1Depuis les années soixante-dix, les recherches sur les processus de perception, de résolution de problèmes, de prise de décisions, de manipulation d’idées ou de réflexions sur les représentations et les croyances des enseignants se sont progressivement unifiées en un paradigme : le teacher thinking. Ce courant traite de la connaissance activement acquise et utilisée par les enseignants de même que des circonstances de son acquisition et de son emploi (Calderhead, 1987). Certains estiment que cet ensemble conceptuel qui définit le teacher thinking (connaissances ou savoir, expérience pratique, convictions et attitudes, réflexion disciplinaire, professionnalisation, récit de vie des enseignants) englobe également les travaux actuels sur la formation réfléchie ou réflexive et sur l’analyse des pratiques en formation (Tochon, 2000).
2La planification est une tâche importante (Jackson, 1968), les enseignants lui consacrent beaucoup d’énergie (Yinger, 1977 ; Clark & Yinger, 1979 ; Clark & Peterson, 1986 ; Tochon, 1993) et elle se prête bien à l’étude (Tochon, 1993). Cette note de synthèse présente les constats de près de quarante ans de recherche sur la pensée des enseignants lors de la planification de leur enseignement. Elle ne se prétend pas exhaustive et ne présente pas un modèle de « comment enseigner la pensée planificatrice à de futurs enseignants » ou de « comment les enseignants doivent s’y prendre pour planifier ». Même si nous y évoquons quelques-unes des faiblesses du courant du teacher thinking, elle n’est pas non plus une prise de position critique par rapport à ce paradigme. Elle en présente les méthodologies, quelques-unes des principales observations et les modèles auxquels il a abouti.
3Cet article tente d’abord d’examiner les manières avec lesquelles les chercheurs de ce courant ont défini la planification et les méthodes d’investigation qu’ils ont employées pour l’appréhender. Nous verrons qu’un grand nombre de techniques différentes basées sur des déclarations d’enseignants ont été utilisées, parfois concurremment.
4Nous verrons dans un second temps que les chercheurs ont découvert que les enseignants recourent à différents types de planification. Ils en sont assez vite arrivés à la conclusion que ces types de planification sont inter-reliés et que parler de niveaux de planification est vraisemblablement plus proche de la réalité. En outre, nous lirons que la recherche s’est penchée sur les raisons pour lesquelles les enseignants planifient leurs interventions. Trois grandes raisons-types ont été mises en exergue par les chercheurs du teacher thinking : des raisons organisationnelles et administratives, des raisons personnelles et psychologiques ainsi que des raisons pédagogiques.
5Le corpus principal de cette note de synthèse est composé de deux grands thèmes (que nous avons subdivisés en plusieurs sections pour des raisons de facilité de présentation). D’une part, nous évoquons les contenus des pensées planificatrices ainsi que les facteurs qui influencent ces derniers (thème 1) et, d’autre part, nous présentons certains modèles grâce auxquels les chercheurs ont illustré les processus cognitifs des enseignants lors de la planification (thème 2).
6Le premier de ces thèmes (contenus de pensée et facteurs d’influence) est scindé en deux sections. La première se penche sur quelques recherches qui ont analysé ce que nous nous sommes permis de nommer les « foyers de préoccupations », c’est-à-dire les éléments auxquels les enseignants pensent lorsqu’ils planifient leurs interventions. Nous y lirons que, durant la planification, les enseignants pensent notamment aux contenus qui seront enseignés, aux objectifs pédagogiques et aux stratégies d’enseignement qui seront utilisées. La deuxième section de ce thème s’intéresse à ce que nous avons appelé les « référents décisionnels » ou « facteurs d’influence », c’est-à-dire les éléments qui affectent les pensées relatives aux foyers de préoccupation. Nous verrons que les apprenants, l’expérience professionnelle, les ressources officielles, les théories et critères personnels et le flux des activités affectent les pensées planificatrices des enseignants. Ce thème renferme également les constats de recherche relatifs aux dilemmes de la planification par lesquels les enseignants semblent articuler les foyers de préoccupation et les facteurs d’influence entre eux.
7Le deuxième thème présente les trois grandes manières selon lesquelles les pensées planificatrices ont été modélisées par la recherche. Nous lirons que les tentatives de modélisation des chercheurs se heurtent à des problèmes de représentativité de la réalité planificatrice et qu’ils se complètent plus qu’ils ne s’opposent.
8Enfin, la dernière partie de ce travail de synthèse revient sur les enseignements les plus significatifs du paradigme du teacher thinking. Ce moment de synthèse permettra également de suggérer une nouvelle illustration des processus de pensée planificatrice. En outre, nous analyserons ce qui fait les forces et les faiblesses du paradigme, de son passé et de ses développements actuels.
9Christopher Clark et Penelope Peterson (1986) ont proposé un modèle, dérivé des conceptualisations des chercheurs, comprenant les processus de pensée des enseignants. Dans la partie de ce modèle traitant de la pensée enseignante, ils distinguent trois entités étroitement inter-reliées : la planification pré-active et post-active, les pensées et décisions interactives ainsi que les représentations et croyances des enseignants. Les deux premières entités se distinguent selon que les pensées apparaissent lors de l’interaction ou en dehors de celle-ci, à savoir avant ou après elle. Si les pensées planificatrices (réunissant pensées pré-actives et post-actives) et interactives ont été distinguées, la recherche n’a que très rarement différencié la pensée pré-active de la pensée post-active. Ces deux dernières phases ont généralement été regroupées dans la notion de « planification » par les chercheurs du paradigme (Clark & Peterson, 1986).
10Diverses méthodes ont été utilisées pour analyser la planification des enseignants ; souvent, elles ont été combinées :
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le journal keeping consiste à demander aux enseignants de confectionner une trace écrite de leurs plans pour l’instruction (généralement tels qu’ils les développent habituellement) et de commenter de manière écrite le contexte dans lequel les plans sont faits, les raisons pour lesquelles ils ont sélectionné une manière d’agir plutôt qu’une autre et, parfois, après que ces plans ont été mis en œuvre dans la classe, leurs réflexions par rapport à ceux-ci ainsi que leur évaluation (Clark & Peterson, 1986). Les entrées du journal sont alors sujettes à des analyses ;
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le stimulated recall consiste à projeter ou diffuser une bande vidéo ou audio d’un épisode d’enseignement afin de permettre à l’enseignant protagoniste de cet épisode de rapporter, grâce à un entretien, ses pensées et ses prises de décision durant l’épisode d’enseignement dont il est question (Clark & Peterson, 1986 ; Charlier, 1989 ; Tochon, 1993). Cet entretien est enregistré, transcrit et fait l’objet d’une analyse. À noter que cette technique, parfois utilisée pour étudier la pensée lors de la planification post-active (souvent via une variante d’observation sans film), a surtout été employée pour l’analyse de la pensée interactive ;
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la méthode par questionnaires consiste à soumettre des questionnaires écrits à questions ouvertes et/ou fermées et à demander à des enseignants de se positionner par rapport à une série d’affirmations ou de décrire leurs processus cognitifs lors de tâches telles que la planification ou l’implémentation d’activités en classe. Les réponses à ces questionnaires sont alors analysées selon les standards usuels de cette technique ;
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le thinking aloud consiste à faire verbaliser toutes ses pensées à l’enseignant qui est en train d’effectuer une tâche telle que, par exemple, la planification d’une activité ou l’évaluation de matériel curriculaire (Clark & Peterson, 1986). Les verbalisations des enseignants sont enregistrées, habituellement sur une bande audio, mais parfois aussi sur vidéo, et transcrites sur des protocoles qui font l’objet d’une analyse ;
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les discussions de groupe consistent à faire discuter les participants autour de sujets portant sur les processus cognitifs des enseignants lors de tâches telles que, par exemple, la planification ainsi que sur les facteurs qui influencent ces processus. Généralement, ces discussions de groupe sont enregistrées et transcrites en protocoles qui sont analysés ;
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la repertory grid a surtout été utilisée dans la recherche sur les théories implicites des enseignants pour analyser l’influence des constructs personnels sur les comportements individuels (Clark & Peterson, 1986). Pour cette technique, une série de cartes, sur lesquelles sont inscrits des mots ou affirmations relatifs au domaine étudié, est présentée aux sujets. Les sujets sont invités à indiquer quelles cartes se ressemblent ou ne se ressemblent pas et à en préciser la ou les raison(s). Les explications du ou des sujet(s) sont traduites en scores qui sont analysés (analyse factorielle, analyse d’homogénéité, analyse par clusters…) ;
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la policy capturing, empruntée à la psychologie expérimentale en laboratoire, consiste à présenter à des enseignants une série de descriptions d’élèves, de situations d’enseignement hypothétiques ou de matériel pédagogique. Ces descriptions qui, pour la plupart, sont rédigées par les chercheurs, contiennent des indices qu’ils font varier d’une description à l’autre pour en peser l’importance. Les enseignants sont invités à évaluer ces descriptions. Ces jugements sont généralement enregistrés sur une échelle de Likert et les données servent communément à la production de modèles mathématiques permettant d’analyser le poids de différents indices variant dans les descriptions soumises aux enseignants.
11Les méthodes susmentionnées ont souvent été associées à des interviews, des observations de terrain et/ou des descriptions orales et écrites. Comme on peut le remarquer, la recherche sur la pensée des enseignants repose essentiellement sur des formes variées de déclarations d’enseignants relatives à leurs processus cognitifs. Le problème central est de stimuler ces déclarations et de les interpréter de manière valide et fidèle, nous y reviendrons plus loin.
12Les travaux de Robert Yinger et de Christopher Clark (Yinger, 1977 ; Clark & Yinger, 1979) ont montré, de manière empirique, que les enseignants expérimentés adoptent concurremment jusqu’à huit types différents de planification au cours d’une même année scolaire. Ces types peuvent se superposer, se succéder dans le prolongement les uns des autres ou être spécifiques à certaines activités (Yinger, 1977 ; Clark & Yinger, 1979 ; Tochon, 1993). Ils se réfèrent soit à des espaces temporels (planification annuelle, périodique, hebdomadaire, quotidienne, à long et à court termes), soit à des unités de contenus (chapitre et séquence d’activités). Deborah Sardo-Brown (1988, 1990) distingue cinq niveaux de planification qui s’emboîtent les uns dans les autres et qui se développent en spirale : annuelle, périodique, unitaire, hebdomadaire et journalière/quotidienne. Bref, pour Deborah Sardo-Brown, les types de planification coexistent et permettent d’organiser l’enseignement de manière consistante, c’est pourquoi elle préfère parler de niveaux de planification. À noter que sa proposition d’organisation en spirale des niveaux de planification n’est pas contraire aux idées d’autres chercheurs du courant du teacher thinking (notamment Clark, Yinger & Tochon).
13Gail Mc Cutcheon & Richard Milner (2002) ont montré que l’enseignant planifie ses cours longtemps avant de les implémenter (planification à long terme). De même, pour François Tochon (1993), beaucoup d’enseignants forment un premier découpage annuel à partir du programme officiel qui leur permet de ne plus avoir à consulter la totalité du programme pendant l’année scolaire. Cette première sélection et la répartition générale des contenus attribués à telle ou telle période de l’année servent ensuite de base pour la conception de plans plus détaillés (Tochon, 1993). Ali Yildirim (2003) a montré que la planification annuelle des enseignants sert à assurer une certaine consistance dans la sélection et l’organisation des contenus au sein des différents niveaux scolaires, dans la durée allouée à chaque unité d’enseignement, dans les sorties extra-muros, dans l’évaluation…
14Christopher Clark et Robert Yinger (1979) ont investigué la relative importance des différents types de planification. Ils ont montré que la planification « par chapitre » (unitaire) est plus souvent citée par les enseignants comme étant la plus importante ; viennent ensuite les planifications hebdomadaire et journalière. Seulement 7 % des enseignants de leur échantillon listent la planification par séquence d’activités (leçon) parmi les trois types de planification les plus importants. Ann Favor-Lydecker (1981) a, quant à elle, décrit cinq styles différents de planification unitaire : la planification coopérative enseignant-enseignés, le brainstorming, la planification par liste et séquence, la planification séquentielle par événements incontournables et la planification par formulation de buts et d’objectifs.
15Les enseignants planifient pour organiser le fonctionnement de l’année scolaire. Christopher Clark et Janis Elmore (1979) ont constaté que la planification enseignante, durant les cinq premières semaines de l’année scolaire, était en premier lieu centrée sur la configuration de l’environnement physique de la classe, l’évaluation ou l’estimation des habiletés des élèves et l’établissement du système social de la classe. À la fin de la quatrième semaine de l’année scolaire, l’enseignant a établi un système de programme, de calendrier, d’horaire, de routines et de groupements pour l’instruction. Ils ont remarqué que ces caractéristiques sociales et structurelles de la classe persistent alors durant l’année scolaire et servent de structure ou de charpente à l’intérieur de laquelle les enseignants planifient des chapitres spécifiques et des activités particulières. D’autres auteurs (Newell & Simon, 1972 ; Anderson & Evertson, 1978 ; Tikunoff & Ward, 1978 ; Buckley & Cooper, 1978 ; Shultz & Florio, 1979 ; Joyce, 1978-79 ; Gauthier, 1997 ; Mc Cutcheon & Milner, 2002) ont montré que la configuration physique de la classe, dans laquelle l’enseignant et les élèves opèrent, est définie très tôt dans l’année scolaire. Ils ont également mis en exergue que cette configuration physique change très peu durant cette même année scolaire et exerce une influence subtile mais puissante sur les processus de pensée et sur le comportement de l’enseignant.
16Les enseignants planifient pour simplifier l’acte d’enseignement (Sardo-Brown, 1990) et pour satisfaire leurs besoins personnels. Pour Robert Yinger (1977), planifier répond à un besoin de simplification et d’efficience du management temporel. Selon Christopher Clark et Robert Yinger (1979), les enseignants planifient pour répondre à un (ou des) besoin(s) personnel(s) et immédiat(s), pour organiser l’environnement éducatif, pour trouver les moyens d’atteindre les buts de l’enseignement, pour servir une fonction directe durant l’instruction et pour organiser les activités d’enseignement et d’apprentissage. La planification est donc un moyen pour l’enseignant de simplifier ses procédures et d’en accroître l’efficacité dans un temps limité (Bromme, 1982 ; Creemers & Westerhof, 1982 ; Wanlin & Bodeux, 2006). Christopher Clark et Janis Elmore (1981) ont montré que planifier sert à permettre de diminuer les niveaux d’incertitude et de non-prédictibilité sous-jacents à chaque situation d’enseignement.
