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Les conseillers principaux d’éducation saisis par la « crise ». Enquête sur des agents scolaires dans l’ombre de la « continuité pédagogique »

Chief education advisors caught up in the crisis. A study of education officials in the shadow of “educational continuity”
Étienne Douat et Clémence Michoux
p. 31-41

Résumés

Prenant principalement appui sur une enquête auprès de Conseillers principaux d’éducation (CPE) réalisée au cours de l’épidémie de coronavirus au printemps 2020, cet article analyse la manière dont cette séquence a reconfiguré les pratiques professionnelles de ces agents scolaires à l’heure de la « continuité pédagogique ». Oubliés dans les discours publics et n’ayant pas reçu de consignes officielles sur le rôle qu’ils devaient jouer lors de la fermeture des établissements, les CPE se sont pourtant retrouvés en première ligne pour faire face aux élèves mis le plus en difficulté par « l’école à la maison ». Le travail relationnel qu’ils ont accompli (l’écoute, le soin et la prise en compte renforcée des conditions matérielles d’existence d’une partie des familles) a produit une confrontation exacerbée avec des situations déstabilisatrices et parfois éprouvantes. Sa montée en puissance a néanmoins permis de renouer avec ce que les CPE considèrent comme leur « cœur de métier », ce dont témoigne une certaine satisfaction professionnelle qu’ils ont pu exprimer pendant la période.

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Texte intégral

1Les établissements publics scolaires du secondaire français ont pour particularité de faire coexister deux corps de professionnels éducatifs – qui ont en commun d’être formés dans les mêmes lieux et recrutés au même niveau de diplôme – pour assurer la socialisation scolaire des collégiens et des lycéens. À côté des enseignants, dont le cœur des missions est facilement identifiable par le plus grand nombre, le travail des Conseillères principales et conseillers principaux d’éducation (CPE) apparaît moins lisible. Si l’appellation actuelle de ce métier est relativement récente à l’échelle de l’histoire scolaire (1970), ces agents, issus du corps des anciens surveillants généraux officialisé au milieu du xixe siècle (Tschirhart, 2013), sont pourtant inscrits de longue date dans l’institution. La faible identification du métier tient sans doute moins à une supposée nouveauté de ce corps qu’à l’apparente hétérogénéité de ses pratiques professionnelles, développées en marge des salles de classe et de la « mission noble de l’école » : enseigner et qualifier (Payet, 1997, p. 24).

2Les CPE sont inscrits dans une division du travail éducatif propre aux collèges et lycées français, distincte de celle de l’enseignement primaire. À côté du travail d’enseignement, mené par le corps professoral, leur sont déléguées la gestion d’une grande part des déviances scolaires, du « sale boulot » disciplinaire (Payet, 1997), ainsi que les tâches organisationnelles qui y sont associées (absences, retards, fiches de suivi, carnets de correspondance, etc.). Supervisant le travail des assistants d’éducation (AED), ils participent aussi à la plupart des instances de l’établissement et organisent leur « vie démocratique ». Ils sont en outre quotidiennement mobilisés in situ, pour répondre aux sollicitations des uns et des autres : des élèves, des familles, de leur hiérarchie, des enseignants, d’autres agents scolaires ou encore des professionnels extérieurs à l’établissement (Condette, 2013).

  • 1 Leur circulaire de missions décrit celles-ci autour de trois axes : « la politique éducative de l’ (...)
  • 2 Les circulaires de rentrée de 1999 à 2020 mentionnent neuf fois les CPE, mais exclusivement lorsqu (...)
  • 3 Cette faible lisibilité des pratiques des CPE, du point de vue des enseignants notamment, se const (...)

3Le métier est ainsi marqué par une « polyvalence fonctionnelle » (Andréo, 2005, p. 61) relative au domaine éducatif au sens large1. Si cette expression rend compte de la nature variable des tâches effectuées par les CPE au sein des établissements (Buisson-Fenet, 2008), on peut aussi l’associer à la perméabilité relativement forte de leurs activités à leur situation de travail. Les pratiques des CPE sont en effet amenées à varier – dans un certain espace des possibles institutionnel et dispositionnel – en fonction des priorités scolaires fixées par les établissements (Barthélémy, 1999) et selon les configurations historiques particulières dans lesquelles ils exercent. Cette perméabilité de leurs missions, liée à leur position statutaire, spatiale et temporelle « à l’écart » des enseignements, permet de comprendre que ces personnels se soient retrouvés en première ligne pour répondre aux différents phénomènes scolaires hissés au rang de problèmes sociaux, particulièrement à partir des années 1990-2000 : violences scolaires, absentéisme et décrochage, harcèlement, etc. Cela ne semble pas pour autant avoir permis une plus grande lisibilité et visibilité de leur travail, sur la scène médiatique et dans les textes officiels. Les CPE ne sont que rarement cités dans les circulaires de rentrée depuis une vingtaine d’années2. Malgré une cristallisation progressive de ces textes sur le respect de l’obligation scolaire, la responsabilisation des élèves et des familles, les élèves « décrocheurs », et sur bien d’autres thèmes jugés aujourd’hui dignes d’intérêt politiquement, il n’est que très rarement fait mention de tâches qui leur seraient propres. Ces éléments soulignent leur statut de « généralistes » du domaine éducatif (Vitali, 1997) qui participe de la méconnaissance de ce métier in situ et de ses pratiques de la part des pouvoirs publics3.

  • 4 Par exemple, le « Vade-mecum continuité pédagogique » à destination des agents scolaires et des fa (...)

4Au regard de cet héritage, le fait que la fermeture des établissements scolaires décidée en mars 2020 en raison de la pandémie du Covid-19 n’ait pas été accompagnée de consignes à leur destination ne semble ainsi pas si surprenant4. En effet, l’orientation institutionnelle prioritaire fixée ayant été celle de la poursuite des enseignements, on aurait pu tout à fait imaginer une éclipse de ce corps de métier de la « continuité pédagogique ».

5Suivant l’hypothèse qu’on ne peut pas inférer à partir d’une telle orientation la manière dont se forment et se transforment les pratiques effectives sur le terrain scolaire, cet article propose de contribuer à saisir ce que cette période critique a pu « faire » à ce métier dont le « territoire professionnel » (Abbott, 1988) est déjà faiblement stabilisé en temps ordinaire. Entre mars et mai 2020, d’abord sans consignes officielles et alors que la configuration des forces qui s’exerce habituellement sur les agents a été brutalement modifiée, selon quels cheminements les CPE se sont-ils approprié la séquence, et dans quelle mesure ont-ils redéfini une partie de leurs pratiques ?

