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Notes critiques

CAHON Julien & POUCET Bruno (dir.). Réformer le système éducatif. Pour une école nouvelle, mars 1968

Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2021, 380 p.
Jean-Yves Seguy
p. 123-125
Référence(s) :

CAHON Julien & POUCET Bruno (dir.). Réformer le système éducatif. Pour une école nouvelle, mars 1968. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2021, 380 p.

Texte intégral

1Du 15 au 17 mars 1968 s’est tenu à Amiens un colloque organisé par l’AEERS (Association d’étude pour l’expansion de la recherche scientifique) : « Pour une école nouvelle : formation des maîtres et recherche en éducation ». Cinquante ans après, en mars 2018, toujours à Amiens, était organisé un autre colloque se proposant de revenir sur cet événement important de l’histoire de la pensée sur l’éducation et l’enseignement. L’ouvrage Réformer le système éducatif. Pour une école nouvelle, mars 1968, dirigé par Julien Cahon et Bruno Poucet, a pour objectif de rendre compte des questions abordées à l’occasion de ce colloque des 50 ans.

2Comme le mentionne Antoine Prost dans la conclusion de l’ouvrage : « Les contributions ici présentées n’ont pas tout dit sur le colloque de 1968 […]. Mais ces textes très riches, souvent passionnants, nous ont beaucoup éclairés, et le livre qui les regroupe mérite de devenir, comme l’on dit, “incontournable” » (p. 317). Le lecteur et commentateur de l’ouvrage en question ne peut que faire siennes les remarques d’Antoine Prost. Il est bien évident que le livre ne pouvait épuiser un moment si riche de l’histoire de la pensée des réformes éducatives, mais la diversité des thèmes abordés, ainsi que la volonté de ne pas faire de ce recueil la simple juxtaposition de communications éparses, contribuent indéniablement à la compréhension de l’événement. Il s’agit pour les auteurs de l’ouvrage d’examiner la préparation de ce colloque, les enjeux qui lui sont attachés, les acteurs qui le font vivre, les idées qui sont mises en avant et discutées. Une place toute particulière est accordée à la question de la pérennité des propositions de réformes avancées dans le contexte si particulier d’un événement organisé deux mois avant les événements de mai-juin 1968. L’ambition intellectuelle, politique et pédagogique du colloque est considérable. Les auteurs du livre ont l’excellente idée d’exhumer un entretien entre Jean-Louis Crémieux-Brilhac, secrétaire général de l’AEERS, et le journaliste Yves Mourousi, le 16 mars 1968. Les objectifs du colloque y sont comparés à ceux du colloque de Caen de 1966, et ainsi présentés : « le colloque d’Amiens porte beaucoup plus sur la nécessité de réformer la pédagogie, la structure des établissements, la vie scolaire, la relation entre les maîtres et les élèves. Bref, tout ce qui est la vie même interne de la scolarité française » (p. 344).

3Pour rendre compte de la richesse du colloque de 1968, Julien Cahon et Bruno Poucet ont souhaité par la forme multiplier les angles d’approches. Aussi, à côté des communications universitaires, l’ouvrage fait la part belle aux témoignages d’acteurs de l’époque considérée. Les communications académiques et les témoignages se répondent, précisant ou nuançant tel ou tel propos, invitant parfois à de nouveaux questionnements. Signalons en outre un cahier central de photos illustrant certains moments du colloque à travers des acteurs représentés, des éléments du programme, ou des réactions au colloque publiées dans certains journaux, ou émanant de mouvements étudiants et de syndicats enseignants.

4L’ouvrage est organisé en quatre grandes parties : contextes, acteurs, questions en débat, renouveau des politiques éducatives, ce dernier thème étant présenté fort justement avec un point d’interrogation.