17La planification sert à mémoriser une « image de la leçon », c’est-à-dire le cours et le flux des séquences, de la semaine, etc. (Morine-Dershimer & Vallance, 1976 ; Morine, 1976 ; Morine-Dershimer, 1977, 1979 ; Smith & Sendelbach, 1979 ; Tochon, 1993). Pour Edward Smith et Neil Sendelbach (1979), ces plans mentaux sont complétés et suppléés par des notes télégraphiques et des listes de points importants que l’enseignant veut être certain de ne pas oublier. Les deux chercheurs ont décrit le processus de l’activation du plan de l’unité comme étant celui d’une reconstruction de mémoire du plan plutôt que celui d’un suivi méticuleux des lignes directrices fournies dans le guide pour l’enseignant. Ceci permet probablement à l’enseignant de rester flexible par rapport à la situation d’enseignement. Selon Clermont Gauthier (1997) une bonne planification est caractérisée par la minutie, non par la rigidité. D’après Richard Shavelson et Paula Stern (1981), les enseignants qui planifient de manière large, c’est-à-dire, de manière à pouvoir rester flexibles sont davantage appréciés par leurs élèves et assurent une meilleure motivation et de meilleures attitudes de leur part vis-à-vis de l’enseignement que les enseignants qui planifient de manière stricte et très détaillée. Ces derniers étant moins sensibles à leurs apprenants selon les constats mis en exergue par John Zahorik (1975). Pour eux et pour Clermont Gauthier (1997), ceci signifie que le travail de planification peut s’avérer contreproductif si les enseignants ne parviennent pas à s’en dégager lorsque la situation le requiert et si l’enseignant n’adapte pas l’activité en fonction des besoins des apprenants.
18Robert Yinger et Christopher Clark (1982, 1983) ont plus profondément analysé cette tendance des enseignants à visualiser, élaborer et modifier mentalement leurs plans dans une étude sur le jugement des enseignants lors de la planification. Ils ont montré que la visualisation de l’activité enseignante, comme étant jouée dans le contexte spécifique de leurs propres classes, semble être un trait essentiel du processus de planification. Toutefois, Gail Mc Cutcheon et Richard Milner (2002) estiment que les recherches antérieures n’ont pas clairement défini cette conception d’image mentale, rendant difficile toute interprétation. D’après leur étude, si cette conception signifie que la planification consiste simplement en une série d’attentes et de prévisions, alors l’enseignant planifie par image mentale. Si, par contre, cette conception signifie que l’enseignant s’imagine lui-même, avant l’interaction, en train d’enseigner son plan dans sa classe (cf. Yinger & Clark, 1982, 1983), alors une telle planification n’est pas utilisée par l’enseignant.
19La planification sert à séquencer et organiser des routines (Yinger, 1977 ; Clark & Yinger, 1979 ; Tochon, 1993). Selon Robert Yinger (1979), les routines sont des procédures ou des structures établies dont la fonction principale est de contrôler et de coordonner des séquences comportementales spécifiques. Elles permettent d’établir et de réguler les activités instructionnelles et de simplifier le processus de planification. Pour Robert Yinger (1979), elles jouent un rôle tellement important dans les comportements planificateurs de l’enseignant que la planification pourrait être définie comme une prise de décision concernant la sélection, l’organisation et la « séquenciation » de routines. De même pour François Tochon (1993), les enseignants établissent des procédures routinisées adaptées à leur personnalité et au contexte dans lequel ils interviennent pour contrôler et coordonner des séquences spécifiques de comportements. Pour Robert Yinger (1977, 1979), il y a quatre niveaux de routines enchâssés :
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les routines d’activité : ces routines fonctionnent pour contrôler et coordonner les composantes et les caractéristiques constitutives spécifiques aux activités ;
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les routines d’enseignement : ces routines correspondent à des méthodes, procédures ou styles instructionnels établis par l’enseignant pour effectuer certaines interventions pédagogiques. Elles sont développées au fil de l’expérience : les éléments qui ont porté leurs fruits sont répétés. Elles sont généralement communes à plusieurs activités et permettent d’atteindre certains objectifs ;
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les routines de gestion : elles correspondent à des procédures établies pour contrôler et coordonner l’organisation de la classe et les comportements en son sein mais ne sont pas spécifiquement associées à une activité spécifique. Elles sont souvent utilisées dans le cadre de l’organisation des activités entre elles, de la gestion des transitions entre activités, de la distribution et la collecte du matériel ou des supports, etc. ;
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les routines d’exécution des plans renvoient à des principes d’organisation et de contrôle de l’activité de planification elle-même sous la forme d’une méta-routine de gestion des autres routines. Elles fonctionnent pour contrôler et coordonner la planification et sont basées sur l’expérience de planification.
20Selon François Tochon (1993) et Robert Yinger (1977, 1979), les routines présentent plusieurs avantages. D’abord, elles réduisent le travail mental de traitement et de stockage de l’information en élevant le niveau de contrôle de l’activité, d’une part, par la diminution du nombre d’indices à traiter simultanément et, d’autre part, par la réduction du nombre de décisions à prendre tout en minimisant le besoin de planifier chaque élément d’une activité. Elles réduisent les temps d’interruption nécessaires au traitement d’informations. Ensuite, elles augmentent la prédictibilité de l’action enseignante pour les élèves et la stabilité des activités. Enfin, elles augmentent la souplesse et l’efficacité de l’enseignement. Bref, les routines permettent d’éviter une approche trop analytique des interactions en fournissant un modèle souple qui facilite leurs assimilations mais qui reste toujours une hypothèse de travail testée en cours d’action et en constant perfectionnement (Tochon, 1993). Les routines sont donc un des produits principaux de la planification (Yinger, 1977 ; Bromme, 1982 ; Creemers & Westerhof, 1982) et, inversement, la planification permet de les organiser (Yinger, 1977, 1979 ; Clark & Yinger, 1979 ; Tochon, 1993), de les amender, de les adapter, voire de les générer ou de les créer.
21La planification sert la mission de transformation et de modification du programme ou du curriculum pour correspondre aux spécificités de chaque situation d’enseignement (Clark & Peterson, 1986 ; Clark & Yinger, 1987 ; Tochon, 1993). Le programme et le matériel qui l’accompagne ont une grande importance sur la planification puisqu’elle les transpose en image de l’expérience propre à l’enseignant (Tochon, 1993). Ainsi, la planification joue un rôle de pivot entre le programme officiel et la spécificité des élèves.
22Enfin, la planification aurait une fonction un rien plus administrative puisque certains enseignants planifient, d’une part pour répondre à une exigence administrative et d’autre part constituent des plans particuliers spécialement pour être utilisés par des enseignants remplaçants s’ils étaient absents (Mc Cutcheon, 1980 ; Yildirim, 2003). Les enseignants qui planifient pour des raisons administratives jugent cette préparation chronophage (Clark & Peterson, 1986 ; Sardo-Brown, 1990 ; Yildirim, 2003). Pour Ali Yildirim (2003), il y a un dilemme pour les enseignants lors de la planification d’unités d’enseignement pour répondre aux exigences de la direction ou de l’inspection que certains d’entre eux résolvent en planifiant des unités sur papier conformément aux prescriptions officielles, mais en les implantant différemment dans leurs classes de manière à correspondre aux besoins et caractéristiques de leurs élèves.
23Cette partie du texte est scindée en deux points, d’une part, une description des éléments auxquels les enseignants pensent pendant leur réflexion planificatrice (foyers de préoccupation) et, d’autre part, une description de la gestion simultanée de ces éléments par les enseignants, par l’entremise de dilemmes d’enseignement que les enseignants disent solutionner lors de la planification. Le tableau 1 que nous présentons plus loin reprend chacune de ces thématiques qui sont explicitées dans la suite du texte.
24De nombreuses études ont analysé les foyers de préoccupation lors de la planification. Beaucoup d’entre elles se sont focalisées sur un ou quelques foyer(s) précis d’un type particulier de planification (généralement l’activité). Deborah Sardo-Brown (1990) se démarque quelque peu de cette tendance puisqu’elle a étudié les foyers de centration et les facteurs d’influence selon cinq types de planification. Ceci a l’avantage de présenter une organisation et une structuration interne de chacun des types de planification, en fonction des décisions qu’il sous-tend ainsi qu’en fonction des facteurs d’influence sous-jacents (nous avons déjà mentionné cette idée plus haut). La deuxième colonne du tableau 1 contient les foyers de préoccupation mis en évidence dans le survey de Deborah Sardo-Brown (1990). Ces éléments sont détaillés dans la suite du texte tout en y intégrant d’autres recherches ayant abouti à des constats similaires.
25Plusieurs recherches ont montré que les enseignants pensent aux contenus à aborder quand ils planifient (Taylor, 1970 ; Zahorik, 1970, 1975 ; Morine, 1976 ; Morine-Dershimer, 1978-79a-c ; Peterson, Marx & Clark, 1978 ; Bromme & Juhl, 1984 ; Charlier, 1986-1987, 1988, 1989 ; Bromme & Dobslaw, 2003 ; Calderhead, 2003 ; Tillema, 2003 ; Yildirim, 2003 ; Fernandez & Cannon, 2005). À noter que leurs préoccupations par rapport aux contenus ont moins affaire avec la structuration des éléments de matière (Schwab, 1962 ; Shavelson, 1972, 1973 ; Shavelson & Stern, 1981) qu’avec la sélection des contenus pour la création des activités d’enseignement (Clark, 1978 ; Shavelson & Stern, 1981). Pour Ali Yildirim (2003), la centration sur les contenus est fonction de l’expérience de l’enseignant puisque plus les enseignants sont expérimentés, plus ils accordent de l’importance à la couverture du contenu et aux activités lors de leur planification quotidienne. Pour Deborah Sardo-Brown (1990), les décisions relatives aux contenus à enseigner sont ordinairement prises au niveau annuel. Les enseignants tentent ensuite de juxtaposer ces contenus dans des segments temporels qui coïncident avec le calendrier scolaire.
26Les enseignants consacrent une portion de leur temps de planification aux objectifs d’enseignement (Joyce & Haroutunian, 1964 ; Zahorik, 1970 ; Taylor, 1970 ; Popham & Baker, 1970 ; Goodlad & Klein, 1970 ; Zahorik, 1975 ; Morine, 1976 ; Morine-Dershimer & Vallance, 1976 ; Peterson, Marx & Clark, 1978 ; May, 1986 ; Clark & Peterson, 1986 ; Charlier, 1986-1987, 1988, 1989 ; Tillema, 2003 ; Yildirim, 2003 ; Fernandez & Cannon, 2005 ; Wanlin & Bodeux, 2006 ; Wanlin, 2007a, 2007b). Cependant, comme nous le verrons plus loin, les décisions de planification des enseignants ne suivent pas toujours un parcours linéaire au départ d’une spécification des objectifs : les objectifs sont plutôt une décision de planification relativement peu importante (Zahorik, 1975).
Tableau 1. – Foyers de préoccupation et dilemmes selon le niveau de planification
Planification
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Décisions
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Dilemmes
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Annuelle
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- Contenus et objectifs à aborder
- Organisation-répartition des contenus au fil de l’année scolaire
- Manière de gérer les différences de niveaux dans les habiletés des élèves
- Manière de gérer les méthodes pédagogiques ou le matériel didactique à utiliser
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- Décisions prises par des tiers
- Manière d’ordonner le contenu
- Intégration des nouveaux objectifs prioritaires dans les contenus antérieurs
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Périodique
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- Évaluation des performances des élèves
- « Séquenciation » et organisation-répartition temporelle des contenus dans la période
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- Décisions prises par des tiers
- Pilotage de la cadence instructionnelle (atteinte des objectifs)
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Unitaire
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- Méthodes instructionnelles
- « Séquenciation » et organisation-répartition temporelle des contenus
- Objectifs
- Rencontre des besoins individuels des élèves
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- Décisions prises par des tiers
- Pilotage de la cadence instructionnelle (matière à couvrir en lien avec les intérêts et capacités des élèves ainsi que les interruptions de programme)
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Hebdomadaire
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- Programmation des outputs : le temps à allouer pour certains contenus et activités, la cadence à donner à l’instruction, la gestion des interruptions dans le programme scolaire hebdomadaire
- Gestion des contenus
- Objectifs instructionnels
- Élèves
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- Décisions prises par des tiers
- Flexibilité planificatrice pour l’accommodation des interruptions de programme, les absences d’élèves et les activités extra-muros
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Journalière
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- Activités
- Rencontre des besoins individuels des élèves
- Matériel didactique
- Méthodes pédagogiques
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- Décisions prises par des tiers
- Flexibilité planificatrice pour : - l’accommodation des interruptions de programme, les absences d’élèves et les activités extra-muros - l’ajustement de la cadence instructionnelle aux capacités et intérêts des élèves ou à leur activité in situ
le management
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En gras, les foyers de préoccupation principaux des différents types de planification (d’après Sardo-Brown, 1990).
- 1 Pour Alice Mc Leod (1981), le stade pré-actif 1 se situe avant même la planification des activités (...)
- 2 Le stade pré-actif 2 se situe après la planification mais avant l’enseignement interactif (Mc Leod, (...)
27Alice Mc Leod (1981) fournit une nouvelle perspective sur le rôle des objectifs dans la planification en se demandant non pas si des objectifs sont le point de départ de la planification, mais plutôt à quel moment les enseignants y pensent. Elle a montré qu’un large pourcentage de pensées relatives aux objectifs est enregistré lors du stade interactif (45,8 %), viennent ensuite le stade pré-actif 1 (26,5 %)1 et le stade pré-actif 2 (19,5 %)2 et enfin le stade post-actif (8,2 %). Ses données ont aussi montré que 57,7 % des objectifs sont de type cognitif, que 35 % sont de type social ou affectif et que 7,2 % sont de type psychomoteur ou perceptif. Les enseignants mentionnent plus souvent les objectifs de type socio-affectif durant le stade interactif et davantage les objectifs de type cognitif durant les stades pré-actifs et post-actifs.