6Les réflexions proposées sur cette période inédite s’inscrivent dans le cadre d’une sociologie de la socialisation attentive au rôle du contexte que traversent les individus, dans le déclenchement, la redéfinition ou la mise en veille de dispositions ou de ressources incorporées (Lahire, 1998). Ainsi, l’enjeu de l’article n’est-il pas seulement de donner à voir des pratiques professionnelles qui ont pu passer inaperçues, mais d’appréhender la séquence comme un contexte socialisateur potentiellement favorable à la mobilisation et à l’entraînement de principes d’action, de ressources et d’aspirations que les CPE ont pu construire au cours de leur trajectoire, mais dont les configurations d’exercice plus ordinaires ne permettent pas avec la même force l’expression ou la mise en œuvre.

Encadré méthodologique

Pour saisir la manière dont les CPE ont redéfini leurs pratiques au cours de la fermeture des établissements scolaires, nous nous sommes en premier lieu appuyés sur les acquis de la recherche relatifs au travail des CPE en temps ordinaire et nos propres travaux empiriques sur le sujet. Nous avons ainsi construit nos questionnements de recherche à partir des analyses que nous avons produites antérieurement, dans le cadre d’une enquête de terrain portant sur les parcours d’élèves en situation de ruptures scolaires – où les CPE étaient nos interlocuteurs privilégiés. Cette recherche collective (réalisée dans la région Nouvelle-Aquitaine entre 2016 et 2018) s’appuie notamment sur près de 400 heures d’observation auprès de CPE dans 7 établissements scolaires, au cours desquelles nous avons suivi leur travail quotidien avec les élèves (observation dans les bureaux de la vie scolaire, lors d’interactions informelles, d’entretiens avec les familles, de réunions)a.

L’enquête réalisée au cours de la période de confinement a consisté en une série d’entretiens téléphoniques approfondis et répétés avec 10 CPE sur toute la période de fermeture des établissements. Ils ont été effectués auprès de 8 femmes et 2 hommes, exerçant dans 8 établissements différents : 6 collèges (2 en milieu rural, 4 en milieu urbain dont un relevant de l’éducation prioritaire) et 2 lycées (un LEGT et un LP). L’une des enquêtées est proche de la retraite, 2 sont de jeunes CPE (une stagiaire, un néo-titulaire) et les 7 autres se situent en milieu de carrière. Leurs origines socialesb concordent, à une échelle modeste, avec les résultats de recherche de Frédéric Charles (2002) auprès de deux promotions de CPE au milieu des années 1990. On retrouve chez ceux que nous avons interrogés des origines sociales contrastées : des classes populaires stabilisées mais aussi quelques cadres, pour une part de la fonction publique. Si les questions adressées aux CPE ont pu évoluer à la faveur de certaines étapes qui ont ponctué la période, les interrogations autour de leur organisation du travail au quotidien, des échanges qu’ils ont pu avoir avec les élèves ou leur famille et de leurs interactions éventuelles avec les autres agents scolaires sont toujours restées centrales dans les grilles d’entretien utilisées.

La sélection des enquêtés a été effectuée au regard des objectifs de production de connaissances de l’enquête. Il s’agissait, d’une part, de saisir des pratiques dans un contexte exceptionnel et donc de pouvoir donner aux matériaux produits un « cadre de référence et [leur fournir] des points de référence et de comparaison » (Beaud, 1996, p. 233). Nous avons donc contacté des CPE dont nous avions déjà observé directement le travail en établissement (pour 6 d’entre eux) ou, a minima, avec lesquels nous avions déjà effectué des entretiens et pour lesquels nous avions rassemblé des informations liées à leurs trajectoires scolaires et professionnelles, les caractéristiques de leur établissement et celles de leur poste. D’autre part, afin de commencer rapidement l’enquête pour suivre de façon rapprochée dans le temps la mobilisation des CPE sur le terrain scolaire à l’annonce du premier confinement, nous avons choisi d’interviewer des CPE avec lesquels nous avions déjà établi une relation de confiance. Les CPE enquêtés ont ainsi été sélectionnés au regard des relations nouées au cours de l’enquête sur les ruptures scolaires (2016-2018) ou par le biais de la formation initiale ou continue, à laquelle l’un de nous participe depuis 2008. La proposition de l’enquête a été reçue favorablement (nous n’avons essuyé aucun refus), ce qui permet de supposer que les relations construites antérieurement ont facilité la réception de notre démarche, sans négliger l’effet de sidération associé à la période qui a pu contribuer à ce que les CPE s’emparent facilement de l’offre de parole proposée.

L’un des intérêts de cette recherche « en temps réel » est d’avoir rendu possible l’accès aux perspectives de ces agents scolaires (et notamment à leurs doutes et à leurs interrogations) au moment où celles-ci étaient formulées. Elle a ainsi permis de prévenir – dans une certaine mesure – des effets de reconstruction propres aux situations d’entretien ; notamment le « souci de la chronologie » (Bourdieu, 1986, p. 71) qu’auraient pu induire des témoignages de cette situation exceptionnelle a posterioric. Comme le préconise Georges Benguigui dans l’analyse de situations critiques (2000), la sélection des éléments empiriques les plus significatifs et révélateurs de ce qui a pu se jouer dans la socialisation professionnelle des CPE « saisis par la crise » s’est réalisée à la lumière de la connaissance de leur travail en contexte ordinaire, à partir de la recherche évoquée plus haut. Seules les pratiques les plus récurrentes que les CPE interrogés ont progressivement mises en œuvre lors de la période de confinement sont retenues et présentées dans l’article, suivant une grille de pertinence plus soucieuse de saisir les indices répétés de l’actualisation et du renforcement éventuels de certaines ressources et dispositions professionnelles ancrées, que de restituer une improbable exhaustivité de l’activité de ces agents.

