Gruel Louis, Galland Olivier & Houzel Guillaume (dir.). Les étudiants en France. Histoire et sociologie d’une nouvelle jeunesse
GRUEL Louis, GALLAND Olivier & HOUZEL Guillaume (dir.). Les étudiants en France. Histoire et sociologie d’une nouvelle jeunesse. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009, 427 p.
Texte intégral
1L’ouvrage collectif dirigé par Louis Gruel1, Olivier Galland et Guillaume Houzel propose un ensemble riche et une synthèse fructueuse et stimulante des thématiques concernant l’enseignement supérieur et ses étudiants. Les contributions ciblent aussi bien les conditions d’études que la vie des étudiants, en évoquant des questions d’actualité telles que le niveau de vie, les loisirs et les activités culturelles, la réussite, la pauvreté, les inégalités de destin. Les auteurs s’attachent à décrire les transformations subies par l’enseignement supérieur devenu un enseignement massifié après avoir été une institution d’élite. Ce livre est organisé en deux parties différentes, mais complémentaires. La première partie (trois chapitres) présente l’enseignement supérieur français en restituant son évolution sur une période de temps relativement large (1960-1995). Dans le premier chapitre, Fischer effectue une relecture de l’histoire de la population étudiante des années soixante. La France et l’université se trouvent face à l’explosion démographique dues aux générations du baby-boom. La massification signifiait la féminisation de la population étudiante et l’amplification sans précédent de sa diversité sociale. L’auteur retrace l’histoire du syndicalisme étudiant, son éclatement, l’engagement politique des étudiants, le recours à la violence par les militants et la radicalisation de certaines fractions durant la crise de Mai 68 et les années suivantes.
2Dans le prolongement de ce chapitre, Erlich se penche sur les deux décennies suivantes pour dresser le portait de l’université de masse dans le contexte de la crise économique et de l’augmentation du chômage. L’auteur montre comment l’accroissement des effectifs étudiants est accompagné par les difficultés quotidiennes du fonctionnement pédagogique, le dysfonctionnement organisationnel, les inquiétudes sur les débouchés. L’explosion des effectifs étudiants a également été un phénomène sociétal qui a modifié profondément leur statut et leur place au sein de la jeunesse. Celle-ci est considérée comme un temps de rupture entre la fin des études secondaires et l’entrée dans la vie adulte et elle n’est plus un privilège réservé à la bourgeoisie, elle se généralise et la population étudiante devient la principale composante de ce groupe social émergent.
3Rey relate quant à lui une décennie (1987-1997) au cours de laquelle la France découvre ses universités. Il s’agit d’examiner une période déterminante pour l’avenir de l’université, à travers les interactions entre les acteurs politiques et universitaires et le mouvement étudiant. Les grandes questions telles que la sélection ou la gratuité de l’enseignement supérieur se trouvent au cœur du débat public. Cet auteur s’appuie sur plusieurs enquêtes réalisées à l’université pour évoquer une hétérogénéité accrue des origines sociales et scolaires, des attitudes, des projets et des pratiques d’études des étudiants. À la figure mythique des « héritiers » succède celle d’une génération d’étudiants plus scolaires, moins motivés et autonomes, entretenant un rapport utilitariste au savoir et aux livres. Les recherches sur cette période révèlent une population étudiante parfois mal orientée et mal intégrée, une pédagogie peu soucieuse de l’apprentissage étudiant et une offre de formation mal appréciée. Le bilan nuancéde l’université de masse conduit l’auteur à poser une série d’interrogations sur la conception de l’université, ses missions et ses rapports avec la société.