28Les recherches permettent donc difficilement de trancher concernant la place des objectifs dans la phase de planification (Shavelson, 1983 ; Gauthier, 1997). Toutefois, on semble reconnaître que l’établissement préalable d’objectifs facilite l’apprentissage des élèves et que leur spécification améliore de manière significative la réussite de ces derniers (Waxman & Walberg, 1982 ; Wang, Haertel & Walberg, 1990 ; Gauthier, 1997). Néanmoins, la sélection des objectifs doit s’effectuer en fonction d’un critère de pertinence pour les élèves : les objectifs doivent les motiver en trouvant une pertinence à leurs yeux et être d’un niveau cognitif acceptable (Brophy, 1987 ; Gauthier, 1997). La recherche montre également que les objectifs sont traités, à un moment ou à un autre, par les enseignants lors de la planification (pas toujours comme premiers foyers de préoccupation) et qu’ils peuvent différer en fonction de la phase d’enseignement pour une même activité ou séquence.
29Les enseignants mentionnent très peu l’évaluation ou les procédures d’évaluation à utiliser (Taylor, 1970 ; Zahorik, 1970 ; Morine-Dershimer & Vallance, 1976 ; Charlier, 1986-1987, 1988, 1989). Ali Yildirim (2003) a montré que les enseignants semblent considérer les objectifs et l’évaluation comme des aspects formels de la planification et préfèrent consacrer plus d’attention à des aspects plus pratiques.
30Même si pour Greta Morine (1976), les enseignants accordent peu d’intérêt au matériel didactique, John Zahorik (1970), Robert Yinger (1979), Jane Hill, Robert Yinger et Deborah Robins (1981), Harm Tillema (2003), Ali Yildirim (2003), ont montré que les activités et le matériel d’enseignement-apprentissage sont très importants. De même, la centration sur les besoins et intérêts des élèves lors de la planification quotidienne est accompagnée d’une prise en compte du matériel disponible (Yildirim, 2003).
31Certaines études ont fait apparaître que les enseignants s’intéressent au processus d’enseignement, c’est-à-dire aux stratégies d’enseignement et à la « séquenciation » des activités d’apprentissage (Taylor, 1970 ; Goodlad & Klein, 1970 ; Zahorik, 1975 ; Peterson, Marx & Clark, 1978 ; Hill, Yinger & Robbins, 1981 ; Ben-Peretz, 1981, Charlier, 1986-1987, 1988, 1989 ; Bromme & Dobslaw, 2003 ; Calderhead, 2003 ; Tillema, 2003 ; Yildirim, 2003 ; Wanlin & Bodeux, 2006).
32Une analyse rapide de la deuxième colonne du tableau 1 permet d’identifier que les éléments de réflexion du niveau de planification annuelle sont davantage éloignés de la spécificité de l’action en classe que ne le sont les éléments du niveau quotidien. Ce type de constatation relève de ce que l’on a appelé, dans le courant du teacher thinking, le degré de spécificité de la pensée des enseignants ou le degré d’abstraction des prises de décision. Ainsi, pour Deborah Sardo-Brown (1990), les décisions relatives aux activités, aux méthodes pédagogiques, au matériel didactique et aux élèves semblent être prises à tous les niveaux de la planification avec une spécificité grandissante et atteignant son paroxysme au niveau quotidien, puisque les enseignants prennent des décisions concernant la manière de réviser des planifications élaborées les années précédentes, et plus tôt dans l’année scolaire en cours.
33Même si les décisions concernant l’organisation, le découpage temporel et la cadence de l’instruction sont prises à tous les niveaux de planification, les enseignants prennent les décisions charnières au niveau hebdomadaire (Sardo-Brown, 1990). De même, le niveau de planification périodique apparaît comme étant un point critique lors duquel les enseignants décident de la façon d’évaluer les progrès de leurs élèves ; à l’instar des autres décisions, elles évoluent en spirale vers le niveau quotidien (Sardo-Brown, 1990). Les enseignants prennent des décisions concernant les objectifs pédagogiques à tous les niveaux de la planification puisqu’ils planifient à la fois la manière de les incorporer dans l’instruction et/ou d’éliminer certains d’entre eux (Sardo-Brown, 1990).
34Ce qu’il y a d’implicite dans ces descriptions des décisions les plus importantes que les enseignants disent prendre aux différents niveaux de planification, c’est un pattern de prise de décisions, organisées en réseau : les enseignants recourent à des plans établis au niveau précédent et plus général de planification, puisqu’ils recourent aux planifications annuelles, périodique et unitaire pour évoluer vers des plans beaucoup plus spécifiques établis aux niveaux hebdomadaire et quotidien (Sardo-Brown, 1990) et présentant des inter-relations entre les différents niveaux. Soulignons que cette chercheuse a confirmé la structure en réseau des types de planification lors d’une de ses études précédentes (Sardo-Brown, 1988). Pour elle, plus on s’approche de la planification quotidienne, plus le degré de spécificité des décisions est concret (Sardo-Brown, 1990).
35Evelyne Charlier (1986-1987) a également vérifié la spécificité des décisions, c’est-à-dire si les décisions prises par les enseignants sont spécifiques au chapitre planifié ou non. Elle écrit que la planification d’un chapitre particulier est à la fois régie par des décisions spécifiques au chapitre dont il est question et par d’autres décisions applicables à plusieurs autres chapitres. Ainsi, les choix de contenus à enseigner, de méthodes d’enseignement et d’activités d’apprentissage sont généralement spécifiques au chapitre et les décisions d’évaluation sont habituellement applicables à plusieurs chapitres. Les décisions relatives aux temps d’enseignement ou d’apprentissage et aux objectifs d’enseignement ou d’apprentissage transcendent tantôt plusieurs chapitres, tantôt sont spécifiques à un chapitre particulier. L’étude menée par cette chercheuse montre aussi que les enseignants prennent davantage de décisions applicables à plusieurs chapitres en début qu’en cours d’année scolaire. Le parallèle avec les modes d’enchâssement des routines proposés par Robert Yinger (1979) paraît évident.
36De même, Harm Tillema (2003), avec son degré d’abstraction des décisions, a montré que les décisions sont très différentes d’un enseignant à l’autre, au niveau de la planification unitaire (activité), puisque les choix y sont très opérationnels car liés à la spécificité de la classe. De même, les énoncés plus abstraits diminuent progressivement en fonction de leur éloignement par rapport au contenu qui sera effectivement vu en classe aux niveaux quotidien et unitaire.
37La recherche montre que les enseignants luttent pour résoudre certains dilemmes de planification (Sardo-Brown, 1990). Les enseignants se sentent limités à tous les niveaux de la planification à cause de décisions prises par quelqu’un d’autre dans le système scolaire (programmes, manuels, etc.).
38Au niveau annuel, le dilemme majeur des enseignants est de décider comment accorder la priorité à certaines parties du curriculum de manière à ce que le contenu nouvellement mandaté puisse être enseigné simultanément au contenu que les enseignants estiment personnellement important. Les enseignants sondés dans notre paradigme soulignent souvent qu’ils se sentent frustrés d’être obligés d’enseigner des contenus nouveaux tous les ans et, simultanément, de ne rien enlever des contenus qui étaient à enseigner les années antérieures (Sardo-Brown, 1990).
39Lors de la planification périodique, les enseignants disent qu’ils ont besoin de piloter continuellement la cadence de l’instruction de manière à ce qu’un contenu ou une unité puisse être couvert(e) à la fin d’une période donnée. Ils disent continuer à piloter cette cadence au niveau unitaire puisqu’ils gèrent la difficile tension entre la quantité de matière à couvrir, la concordance entre cette matière et le programme d’enseignement ainsi que la progression théorique à l’intérieur de celui-ci. La gestion de cette tension entre la matière et le programme est soumise à une autre tension, celle de la prise en compte des intérêts des élèves et de la rencontre des besoins d’une large part de leurs capacités. Ces deux tensions sont à nouveau soumises à des influences liées aux interruptions dans l’enseignement planifié (heure d’éducation physique et sportive, cours de langue, récréations, etc.).
40Au niveau hebdomadaire, le dilemme principal des enseignants serait de décider comment proposer des plans suffisamment flexibles pour la semaine à venir de manière à pouvoir s’adapter en fonction des interruptions de programme planifié, telles que les absences des élèves et les sorties extra-muros pour des activités scolaires. Ces mêmes facteurs structurent également la planification quotidienne puisqu’ils planifient la manière d’ajuster la cadence instructionnelle pour correspondre aux capacités et aux intérêts de leurs élèves, ainsi qu’à une myriade d’éléments managériaux. Pour Penelope Peterson et Christopher Clark (1978), la planification orientée sur le contenu (plutôt qu’orientée sur le processus d’enseignement), un rendement et des attitudes relativement médiocres de la part des élèves vont de pair avec des ajustements instructionnels ou des alternatives d’enseignement peu fréquent(e)s voire inexistant(e)s et des réponses insatisfaisantes de la part des élèves. Bref, le manque de flexibilité dans l’implémentation des plans aurait un impact peu fécond sur le processus d’enseignement et serait caractéristique d’une planification linéaire, méticuleuse et rigide.
41Philippe Wanlin et Marcel Crahay (dans un article en préparation) mentionnent trois dilemmes de gestion de la classe. Le premier est la tension entre la stimulation des apprentissages et le maintien de la collaboration de la majorité sinon de tous les élèves à la vie de la classe. Ce dilemme qu’ils empruntent à Philip Jackson (1968) suppose de laisser les activités fonctionner dans le respect des règles de participation active ou passive (Doyle, 1986) mais aussi que les tâches proposées obtiennent l’adhésion du groupe des élèves. Le deuxième dilemme, qu’ils nomment d’après les travaux anglo-saxons, le coverage-mastery dilemma, met les enseignants au cœur de la question de la proposition d’activités qui entrent dans les lignes du programme et des attentes institutionnelles eu égard au rythme de progression des élèves. Le troisième dilemme, qu’ils intitulent « effet Robin-des-bois » ou « effet Mathieu », est en étroite relation avec le deuxième. Pour eux, ce dilemme renvoie à la gestion des différences individuelles. Dans ce cadre, les enseignants peuvent se concentrer sur les élèves en difficulté et demander aux meilleurs de patienter ou d’intervenir à titre de tuteur (effet Robin-des-bois) ou ils peuvent avancer avec ceux qui ont compris en défaveur des moins rapides (effet Mathieu).
42Les études, dont nous avons traité plus haut, tout en ne mentionnant pas explicitement une inter-relation entre les foyers de préoccupation, font apparaître que les enseignants prennent des décisions à propos de plusieurs éléments lors de la planification. On admet actuellement que les foyers de préoccupation sont fortement inter-reliés : ils s’insèrent dans une sorte de mouvement systémique de processus cognitifs, grâce auxquels la planification est effectuée.
43Le premier à avoir explicitement étudié l’inter-relation entre les foyers de préoccupation est, à notre connaissance, Harm Tillema (2003). Par analyse d’items sur les propos de planification, il a montré que les foyers de préoccupation ne peuvent pas être séparés les uns des autres et que les décisions de planification sont fortement inter-reliées. Pour lui, les enseignants n’isolent pas des catégories de planification spécifiques pour, ensuite, les élaborer mais ils décident quelles décisions de planification s’affectent mutuellement et le font à un degré de spécification très concret. Pour lui, la planification est composée d’un nombre de questions ou décisions centrales qui ne sont pas séparables mais plutôt hautement interdépendantes. Ces questions centrales auraient trait à l’identification de ce qui est capital dans le contenu de matière à enseigner et de la meilleure manière de le présenter aux élèves.
44Philippe Wanlin et Cindy Bodeux (2006) ont montré une même distribution des décisions chez les enseignants et les futurs enseignants : beaucoup de décisions pédagogiques (contenu, stratégie d’enseignement, objectifs, activités, background des élèves, organisation, matériel…), peu de décisions managériales (gestion du déroulement de l’activité, installation de conditions propices à l’enseignement…) et une fréquence de décisions transitionnelles (gestion des enchaînements entre activités et séquences, variations rythmiques dans l’enseignement…) qui se situe entre ces deux extrémités. Pour eux, les décisions de planification forment un tout indissociable, œuvrant en faveur du bon déroulement des activités d’enseignement-apprentissage.
45Philippe Wanlin (2007a), qui s’est penché sur deux des études de cas exploratoires des deux chercheurs précédents, pense que les décisions de planification sont liées entre elles, même si les enseignants concernés sont essentiellement préoccupés par les stratégies, méthodologies et techniques d’enseignement ainsi que les conditions dans lesquelles elles seront implémentées.
46Enfin, Deborah Sardo-Brown (1990) ainsi que Clea Fernandez et Joanna Cannon (2005) ont montré que les pensées planificatrices et les foyers de préoccupation des enseignants du secondaire et de l’élémentaire ne sont pas fondamentalement et substantiellement différents. De plus, ces dernières ont constaté que les planifications d’enseignants de pays différents sont remarquablement similaires, même si certaines priorités sont fixées sur des éléments quelque peu différents (par exemple les enseignants américains, tout en se préoccupant de l’implication des élèves, accordent davantage d’importance aux contenus, alors que les enseignants japonais inversent cet ordre de priorité).
47Deborah Sardo-Brown (1990) a montré que les sources consultées ne varient pas en fonction du degré dans lequel ou de la matière dans laquelle les enseignants interviennent. De même, Ali Yildirim (2003) estime que les sources d’influence peuvent être considérées comme étant similaires pour les deux types de planification qu’il a étudiés (annuelle et quotidienne/unitaire). Ceci signifie que la nature des éléments qui influencent la pensée planificatrice ou qui permettent aux enseignants de nuancer mentalement les foyers de préoccupation lors de la gestion des dilemmes cognitifs, est similaire quels que soient le degré, la matière ou le moment de la planification. Ce qui varie davantage ce sont les proportions ou la force avec lesquelles ces facteurs sont considérés.
48Parmi les causes de décisions avancées par les enseignants, on peut citer également les représentations ou des théories personnelles relatives aux variables de la situation éducative (Charlier, 1986-1987, 1988, 1989 ; Sardo-Brown, 1990 ; Halkes & Deijkers, 2003 ; Wanlin & Bodeux, 2006). Les théories personnelles expliquent essentiellement le choix des activités des élèves, des conduites d’évaluation et des méthodes d’enseignement. Les résultats de Deborah Sardo-Brown (1990) indiquent que les enseignants choisissent les contenus au moins en partie en fonction de leurs intérêts personnels. Ils établissent des plans de manière à correspondre notamment à leurs propres styles de traitement de l’information.