Si l’apport de connaissances appuyé sur l’exploration d’une dizaine de cas contextualisés ne réside pas dans sa généralisation (Beaud, 1996), nous avons cherché à contrôler les tendances générales qui se sont dégagées de notre matériau. Pour ce faire, nous avons effectué une veille systématique, au cours de la période, des publications syndicales et des publications sur les réseaux sociaux relatifs aux enjeux professionnels en cours. Nous avons, secondairement, croisé les résultats de nos analyses avec les réponses à une question ouverte d’un questionnaire en ligne passé auprès des CPE exerçant dans l’académie d’enquête en juillet 2020 (dans le cadre d’une thèse en cours sur les CPE). Celui-ci, portant sur les caractéristiques sociales et les variations de pratiques des CPE en fonction de leurs établissements d’exercice, se terminait par une question ouverte facultative relative à la période de confinement. Celle-ci invitait à « dire quelques mots de votre vécu, en tant que CPE, de la fermeture des établissements (par exemple : ce qui a été apprécié, ce qui a été difficile, etc.) ». Sur les 158 CPE ayant répondu au questionnaire (soit un taux de répondant de 60 % dans l’académie), 60 CPE ont répondu à la question ouverte de façon particulièrement détaillée (une dizaine de lignes en moyenne). L’analyse lexicale des réponses a permis, sans pouvoir conclure en termes de représentativité statistique, de renforcer certaines hypothèses issues du matériau tiré des entretiens et d’en infirmer d’autres, sur les thématiques majoritairement abordées par les CPE dans cette question ouverte (modalités de la relation aux élèves, relations avec la hiérarchie et encadrement du travail, difficultés matérielles). Enfin, pour contribuer à objectiver la place accordée à l’activité des CPE dans l’espace médiatique lors de cette première séquence de la crise sanitaire de 2020, une base presse a été interrogée avec l’aide d’une documentaliste à partir de plusieurs mots-clés : CPE et/ou éducation et/ou école et/ou continuité pédagogique et/ou crise sanitaire et/ou Covid 19 et/ou coronavirus. Cette opération de recherche secondaire est une tentative de mesure de la fréquence d’apparition de la catégorie CPE dans un fonds de plusieurs milliers d’articles évoquant le lien entre la crise sanitaire et l’éducation, constitué à partir d’un échantillon de 11 quotidiens figurant dans le classement des titres de la presse quotidienne nationale et régionale les plus diffusés en France (Le Figaro, Libération, Le Monde, Les Échos, La Croix, L’Humanité, Ouest France, Le Progrès, Le Télégramme, La Voix du Nord, La Dépêche du Midi). Pour une meilleure appréciation du résultat de cette consultation, la même opération a été réalisée en remplaçant le mot « CPE » par celui d’« enseignant » et/ou de « professeur ». Ce sondage ne constitue qu’une approche du degré de visibilisation des CPE lors de cette période historique et ne permet pas une analyse fine des transformations éventuelles de la construction médiatique du métier lors de cette séquence.

a. L’enquête a été menée dans 2 lycées d’enseignement général et technologique (LEGT), un lycée professionnel (LP), un lycée agricole et 3 collèges. Les observations ont donné lieu à une prise de notes systématique sur des journaux de terrain, qui ont été intégralement retranscrits. L’enquête a également donné lieu à une soixantaine d’entretiens (agents scolaires et élèves) (Michoux, Douat et al., 2018).
b. Andréa (père inspecteur des impôts, mère au foyer) ; Corinne (parents employés puis cadres bancaires) ; Claire (père comptable, mère employée de banque) ; Lucie (non citée, parents cadres de la fonction publique hospitalière) ; Maud (non citée, père coiffeur, mère agent d’entretien) ; Mélissa (père policier, mère secrétaire puis mère au foyer) ; Estelle (père militaire, mère au foyer) ; Paule (père géomètre, mère au foyer) ; Pierre (père réceptionniste, mère secrétaire de direction) ; Quentin (parents enseignants). Tous les prénoms ont fait l’objet d’une anonymisation.
c. Il ne s’agit pas d’affirmer que ces entretiens en sont dénués puisqu’ils ont consisté à faire raconter aux CPE des pratiques ayant déjà eu lieu, même dans des délais rapprochés. Ils sont nécessairement pris par des effets de reconstruction auxquels nous sommes restés attentifs.

7Pour saisir ce que la période critique étudiée a fait au travail des CPE et ce qu’elle en révèle, l’organisation du propos relève en partie de la chronique, qui permet de rendre compte d’une évolution temporelle des pratiques suivant la progressive acclimatation des établissements, des familles et des élèves à la « continuité pédagogique ». Après avoir montré la façon dont les CPE ont été mobilisés « au service » de celle-ci dans une série de tâches diverses qui ont à la fois contribué à élargir leur champ d’intervention et nécessité une réappropriation de leurs pratiques professionnelles ordinaires, nous interrogerons la réactualisation « à distance » d’une division du travail éducatif spécifique à la période, dans le cadre de laquelle a été déléguée aux CPE une grande part du travail relationnel avec les élèves. Nous analyserons alors comment celui-ci, articulé à la mise en suspens de leurs conditions ordinaires de travail, a finalement permis aux CPE de renforcer une inclination au dialogue avec les élèves et à la prise en compte de leurs conditions matérielles d’existence.

Une mobilisation au service de la « continuité pédagogique »

À l’heure de la fermeture des établissements : questionnements et incertitudes des CPE

Nous on n’a eu aucun protocole de communication. Rien. […] On n’a eu aucune directive [du chef d’établissement]. Aucune directive des inspecteurs, ni de personne. La chance que j’ai, si tu veux, c’est de travailler avec Corinne [la 2e CPE] donc on a un peu improvisé, en sachant qu’on n’avait pas de directives claires (Andréa, LP).

  • 5 Le ministre de l’Éducation nationale s’adressera néanmoins aux CPE le 2 avril (puis le 7 mai 2020 (...)

8Au moment de la fermeture des établissements, les CPE ne sont donc pas explicitement mobilisés (ni même cités) par les pouvoirs publics5. Dès lors les établissements clos, rares sont ceux qui ont reçu des consignes de travail claires (de la part de leur direction ou de leur inspection). Cela produit une forme d’incertitude quant au rôle qui doit être le leur dans la période à venir :

Je voyais pas trop à quoi je servais, la réunion du lundi était faite pour les profs… je rentre chez moi en ramenant des dossiers pour avancer un peu sur ce que je n’avais pas eu le temps de régler avant… Mais… je ne savais pas trop quoi faire (Estelle, collège rural).