4En s’appuyant sur les cinq enquêtes triennales de l’OVE (Observatoire de la vie étudiante, 1994-2006), la seconde partie de l’ouvrage se penche sur les divers aspects de la condition étudiante. En effet l’importance prise par les nouveaux publics inscrits dans l’enseignement supérieur a contribué au développement des travaux de recherche sur la population étudiante. Ainsi l’OVE conduit-il une enquête triennale par questionnaire auprès d’au moins un vingtième des étudiants inscrits en université, en section de technicien supérieur (STS) et en classes préparatoires (soit en moyenne 25 000 étudiants). Deux cent cinquante questions permettent de recueillir des opinions, et surtout une information détaillée et objective sur le milieu social, les conditions de vie et d’études, le parcours dans l’enseignement supérieur. Le chapitre 4 est consacré aux évolutions des parcours étudiants dans les différents secteurs de l’enseignement supérieur. Duru-Bellat et Verley tentent de montrer que l’articulation entre l’évolution des formations et du public étudiant et les transformations du contexte économique constitue une tendance de fond. Les auteurs évoquent les changements en cours depuis une décennie, notamment la réforme LMD, attestant une diversification de l’offre de formation, perçue à la fois comme une adaptation à l’évolution du profil des candidats et une condition pour qu’une telle expansion soit possible. L’économie étudiante est l’objet du sixième chapitre signé par Gruel. Les étudiants cohabitants et dépendants de l’assistance parentale et les étudiants « émancipés », qui occupent un logement indépendant constituent deux pôles de la typologie proposée. L’auteur s’appuie sur les enquêtes de l’OVE pour construire un « budget » étudiant. Même si ce bilan financier demeure souvent déficitaire, l’auteur ne confirme pas la thèse d’une paupérisation du monde étudiant. Exercer une activité parallèle aux études est un phénomène assez large couvrant près de 46 % des étudiants et variant considérablement selon la filière d’études : tandis que le taux d’activité rémunérée pour les étudiants des CPGE est d’environ 15 %, un étudiant inscrit en lettres et en sciences humaines sur deux travaille pour gagner sa vie. Les étudiants échappent à la précarité économique en exerçant une activité, mais ils fragilisent la poursuite de leur cursus, car ils réussissent moins souvent que ceux qui n’en exercent pas.
5Le chapitre sur le logement étudiant (par Vourc’h) distingue deux grandes tendances : les cohabitants (36,5 % en 2006) et les « décohabitants » (63,5 %). Les cohabitants sont plus jeunes (20,5 ans de moyenne d’âge), résident en région parisienne et dans les petites villes de France. Les « décohabitants » sont plus âgés (23,5 ans de moyenne d’âge) et souvent inscrits dans une formation à laquelle ils n’avaient pas accès à proximité du domicile parental. L’auteur souligne une hausse assez nette de l’autonomie résidentielle des étudiants depuis les années quatre-vingt-dix. Zilloniz enchaîne le débat sur les conditions de vie des étudiants, en s’intéressant à la question de la santé et de l’alimentation. L’auteur dresse un bilan positif des conduites et met ainsi en cause les déclarations inquiétantes, voire alarmantes, que l’on entend parfois à propos des façons de se nourrir et s’alimenter en milieu étudiant. Cependant, malgré le degré de protection relativement élevé dont bénéficient les étudiants, les enquêtes de l’OVE révèlent leurs comportements différenciés et les inégalités selon les origines sociales et nationales.
6Les trois chapitres suivants discutent des thèmes liés aux études. Vourc’h s’attache d’une manière fouillée à faire le point sur le temps consacré aux études. L’enquête fait paraître un clivage net opposant les formations universitaires « généralistes », où les étudiants bénéficient d’une large autonomie pédagogique, aux formations les plus encadrées et où les étudiants sont très suivis. Le temps réservé aux heures de cours ou de TD et le temps consacré au travail personnel sont différemment investis : tandis que, dans les CPGE, ces deux temps sont très importants, les étudiants en STS ou en IUT consacrent peu de temps au travail personnel. Les étudiants inscrits en lettres et en sciences humaines ont proportionnellement peu d’heures d’enseignement et peu d’heures de travail personnel. L’enquête montre que plus les étudiants ont un volume de travail personnel, plus ils organisent rigoureusement leur temps au détriment de la vie sociale. Cet auteur évoque également la relation entretenue par les étudiants avec leur environnement d’études. Dans l’ensemble, l’appréciation des étudiants à propos des différents aspects de la vie interne de l’établissement n’est pas très enthousiaste (les taux de satisfaction varient entre 11 % et 38 %). L’opposition entre le secteur sélectif et l’université se manifeste une nouvelle fois, révélant l’existence de conditions d’études très différentes selon la filière suivie.