49Rob Halkes et Rien Deijkers (2003) ont défini ce qu’ils nomment les critères subjectifs d’enseignement des enseignants : il s’agit de valeurs personnelles et subjectives que l’enseignant tente de percevoir et de maintenir constantes durant son enseignement. Ces critères d’enseignement seraient utilisés, de manière consciente ou non, par les enseignants tant lors des phases pré-actives et post-actives que lors des phases interactives de l’enseignement en vue de sélectionner les actes d’enseignement, de contrôler leur processus et d’évaluer leurs effets. Ils ont montré que les enseignants divergent tant par leur adhésion aux critères que par l’impact que ces derniers ont sur les activités d’enseignement. Ces deux chercheurs ont aussi mis en exergue que les années d’expérience et les spécialisations disciplinaires semblent être liées à ces critères d’enseignements subjectifs.
50Pour Rob Halkes et Rien Deijkers (2003), ces critères d’enseignement subjectifs utilisés par les enseignants sont notamment :
-
le contrôle de l’enseignant : l’enseignant pense devoir garder le contrôle sur le processus d’enseignement-apprentissage et investit bon nombre d’efforts pour ce faire ;
-
le « work ethos » : l’enseignant attache une grande importance à tout ce qui a trait à la participation des élèves, au flux d’activité et au maintien du niveau d’occupation des élèves ;
-
l’affiliation : l’enseignant attache une grande valeur aux relations sociales, à son besoin personnel d’estime et de respect tant de la part des élèves que de la part de ses collègues, tout en restant sensible aux différences sociales entre les élèves ;
-
le développement social : l’enseignant estime devoir adopter une orientation centrée sur la matière à enseigner, tout en ressentant que la discipline et l’autorité sont des obstacles.
51D’après Rob Halkes et Rien Deijkers (2003), les enseignants ont besoin d’avoir une influence sur ce qui est en train de se dérouler pour atteindre leurs intentions éducationnelles, et la participation des élèves revêt une grande importance dans ce cadre. Ainsi, pour eux, tous les enseignants recourent à des critères de contrôle et d’ethos en fonction de leurs spécificités et caractéristiques individuelles. Ils soulignent que ces critères jouent un rôle dans la construction de l’expérience d’enseignement et/ou de théories subjectives d’action. Ils ont aussi montré que les théories subjectives et les caractéristiques personnelles ont un impact sur la façon dont les critères subjectifs d’enseignement sont utilisés.
52Conformément à ce que d’autres études ont montré, les enseignants de Deborah Sardo-Brown (1990) estiment que l’influence des facteurs relatifs au flux d’activités (c’est-à-dire l’apprentissage et l’attention des élèves, l’atteinte des objectifs de l’activité et les évitements des interruptions de programme durant l’instruction) est très importante. Ce facteur est, nous semble-t-il, à rapprocher de la notion de « momentum » (Kounin, 1970 ; Kounin & Gump, 1974). Ainsi, en observant que les hésitations des enseignants pouvaient engendrer l’indiscipline et le désintérêt des apprenants, Jacob Kounin a constaté que les enseignants qui réussissaient le mieux à organiser la participation des élèves sont ceux qui parviennent le mieux à assurer un flux régulier et continu d’activités scolaires et d’événements, en évitant les changements brusques autant que les interruptions ou les ralentissements excessifs. Cette aptitude comporte donc deux phénomènes connexes (Charles, 1997). D’une part, il y a la cadence, c’est-à-dire, la promptitude de la mise en marche des activités, le rythme de leur déroulement, la façon de les conclure et la transition avec les activités suivantes. D’autre part, il y a la régularité, c’est-à-dire l’absence de changements brusques venant entraver les activités des élèves ou leurs processus de pensée. Jacob Kounin (1970) a établi que ces deux phénomènes sont particulièrement importants durant l’introduction d’une leçon et la transition d’un cours ou d’une activité à l’autre, car c’est à ces moments-là que les élèves ont davantage tendance à mal se comporter (Charles, 1997).
53Enfin, l’expérience d’enseignement et les expériences de classe passées influencent la planification et les décisions qu’elle sous-tend (Yinger, 1977 ; Clark & Elmore, 1981 ; Clark & Peterson, 1986 ; Charlier, 1986-1987, 1988, 1989 ; Sardo-Brown, 1990 ; Tochon, 1993 ; Mc Cucheon & Milner, 2002 ; Calderhead, 2003 ; Halkes & Deijkers, 2003 ; Wanlin & Bodeux, 2006). Deborah Sardo-Brown (1990) a montré que les souvenirs d’interactions précédentes ont un poids important lors de la prise de décisions, puisque les enseignants utilisent ce qui a réussi ou raté précédemment avec leurs élèves comme un guide pour leurs planifications futures.
54De même, Christopher Clark et Janis Elmore (1981) ont mis en évidence que les souvenirs des interactions de classe de l’année scolaire antérieure influencent les processus de planification. Pour eux, une grande part du contenu à enseigner – et, dans une mesure un peu moindre, de comment il devrait être enseigné – émerge d’un processus mental de souvenir des événements issus de l’année antérieure, combiné avec un ajustement de la séquence planifiée et de l’allure d’enseignement afin d’accommoder de manière consistante les nouvelles ressources curriculaires et les nouvelles idées avec les théories personnelles implicites relatives à l’instruction.
55Les résultats d’Ali Yildirim (2003) montrent que l’un des principaux facteurs d’influence de la planification unitaire et quotidienne est l’expérience d’enseignement. Ali Yildirim (2003) pense que l’expérience professionnelle personnelle est la clé de la pratique planificatrice et que le curriculum officiel ainsi que les manuels scolaires sont des éléments critiques pris en considération quand les enseignants planifient leur instruction. Ce chercheur a également montré que l’expérience a un impact sur le type de sources pris en compte et sur les facteurs d’influence des décisions planificatrices.
56Plusieurs autres études et bon nombre de textes plus théoriques se sont attardés sur ce facteur (entre autres : Mc Cucheon & Milner, 2002 ; Tochon, 1993). Le caractère cyclique des processus de pensées planificatrice et interactive des enseignants repose, au moins en partie, sur le recours à ce facteur d’expérience qui est probablement aussi le fondement de la pratique réflexive et de la professionnalisation des enseignants.
57La recherche semble indiquer que le facteur d’influence « expérience professionnelle et souvenirs d’interactions » combine bon nombre des autres facteurs et est pris en compte lors de la planification impliquant, conformément à ce que nous avons vu plus haut, la prise en considération d’un système comportant plusieurs foyers de décision. Enfin, la plupart des recherches qui ont été menées permettent de faire l’hypothèse que, tout comme les foyers de préoccupation, les facteurs d’influence des décisions planificatrices sont souvent multiples et plus que vraisemblablement inter-reliés. Du moins, les recherches, que nous mentionnons ci-dessus, ne permettent pas de rejeter cette hypothèse.
58Le rôle des résultats d’apprentissage des apprenants dans la planification enseignante et dans l’interaction a été examiné par un certain nombre de recherches (Eisner, 1967 ; Raths, 1971 ; Connelly, 1972 ; Eisner & Vallance, 1974 ; Wise, 1976 ; Toomey, 1977 ; Yildirim, 2003 ; Wanlin & Bodeux, 2006 ; Wanlin, 2007a, 2007b). Selon Christopher Clark et Penelope Peterson (1986), il y aurait consensus sur le fait que la planification en vue d’enseigner suppose nécessairement que l’enseignant soit intentionnellement impliqué en faveur de l’apprentissage de ses élèves, mais que le degré de spécificité et de clarté explicite de ces implications varie en fonction des conceptions que les enseignants ont du processus d’enseignement-apprentissage.
59Les apprenants jouent un rôle important dans la planification (Clark & Yinger, 1979 ; Clark & Peterson, 1986 ; Lissmann, 1989, 2005). Pour Rainer Bromme (1989, 2005), les apprenants remplissent différents rôles durant l’instruction dont, notamment, celui de collaborateurs (plus ou moins coopérants) du processus de construction des connaissances. Il a montré que l’enseignant ne se réfère pas cognitivement à l’apprenant individuel pour initier et manœuvrer ce processus de construction coopérative de connaissances, mais plutôt à l’apprenant comme étant un membre d’une unité cognitive : « l’élève collectif » (Bromme, 1989, 2005). D’après Rainer Bromme (1989, 2005), les apprenants n’ont pas tous la même importance dans la constitution ou la formation de cette unité cognitive. L’existence potentielle de cet « élève collectif » implique, selon Rainer Bromme (1989, 2005), que la centration cognitive sur ce groupe permette à l’enseignant de traiter avec la classe (ou du moins avec une portion de celle-ci) au lieu de traiter avec n personnes différentes, ce qui a pour effet de nécessairement éviter la surcharge mentale.
60En 1970, Urban Dahllöf et Ulf Lundgren, ont introduit le concept de steering group qui peut être défini comme étant un groupe d’élèves dans la classe qui – en accord avec les indications empiriques et quand le pattern d’enseignement principal est l’instruction traditionnelle centrée sur la classe – agit comme un groupe de référence pour les enseignants, leur indiquant l’allure d’instruction à adopter pour toute la classe. L’étude à large échelle que mentionnent ces deux chercheurs suédois montre que le steering group est un petit sous-ensemble de la classe (rangé à un niveau de réussite situé entre le 10e et le 25e percentile) que les enseignants utilisent comme une référence informelle du groupe pour décider du rythme ou de l’allure à suivre lors des séquences d’activité. Les enseignants suédois prennent donc les élèves les plus faibles en compte pour cadencer les situations d’enseignement-apprentissage de leurs classes.
61Donald Freeman et Andrew Porter (1989) ont montré, par l’étude de 4 cas, une interaction entre l’utilisation des manuels scolaires et la différenciation pédagogique selon les performances des élèves, puisque le recouvrement entre contenu abordé et contenu du manuel est plus ample pour les élèves les plus performants. Dans les classes qui utilisent la différenciation ou l’individualisation, les élèves les moins performants ont plus de probabilités d’être longuement confrontés aux contenus de base des manuels que n’en ont les élèves les plus performants qui, généralement, les dépassent (Freeman & Porter, 1989).
62Philippe Wanlin (2007a) explique que quand les 2 enseignantes qu’il a observées ont des explications pour argumenter leurs décisions planificatrices, elles se réfèrent aux apprenants à des degrés variables. Il pense que cette variabilité dans la prise en compte des apprenants pourrait être expliquée par des contextes d’enseignement distincts. Néanmoins, dans tous les cas, ses analyses indiquent que les élèves supposés plus forts affectent davantage les décisions planificatrices que les élèves supposés plus faibles.
63Les deux constats de Philippe Wanlin (2007a) ainsi que les résultats de Donald Freeman et Andrew Porter (1989) interrogent le concept de steering group à trois niveaux :
-
au niveau de son importance probable dans les prises de décisions planificatrices des enseignants ;
-
au niveau des degrés potentiellement variables auxquels les enseignants y recourent ;
-
au niveau des élèves qui le constitueraient.
64Bref, davantage de recherches sont souhaitables pour examiner plus avant ce phénomène du groupe de manœuvre.
65Le concept de steering group renvoie à la performance des élèves. Cependant d’autres éléments renvoyant à ces derniers peuvent être pris en compte par l’enseignant. Ainsi certaines recherches ont montré que la centration sur les élèves porte sur leur participation, leur engagement et leur motivation (Jackson, 1968 ; Calderhead, 2003 ; Tillema, 2003), sur les besoins des élèves, leurs capacités et leurs intérêts (Taylor, 1970 ; Tillema, 2003 ; Calderhead, 2003 ; Yildirim, 2003), sur le diagnostic de leurs difficultés (Mintz & Yarger, 1980 ; Tillema, 2003). À l’opposé, d’autres études ont montré que la planification écrite des enseignants reflète très peu d’attention accordée au diagnostic des besoins des élèves (Morine-Dershimer & Vallance, 1976 ; Peterson, Marx & Clark, 1978 ; Lydecker, 1981 ; Putnam, 1987). Pour Greta Morine-Dershimer (1978-79b), Susan Mintz (1979) ainsi que Richard Shavelson et Paula Stern (1981), les préoccupations planificatrices relatives aux apprenants sont plus importantes en début d’année scolaire, au moment où les enseignants font connaissance avec eux. Une fois que l’enseignant a porté son jugement sur les apprenants, moins d’attention, c’est-à-dire moins de préoccupation consciente, leur est accordée.
66Enfin, Rainer Bromme et Gundrun Dobslaw (2003) se sont penchés sur les explications que les enseignants donnaient de la compréhension de leurs élèves (raisons pour lesquelles ils pensent que certains de leurs élèves ont compris ou non le contenu d’enseignement). Ils ont distingué deux types d’explications : d’une part, les explications liées à la tâche (concepts relatifs à la pensée des élèves, à leurs connaissances, leurs comportements, directement en relation avec le sujet ou le contenu de la matière) et, d’autre part, les explications indépendantes de la tâche, d’ordre purement psychologique d’après ces chercheurs allemands (« don » de l’élève, motivation générale perçue, mémoire de l’élève, absentéisme, attention, aide disponible à domicile…). Leurs résultats montrent que les explications de la compréhension des élèves données par les enseignants se distribuent quasi également entre les deux types d’explications distingués : 41,58 % d’explications liées à la tâche et 37,62 % d’explications indépendantes de celle-ci. Dans les explications relatives à la tâche, on retrouve surtout des énoncés relatifs aux connaissances préalables des élèves (11,88 %), à la reconnaissance de la connexion de la tâche avec une autre tâche (5,94 %), au comportement de travail observable lors de la réalisation de la tâche (4,95 %). Les explications indépendantes de la tâche comportent des énoncés concernant : les styles de pensée des élèves (10,89 %), l’attention en classe (8,91 %), etc. Rainer Bromme et Gundrun Dobslaw ont également montré qu’un même enseignant combinait de manière significative les différents types d’explications avancés pour décrire la compréhension des élèves et que, de surcroît, les combinaisons d’explications étaient plus fréquentes et variaient énormément d’un enseignant à l’autre. Ceci semble indiquer que les enseignants combinent généralement plusieurs facteurs pour fonder leurs jugements.
67Les ressources curriculaires (programme d’enseignement, manuels scolaires, guide de l’enseignant) font partie des premières sources auxquelles les enseignants recourent pour planifier leur action pédagogique (Zahorik, 1970 ; Yinger, 1977 ; Clark & Elmore, 1981 ; Sardo-Brown, 1990 ; Calderhead, 2003 ; Yildirim, 2003). Ainsi, le processus de planification annuel consiste en une révision de toutes les ressources curriculaires qui seront utilisées durant l’année à venir, en un réaménagement des séquences à l’intérieur des thèmes de ces ressources et en l’addition ou la soustraction de contenus à enseigner (Clark & Elmore, 1981).