9Bien que certains CPE ramènent des « dossiers en cours » à leur domicile, le malaise produit par cette situation de flottement ne tarde pas à se faire sentir. Les CPE se disent ainsi « désœuvrés », contraints à un « stand by » d’autant plus flagrant qu’il est rare dans les établissements en temps ordinaire. En effet, la situation contraste avec les socialisations professionnelles à être « sur le terrain » : à réagir dans l’urgence, à adapter ses priorités en fonction d’un emploi du temps façonné par les sollicitations diverses et la régulation du collectif, etc. Ce décalage produit, alors que l’institution semble pouvoir exclure les CPE de son fonctionnement, des interrogations quant aux raisons d’être du métier :

À distance, sans les élèves, les missions du CPE s’étiolent vite. Dans le sens où là, ce qui est important c’est essayer un minimum d’enseigner. Et l’enseignement, c’est pas moi qui le fait. […] Y’a plus d’élèves, plus de discipline et donc moi je perds, pff… Au bas mot j’perds 60 % de mon activité (Quentin, collège urbain).

  • 6 Pour un état des lieux de ces comparaisons internationales, voir notamment Condette, 2013.

10Une partie des missions des CPE étant assumées dans nombre de pays par les professeurs suivant une tout autre division du travail scolaire6, cette situation a en effet pu réactiver des discours relatifs à son éventuelle disparition, ceux-ci faisant régulièrement surface entre ces professionnels – par exemple en 2010 lors de la mise en place des « préfets des études ». La fermeture des établissements rend ainsi saillante une définition négative de l’activité des CPE dans la division du travail éducatif, personnel alors réduit à son statut de « non-enseignant » cantonné aux espaces et aux activités non pédagogiques (Payet, 1997).

  • 7 Cette habitude inégalement partagée constitue pour les CPE une difficulté supplémentaire. Si les e (...)

11Habitués à réagir au gré des sollicitations et à anticiper les demandes, les CPE enquêtés vont néanmoins nolens volens s’imposer dans l’organisation en cours – pour ceux n’ayant pas déjà été sollicités, par exemple pour suivre des conseils de classe à distance ou assurer des astreintes de secrétariat. C’est par exemple le cas de Mélissa (stagiaire en collège rural) qui, après deux semaines sans directives, proposera un tableau de suivi des élèves à sa direction. Tous entreprennent le travail à domicile7 quand d’autres ne tardent pas à retourner dans leurs établissements (« au bout de quelques jours, je rappelle ma cheffe, et je lui dis “je viens au collège, je vous rejoins” » [Estelle]). Le travail collectif sur le terrain scolaire est mentionné comme une valeur cardinale par les étudiants préparant le concours de CPE lorsqu’ils sont interrogés sur la définition de leur métier à venir (Rouillard & Chauvigné, 2020). Celles et ceux qui actualisent et confirment le plus nettement cette dimension du travail comme une priorité à l’heure de la « crise » l’ont d’abord cultivée à travers différentes expériences socialisatrices qui ont ponctué leur parcours. Ainsi Estelle (syndiquée depuis plus de vingt ans) s’est par exemple investie dans de nombreux travaux collectifs (groupes de réflexion académiques, débats, séquences de formation continue, etc.) ou a pris part de manière volontariste à différents « projets collaboratifs » lorsqu’elle est devenue formatrice à l’ESPE au mitan des années 2010.

  • 8 Deux sondages d’un fonds d’articles évoquant les liens entre éducation et crise sanitaire publiés (...)

12Passé les premiers jours, les « vade-mecum », protocoles et autres textes se multiplient autour de la « continuité pédagogique ». Les CPE sont ainsi « rattrapés » par le mot d’ordre : « C’était pas l’urgence [de mettre en place des activités avec le conseil de vie lycéenne]. J’ai pas senti que notre travail à l’heure actuelle c’était celui-là […] j’ai senti qu’c’était plutôt de venir en renfort pour que les gamins continuent à bosser scolairement » (Paule, LEGT). Les CPE se positionnent en effet « en renfort » de la transmission des savoirs scolaires, comme ils peuvent parfois le faire en temps ordinaire, mais dans un périmètre contraint par l’absence des élèves et des enseignants. Ils vont ainsi œuvrer à assurer, depuis les coulisses, certaines des facettes moins médiatisées de « l’école à la maison »8.

Les « petites mains » de la « continuité pédagogique »

13Il s’agit essentiellement dans un premier temps d’assurer une assistance technique à de nombreux parents et élèves pour accéder aux différentes plateformes numériques, retrouver des mots de passe, renvoyer des documents aux enseignants, etc. Cette entrée par la logistique, la coordination et l’assistance technique se double d’un travail, pour les CPE présents dans les établissements, de « rematérialisation » des contenus pédagogiques. Avec souvent les chefs d’établissements, une infirmière ou parfois un gestionnaire, se met en place pour les CPE un travail de réception des cours, d’impression, de classement et de distribution aux familles qui n’ont pas l’équipement informatique idoine :

Rien que ça, ouvrir un mail et te bombarder tout l’boulot, et à toi de t’en sortir. Et tu peux pas imprimer tout à la suite parc’qu’il faut vraiment qu’tu classes au fur et à mesure. [L’infirmière] est venue m’aider l’après-midi et on a terminé à 18 h 45. C’est hyper long ! C’est hyper long. […] Du travail pour toute la semaine dans toutes les classes. T’as des profs ils t’envoient des mails, mais il faut que tu fasses des copier-coller parc’que dans le mail ils mettaient le travail à faire tu vois, pas en pièce jointe. D’autres ils t’ont dit que finalement c’était sur le drive. Donc faut que t’ailles chercher sur le drive, mais c’est pas adapté dans le format impression, donc il faut qu’tu le copies-colles. C’est épouvantable. Donc chaque lundi il faut passer autant de temps que ça donc je commence à 9 h, et 18 h voilà. 18 h en moyenne à la fin de la journée. Donc c’est éprouvant (Pierre, collège rural).

