Lawn Martin & Nóvoa António (coord.). L’Europe réinventée : regards critiques sur l’espace européen de l’éducation
Lawn Martin & Nóvoa António (coord.). L’Europe réinventée : regards critiques sur l’espace européen de l’éducation. Paris : L’Harmattan, 2005. – 236 p. (Éducation et sociétés)
Texte intégral
1Cet ouvrage est la traduction française, enrichie d’une contribution de l’un des coordinateurs de l’ouvrage, A. Nóvoa, d’un livre en langue anglaise publié en 2002 – Fabricating Europe. The Formation of An Education Space (Dordrecht : Kluwer, 2002), lui-même issu d’un séminaire organisé l’année précédente à Lisbonne, et qui avait réuni des chercheurs ayant contribué de façon théorique et critique aux questions européennes en matière d’éducation. Il n’est pas inutile de préciser les origines de cet ouvrage, qui s’inscrit dans le prolongement du Traité de Lisbonne en 2000, compte tenu des récentes hésitations du projet européen suite à la non ratification, en 2005, du projet de Constitution européenne. Hésitations, ou bégaiements, du projet européen dont les contributions rassemblées ne rendent en conséquence pas compte dans leurs analyses.
2L’entité politique qu’est l’Europe, très longue (plus de cinquante ans) et toujours inachevée élaboration d’un conglomérat de projets, traités et institutions administratives et politiques, est toujours perçue comme lointaine par beaucoup de citoyens, malgré sa vocation à fédérer l’ambition d’une communauté de destin. Comment cette Europe pourrait-elle réaliser la construction d’un espace éducatif spécifique ? C’est l’ambition de l’ouvrage que M. Lawn et d’A. Nóvoa ont coordonné que d’analyser la question de l’européanisation sur ce double plan éducationnel et politique, en plaçant au cœur de leur propos – une fois n’est pas coutume quand il est question d’Europe et d’éducation – l’imagination. Dans leur introduction, les auteurs exposent l’un des objectifs de cet ensemble de textes : donner de la consistance à une « idée vague et même ambiguë », celle d’« espace européen de l’éducation », et en faire un « objet d’étude autonome », quand la plupart des ouvrages sur ce thème s’intéressent principalement selon les auteurs à décrire et à mesurer les effets de l’européanisation de l’éducation dans les différents contextes nationaux.
3L’importance croissante accordée à l’éducation dans le contexte européen impose selon M. Lawn et A. Nóvoa une tâche intellectuelle et critique urgente, menée indépendamment d’analyses, de leur point de vue plus répandues, des formes d’intégration et de médiation entre le central et le local, entre le global et le national. C’est donc, on en conviendra, un propos ambitieux qui anime ce livre. On objectera cependant que ce qui est vrai dans le monde anglo-saxon sur le plan de la recherche en éducation l’est probablement moins dans le contexte français où de telles approches, intéressées aux médiations entre les politiques européennes et les politiques et les pratiques éducatives nationales, ne sont somme toute pas si répandues ; ce constat un peu hâtif aurait mérité une adaptation du propos à la recherche et au lectorat francophones. Sur le fond, l’ouvrage fait, dans l’ensemble, honneur à ses ambitions. Si la dimension empirique en est assez absente, ce que l’on peut regretter, on ne peut toutefois en faire grief aux auteurs, eu égard à un projet théorique et conceptuel clairement énoncé. Notons toutefois que quelques contributions s’appuient sur l’analyse de documents officiels (émis par la Commission européenne), ce qui est tout à fait intéressant et utile.