68Les enseignants se réfèrent au programme d’enseignement officiellement prescrit, cependant, vu qu’ils estiment qu’ils doivent être flexibles et en adéquation avec les capacités de leurs élèves (voir dilemmes et éléments d’influence propres à l’enseignant dont leurs représentations), les enseignants n’y recourraient pas de manière figée (Borko & Niles, 1984 ; Sardo-Brown, 1990 ; Mahnaz, 1994 ; Discoll, Klein & Sherman, 1994 ; Reiser & Mory, 1991). Les enseignants de Deborah Sardo-Brown (1990) considèrent qu’ils opèrent avec un certain degré d’indépendance. Bien qu’ils se sentent contraints d’enseigner certains contenus et d’utiliser un programme de planification prescrit, ils se perçoivent finalement comme ayant un certain degré d’autonomie puisque les représentations et croyances personnelles, les intérêts personnels et l’expérience passée sont rapportés comme exerçant une influence importante sur les processus de planification (nous y reviendrons plus loin).
69Ali Yildirim (2003) a montré, d’un côté, que les principales sources d’influence de la planification unitaire et quotidienne sont notamment le curriculum national officiel et les manuels scolaires et, de l’autre, que les écarts entre les exigences du curriculum officiel et les besoins de la classe, la standardisation de la planification, le manque de temps et de ressources, le manque d’assistance de la hiérarchie, le manque de coopération entre enseignants et la nécessité d’adéquation avec les caractéristiques variables des élèves sont les difficultés de planification les plus citées par les enseignants. Pour ce chercheur, les enseignants les plus expérimentés semblent être plus influencés par le curriculum officiel, leur background éducationnel et leur expérience d’enseignement quand ils planifient que ne le sont ceux qui ont moins d’expérience qui sont davantage influencés par leurs collègues, la hiérarchie ou leur formation initiale ou continue. D’après lui, les enseignants perçoivent un fossé entre le curriculum officiel et la réalité de la classe en expliquant que certaines unités exigées dans le curriculum officiel ne sont pas représentatives du background, des besoins et des intérêts des élèves.
70Edward Smith et Neil Sendelbach (1979) ont aussi montré que les lignes directrices fournies dans le guide de l’enseignant n’étaient pas suivies méticuleusement mais qu’elles servaient plutôt à construire la charpente des séquences d’activités et permettaient la constitution d’un plan mental de l’unité à enseigner. De même, pour Deborah Sardo-Brown (1990) et pour Rob Halkes et Rien Deijkers (2003), les enseignants utilisent le programme prescrit de manière plus flexible par rapport à ce qui est exigé par les instances administratives.
71Donald Freeman et Andrew Porter (1989) ont montré que les manuels scolaires influencent les décisions des enseignants. Néanmoins, même les enseignants qui adoptent un style d’utilisation scrupuleux des manuels ne couvrent pas nécessairement tous leurs contenus. Ainsi, même les plus ardents utilisateurs de manuels scolaires n’ont pas abordé 40 % des leçons contenues en leur sein (Freeman & Porter, 1989). De même, tous les enseignants présentent à leurs élèves des contenus qui ne se situent pas dans le manuel scolaire, même leurs utilisateurs les plus fidèles (Freeman & Porter, 1989). De plus, les enseignants qui se réfèrent le plus au manuel pour décider du contenu à aborder sont plus sélectifs dans leurs choix des séquences et désignent davantage les éléments qui leur semblent plus importants. Le manuel jouerait ainsi une sorte de rôle de renforcement des représentations envers certains contenus que l’enseignant juge importants puisqu’ils y sont publiés.
72En outre, D. Freeman et A. Porter ont identifié une différence dans la nature des tâches prévues et proposées aux élèves selon le degré de dépendance des enseignants aux manuels. Les enseignants qui suivent le plus scrupuleusement le manuel sont les enseignants qui accordent le plus d’importance aux exercices d’application et à la compréhension conceptuelle. Les enseignants qui dévient le plus de leur manuel le font afin d’augmenter une centration d’ores et déjà importante sur des savoir-faire procéduraux et des exercices d’entraînement et d’application.
73Les constats de D. Freeman et A. Porter (1989) remettent ainsi en question l’idée populaire selon laquelle les contenus de l’instruction en mathématique dans les classes de l’enseignement élémentaire sont égaux aux contenus des manuels scolaires utilisés.
74Bien que cités et fréquemment consultés par les enseignants en tant que sources, les manuels scolaires ou le guide de l’enseignant, auraient cependant, selon les résultats de Deborah Sardo-Brown (1990), plutôt peu d’impact sur les décisions planificatrices. De manière identique pour Ali Yildirim (2003), les enseignants planifient à l’aide des manuels scolaires pour la planification à court terme (quotidienne) alors que pour le long terme (unitaire) ils utilisent plutôt le programme officiel.
75Deborah Sardo-Brown (1990) a montré que les enseignants utilisent des dossiers d’activités confectionnés par leurs soins. Selon elle, ces dossiers répondent à quatre besoins :
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enregistrer ce qui a fonctionné ou non précédemment ainsi que les raisons de ces deux éventualités. À noter que cette « classification » permet la constitution de routines d’activité, d’enseignement et de planification exécutive (voir ci-dessus : Yinger, 1979) ;
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parfaire le programme avec des notes additionnelles et des matériaux instructionnels complémentaires ;
-
sauvegarder une (ou des) unité(s) que les élèves ont réellement bien appréciée(s) ;
-
organiser le contenu instructionnel autour d’unités thématiques.
76La plupart des enseignants estiment que ce qu’ils ont appris en formation initiale n’influence jamais ou influence très rarement la manière de dresser des plans d’enseignement (Clark & Lampert, 1986 ; Dunkin, 1986 ; Sardo-Brown, 1990 ; Wanlin & Bodeux, 2006). Cependant, contrairement à d’autres études, les enseignants de Deborah Sardo-Brown estiment que la formation continue (in-service training), les journaux éducationnels et les opinions de collègues enseignants influencent de manière relativement importante leurs processus de planification.
77Lynn Fuchs, Douglas Fuchs, Kathy Karns, Carol Hamlett et Michelle Katzaroff (1999) ont notamment étudié les effets d’un programme de formation continue à l’évaluation des performances en mathématiques des élèves lors de l’interaction en classe sur la planification. Leurs résultats indiquent que la participation à une formation influence la compréhension des enseignants concernant l’évaluation, le curriculum (c’est-à-dire le programme auquel ils ont été formés) et leur planification. D’autres études estiment que les programmes de formation continue ont un impact sur la planification (Darling-Hammond, 1990 ; Linn, 1993 ; Torrance, 1993 ; Koretz, Barron, Mitchell & Stecher, 1996 ; Koretz, Mitchell, Barron & Keith, 1996 ; Firestone, Mayrowetz & Fairman, 1998).
78Même si la formation continue semble influencer davantage la planification que la formation initiale, Ali Yildirim (2003) a montré que les programmes de formation initiale ont une influence sur la planification unitaire des enseignants du primaire : les enseignants certifiés valorisent plus leur expérience professionnelle personnelle que leurs homologues qualifiés par une formation particulière. À l’inverse, ces derniers valorisent plus les conseils de leur hiérarchie que ne le font les premiers. Contrairement à d’autres enseignants étudiés, approximativement 25 % des enseignants de Deborah Sardo-Brown (1990) écrivent qu’ils consultent de manière régulière d’autres enseignants faisant partie de leur cercle de collègues lors de leurs prises de décisions planificatrices. Pour Ali Yildirim (2003), les conseils de la hiérarchie sont utiles pour les enseignants les moins expérimentés. De plus, environ 20 % des enseignants de Deborah Sardo-Brown (1990) se réfèreraient à des journaux pédagogiques et éducationnels. En outre, les enseignants ne font pas référence aux théories pédagogiques pour expliquer leurs décisions (Huberman, 1986 ; Charlier, 1986-1987, 1988, 1989). Ils se distinguent ainsi d’autres professionnels par le fait qu’ils basent rarement leur pratique sur une connaissance stable et dépersonnalisée dont la science fait partie et préfèrent réadapter ce qui est dit par d’autres (Huberman, 1986).
79Pour Deborah Sardo-Brown (1990), les enseignants mentionnent des influences d’éléments de calendrier ou d’agenda tel que le moment de l’année scolaire lors duquel l’enseignement doit être implémenté, la chronologie des congés… Les enseignants expliquent donc certaines de leurs décisions par des éléments de l’environnement (Charlier, 1986-1987, 1988, 1989).
80L’organisation du contexte de travail tels que le matériel instructionnel, les tests standardisés, les guides curriculaires, l’environnement physique, les exigences de la hiérarchie, les manuels scolaires, les interruptions dans l’instruction et dans le programme prévu, le matériel disponible, l’appartenance à une équipe pédagogique, etc. influencent les processus de pensée planificatrice (Mc Cutcheon, 1980 ; Bullough, 1987 ; Sardo-Brown, 1988, 1990 ; Yildirim, 2003).
81Bon nombre d’études ont montré que les éléments structuraux et sociaux mis en place durant la première semaine de l’année scolaire servent de structure à l’intérieur de laquelle les unités et activités d’enseignement du reste de l’année sont planifiées (Newell & Simon, 1972 ; Anderson & Evertson, 1978 ; Tikunoff & Ward, 1978 ; Buckley & Cooper, 1978 ; Shultz & Florio, 1979 ; Joyce, 1978-79 ; Clark & Elmore, 1979 ; Sardo-Brown, 1990 ; Gauthier, 1997 ; Mc Cutcheon & Milner, 2002).
82Lynn Fuchs, Douglas Fuchs, Carol Hamlett et Pamela Stecker (1991) ont montré qu’à l’aide d’un système d’évaluation informatique objectif et constant, les enseignants ajustent plus souvent leur instruction que ne le font un ensemble comparable d’enseignants appartenant à un groupe contrôle qui n’appliquent pas un tel monitoring systématique. Même à l’intérieur du groupe utilisant la mesure systématique, on peut observer des différences selon le fait que les enseignants sont ou non accompagnés dans leur utilisation par des outils simulant les conseils d’experts. Ceci indique que quand un outil d’évaluation informatisé est disponible, il est davantage pris en considération quand il propose un système de soutien aux décisions évaluatives.
83L’un des principaux buts poursuivis dans le cadre de la recherche relative à la planification enseignante est de créer des modèles capables de décrire le processus de la planification. Différentes modélisations cognitives de l’activité de planification ont ainsi été proposées (Clark & Peterson, 1986 ; Charlier & Donnay, 1987 ; Charlier, 1989 ; Edmonds, Branch & Mukherjee, 1994 ; Ragan & Smith, 1996 ; Tochon, 1993).
- 3 Philippe Dessus (2002) distingue trois catégories : les modèles tyleriens, les modèles de traitemen (...)
84On peut schématiquement les classer en trois catégories principales3 :
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les modèles tyleriens issus de la méthode linéaire de planification de Ralph Tyler (1950) ;
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les modèles de traitement de l’information, de résolution de problèmes et de prise de décision, issus de diverses applications de la théorie de la décision au jugement de l’enseignant (Charlier, 1989 ; Charlier & Donnay, 1987 ; Maurice, 1996 ; Cadet, 1997 ; Dessus & Maurice, 1998) ;
-
le modèle composite qui combine les modèles décisionnels et les modèles tyleriens (May, 1986).
85Ces catégories de modèles cœxistent encore, car elles remplissent des finalités différentes. Les modèles tyleriens sont plutôt utilisés en formation et pour la conception d’environnements informatisés d’aide à la planification ; les modèles décisionnels et de résolution de problèmes sont plutôt utilisés dans la recherche sur le jugement des enseignants en action et dans certains environnements informatisés (Charlier, 1989 ; Dessus, 2002).
86Le premier modèle décrivant la pensée planificatrice fut proposé par Ralph Tyler (1950). Ce modèle consistait en une séquence de quatre étapes : la spécification des objectifs, la sélection des activités d’apprentissage, l’organisation des activités d’apprentissage et la spécification des procédures d’évaluation (Clark & Peterson, 1986).
87Dans le modèle de Ralph Tyler (figure 1), on considère trois sources primaires de curriculum – les élèves, la société et le contenu de matière – à partir desquelles l’enseignant formule des tentatives d’objectifs provisoires, vues à travers un filtre de philosophie éducationnelle et de représentations de « comment les élèves apprennent » (psychologie profane). Ces considérations fournissent aux enseignants une idée rationnelle pour l’enseignement de ce qui doit être appris. À partir de cela, l’enseignant développe des objectifs comportementaux précis, sélectionne le contenu et les expériences d’enseignement appropriés, organise, dirige, gère et évalue l’apprentissage en relation avec ces buts et ces objectifs. En somme, toutes les étapes de ce modèle conduisent à, ou sont issues de séquences objectives et particulièrement linéaires.
Figure 1. – Modèle du développement curriculaire de Tyler (May, 1986)
88L’utilisation de ce modèle linéaire, qui rappelle la logique d’un système de production industrielle, a vraisemblablement été recommandée à tous les niveaux et des milliers d’enseignants ont été entraînés à son maniement (Clark & Peterson, 1986). Les modèles rationnels tels que celui de Ralph Tyler (1950) ont été très critiqués lorsque, dans les années soixante-dix, les chercheurs ont commencé à examiner directement les processus de planification utilisés par les enseignants et à comparer ce qui était effectivement mis en œuvre par rapport à ce qu’il était prescrit de faire.
89Pour la planification d’un élément précis du programme d’enseignement, les enseignants commencent, selon Philip Taylor (1970), par la réflexion concernant le contenu à enseigner en y appliquant des considérations contextuelles importantes (temps d’enseignement, ressources, matériel…). Ensuite, les enseignants pensent aux intérêts et attitudes des élèves, aux objectifs et aux buts généraux de l’enseignement, aux situations d’apprentissage à créer, à la philosophie sous-jacente à l’enseignement, aux critères pour juger de la qualité de l’enseignement, au degré d’intérêt des élèves nécessaire à l’enseignement et enfin à l’évaluation proprement dite de l’enseignement et aux objectifs spécifiques que l’enseignement servira.