5La première partie met en évidence les contextes dans lesquels se construit le colloque. Il apparaît ainsi que les questions abordées ne sont pas spécifiquement françaises et qu’elles interpellent nombre de systèmes éducatifs, comme expliqué dans le chapitre de Julia Resnik et l’encadré rédigé par Julien Cahon. Jean-François Condette montre l’importance de l’activité éditoriale d’une revue, la Revue de l’enseignement supérieur, quant à l’émergence des thèmes qui seront traités dans le colloque. Les propositions de réformes, en particulier de l’enseignement supérieur, que les acteurs de la revue semblent appeler de leurs vœux trouvent clairement un écho dans les fondements des travaux du colloque. Yann Forestier montre l’importance de la presse généraliste comme relais des thèmes traités, comme l’atteste par ailleurs le cahier central de photos évoqué plus haut. Au-delà de cette analyse de la place de la presse, l’auteur s’interroge comme beaucoup d’autres rédacteurs de l’ouvrage sur la postérité de ce colloque. Pour Yann Forestier, l’évacuation des enjeux politiques constitue « la principale faiblesse de la dynamique observée lors du colloque » (p. 71), dans un contexte où le politique occupe de fait une place cardinale. Arnaud Desvignes montre pour sa part comment les trois ministres qui encadrent l’événement dans le temps (Alain Peyrefitte, Fançois-Xavier Ortoli et Edgar Faure) mirent en œuvre certaines mesures inspirées des recommandations du colloque, révélant comme bien souvent la continuité de la réforme, dépassant l’action particulière de tel ou tel ministre. La question du financement des réformes éducatives est rarement abordée dans les recherches en histoire de l’éducation. L’approche de Clémence Cardon-Quint est à cet égard particulièrement intéressante et originale, révélant le jeu des rapports de force entre les différentes instances politiques concernées par les réformes, et mettant en avant le lien indissociable entre les questionnements pédagogiques et les contraintes budgétaires.

6La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux acteurs, individuels et collectifs. André Robert s’intéresse ainsi à un personnage essentiel, le ministre Alain Peyrefitte. L’auteur nous éclaire sur les paradoxes attachés aux prises de position du ministre, partagé entre sa volonté de rénovation pédagogique et sa loyauté politique à l’égard d’un général de Gaulle qui ne partageait pas nécessairement certaines des idées défendues dans le colloque. Dans une autre perspective, Nicolas Sembel livre une analyse épistémologique sur les liens entre sociologie et sciences de l’éducation, à partir d’interrogations sur la place de Bourdieu au colloque. Christelle Dormoy-Rajramanan s’intéresse à l’AEERS, association organisatrice du colloque dont on découvre les motivations profondes qui conduisirent à l’organisation du colloque, quand Noëlle Monin porte son attention sur les réseaux progressistes et certains de leurs rapprochements étonnants. Patricia Legris enfin met au jour les actions d’une association peu connue, aujourd’hui disparue, « Défense de la jeunesse scolaire », très influente dans les débats des années 1960, proposant quelques innovations organisationnelles originales, en particulier sur la question des rythmes scolaires.

7La troisième partie met en évidence les questions en débat qui traversent le colloque, ces questions étant appelées à connaître une postérité plus ou moins explicite. Renaud d’Enfert nous donne l’occasion de comprendre la volonté partagée par les participants du colloque et la commission Lichnerowicz de réforme dite des mathématiques modernes, de défendre des projets de transformation des contenus et des méthodes, dans le cadre de la mise en place de structures articulant recherche et formation. Élisabeth Maizonnier-Payelle nous donne à voir la place importante jouée par Germaine Tortel dans l’évolution de l’éducation artistique en lien avec les réflexions de l’époque sur l’éducation nouvelle. Delphine Patry porte son attention sur une autre figure importante de l’éducation nouvelle, Robert Gloton, présenté comme « acteur témoin des expériences menées au sein de l’IPN [Institut pédagogique national] avec Roger Gal » (p. 201), montrant encore s’il en était besoin l’effervescence pédagogique qui règne au sein du colloque d’Amiens. Julien Cahon expose des projets jamais réellement mis en œuvre de constitution d’établissements intégrés (établissements scolaires intégrant d’autres structures, bibliothèques, maisons pour tous, centres sportifs…). Cette présentation pose implicitement la question de l’autonomie des établissements, qui est également examinée par Jean-Paul Delahaye et, d’une autre façon, dans un des chapitres de la quatrième partie par Jean-Louis Derouet. On perçoit à travers ces trois interventions en quoi le colloque, tout à la fois point d’aboutissement et point de départ, a pu contribuer à une transformation des mentalités préparant le processus d’autonomisation des établissements faisant suite aux lois de décentralisation du début des années 1980. Bruno Poucet enfin montre l’importance de la place de la recherche en éducation dans un contexte de recréation récente (1967) des sciences de l’éducation, tout en interrogeant la question délicate de l’articulation entre innovation et recherche. Ce texte trouve un écho dans le chapitre rédigé par Dominique Bret relatif à la réflexion sur la formation de tous les maîtres dans un même établissement, préfiguration de ce que seront plus tard les IUFM, ESPÉ et INSPÉ.