14Dans plusieurs établissements, les CPE se chargent ainsi de réorganiser, d’agrafer, de titrer ou encore de surligner les cours pour les élèves. Ces tâches sont ressenties comme d’autant plus « éprouvantes » qu’elles relèvent d’un travail relativement invisible, artisanal, de « petites mains », d’assistance à la « continuité pédagogique ». À ce travail régulier ou plus occasionnel se greffent une série de tâches plus improvisées par les CPE en fonction des besoins des familles et des élèves (par exemple envoyer les cours pour impression aux mairies des communes où vivent des familles non véhiculées, récupérer des copies dans la boîte aux lettres de leur domicile pour les scanner aux enseignants, transmettre les cours par les réseaux sociaux aux proches d’élèves en situation irrégulière ne possédant ni ordinateur ni Smartphone, etc.). Les CPE caractérisent péjorativement ces formes de « bricolage » ou de « débrouille » tant celles-ci sont tributaires des ressources qu’ils ont alors à leur disposition (matériel personnel, possibilité de venir ou non dans l’établissement, etc.) et ne font l’objet d’aucun cadrage officiel. Ces activités, souvent menées au côté de l’équipe de direction, soulignent avec force la diversité possible des pratiques que peut recouvrir le métier, ici mis de manière centrale « au service » de la continuité des enseignements. Elles s’articulent à des pratiques professionnelles plus ordinaires, mais dont l’appropriation par les CPE est largement contrainte par leur éloignement des élèves, des enseignants, et pour certains des établissements scolaires.

Une réappropriation contrariée des activités professionnelles ordinaires

15Parmi les pratiques habituelles des CPE, un grand nombre ne sont ni nécessaires ni transposables à distance (la régulation de la vie collective, l’organisation de la surveillance, la médiation entre élèves, etc.). Mais l’enquête montre que même les pratiques qui sont censées pouvoir s’opérer en « distanciel » sont loin d’aller de soi. On observe en effet des formes de désajustements entre les savoir-faire des CPE dans l’interaction directe et les situations auxquelles ils se confrontent à distance. Les manières de faire habituelles sont contrariées dans leur développement dans plusieurs activités professionnelles : c’est notamment le cas des relations nouées avec les élèves et les familles, qui prendront de plus en plus d’importance au cours de la séquence étudiée.

Alors le contact téléphonique c’est bien mais t’as pas le, visuel c’est-à-dire que t’as pas les gens en face de toi, t’as pas la réaction physique, t’as pas, voilà quand t’as des gamins comme j’en ai quelques-uns là qui sont plus que laconiques au téléphone où tu leurs dis, ben tu vas sur tel jour est-c’que t’as vu pour tel cours, ils te disent « oui » ! Ou non. Mais ils répondent pas à la question. Et, et tu laisses blanc et le blanc il se comble pas. Donc c’est long. Et t’as pas le, tu sais pas c’qu’il s’passe en fait ! Parc’que tu les vois pas ! Quand ils sont dans ton bureau tu les vois ! Tu vois la réaction, tu vois si c’est voilà mais là t’as pas d’éléments qui t’permettent de, de définir les choses (Paule, LEGT).

  • 9 Les CPE téléphonent régulièrement aux familles et aux élèves en temps normal. Néanmoins, il est la (...)

16La faible efficacité des relations téléphoniques décrite par Paule souligne en creux l’existence et l’importance des savoir-faire pratiques dans le travail ordinaire des CPE. Les différentes techniques d’entretien avec les élèves (quelles soient ou non pensées comme telles : des façons de se déplacer dans le bureau, d’inviter à s’asseoir ou à rester debout, les regards, les tons et les gestes pour capter l’attention ou inviter à développer le propos, etc.) deviennent relativement inopérants à distance9. À cette difficulté à « trouver le ton juste » (Homme, Lycée polyvalent [LPO], question ouverte du questionnaire) pour guider les interactions s’ajoute l’absence d’« effets de lieux » (Bourdieu, 1993a) spécifiques à l’institution scolaire qui participent, habituellement, à cadrer les interactions, à façonner une relation pédagogique spécifique et à consolider une légitimité professionnelle dans l’échange. Les CPE n’ont, en outre, que peu de prises pour agir sur les situations qu’ils rencontrent au cours du confinement (convocations, recours aux autres professionnels de l’établissement, etc.).

  • 10 « Habitué à vivre dans l’échange, désert relationnel pendant ces derniers mois. Rien ne vaut le di (...)

17Tout se passe comme si le travail devait alors se résumer à des tâches de repérage des élèves mal équipés ou ne « jouant pas le jeu » de la « continuité pédagogique », tant les CPE se retrouvent tendanciellement dépossédés de la partie habituellement la plus « noble » du métier : celle de résoudre des situations problématiques dans le cadre d’un travail de « terrain », mené dans différents collectifs de travail. C’est ainsi que l’on peut saisir, dans les entretiens et dans les réponses au questionnaire, les très nombreuses références à l’idée selon laquelle le travail de CPE au cours de cette période critique est tout « sauf le métier »10.

18L’un des CPE de collège, plutôt proche d’un pôle gestionnaire et administratif du métier (et qui sera l’un des rares CPE rencontrés à laisser aux professeurs principaux [PP] la quasi-totalité des échanges avec les élèves durant la période) compare ainsi laconiquement son rôle à celui des « renseignements généraux ». Ce n’est néanmoins pas le cas de la majorité des autres, qui vont progressivement trouver dans les contraintes du travail de CPE « à distance » les conditions de possibilités de mise en œuvre d’une inclination dominante et largement partagée au « care éducatif » (Devineau & Confais, 2017) ainsi qu’à la prise en compte des conditions matérielles d’existence.

« À distance », la réactualisation manifeste d’une division traditionnelle du travail

  • 11 Par exemple, la tribune publiée par Pascal Plantard dans Le Monde, « École à la maison : “Qui sont (...)

19Une quinzaine de jours après le début de la période, alors que s’intensifient le partage et la diffusion au sein des établissements (mais aussi dans les médias11) de l’information selon laquelle plusieurs dizaines d’élèves ne parviennent pas à répondre régulièrement aux demandes des enseignants, l’enjeu pour les CPE devient prioritairement de maintenir un lien (ou de le renouer) avec les élèves et les parents « perdus » face à l’impératif de scolarisation de la vie familiale (Thin, 2020). C’est le cas de Paule, à qui la direction demande de contacter une cinquantaine d’élèves signalés par les PP que celle-ci répartit entre les AED, sa collègue et elle-même tout en se « gardant » avec la seconde CPE « les cas, entre guillemets, les plus difficiles », parmi lesquels figurent en bonne place les élèves déjà connus pour leurs pratiques absentéistes. Les enseignants vont eux aussi progressivement les mobiliser :

  • 12 Dans la plupart des configurations scolaires enquêtées, les CPE soulignent le fort engagement des (...)

Les PP ont commencé à nous demander d’appeler les familles qui répondaient pas, tous les élèves qu’ils n’arrivaient pas à avoir malgré plusieurs appels pour voir ce qui se passait… Là, notre rôle, c’est un peu d’être la voiture-balai (Claire, collège REP)12.