4M. Lawn et A. Nóvoa exposent d’abord les enjeux qui ressortent de l’examen historique de la promotion d’un espace européen de l’éducation. Si le traité de Maastricht avait déjà consacré l’éducation comme l’une des responsabilités de l’Union européenne, le sommet de Lisbonne a marqué une étape supplémentaire vers la construction d’un espace européen de l’éducation, et, pour certains, d’un « modèle européen d’éducation ». Ce mouvement voit la promotion d’un nouveau modèle de décision, celui de la gouvernance, système complexe d’interrelations entre différents niveaux de décisions qui composent l’Union européenne : niveaux nationaux, sub-nationaux et supra-nationaux. Il y a dans la combinaison complexe des niveaux de décision et d’action politiques en matière éducative une dimension qui semble contredire les fantasmes qui sont régulièrement rattachés à la politique communautaire. A. Nóvoa et M. Lawn insistent sur cette dimension dans leur introduction commune aussi bien que dans leur contribution respective, qui tient à la dispersion et à la fluidité du pouvoir en matière d’éducation dans l’espace européen. Les décisions, parce qu’elles impliquent des acteurs à différents niveaux de l’espace politique, créent ou renforcent l’importance des réseaux, qui sont au cœur de cette conception nouvelle de l’action politique, et qui constituent désormais selon les auteurs des éléments de référence dans la régulation des processus de gouvernance éducationnelle.
5L’une des difficultés que l’on peut éprouver à commenter cet ouvrage réside aussi bien dans son ambition que dans la compréhension, par les différents contributeurs, des notions directrices de ce travail, à savoir l’imagination, la globalisation et la construction (de l’espace), notions qui structurent l’ouvrage en trois parties. Dans un chapitre introductif, M. Lawn enregistre le dépassement actuel des cadres traditionnels de régulation de l’éducation, tant sur le plan géopolitique que conceptuel, au profit d’une « éducation sans frontières », qui voit l’espace éducatif s’étendre selon des principes de régulation transnationaux et « transfrontaliers ». Ce diagnostic initial de l’érosion du monopole territorial de la nation sur l’éducation et plus largement sur les ressources morales de la formation de la communauté européenne est intéressant, mais pourrait être pondéré par un effort de qualification quant à la nature et à l’intensité, selon les contextes, de ce mouvement. En se démarquant d’emblée d’une perspective culturaliste et en tenant à distance les contextes nationaux, on se prive probablement d’une certaine vertu des études de cas nationaux et infra-nationaux à informer des problématiques et à interroger des logiques politiques plus globales.
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6Ce chapitre amorce néanmoins fermement le propos de la première partie de l’ouvrage, de notre point de vue maladroitement intitulée Imaginant l’espace – dont les pendants seront la seconde partie intitulée Globalisant l’espace, et la troisième, intitulée Construisant l’espace1. Cette maladresse est d’ailleurs moins le fait des auteurs qu’elle n’est un effet de la qualité inégale de la traduction de cet ouvrage. Sur ce plan, le lecteur ressentira ponctuellement un certain embarras, a fortiori s’il a la curiosité de confronter l’ouvrage en français à l’édition originale. Ainsi les cultural narratives de l’édition en langue anglaise deviennent-ils ici les « narratives culturelles ». La traduction simple et littérale du mot anglais narrative par « récit » aurait, parmi d’autres approximations ou même contresens (il est ainsi question d’un concept « relevant », p. 14, quand « pertinent » eût été souhaitable), facilité la lecture d’un travail dont le propos théorique et les notions avancées finissent par échapper parfois à la compréhension (ainsi : « les fictions et fantaisies de la réforme », p. 21).
7La première partie s’ouvre sur la contribution de D. Coulby, qui prolonge l’argument de M. Lawn en envisageant l’Europe comme un « espace de flux », accentué selon l’auteur par « le degré de diversité culturelle » et le caractère multiple des identités qui composent cet espace. Entité problématique aux contours géographiques incertains, l’espace européen participerait par cette fluidité culturelle de la fondation et de l’expansion d’une citoyenneté cosmopolite et extravertie, que l’auteur qualifie de « postmoderne », et qui est susceptible de son point de vue de fournir aux notions de territoire, d’identité et d’éducation, un nouveau souffle et de nouvelles formes d’expansion. De façon bien différente, pour ne pas dire opposée, F. Ferrarotti reconnaît quant à lui la définition d’un espace éducatif européen comme une tâche à la fois prioritaire et difficile, qui ne saurait être accomplie sans puiser dans une tradition culturelle européenne, distincte de toute autre (nord-américaine notamment). Sous la pression et les effets d’homogénéisation propres à la globalisation économique et culturelle, l’Europe serait en effet, selon Ferrarotti, inspirée de se distinguer et de s’affirmer comme « valeur », en cherchant dans son histoire et dans « la conscience de sa globalité » (versus de ses différences constitutives), les ressources identitaires qui lui permettent d’échapper aux implications culturelles de la mondialisation, et notamment aux menaces qu’elles font peser sur sa propre identité. Y. Soysal interroge enfin la construction et l’extension de l’espace européen sous l’angle de l’appartenance, en considérant que l’identité européenne repose essentiellement sur le besoin d’une Europe comme demos. Rejoignant en partie l’analyse de D. Coulby, Y. Soysal conçoit l’Europe comme un espace instable, ouvert et flexible, les débats récurrents sur l’intégration de nouveaux Etats-membres étant significatifs de ce caractère extensif propre à l’espace européen.