90Plusieurs autres auteurs ont montré les limites du modèle linéaire tylerien (Zahorik, 1975 ; Peterson, Marx & Clark, 1978 ; Shavelson & Stern, 1981 ; Neale, Pace & Case, 1983 ; Calderhead, 1987 ; Sardo-Brown, 1990 ; Tochon, 1993). Pour François Tochon (1993), les décisions de planification portent en général prioritairement sur la matière et les contenus à enseigner en termes d’activités, très rarement sur les objectifs opérationnels. Selon lui, ce constat n’empêche pas qu’une réflexion sur les buts de l’enseignement ait sa valeur et permette à l’enseignant de clarifier ses intentions.
91Pour Deborah Sardo (1982), la planification des enseignants les moins expérimentés consiste surtout en une planification journalière et unitaire suivant davantage le modèle linéaire tylerien (sans le respecter scrupuleusement). Les enseignants les plus expérimentés ont tendance à être des planificateurs moins systématiques, à allouer moins de temps à la planification et à se centrer davantage sur la planification d’un flux d’activités pour une semaine entière au lieu de s’intéresser à des détails fins pour chaque leçon.
92Une recherche a testé la possibilité que la rareté d’utilisation du modèle tylerien soit due à l’entraînement inadéquat des enseignants (Neale, Pace & Case, 1983). Ils ont découvert que tant les futurs enseignants que les enseignants expérimentés expriment des attitudes modérément favorables à l’encontre du modèle tylerien. Les enseignants expérimentés estiment qu’il est surtout utile pour les futurs enseignants et non pour eux-mêmes. Une minorité dit y recourir pour élaborer de nouvelles unités mais une majorité d’entre eux estime ce modèle chronophage et inutile. Cependant, ils avouent l’utiliser implicitement dans leur planification informelle. Les futurs enseignants, quant à eux, rapportent qu’ils l’utilisent et le respectent méticuleusement uniquement lorsqu’ils en ont l’obligation (exigence scolaire). Lorsque ce n’est pas spécialement exigé, la plupart rapportent ne pas l’utiliser. Les constats de cette étude contredisent l’hypothèse selon laquelle les enseignants n’utilisent pas le modèle tylerien parce qu’ils sont mal entraînés à son utilisation. Tant les futurs enseignants que leurs collègues les plus expérimentés ont démontré une bonne maîtrise du modèle tylerien, même s’il n’est pas l’approche planificatrice choisie préférentiellement par les enseignants novices ou expérimentés.
93Les enseignants planifient des activités qui remplissent le temps instructionnel disponible (Zahorik, 1975 ; Morine, 1976 ; Yinger, 1980 ; Leinhardt, 1983 ; Sardo-Brown, 1988, 1990). Ils sélectionneraient des activités, dont ils pensent qu’elles entraîneront l’attention des élèves, dans les sources disponibles telles que le guide de l’enseignant et/ou le curriculum d’enseignement (Mc Cutcheon, 1980). Ils répètent mentalement ces plans pour anticiper les problèmes éventuels ou pour élaborer et affiner les idées initiales (Morine, 1976 ; Mc Cutcheon, 1980 ; Yinger, 1980).
94Bref, ni les enseignants novices, ni les enseignants chevronnés n’adoptent stricto sensu cette forme de planification (Taylor, 1970 ; Zahorik, 1975 ; Morine, 1976 ; Yinger, 1980 ; Sardo, 1982 ; Leinhardt, 1983 ; Neale et al., 1983 ; May, 1986 ; Sardo-Brown, 1988, 1990 ; Jank & Meyer, 1991 ; Kolbe, 2000).
95L’inadéquation du modèle tylerien a, pour bon nombre d’auteurs, certaines répercussions sur la formation des enseignants et sur les exigences de la hiérarchie. Ainsi, exiger que l’enseignant ou le futur enseignant respecte son plan écrit initial revient à lui imposer la plupart du temps d’échouer dans la relation éducative, celle-ci requérant une souplesse en vertu de laquelle un plan ne peut être saisi que dans la continuité fluide des activités. Exprimé autrement, l’application stricte du modèle tylerien reviendrait à empêcher la flexibilité nécessaire à l’enseignement efficace. Cependant, les foyers de centration évoqués par le modèle tylerien ne sont pas complètement ignorés par les enseignants lors de la réflexion planificatrice.
96Selon Evelyne Charlier (1989), on peut distinguer des modèles centrés sur les décisions et des modèles centrés sur le processus de traitement de l’information.
97Les modèles centrés sur les décisions posent que l’enseignant, placé dans un environnement complexe, délimite l’espace du problème à partir d’une perception sélective des informations. Il est donc question d’étudier la façon dont l’enseignant traite ces informations et articule ses comportements autour de celles-ci. Selon Christopher Clark (1978), ces modèles sont adéquats pour décrire la planification : durant cette phase, l’enseignant a suffisamment de temps pour faire des choix raisonnés.
98Les modèles centrés sur le processus de traitement de l’information mettent l’accent sur la manière dont l’enseignant évalue la situation dans laquelle il se trouve afin de prendre les décisions qui s’imposent. Ici, il est question d’expliquer et de décrire les comportements du maître à partir des décisions qu’il prend. Pour Christopher Clark (1978), ces modèles seraient plus adaptés pour décrire la phase interactive durant laquelle l’enseignant dispose de peu de temps pour traiter les informations : durant cette phase, il recourrait plutôt à des routines qu’à des choix raisonnés. Robert Yinger (1980) ne partage pas ce point de vue de Christopher Clark sur la pertinence d’un modèle ou de l’autre selon la phase d’enseignement analysée. Il propose cependant plutôt un modèle basé sur le traitement de l’information pour décrire la phase de planification.
99Joyce Putnam et Gerald Duffy (1984), ayant réalisé une étude sur les comportements d’enseignants experts, proposent de combiner ces deux modèles. Ces deux modèles sont complémentaires car ils intègrent tous deux les théories des décisions et celles du traitement de l’information tout en mettant chacun l’accent sur des aspects différents.
100Le modèle de Robert Yinger (1980) est centré sur le traitement de l’information et les décisions prises pendant la phase de planification. Il décrit le processus de planification et l’assimile à celui d’un processus de résolution de problème en différenciant trois stades :
- 4 Pour une description plus détaillée de cette notion qui est peu explicitée dans les écrits de Rober (...)
1011) La détermination ou conception générale du problème : l’enseignant se représente la tâche d’enseignement à planifier, qui est traduite en problèmes spécifiques, à partir des informations dont il dispose (environnement, curriculum, ressources, apprenants…). Il traduit cette tâche en dilemmes de planification4 qui sont analysés en fonction de facteurs précis (expérience, connaissances, matériel, compétences…) pour proposer des idées ou des pistes de solutions.
1022) La formulation du problème et de la solution : l’enseignant élabore, adapte et teste mentalement différentes solutions. Robert Yinger (1980) distingue trois étapes :
-
élaboration : l’enseignant combine des éléments stockés en mémoire, dont des routines, à des informations externes pour proposer des solutions à des sous-problèmes ou au problème général ;
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investigation : l’enseignant anticipe l’action, examine ses hypothèses en fonction de son répertoire mnémonique et de sa conception générale du problème ;
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adaptation : l’enseignant combine les solutions des différents sous-problèmes pour en dégager une solution applicable au problème global dont la conception s’est affinée tout au long de ce stade.
1033) La mise en œuvre, l’évaluation et la routinisation : l’enseignant implémente et évalue la solution lors de la phase interactive et en stocke les résultats en mémoire pour les utiliser ultérieurement.
104Bref, la première de ces étapes est un genre de cycle exploratoire durant lequel les conceptions de l’enseignant concernant les objectifs, ses connaissances et expériences, ses notions de dilemmes de planification et le matériel disponible pour la planification interagissent pour produire une conception initiale du problème digne d’explorations supplémentaires. La deuxième étape est la formulation du problème et sa résolution. La troisième étape de son modèle de la planification comprend l’implémentation, l’évaluation et éventuellement la routinisation du plan. Robert Yinger (1977) souligne que l’évaluation et la routinisation contribuent au développement du répertoire de connaissances et d’expériences de l’enseignant qui, à son tour, joue un rôle majeur dans les délibérations de planification futures de l’enseignant.
105Pour Robert Yinger, la meilleure manière d’illustrer le mécanisme de planification est un design cyclique. Selon lui, la résolution de problème est un processus qui englobe l’élaboration progressive de plans dans le temps. En outre, il suggère que l’élaboration, l’investigation et l’adaptation sont des phases à travers lesquelles les enseignants formulent leurs plans.
106Pour Christopher Clark et Penelope Peterson (1986), une contribution significative de la manière de conceptualiser la planification enseignante de Robert Yinger est qu’il propose un modèle cyclique récursif similaire au processus de travail de l’architecte, du designer ou du médecin au lieu d’un modèle linéaire. Ce modèle admet, selon eux, que l’enseignement n’est pas une série d’épisodes de planification-enseignement n’ayant aucune relation mais que chaque événement de planification peut être influencé par certaines expériences de planification ou d’interaction antérieures, et que chaque événement d’enseignement alimente potentiellement les processus de planification et d’enseignement ultérieurs. De plus, il représente ce cycle comme étant un processus continu, et se déroulant au cours des années, dans lequel les frontières entre planification, enseignement et réflexion ne sont pas nettes et distinctes.
107Le modèle de Richard Shavelson et consorts (Shavelson, 1976 ; Shavelson, Atwood & Borko, 1977 ; Borko, Cone, Atwood-Russo & Shavelson, 1979 ; Shavelson & Stern, 1981) décrit la phase de planification comme un processus de traitement de variables et de prise de décisions visant à favoriser l’apprentissage des apprenants. L’enseignant dispose d’une panoplie de stratégies parmi lesquelles il choisit la plus adaptée aux différents moments du processus éducatif (Charlier, 1989).
108Pour Richard Shavelson et ses associés, les enseignants construisent des modèles psychologiques simplifiés de la réalité, à l’aide d’heuristiques de traitements d’informations pour prendre des décisions et porter des jugements. Ils émettent ces décisions et ces jugements à partir de trois registres de paramètres : les informations et jugements relatifs aux apprenants, les croyances et attitudes par rapport à l’éducation et la nature de la tâche. Sur la base de ces paramètres, l’enseignant analyse les différentes stratégies d’enseignement possibles, prend des décisions en combinant les informations et émet des hypothèses sur les causes probables des comportements des apprenants.
109Gaea Leinhardt (1983) pense que la planification est gouvernée par un assortiment implicite de schémas d’activités ou de scripts mentaux, afin d’exécuter l’enseignement interactif. Ces scripts mentaux seraient tellement bien ancrés en mémoire et répétés que les enseignants auraient peu besoin de les élaborer, de les changer, de les modifier ou les adapter durant la planification. Par conséquent, les enseignants se concentreraient sur l’élaboration d’un agenda pour l’activité (c’est-à-dire une progression ou un planning) pendant la planification en se focalisant sur la mise en place de buts, de contenus et d’activités. Ceci semble faire écho à l’idée selon laquelle la planification serait une prise de décision par rapport à l’organisation de routines d’enseignement (Yinger, 1977 ; Clark & Yinger, 1979 ; Bromme, 1982 ; Creemers & Westerhof, 1982 ; Tochon, 1993) et qu’elle consisterait à organiser et à activer ces plans mentaux déjà établis.
110Evelyne Charlier (1986-1987) a montré que deux catégories de décisions sont à l’origine de comportements très contrastés lors de la phase interactive dans le cas où l’enseignant n’est pas confronté au bon ensemble de conditions ou, plutôt, à la configuration de stimuli prévue a priori. D’une part, il y a les décisions de planification sans alternative, donc des options dont l’unique possibilité de conduite a été imaginée au préalable. Dans ce cas, l’enseignant se bornera à ne pas exécuter la décision initiale. D’autre part, il y a les décisions de planification avec alternative, c’est-à-dire des choix de conduites pédagogiques parmi plusieurs possibilités envisagées. Evelyne Charlier a montré que si la condition d’application de ce type de décision n’est pas remplie, l’enseignant adoptera d’autres comportements également planifiés. Ces décisions de planification avec alternatives prévues permettent de prévoir l’adaptation de l’enseignement lors de la phase interactive à des éléments prévisibles mais difficilement contrôlables (tels que, par exemple, le temps) ou incertains (tels que, par exemple, les acquisitions antérieures des apprenants). Elle a montré que les décisions de planification conditionnées avec alternatives étaient nettement moins nombreuses que les décisions de planification sans alternatives.
111Enfin, pour Evelyne Charlier (1986-1987, 1988, 1989), la planification ne se réduit pas à une somme de décisions, mais les décisions planificatrices s’organisent en un réseau où chaque composante entretient avec les autres des relations de but, de conséquence, de cause ou d’opposition, ce qui dynamise cette composante. Selon elle, un changement de conduite implique la modification de toutes les composantes mises en réseau lors de la pensée planificatrice.
112Ce qu’il faut retenir ici, c’est qu’Evelyne Charlier (1986-1987, 1989) a montré que les enseignants prennent surtout des décisions fixes et ne pensent pas fréquemment à des alternatives de conduite. En outre, elle a fait apparaître que même si certaines décisions étaient spécifiques aux unités préparées, la majorité d’entre elles transcendaient l’acte de planification. Enfin, elle a mis en lumière l’inter-relation des décisions planificatrices.
113Le modèle de Wanda May(1986) pose que la perception individuelle de l’enseignant par rapport aux éléments centraux de l’enseignement – enseignant, apprenant, contenu et matériel – a un grand impact sur la manière avec laquelle il aborde la planification (figure 2). Des caractéristiques de l’enseignant telles que l’expérience, la personnalité, les connaissances sur le contenu, le style de résolution des problèmes adopté, le bagage ou répertoire instructionnel, les perceptions de la relation entre élèves et enseignants, influencent les caractères du style de planification individuel.
Figure 2. – Modèle de May (1986)
114Pour Wanda May (1986), la majorité des enseignants considère d’abord le contenu et les activités avant de s’intéresser aux autres éléments du curriculum même si les élèves sont un point de centration important. Selon elle, la planification enseignante peut être décrite au mieux comme une prise en considération simultanée des éléments centraux de son modèle (contenu, matériel, apprenant et enseignant) et de prise de décisions à leur propos. Wanda May pense que la planification apparaît durant les phases pré-actives et interactives et que les enseignants sont guidés par des intentions contribuant à l’image mentale de l’activité généralement peu détaillée dans leurs propos ou écrits. Les intentions et les images mentales des activités sont alors adaptées en fonction du déroulement des activités et de leurs flux.