20L’interpellation des CPE traduit une forme de délégation assez ordinaire des situations considérées comme difficiles à la « vie scolaire », propre à la répartition du travail dans le secondaire. Les élèves considérés comme peu adaptés ou trop peu préparés pour une bonne appropriation des savoirs sont régulièrement renvoyés ou déplacés vers d’autres espaces de l’institution et d’autres professionnels (la « vie scolaire », mais aussi l’infirmerie, les études, etc.).

21Une partie des enseignants va ainsi progressivement demander aux CPE de prendre le relais lorsqu’ils ne parviennent pas à contacter les élèves, quand ces derniers ne rendent pas leurs travaux ou ne sont pas aux rendez-vous des cours en ligne, mais aussi dans les cas où l’on suppose des difficultés liées au confinement. « J’ai des collègues [enseignants] j’ai eu des messages je n’veux pas être en contact j’veux pas communiquer avec cette famille j’veux pas qu’elle ait mes coordonnées, ben j’me dit ils sont mignons parc’que, moi j’ai pas l’choix » (Andréa, LP). Le rôle des CPE dans la division du travail éducatif se rejoue donc à distance, ces derniers se voyant convoqués pour prendre en charge les élèves dont la situation est considérée comme ne relevant pas des prérogatives enseignantes. Cette délégation ne relève pas, comme en temps ordinaire, d’une « distribution spatiale des corps » entre les différents espaces d’un établissement (Douat, 2016, p. 36) mais s’actualise autrement, hors les murs de l’institution. Il revient ainsi aux CPE d’échanger régulièrement avec quelques dizaines d’élèves et de familles (les mères dans la plupart des cas, parfois les tantes ou les sœurs). Auprès de certaines d’entre elles – celles qui n’ont pas véritablement coupé les ponts avec l’institution –, les CPE peuvent, à l’extrême, être amenés à endosser un rôle de fonctionnaire « de dernier recours » dans une période productrice de nombreuses incertitudes, notamment pour les familles les plus démunies face à la situation de confinement et à la continuité des impératifs scolaires :

C’est des parents qui ont besoin d’aide. Dans l’idée de service public, quand il n’y a plus rien, il reste le service public, et là nous on est des fonctionnaires qui sommes toujours en poste, sur qui on peut compter et quand la détresse arrive, tu sais aussi que tu peux te décharger sur ces gens, et ces gens c’est les CPE, qui habituellement apportent des solutions [...]. J’ai eu des mamans qui n’en pouvaient plus qui se sont mises sous antidépresseurs, « je supporte plus j’abandonne le scolaire. On n’en peut plus, on est lessivées on ne supporte plus ces relations avec nos enfants, on jette l’éponge ! » (Claire, collège REP).

22Ce contexte inédit va particulièrement exposer les CPE et accentuer le sentiment que le travail est devenu « intrusif » auprès des familles, sans qu’ils n’aient réellement de prise sur les situations des élèves (« on peut entendre mais on peut rien faire » [Andréa]). Cette surexposition, produite par la délégation à leur endroit des tâches « relationnelles », se comprend au regard d’une situation inédite qui ne permet plus « la séparation du lieu et du temps d’apprentissage des autres temps et lieux de la vie sociale » (Millet & Vaquero, 2020, p. 123). Ainsi, les CPE se confrontent à de nombreux aspects de la vie quotidienne familiale (conflits, répartition du travail domestique, conditions matérielles, etc.) dont ils sont (relativement) plus protégés en temps ordinaire. À l’ombre de la « continuité pédagogique », ils peuvent ainsi être amenés à endosser ce rôle d’agent public de « secours », qui peut être partagé avec certains membres de la direction ou des enseignants particulièrement mobilisés auprès des familles durant la période.

23Il ne s’agit pas d’une délégation du « sale boulot » disciplinaire comme c’est le cas en temps ordinaire, mais d’un ensemble de tâches relatives au maintien du lien (par des appels téléphoniques réguliers, une écoute prolongée), susceptibles de produire une exposition renforcée à l’intimité et aux précarités familiales. Comme c’est le cas pour d’autres métiers (Arborio, 1995), celle-ci offre paradoxalement aux CPE, dans un contexte qui n’est plus marqué par les sollicitations du quotidien et les tâches de maintien de l’ordre, un espace de visibilisation et de valorisation de savoirs acquis dans le cadre de leur travail, tels que leur connaissance des familles et des élèves. Les CPE sont particulièrement bien informés dans les petits établissements où les familles populaires sont le plus aux prises avec un « maillage institutionnel » (Millet & Thin, 2003, p. 37), au sein duquel les contacts et les échanges d’informations entre personnel scolaire et extérieur (travailleurs sociaux, police, animateurs, etc.) sont réguliers. Si ces ressources sont loin d’être ignorées par les enseignants, elles deviennent plus visibles qu’en temps ordinaire, où les espaces consacrés aux discussions sur les élèves en difficulté sont souvent fermés au corps professoral (Michoux, Douat et al., 2018) :

Alors, euh moi je leur ai dit, si y’a des choses qui relèvent de la vie scolaire n’hésitez pas à me faire signe. Y’a des PP qui m’ont dit qu’ils n’avaient pas du tout de retour de certains élèves, donc ils avaient contacté certaines familles, mais ils avaient eu personne… Donc moi je savais que des fois dans certaines familles, qu’il valait mieux contacter le père ou la mère, quand les parents sont séparés hein tu vois, donc là j’ai, moi j’essayais à tout prix de contacter et j’y suis arrivé à chaque fois hein, à contacter les familles (Pierre, collège rural).

  • 13 En temps ordinaire, les CPE (souvent appuyés par un réseau local) qui parviennent à dénouer différ (...)

24Certaines des informations connues sur la structuration ou l’histoire familiale, mais aussi les savoir-faire pratiques qui y sont associés (qui contacter, à quel moment en fonction des horaires de travail des parents, quels sujets éviter avec une famille, etc.) se révèlent dans ce contexte plus directement intelligibles, notamment dans le cadre d’une collaboration renforcée avec les PP. Cette forme de valorisation des connaissances et des pratiques des CPE est proche de celle que l’on peut repérer dans d’autres situations « exceptionnelles » qui peuvent ponctuer la vie d’un établissement en temps ordinaire13. Les CPE enquêtés relèvent d’ailleurs le « très bon accueil » qui leur est la plupart du temps réservé pendant la période du confinement. L’un d’eux évoque avec enthousiasme le fait que certains parents « [aient] pris des nouvelles de ma famille, [cherché à] savoir comment j’allais » quand une autre souligne à propos de son aide sur des tâches informatiques que « là on est tous [avec les parents] un peu dans l’même, bateau quoi ! ». Ces contacts réguliers avec les familles se construisent différemment que lorsqu’ils ont lieu dans les établissements où le temps des CPE est, dans nombre de configurations, « orienté par la tâche » (Thompson, 2004), marqué par l’irrégularité ou l’imprévisibilité.