7Les loisirs et les pratiques culturelles des étudiants qui occupent le chapitre 9 portent sur la diversité notable de l’univers culturel des étudiants. Coulangeon tente de proposer une typologie opposant deux pôles d’intérêt : d’un côté les « répertoires savants », de l’autre les « répertoires populaires », les produits de la culture de masse ou les manifestations emblématiques de la « contre-culture » juvénile. Les étudiants des CPGE littéraires et des filières littéraires des universités se situent à proximité du pôle des loisirs « cultivés » et s’opposent aux étudiants inscrits en STS ou en IUT, qui apprécient davantage les pratiques du diversement estudiantin, mais aussi l’usage intensif de la télévision. Les données révèlent une recomposition des formes de la distinction culturelle qui ne s’expliquent pas uniquement par le jeu des héritages familiaux, mais qui s’inscrivent dans les modes de socialisation. Le développement des médias numériques semble rendre plus difficile le travail sur le rapport cultivé aux différentes formes de la culture émergentes ou traditionnelles. Le chapitre suivant (rédigé par Cam) relate les parcours différenciés des étudiants selon la filière et le niveau d’études. L’auteur n’assimile pas les réorientations à une situation d’échec, tout en soulignant la part du système universitaire dans le développement de ce phénomène. Une typologie de quatre groupes d’étudiants est construite en confrontant le rapport à l’université (choix ou non-choix) et le rapport à l’avenir (jugement positif ou négatif). La première figure est l’étudiant canonique qui est entré délibérément à l’université et qui a une vision positive de l’avenir. L’étudiant opportuniste est entré à l’université par défaut, mais a cependant une vision optimiste de l’avenir. L’étudiant « conformiste » a choisi l’université, mais n’a pas de projet professionnel précis. Enfin le « laissé-pour-compte » est un étudiant qui n’a pas réussi à s’inscrire dans une filière sélective et qui se rabat au moins provisoirement sur une filière universitaire.
8Giret quant à lui tente de saisir la perception par les étudiants de leur avenir professionnel, tout en mobilisant également les autres enquêtes disponibles sur cette question (notamment celle du CEREQ). Plus le diplôme est professionnalisé, moins le taux de chômage est élevé à la sortie des études. Pour l’auteur, les conditions d’insertion des diplômés de l’enseignement supérieur dépendent largement de la conjoncture économique et de ses effets sur le marché du travail. Selon les données des cinq enquêtes de l’OVE, la majorité des étudiants estime que leur formation permettra de trouver très facilement ou facilement un emploi (de 60 % à 77 % des étudiants interrogés selon l’année). Enfin le dernier chapitre (signé par Galland) tente d’expliquer la réussite universitaire en l’associant aux différents aspects des conditions de vie et aux attitudes des étudiants. Le modèle d’analyse construit à partir des variables les plus significatives de l’enquête de l’OVE fait émerger un ensemble de liens entre l’accès progressif à l’autonomie, l’intégration à l’environnement universitaire et le résultat obtenu. Les variables plus explicatives du score d’autonomie sont d’ordre démographique, familial ou spatio-temporel. L’auteur souligne les limites des données de l’OVE pour examiner toutes les dimensions de l’autonomie et de l’intégration des étudiants.
9Au total, il s’agit donc d’un ouvrage riche, qui apporte par divers points de vue de nombreux éléments à l’appui d’une idée importante pour la compréhension du monde étudiant : construire un profil de l’étudiant type et représentatif est impossible. Il n’y a plus un seul profil type d’étudiant et encore moins un « étudiant moyen ». Dans la conclusion, Gruel tente de montrer en quoi l’origine sociale, le sexe, l’âge et la filière d’études constituent les variables les plus significatives pour décrire la diversité de 2,4 millions d’étudiants. Cette précieuse radiographie du monde estudiantin est portée par les contributions des spécialistes de la question. L’ouvrage propose sous une forme condensée et facilement accessible un nombre important de données sur les différents aspects de la vie étudiante. Il faut souligner à la fois la rigueur et la complémentarité des contributions, qui posent des jalons précis et précieux pour mieux appréhender le monde étudiant dans sa diversité. Les enquêtes de l’OVE ont contribué à l’enrichissement de la sociologie de l’étudiant en France. Cette perspective quantitative peut être complétée par les apports des recherches qualitatives développées depuis les années quatre-vingt sur les étudiants et leurs expériences.
Pour citer cet article
Référence papier
Saeed Paivandi, « Gruel Louis, Galland Olivier & Houzel Guillaume (dir.). Les étudiants en France. Histoire et sociologie d’une nouvelle jeunesse », Revue française de pédagogie, 173 | 2010, 135-137.
Référence électronique
Saeed Paivandi, « Gruel Louis, Galland Olivier & Houzel Guillaume (dir.). Les étudiants en France. Histoire et sociologie d’une nouvelle jeunesse », Revue française de pédagogie [En ligne], 173 | octobre-décembre 2010, mis en ligne le 01 décembre 2010, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/2506 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.2506
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