115Même si les contenus peuvent être un point de départ pour beaucoup d’enseignants, les activités et le flux de l’instruction sont centraux au modèle et il y a une interaction simultanée de tous les éléments du curriculum. Même lors de la phase pré-active de la planification, cette interaction simultanée est observable.
116Pour Wanda May (1986), le modèle de la planification pratique n’est pas linéaire ou progressif « étape par étape », il est plus descriptif que prescriptif. Elle pense que bon nombre d’éléments sont considérés simultanément par les enseignants, lors des phases pré-active, interactive et post-active de l’enseignement.
117Bref, le modèle de Wanda May (1986) peut être considéré comme un modèle combinant les modèles linéaires et décisionnels. L’enseignant, qui poursuit des intentions d’enseignement et d’apprentissage pour ses élèves, prend des décisions relatives au programme, au contenu, au matériel et aux apprenants (besoins, aptitudes, intérêts et motivation) et développe les objectifs, les contenus, etc. Il évalue les résultats de son plan lors de son implémentation mentale et réelle et adapte son plan en fonction de la pratique, voire il routinise certains éléments.
118Christopher Clark et Robert Yinger (1979) ont montré que les plans unitaires des enseignants consistaient en une courte étape d’identification d’un problème, en une brève étape de planification unitaire et en un considérable besoin d’essai des activités dans le contexte de la classe. Christopher Clark et Robert Yinger appellent cette approche la « planification incrémentielle » et décrivent les enseignants qui l’emploient comme étant des enseignants qui comptent énormément sur les informations journalières issues de la vie en classe. Ils ont caractérisé les plans unitaires, durant lesquels les enseignants développent une charpente spécifique et minutieuse pour l’action future, comme étant une « planification compréhensive ». La planification compréhensive suppose que davantage d’attention soit accordée à l’unité comme formant un tout et que davantage de temps et d’énergie soient investis pour détailler les plans de manière aussi complète que possible avant de commencer l’enseignement. Ce type de planification fournit un guide complet sur lequel l’enseignant peut compter pour les interactions enseignant/enseignés dans l’ensemble du cours de l’unité d’enseignement ; il réduit l’incertitude et augmente la probabilité d’atteindre les objectifs d’enseignement-apprentissage spécifiés a priori dans la planification. Pour sa part, la « planification incrémentielle » économise du temps et de l’énergie, en permettant de rester en concordance avec ce qui se déroule effectivement en classe. Si on estime que la planification compréhensive est proche du « modèle linéaire » de Ralph Tyler et que la planification incrémentielle est similaire au modèle de Robert Yinger (« modèle cyclique ») alors on peut estimer, à partir des résultats de Christopher Clark et Robert Yinger (1979), que les enseignants utilisent l’un ou l’autre des deux types de modèle de planification, selon leur préférence.
119Deborah Sardo-Brown (1990) a montré que la planification enseignante se déroule en plusieurs étapes. Après l’évaluation de l’état de connaissance et des capacités des élèves acquises lors de l’instruction précédente, les enseignants prévoient, à la lumière de cette évaluation, les objectifs d’enseignement du jour qu’ils planifient. Après avoir anticipé s’il est nécessaire de ré-enseigner (et, si c’est le cas, avoir estimé le temps et les moyens à accorder à ce ré-enseignement), ils formulent une séquence d’activités, basée sur une revue des événements déroulés et la vérification de l’état et de la disponibilité du matériel nécessaire à cette séquence d’activités. Finalement, les enseignants revoient leurs stratégies de présentation des activités de la séquence et effectuent des ajustements de dernière minute pour rejoindre les intérêts de leurs élèves. Pour Deborah Sardo-Brown, certains éléments du modèle linéaire de la planification (Tyler, 1950) semblent être présents dans ces décisions puisqu’un certain nombre d’enseignants mentionnent qu’une décision prise lors de la planification quotidienne implique de s’intéresser notamment aux buts et objectifs du jour, de la semaine, de l’unité et/ou de la période à venir.
120Harm Tillema (2003) a rangé les propos codés de ses enseignants dans deux systèmes de catégories différents : le premier est dérivé de la planification prescriptive linéaire tylerienne et le deuxième, qui a été identifié par la fréquence des propos mentionnés lors des interviews, peut être qualifié de descriptif. H. Tillema a aussi codé le degré de spécificité des propos des enseignants, allant des remarques générales aux commentaires les plus concrets. H. Tillema a tenté de déterminer le système de catégories qui correspond le mieux aux propos de planification qu’il a engrangés. Ses analyses ont montré qu’aucun système de catégories pris isolément ne permet de décrire de manière adéquate les données rassemblées. Seule une combinaison du système descriptif et du degré de spécificité le permet. Ceci semble indiquer que les tentatives de modélisations prescriptives-linéaires (Tyler, 1950) ou descriptives (Taylor, 1970 ; Zahorik, 1975 ; Morine, 1976 ; Peterson et al., 1978 ; Mc Cutcheon, 1980 ; Yinger, 1980 ; Shavelson & Stern, 1981 ; Sardo, 1982 ; Leinhardt, 1983 ; Neale et al., 1983 ; May, 1986 ; Calderhead, 1987 ; Sardo-Brown, 1988, 1990 ; Jank & Meyer, 1991 ; Tochon, 1993 ; Kolbe, 2000) actuelles sont un échec et qu’elles se complètent, plus qu’elles ne s’opposent.
121À la lecture de cette note de synthèse, on a pu voir que la recherche sur le teacher thinking a mis en évidence l’existence de plusieurs types ou niveaux de planification (Yinger, 1977 ; Clark & Yinger, 1979 ; Sardo-Brown, 1990 ; Tochon, 1993) qui s’organisent en forme de spirale ou de colimaçon : ils s’imbriquent, se superposent, se succèdent, s’inter-influencent, etc.
122Les niveaux de planification unitaire, hebdomadaire et quotidienne sont fréquemment utilisés par les enseignants (Clark & Yinger, 1979). Le niveau annuel permet de visualiser l’année scolaire, de répartir les contenus à l’intérieur de celle-ci en les organisant de manière chronologique, et sert de référence à l’enseignant pour concevoir des plans plus détaillés (Clark & Peterson, 1986 ; Tochon, 1993 ; Sardo-Brown, 1990 ; Yildirim, 2003). La ressource principale à laquelle se réfèrent les enseignants à ce niveau est le programme officiel d’enseignement (Yildirim, 2003). Le niveau quotidien sert à implanter des activités qui sont réalistes, pertinentes, et adaptées sur le terrain d’exercice de l’enseignant. À ce niveau, ce sont essentiellement des ressources liées à l’enseignant lui-même, telles que son expérience professionnelle personnelle, qui servent de référence pour proposer une adéquation de plus en plus fine avec les spécificités de la classe (Yildirim, 2003). Entre ces deux pôles (annuel et quotidien) se situent des niveaux planificateurs de plus en plus spécifiques et concrets qui sont organisés en réseaux et reliés entre eux par l’expérience professionnelle qui, par l’intermédiaire de la planification post-active et de son lien avec la planification pré-active, permet le développement de plans adaptés aux réalités de la situation et des processus d’enseignement spécifiques à la classe. La nature et la qualité des décisions se transforment à travers les différents niveaux de planification : d’abstraites, elles deviennent de plus en plus concrètes (Sardo-Brown, 1990 ; Tillema, 2003).
123La recherche indique que les enseignants planifient pour des raisons multiples.
1241) Raisons organisationnelles et administratives :
-
nécessité d’instaurer les règles du jeu pédagogique, de structurer le fonctionnement de l’année scolaire et d’organiser la configuration physique de la classe (Newell & Simon, 1972 ; Anderson & Evertson, 1978 ; Tikunoff & Ward, 1978 ; Buckley & Cooper, 1978 ; Clark & Elmore, 1979 ; Shultz & Florio, 1979 ; Joyce, 1978-79 ; Gauthier, 1997 ; Mc Cutcheon & Milner, 2002) ;
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nécessité de respecter les standards de planification préconisés par la hiérarchie et de faciliter le travail d’autres enseignants dans le cas d’un remplacement éventuel (Mc Cutcheon, 1980 ; Clark & Peterson, 1986 ; Sardo-Brown, 1990 ; Yildirim, 2003).
1252) Raisons personnelles et psychologiques :
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nécessité de simplifier l’acte d’enseignement (Sardo-Brown, 1990 ; Yinger, 1977 ; Clark & Yinger, 1979 ; Bromme, 1982 ; Creemers & Westerhof, 1982) ;
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nécessité de satisfaire des besoins personnels (Yinger, 1977) ;
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nécessité de diminuer le niveau d’incertitude et de non-prédictibilité des situations d’enseignement-apprentissage (Clark & Elmore, 1981) ;
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- 5 Gail Mc Cutcheon et Richard Milner (2002) questionnent cette idée de mémorisation d’une image menta (...)
nécessité de mémoriser une image mentale des situations d’enseignement-apprentissage (Morine-Dershimer & Vallance, 1976 ; Morine, 1976 ; Morine-Dershimer, 1977, 1979 ; Smith & Sendelbach, 1979 ; Yinger & Clark, 1982, 1983 ; Tochon, 1993)5 ;
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nécessité d’organiser et de séquencer des routines (Yinger, 1976, 1977 ; Clark & Yinger, 1979 ; Bromme, 1982 ; Creemers & Westerhof, 1982 ; Tochon, 1993).
1263) Raisons pédagogiques :
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nécessité d’organiser l’environnement éducatif (Clark & Yinger, 1979) ;
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nécessité de trouver les moyens d’atteindre les objectifs d’enseignement (Clark & Yinger, 1979) ;
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nécessité d’organiser les situations d’enseignement-apprentissage (Clark & Yinger, 1979) ;
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nécessité d’optimiser la qualité de la situation d’enseignement-apprentissage (Bromme, 1982 ; Creemers & Westerhof, 1982) ;
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nécessité de consulter le programme d’enseignement et de l’adapter aux réalités de la classe (Clark & Peterson, 1986 ; Clark & Yinger, 1987 ; Tochon, 1993 ; Boote, 2006).
127Il apparaît que la planification est nécessaire au bon déroulement de l’acte d’enseignement mais une dépendance trop prononcée peut s’avérer contre-productive si l’enseignant ne parvient pas à s’en dégager lorsque la situation le requiert (Gauthier, 1997).
128Des tentatives de modélisation de la planification enseignante ont été proposées dans la littérature de recherche, mais aucune de celles-ci n’a pu être vérifiée de manière satisfaisante. Nos lectures nous permettent de proposer un modèle synthétique des processus de pensée des enseignants lors de la planification de leur enseignement (figure 3). Soulignons d’emblée que cette structuration n’a pas été vérifiée et que toute généralisation serait abusive. Le modèle doit être compris comme une tentative de structuration des apprentissages engrangés grâce à la recherche sur la pensée planificatrice des enseignants.
Figure 3. – Modèle de la double cyclicité de la pensée planificatrice
129Le modèle que nous proposons est régi par une double cyclicité. Le premier mouvement cyclique, que nous avons choisi de représenter à gauche, s’inspire des modèles de traitement de l’information et de prise de décisions (par exemple Yinger, 1980). Il reprend les trois phases du processus de résolution de problèmes : la détermination ou conception générale du problème (intervention à planifier), la formulation du problème et de la solution comprenant les sous-étapes de l’élaboration, de l’investigation et de l’adaptation (planification de l’intervention) et, enfin, la mise en œuvre, l’évaluation et la routinisation (intervention à implémenter).
130Le deuxième mouvement cyclique du modèle que nous proposons (à droite) reprend les constats du courant du teacher thinking concernant les foyers de préoccupation et les facteurs d’influence organisés autour des dilemmes de la planification. Rappelons que la plupart de ces foyers et facteurs sont également repris dans les modèles tyleriens, décisionnels et composites. Les quelques paragraphes qui suivent vont détailler plus en profondeur ces éléments qui s’organisent pour mettre en mouvement ce deuxième mouvement cyclique.
131Concernant les foyers de préoccupation, la recherche sur la pensée planificatrice, malgré l’utilisation de méthodologies différentes, l’implémentation des plans de recherche à des degrés d’enseignement différents (maternel, primaire, secondaire et supérieur) et à des niveaux scolaires différents (essentiellement à l’intérieur de l’enseignement primaire), a abouti à des résultats remarquablement similaires : quand ils planifient, les enseignants pensent aux contenus, aux apprenants, aux stratégies d’enseignement, aux objectifs, au matériel et à l’évaluation et ses procédures. Nous avons pu lire que ces foyers de préoccupation sont fortement inter-reliés et qu’ils s’influencent les uns les autres.
132Tout semble indiquer que les enseignants pensent aux contenus à enseigner au niveau annuel et que cette préoccupation se transforme pour s’affiner au fur et à mesure de la progression à l’intérieur des niveaux de planification.
133La place des objectifs dans les foyers de préoccupation des enseignants a été un sujet de discussion entre les défenseurs du modèle tylerien – qui les situent en amont de toutes les autres décisions d’enseignement – et les partisans des modèles descriptifs ou décisionnels, qui parfois ont rejeté l’idée de leur traitement par les enseignants et d’autres fois ont estimé qu’ils sont un objet de préoccupation (parmi d’autres), relativement peu présent dans les pensées planificatrices. Ce que nous retiendrons, c’est que les objectifs font bien l’objet de décisions à un moment ou à un autre de la planification (en premier ou en dernier lieu). Alice Mc Leod (1981) a montré que les enseignants pensent essentiellement à des objectifs cognitifs lors de la planification et que ceux-ci occupent davantage les pensées des enseignants lors de l’interaction avec les élèves. Cette dernière observation pourrait éventuellement s’expliquer par le fait que les enseignants se sont fixés une trame et sa fin lors de la planification et que pour ne pas en dévier et arriver à bon port, ils maintiennent cette direction en tête pour gérer la situation interactive.
134Nous avons pu remarquer, au fil de la lecture, que ce sont surtout les proportions et/ou l’ordre dans lesquels les enseignants pensent aux différents foyers qui varient et non pas le fait de penser ou non à ceux-ci. Bref, les éléments de préoccupation du modèle tylerien sont présents dans les pensées planificatrices et les modèles décisionnels permettent de les agencer en prenant en compte les facteurs d’influence.