8La seconde partie de l’ouvrage fait place à une approche plus ciblée des contextes nationaux. La Suisse et la Lettonie, deux pays parmi lesquels aucun n’était membre de l’union au moment de la rédaction de l’ouvrage –la Lettonie a depuis été intégré dans l’Union européenne- sont isolés en tant qu’ils permettent de mieux saisir l’influence des débats communautaires dans les pays « frontaliers » de l’espace européen. Selon une perspective comparative, G. Steiner-Khamsi, puis I. Silova, centrent de façon tout à fait intéressante leurs approches sur le transfert pédagogique et la diffusion éducationnelle, enregistrant un processus de déterritorialisation et de reterritorialisation des réformes sur le plan de l’enseignement en Suisse et en Lettonie, tout en soulignant le développement de ce que G. Steiner-Khamsi n’hésite pas à reconnaître comme « un nouveau régionalisme », promu par la diffusion et les emprunts politiques à l’intérieur de l’espace européen.
9La troisième partie de l’ouvrage, enfin, rassemble deux textes qui questionnent dans leur évolution les politiques éducatives de l’Union Européenne. R. Sultana explore utilement, à partir de l’examen de documents émis par la Commission Européenne, les ressorts de la rhétorique européenne en isolant quelques-uns des mots-clefs de ces documents –qualité, éducation, formation, Europe, avenir-, dans une lecture en contrepoint du projet éducationnel européen. A. Nóvoa approfondit les analyses esquissées en introduction de l’ouvrage, en replaçant les politiques européennes en matière d’éducation dans leur évolution historique, et en soulignant la visibilité nouvelle donnée à l’éducation dans le cadre européen depuis le sommet de Lisbonne, en particulier avec la mise en œuvre du programme Education et formation 2010, qui donne un nouveau tempo à la construction de cet espace européen d’éducation.
10Cet ouvrage, dédié à la définition, à l’imagination et à la construction d’un espace éducatif européen et au transnationalisme en la matière, présente des regards croisés fort bienvenus, bien que disparates, sur les manières selon lesquelles la territorialité, la citoyenneté, la nationalité et ses frontières peuvent être articulés ou désarticulés, en théorie tout au moins, dans le processus historique qui voit le développement d’une Europe de l’éducation. Il tient en cela ses promesses, en tentant de saisir de façon critique, mais inégalement convaincante, les marques du passé dans un présent envisagé en termes de continuité historique. On regrettera toutefois que la dimension proprement éducative soit faiblement présente dans certaines contributions. On regrettera aussi que certaines puissent faire naître dans l’esprit du lecteur une possible confusion entre des aspects descriptifs, prospectifs, et proprement analytiques. Mais c’est là un faible prix payé à l’ambition novatrice de cet ouvrage réussi.
Notes
1 Le gérondif est impropre ici, et, comme pour le titre de l’ouvrage – Fabricating Europe devenu « Réinventer l’Europe » –, l’infinitif aurait mieux convenu – Imagining space devenant « Imaginer l’espace », etc.
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Référence papier
Régis Malet, « Lawn Martin & Nóvoa António (coord.). L’Europe réinventée : regards critiques sur l’espace européen de l’éducation », Revue française de pédagogie, 159 | 2007, 200-203.
Référence électronique
Régis Malet, « Lawn Martin & Nóvoa António (coord.). L’Europe réinventée : regards critiques sur l’espace européen de l’éducation », Revue française de pédagogie [En ligne], 159 | avril-juin 2007, mis en ligne le 01 octobre 2010, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/1225 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.1225
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