25Malgré l’absence de contact direct avec les élèves, la posture de disponibilité et d’écoute régulièrement mise en avant par ces agents scolaires (dans les entretiens, mais aussi dans leur formation ou leurs publications professionnelles) trouve ainsi certaines des conditions de sa réalisation dans le cadre de ce travail « à distance », autour de quelques situations d’élèves, par le biais de discussions souvent longues et répétées avec ces derniers ou leurs familles. Les CPE évoquent avoir pu, au cours de cette période critique, finalement renouer avec le « cœur du travail » : « J’ai enfin pu, durant le confinement, faire mon vrai travail de CPE, à savoir le suivi des élèves : téléphoner aux familles, aux élèves, les rassurer. En effet, au sein du lycée, j’ai souvent l’impression d’être dans une situation de travail empêché » (Femme, LPO, question ouverte du questionnaire). À l’opposé d’un travail de secrétariat et de « pointage » des élèves « défaillants » qui marque le début du confinement, la séquence va en effet permettre aux CPE de renouer avec un travail de la relation et de l’écoute, pensé comme une dimension irréductible du métier (Devineau & Confais, 2017).

Prendre en compte les conditions familiales d’existence : une inclination partagée

26Ainsi les CPE se retrouvent-ils bientôt pris dans un contexte qui les pousse à mettre au cœur de leur intervention une inclination à prendre en compte et à « faire avec » les conditions d’existence et de socialisation des familles pour tenter de renouer un lien avec la part des élèves les plus en difficulté. À rebours d’une logique implicite d’« indifférence aux différences » qu’ils peuvent déplorer dans les discours ministériels ou dans l’approche de certains enseignants quelques semaines après le début de la séquence, c’est d’abord par le bas, à partir de cette réalité souvent matérielle et presque palpable au cours des échanges prolongés qu’ils ont avec les élèves ou leurs parents, que les CPE orientent et façonnent progressivement une bonne part de leur travail. C’est l’un des fils rouges qui relient les activités de ceux que nous avons rencontrés : prendre régulièrement la mesure des conditions objectives familiales de possibilité ou d’impossibilité de suivre l’injonction, déclinée de manière verticale et très abstraite, à la « continuité pédagogique ».

J’avais l’impression que les gamins croulaient sous une charge de travail […] [l’infirmière] a interpellé les enseignants ; y’a 55 % de CSP défavorisés, donc les gamins sont pas forcément aidés par leurs parents ! Entre les difficultés des parents potentiellement au chômage partiel, vivre le contexte actuel, le contexte économique, gérer le repas, les courses, et la gestion du quotidien scolaire, notamment lorsqu’il y a des fratries, les parents nous ont dit, on passe notre journée à faire les devoirs. Entre le primaire, le collège et le lycée. L’ordinateur y’en a qu’un seul et il faut le partager avec tout le monde. Parc’que nous ce qu’on imprimait, fallait qu’les gamins ils l’impriment chez eux (Pierre, collège rural).

27Les CPE vont ainsi s’appuyer sur leurs connaissances des configurations familiales pour envisager la « continuité pédagogique » : l’une des CPE s’efforcera d’établir des emplois du temps de travail aux élèves en fonction de leurs horaires de lever, de coucher et de jeux vidéo, un autre les incitera à prioriser les exercices à rendre en fonction de l’équipement informatique limité de la famille, etc.

28Dans nombre d’entretiens que les CPE nous ont accordés, on retrouve des indices attestant cette sensibilité à toute une série de dimensions qui structurent la vie familiale (par exemple la taille de la fratrie, la précarité économique, l’ordre domestique, les temporalités ou le niveau d’équipement informatique, etc.). Cette inclination à hisser au rang de priorité la question des conditions d’existence et des logiques socialisatrices dans lesquelles sont pris les élèves « perdus » dans la « continuité pédagogique » s’exprime avec une opiniâtreté variable en fonction de la place occupée dans les configurations scolaires (plus ou moins proche de l’équipe enseignante ou de la direction par exemple), du genre de position dans laquelle on les a tendanciellement convoqués au moment de la fermeture des établissements et de leur patrimoine dispositionnel. Elle demeure toutefois très partagée par les CPE rencontrés durant la période de confinement, mais aussi antérieurement, dans d’autres circonstances. Cette inclination n’est pas nouvelle et peut s’observer dans certaines pratiques ou déclarations de CPE en temps ordinaire (Michoux, Douat et al., 2018). Elle est néanmoins régulièrement inhibée par les impératifs d’un travail de gestion et de sanction des transgressions à l’ordre scolaire au quotidien. La disparition des conditions ordinaires des désordres et de l’obligation d’y faire face crée ainsi un contexte favorable pour que s’actualise et se renforce de manière marquée une telle sensibilité à l’égard des conditions sociales des élèves et de leur famille.

  • 14 Telle que la décrit notamment Pierre Bourdieu dans le dernier chapitre de La Misère du monde : « C (...)

29Cette orientation donnée au travail n’est assurément pas le produit d’un quelconque « penchant humaniste » que la séquence de crise aurait particulièrement révélé, mais renvoie plutôt aux ressources incorporées au cours d’expériences socialisatrices caractérisant davantage les parcours des CPE que ceux d’autres agents scolaires : ils ont souvent connu des déplacements dans l’espace social (une mobilité ascendante grâce au diplôme) et des scolarités plus heurtées que celles des enseignants (Charles, 2002). Comme d’autres agents scolaires exerçant à distance des salles de classe ou des cursus généralistes (Kherroubi, Millet & Thin, 2018), ils peuvent aussi avoir construit un rapport ambivalent aux évidences de l’institution dans laquelle ils finissent par exercer. Au cours de leur formation, ils ont également pu travailler des références de sciences sociales (qui figurent en bonne place dans la bibliographie du concours) et nourrir une réflexion critique, par exemple sur les rapports de confrontation inégale entre l’école et les familles populaires. Lorsqu’ils repoussent le moment du jugement ou de la sanction au profit d’une recherche des causes croisées des problèmes dans lesquels sont pris les élèves, lorsqu’ils tentent de « saisir » leur contexte de co-existence, les CPE empruntent certains principes au monde de la recherche (tout en poursuivant des objectifs fort différents). L’orientation que certains donnent alors progressivement à leur travail lors de ces quelques semaines extraordinaires n’est pas sans rappeler la posture de disponibilité et l’effort que le sociologue peut faire pour réduire la « violence symbolique » dans la relation d’enquête14.