135Pour ce qui est des référents décisionnels (facteurs d’influence), la littérature permet de remarquer que l’acte de planification est affecté par des forces endogènes et exogènes. La recherche a souvent traité les apprenants comme étant un sujet de décision, néanmoins, leur place est incertaine. Nous considérons que les enseignants pensent effectivement à eux mais que leur poids pèse plutôt sur les autres décisions, par conséquent, ils ont plus le rôle d’un référent décisionnel que d’un foyer de préoccupation. Les enseignants pensent à eux, à leur participation, engagement, motivation ainsi qu’à leurs besoins, capacités, intérêts et au diagnostic de leurs difficultés, lors de la planification pour ajuster leur action pédagogique à leur contexte spécifique. Ainsi, par exemple, les enseignants choisissent la progression des objectifs, des contenus, des activités et les stratégies d’enseignement en fonction des caractéristiques de leurs élèves. Les apprenants ont donc un certain poids sur les décisions planificatrices, puisque les enseignants s’y réfèrent pour ajuster leur enseignement et gérer les dilemmes de planification (pilotage et flexibilité). Les enseignants se réfèrent également à leurs collègues et aux conseils de leur direction ou de l’inspection. Ils recourent aux ressources officielles (programme d’enseignement, matériel, manuels…) pour enseigner des contenus en fonction de leurs jugements sur le contexte et le processus d’enseignement-apprentissage.
136Les effets de l’expérience professionnelle et des théories implicites des enseignants sont considérables dans la planification de leur enseignement. La lecture de la littérature de recherche nous incite à penser que l’expérience professionnelle personnelle des enseignants joue le rôle d’un facteur médiateur qui permet de gérer tous les foyers de préoccupation et tous les référents décisionnels.
137Nous avons également vu que les enseignants sont confrontés à certains dilemmes quand ils planifient leur enseignement. Ils sont tenus de respecter un programme d’enseignement et de respecter la progression de leurs élèves à l’intérieur d’un calendrier scolaire et d’un horaire donnés. Ils choisissent comment organiser et ordonner les objectifs et les contenus en fonction des besoins et des intérêts de leurs élèves. Ensuite, ils sont tenus de piloter la cadence instructionnelle pour s’assurer de couvrir le contenu prévu et d’atteindre les objectifs fixés en fin d’année, de période, de semaine, de journée ou de séquence d’activités. Cette idée de pilotage fait référence à un aller-retour entre les résultats perçus du processus d’enseignement et la planification des processus ultérieurs : l’enseignant ajuste et adapte ses plans d’intervention en fonction de son vécu de la situation d’enseignement. Cette préoccupation consistant à vouloir s’adapter au mieux à la réalité, tout en respectant les exigences fixées par le système, ne pourrait pas se faire sans une certaine flexibilité. La nécessité de rester flexible, que l’on pourrait rapprocher de la capacité d’improvisation chère à François Tochon (1993), est proche du pilotage de la cadence instructionnelle, puisque les enseignants se sentent tenus d’ajuster leur enseignement en fonction de la progression de leurs élèves, d’imprévus survenus lors de l’enseignement, sans toutefois perdre de vue la nécessité de proposer un flux d’activités constant et varié aux apprenants. La recherche a pu mettre en évidence que cette capacité d’adaptation est importante pour l’efficacité de l’enseignement.
138La gestion de dilemmes, qui implique une réflexion sur les préoccupations eu égard aux facteurs d’influence, est au centre du modèle de la double cyclicité de la planification. C’est par son entremise que les enseignants peuvent, selon nous, assurer un certain réalisme pédagogique dans leurs classes. Le degré de spécificité de ce réalisme varierait en fonction de l’organisation spirale des niveaux de planification : l’abstraction grandirait à mesure que l’on approcherait de la planification annuelle et deviendrait de plus en plus concrète quand l’enseignant réfléchit à des éléments propres à une unité d’enseignement particulière. Soulignons que la complémentarité des modèles a déjà été suggérée et a débouché sur la proposition de modèles composites (May, 1986). Cette mise en relation peut être complétée par la prise en compte du degré de spécificité des décisions (Tillema, 2003). Les dilemmes sont également au centre de notre modèle car, en écho au premier mouvement cyclique, ils sont, pensons-nous, le noyau dur de la planification grâce auquel les enseignants peuvent problématiser leur pensée pré-active. Notons qu’il est aussi probable que l’analyse post-active de l’enseignement, en fonction des solutions apportées aux dilemmes, permette de réguler le bagage de compétences professionnelles des enseignants.
139La planification est une activité centrale de l’enseignant, elle est inhérente à sa fonction et se déroule spontanément et/ou mentalement, à tout moment de la journée (Tochon, 1993). Ce qu’il faut retenir, à la lecture de ce qui précède, c’est que l’acte de planification est une tâche complexe et multidimensionnelle qui exige de l’enseignant qu’il pense à une multitude d’éléments interconnectés (foyers) en fonction d’une myriade de conditions inter-reliées (facteurs). Ce processus cognitif consiste à trouver un compromis adapté aux spécificités de la classe, afin d’œuvrer en faveur de l’apprentissage des élèves (dilemmes). Ainsi, les enseignants font face à une kyrielle de situations et d’événements, non seulement complexes, mais aussi incertains, qui les amènent à prendre une légion de décisions différentes où il n’existe pas de solution exacte (Wanlin & Bodeux, 2006).
140Pour clore ce texte, il convient d’ajouter quelques éléments sur lesquels nous nous penchons dans les paragraphes qui suivent.
141Le paradigme de la pensée enseignante s’est développé alors que le paradigme processus-produit était privilégié en sciences de l’éducation. Alors qu’à cette période on ne voyait pas le bien-fondé de ce nouveau paradigme, on admet actuellement que les méthodologies du paradigme processus/produit d’inspiration béhavioriste peuvent être complémentaires aux études sur la pensée des enseignants au moins du point de vue fonctionnaliste consistant à identifier ce qui « fonctionne » effectivement sur le terrain (Berliner, 1989, 1990, 2005 ; Tochon, 1993). En outre, le paradigme du teacher thinking apporte une vision plus compréhensive au paradigme processus/produit (Tochon, 1993). Bref, les deux paradigmes se complètent plus qu’ils ne s’opposent.
142C’est en partie la piètre adéquation des modèles prescriptifs par rapport aux observations de la planification effective des enseignants qui a provoqué l’engouement pour le teacher thinking (Taylor, 1970 ; Zahorik, 1975 ; Morine, 1976 ; Peterson et al., 1978 ; Mc Cutcheon, 1980 ; Yinger, 1980 ; Shavelson & Stern, 1981 ; Sardo, 1982 ; Leinhardt, 1983 ; Neale et al., 1983 ; May, 1986 ; Calderhead, 1987 ; Sardo-Brown, 1988, 1990 ; Jank & Meyer, 1991 ; Tochon, 1993 ; Kolbe, 2000). L’étude descriptive du fonctionnement des enseignants, quand ils préparent leur enseignement, est rapidement apparue comme un incontournable et un préalable nécessaire à toute tentative d’innovation des programmes scolaires (Tochon, 1993). Ainsi, les décideurs politiques, responsables en matière d’innovations pédagogiques et de modifications curriculaires, se sont-ils probablement intéressés aux résultats de recherches sur le teacher thinking car, sans la prise en considération de la pensée enseignante, les recommandations diverses ne sont vraisemblablement pas d’une grande utilité dans la pratique (Clark & Lampert, 1986).
143Les répercussions sur la formation initiale se font également ressentir puisque la recherche sur le teacher thinking (planning) a montré que la planification par leçon joue un rôle moindre chez les enseignants expérimentés. Or, c’est ce type de planification qui est souvent valorisé dans les programmes de formation initiale des enseignants. Les différences d’utilisation de la planification par leçon entre enseignants et futurs enseignants peuvent peut-être indiquer que les étudiants en formation initiale ont tendance à se soumettre aux exigences de l’université (calendrier, méthodes de cours, modèles de supervision) plutôt qu’à celles de l’environnement de la classe. Les chercheurs et les formateurs d’enseignants devraient réfléchir plus largement à ce que font les enseignants durant leur temps de planification et éviter les comparaisons restrictives entre ce qui a été planifié et ce qui est effectivement enseigné comme étant le critère principal pour évaluer la qualité de la planification (Clark & Peterson, 1986). Les recherches sur le teacher thinking sont donc d’un grand intérêt pédagogique pour la formation initiale des enseignants puisqu’elles permettent d’apporter des éclaircissements concernant les types de connaissances que les enseignants utilisent (Clark & Lampert, 1986). Cette identification des savoirs contextualisés est importante pour les professionnels de la formation des enseignants et/ou les enseignants eux-mêmes (s’ils s’en servent pour mieux comprendre leur propre activité professionnelle) et pour tous ceux qui, en formation initiale ou continue des maîtres, ont pour objectifs d’encourager leur public et de le doter de moyens pour réfléchir, analyser et critiquer de manière constructive leur propre façon d’enseigner.
144Parmi les faiblesses du paradigme de la pensée enseignante, on peut citer le fait qu’à ses débuts, il s’est essentiellement développé au niveau de l’enseignement fondamental (Clark & Peterson, 1986 ; Sardo-Brown, 1990). Ainsi, jusqu’en 1986, le paradigme du teacher thinking a principalement concerné ce niveau scolaire. Depuis, le champ de la recherche s’est élargi pour englober actuellement les activités de l’enseignement secondaire et supérieur ainsi que la formation universitaire allant jusqu’à délaisser l’école primaire. Ce glissement peut être expliqué par la facilité à trouver les échantillons de recherche : bon nombre des recherches actuelles sont réalisées par des enseignants chercheurs qui recueillent leurs données auprès de leurs étudiants. Les Instituts de formation des maîtres et les universités ont donc relayé le paradigme en l’appliquant à eux-mêmes. Ils ont rapidement délaissé la recherche sur les pensées des enseignants au profit du courant qui s’intéresse à la réflexivité et à la professionnalisation de futurs enseignants. Par la même occasion, de nouvelles méthodologies de recherches ont été développées : les études de type logframe utilisant notamment des portfolios (servant souvent de supports d’évaluation des futurs enseignants) et des études sur les croyances et représentations à plus ou moins large échelle. En s’intéressant à des échantillons différents, les objectifs de recherche ont changé (il est dès lors question de développer des dispositifs de formation) et les méthodes ont évolué (les évaluations des étudiants sujets d’expérience ont été combinées aux outils de recueil de données).
145Une autre faiblesse de ce courant est que la majorité de ses études ont été conduites sur des échantillons réduits d’enseignants volontaires (de 1 à 20 enseignants avec très peu d’exceptions). En outre, les recherches se sont souvent centrées sur un seul « type » ou « niveau », celui de la leçon en général. Or la revue de littérature de recherche proposée ici a montré que les enseignants recouraient relativement peu souvent à ce type de planification. Les recherches futures devraient donc s’attacher à décrire l’ensemble des types de planification mis en œuvre par les enseignants durant l’entièreté de l’année scolaire et leurs inter-relations afin de mieux comprendre les exigences de la tâche d’enseignement et la manière dont les enseignants y répondent (Clark & Peterson, 1986). Les recherches de Deborah Sardo-Brown (1988, 1990) et d’Ali Yildirim (2003) ont atténué cette critique puisqu’elles ont montré la structuration des niveaux de planification entre eux.
146À un niveau plus technique, les études sur le teacher thinking reposent essentiellement sur des déclarations d’enseignants. Or les enseignants qui ont des facilités d’expression sont des sources d’information plus fiables (Brown, 2003). Il conviendrait alors de développer des outils de recueil de données qui permettent de dépasser cette limite liée aux capacités d’expression des enseignants. Ensuite, les études du paradigme du teacher thinking ne traitent pas des pensées effectives des enseignants mais traitent des souvenirs que les enseignants ont de leurs pensées. De plus, selon Harm Tillema (2003), les chercheurs sélectionnent a priori les catégories qui sont utilisées pour décrire les déclarations de planification émises par les enseignants. Ces catégories sont souvent dérivées d’un modèle de planification prescriptif qui, d’après la recherche, n’est pas une base adéquate pour décrire les décisions de planification des enseignants. Selon H. Tillema (2003), les catégories que les chercheurs utilisent se recouvrent trop et ne sont souvent pas assez clairement définies. De même, il y a peu de consensus sur le nombre de catégories à utiliser pour décrire avec pertinence la planification enseignante (Tillema, 2003). La plupart des études ne mentionnent pas le degré de spécificité des préoccupations. D’après H. Tillema (2003), cette information a néanmoins une valeur potentielle car on peut prétendre que plus les décisions de planification sont concrètes, plus elles indiquent la prégnance de certaines catégories dans la pensée pré-active.
147Enfin, pour James Calderhead (2003), même si la recherche sur le teacher thinking contribue à une meilleure compréhension de l’enseignement et à la genèse de solutions aux problèmes d’enseignement quotidiens, il serait intéressant d’élargir son champ d’investigation, en y incluant les pensées et les actions des élèves ainsi que des variables relatives aux contextes dans lesquels se déroule l’enseignement.
148Malgré la force de ce courant, ce qui précède indique que bien des éléments sont encore à peaufiner dans le paradigme de la pensée enseignante. Ces améliorations se situent notamment à un niveau technique et méthodologique (méthode d’investigation), au niveau du choix du public (élémentaire, secondaire, supérieur) et, enfin, au maintien du cap scientifique du paradigme (professionnalisation et praticien réflexif utilisant des supports d’évaluation comme outils de recherche). En outre, les foyers de préoccupation et les facteurs d’influence, leurs relations et leur organisation restent insuffisamment investigués. D’autres questions restent encore en suspens : quelle utilisation les enseignants font-ils des modèles de planification de type linéaire ? Quel degré d’autonomie enseignante est possible dans une structure où les enseignants sont obligés d’utiliser un modèle de planification prescrit ? Comment les enseignants (en fonction et en formation) intègrent-ils des modèles prescrits à ceux qu’ils utilisaient précédemment ? Comment accorder plus d’attention en formation initiale des enseignants, d’une part, à la manière dont on adapte efficacement des plans antérieurs pour correspondre à des degrés de maîtrise fluctuants et, d’autre part, à la manière dont on modifie ces plans pour qu’ils n’apparaissent pas répétitifs et monotones ?
149En définitive, bien plus de recherches devraient être menées concernant la planification enseignante avant que l’on puisse généraliser. Bref, avec François Tochon (1993), nous pensons que la planification en elle-même n’a pas encore été traitée au point que l’on puisse en dériver une théorie et une méthode de formation solides.