’axe des cadres théoriques et méthodologiques, l’axe des organisations scolaires et du travail du professeur et des élèves, et celui des champs des savoirs et des pratiques de référence. Ce schéma vise à amorcer la structuration du programme comparatiste, tout en en conservant une vision extensive et ouverte, visiblement chère à son auteur. Dans la dernière contribution de cette partie conclusive, N. Tutiaux-Guillon liste plusieurs « mots-clés » désignant des projets ou des objets de recherche communs aux didactiques comparées : le transfert des modèles et concepts ; la compatibilité des cadres théoriques ; la convergence permettant de mettre en évidence des aspects génériques ou spécifiques des didactiques ; les frontières entre disciplines, contenus disciplinaires et didactiques. Puis elle montre comment les approches comparatistes permettent de penser des « didactiques en mouvements » autour de différentes questions attenantes aux contenus disciplinaires et à leurs catégorisations, à la place faite aux acteurs du système didactique (élève, professeur ou institution) ou encore à la prise en compte des dynamiques à la fois sociales et disciplinaires.
8La variété des contributions réunies dans cet ouvrage donne à voir la diversité des questions et des méthodes de recherche envisagées ou envisageables sur la thématique des contenus disciplinaires dans une perspective de didactiques comparées. Cette diversité illustre la fécondité de ce thème d’étude, voire plus largement des approches comparatistes liées aux didactiques des disciplines. Le projet comparatiste sur les contenus disciplinaires permettrait entre autres de lever l’illusion de transparence sur des savoirs construits ou en cours de construction au sein des champs respectifs des didactiques disciplinaires. Toutefois, cela ne peut pas se faire sans un certain nombre de conditions en l’absence desquelles la richesse potentielle de ce projet comparatiste des didactiques disciplinaires pourrait s’avérer compromise et se muer en un foisonnement de questions et d’approches disparates qui l’affaiblirait. Certaines de ces conditions sont d’ailleurs mises en lumière dans la partie conclusive de l’ouvrage, comme la nécessité de structurer les approches comparatistes liées aux didactiques et, pour ce faire, d’identifier des projets ou des objets de recherche au cœur de ces approches. Une relecture plus approfondie de l’ouvrage permettrait d’ailleurs sans nul doute de préciser encore davantage ou d’instancier une partie de ces conditions. Des objets théoriques, méthodologiques et/ou d’étude y apparaissent comme de meilleurs candidats que d’autres dans la production de savoirs liés aux didactiques et à leur comparaison sur les contenus disciplinaires. Par exemple, il me semble qu’un point de vue qui serait trop pragmatique, c’est-à-dire centré sur des objets d’étude correspondant de manière quasi exclusive à des éléments de pratiques de classe, serait, à terme, voué à l’échec. Un tel point de vue pourrait conduire à la collecte de faits instanciés à l’enseignement d’une ou plusieurs disciplines sans que la fonction des contenus disciplinaires dans cet enseignement ne soit réellement interrogée à l’aune d’une ou plusieurs didactiques. Dans ce champ comparatiste peut-être encore plus qu’ailleurs, les apports théoriques et méthodologiques des didactiques apparaissent d’une part comme essentiels pour nourrir l’étude de phénomènes en lien avec les contenus disciplinaires mais aussi, d’autre part, comme pouvant être étudiés, voire questionnés à leur tour dans et par le biais de cette étude.
Pour citer cet article
Référence papier
Lalina Coulange, « Daunay Bertrand, Reuter Yves & Thépaut Antoine. Les contenus disciplinaires. Approches comparatistes. », Revue française de pédagogie, 183 | 2013, 162-164.
Référence électronique
Lalina Coulange, « Daunay Bertrand, Reuter Yves & Thépaut Antoine. Les contenus disciplinaires. Approches comparatistes. », Revue française de pédagogie [En ligne], 183 | avril-mai-juin, mis en ligne le 16 décembre 2013, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/4191 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.4191
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