8La quatrième partie, dans le prolongement de la précédente, évalue les effets du colloque sur l’évolution de la pensée et des pratiques d’éducation. Christine Focquenoy-Simonnet considère le colloque d’Amiens tout à la fois comme un « condensateur du changement » et un « point d’orgue du souffle novateur » (p. 255) pour ce qui concerne la transformation du métier de surveillant général en celui de conseiller d’éducation et conseiller principal d’éducation. La place du SGEN est à plusieurs reprises rappelée dans l’ouvrage. Il importait de comprendre la manière dont un autre syndicat important, le SNES avait pu se positionner vis-à-vis de ce colloque. C’est ce que présente Hervé Le Fiblec, qui montre que les débats au sein de ce syndicat ont été implicitement marqués par l’influence du colloque, en particulier sur le thème du rôle et de la place des enseignants dans le processus de rénovation pédagogique. Les questionnements sur l’évaluation et la notation ayant fortement mobilisé la réflexion pédagogique dans les années 1960, il apparaissait évident que ce thème devait être abordé dans le colloque de mars 1968. C’est ce que relèvent Lucie Mougenot et Thomas Venet, évoquant la formule employée par Lichnerowicz dénonçant le « délire notateur » fortement installé dans le paysage éducatif français de l’époque. Les auteurs montrent à travers les transformations finalement modestes des pratiques évaluatives les limites d’un colloque qui adressait pourtant des préconisations audacieuses d’« évaluation positive ». Le dernier chapitre livre une réflexion sur les rapports entre la mémoire et l’histoire qui dépasse largement le cadre du regard porté sur le colloque d’Amiens, et qui constitue une heureuse transition avec le cahier de témoignages.

9La conclusion d’Antoine Prost invite quant à elle à poursuivre la réflexion sur la portée et les limites de l’événement. Mais au-delà de cette interrogation située, il s’agit bien ici, comme dans tout l’ouvrage, d’interroger les conditions de mise en œuvre de la réforme dans le monde éducatif, de comprendre le jeu complexe des interactions entre les actrices et acteurs impliqué.es dans le processus de transformation des politiques et pratiques institutionnelles. À cet égard, cet ouvrage d’une grande richesse est bien plus qu’un livre rendant compte d’un événement important un peu oublié par certains. Il constitue une invitation plus générale à la construction d’une pensée de la réforme en milieu scolaire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Yves Seguy, « CAHON Julien & POUCET Bruno (dir.). Réformer le système éducatif. Pour une école nouvelle, mars 1968 »Revue française de pédagogie, 214 | 2022, 123-125.

Référence électronique

Jean-Yves Seguy, « CAHON Julien & POUCET Bruno (dir.). Réformer le système éducatif. Pour une école nouvelle, mars 1968 »Revue française de pédagogie [En ligne], 214 | 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/11474 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.11474

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Auteur

Jean-Yves Seguy

Université Jean Monnet de Saint-Étienne, laboratoire ECP (Éducation, cultures, politiques)

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