30Cette dimension peut être plus ponctuelle pour une partie du groupe rencontré, habituellement davantage engagée dans un volet gestionnaire du travail, ou encore en raison d’une obligation renforcée par leur hiérarchie de remplir régulièrement des tableaux et de « pointer » les élèves « sortis des radars ». Mais cette orientation – bien que discrète et à l’œuvre en coulisse – finit par (ré)apparaître chez la plupart des CPE suivis lors du confinement.

31Ce contexte de « crise » révèle ainsi en creux l’importance de cette dimension du travail pour ces agents qui – selon des temporalités et une intensité variables – a pu trouver une partie des conditions de sa réalisation jusqu’à la réouverture des établissements.

Conclusion

32Avec peu ou pas de directives, sans élèves et parfois hors les murs, les CPE se sont (et ont été) massivement mobilisés sur des tâches diversifiées lors de la période étudiée, dont le centre de gravité a progressivement évolué vers le suivi, à distance et pour une part en présence, des élèves les plus en difficulté. La séquence de réouverture des établissements scolaires au cours du mois de mai 2020 a produit un revirement douloureux pour les CPE interrogés. Petites mains discrètes de la « continuité pédagogique » pendant près de deux mois, ils se sont retrouvés en quelques jours responsables logistiques (avec leur direction) de la mise en œuvre d’un protocole sanitaire exigeant et alors très discuté : organisation de plans de circulation ou de passage au self, désinfection méthodique, surveillance du « bon port » des masques, etc. Ainsi, les conditions du premier « déconfinement » ont-elles rappelé la polyvalence du métier de CPE et la possible extension – dans un laps de temps très court – du champ de leur intervention. Si ces dimensions – déjà bien identifiées par la recherche – sont constitutives du métier, l’enquête présentée ici montre à quel point l’épisode critique du printemps 2020 les a accentuées. À leur retour à temps plein dans les établissements, c’est une forme d’amertume qu’ont pu exprimer les CPE pour décrire cette « rentrée » : nombre de leurs collègues enseignants qu’ils ont alors retrouvés in situ les auraient davantage associés au « sale boulot » qu’a pu représenter la mise en place d’un protocole sanitaire discuté pour sa complexité qu’au travail de suivi réalisé lors du confinement auprès de plusieurs dizaines d’élèves.

33On peut supposer ici encore que cette faible reconnaissance des CPE renvoie au caractère souvent discret et difficilement évaluable du travail relationnel qu’ils ont accompli (Buisson-Fenet, 2019). La confirmation d’une position symboliquement dominée dans la division du travail éducatif n’a rien d’anodin et mériterait d’autres investigations, mais elle ne résume pas ce qui s’est produit pour les CPE lors de cette crise. L’enquête a montré que ce contexte ne les a en effet pas seulement « désarmés » ou infériorisés, mais qu’il a aussi et surtout constitué « en plein » un cadre socialisateur favorable à l’expression, à l’entraînement et au renforcement progressif de dispositions au dialogue et à l’écoute des élèves (Condette, 2013), d’une inclination plus marquée à prendre en compte les conditions d’existence des familles. La montée en puissance de ces principes d’action chez les CPE rencontrés, facilitée par la mise en suspens d’une large part des sollicitations qui leur sont habituellement adressées (tramées par des préoccupations de maintien de l’ordre et de traitement des déviances), a pu ainsi faire « ressource » auprès d’une partie des élèves et des familles « dans des contextes locaux et des situations concrètes » (Faure & Thin, 2019, p. 22). Les interventions déployées progressivement auprès des élèves les plus en difficulté se sont finalement révélées très ajustées à ce qui s’est peu à peu imposé comme un enjeu décisif au cours de la période : tenter de maintenir un lien avec les élèves et leur famille, à défaut de pouvoir garantir une « continuité pédagogique ». Ce travail relationnel, évité par certains enseignants suivant une logique de délégation du travail du care par ailleurs observable dans l’univers médical (Molinier, 2013), s’est traduit par une confrontation exacerbée avec un certain nombre de réalités sociales déstabilisatrices et parfois éprouvantes (l’impuissance de certaines familles et leur précarité en particulier). Mais la construction de ce travail a aussi permis de renouer avec ce que les CPE considèrent comme leur « cœur de métier », ce dont témoigne une certaine satisfaction professionnelle qu’ils ont pu exprimer pendant la période.

34La présentation de l’enquête sous la forme d’une chronique a facilité la mise en évidence de quelques-uns des tiraillements ou des formes de désajustement qu’ils ont d’abord éprouvés, parfois emprunts de doute ou de culpabilité, rappelant ainsi la pluralité et le caractère parfois contradictoire des principes d’action incorporés au cours de leur trajectoire et le rôle décisif des configurations (spatiales, relationnelles, etc.) dans la mise en œuvre, la mobilisation ou l’inhibition d’une partie d’entre eux (Lahire, 1998). Aussi les principes qui l’ont tendanciellement « emporté » dans les cas observés au cours de la période ne peuvent-ils pas être considérés comme des propriétés intrinsèques aux CPE, mais comme des propriétés relationnelles, c’est-à-dire indissociables des circonstances et des configurations qui les ont mobilisées et parfois valorisées comme des ressources ou des appuis pertinents.

35Faut-il pour autant en conclure que les CPE seraient peu ou prou condamnés à une forme de balancement incertain entre des principes plus ou moins contradictoires, au gré des situations qu’ils traversent ? Ce n’est pas l’hypothèse formulée pour conclure cet article. La séquence observée n’a peut-être pas seulement constitué une « expérience vive » (Dupeyron, 2020), parmi d’autres, mais une expérience socialisatrice particulièrement marquante, qui pourrait peser de manière significative dans un processus collectif – plus large et déjà engagé – de redéfinition des priorités du métier, davantage orientées vers la prise en compte du point de vue des élèves et de leurs conditions de scolarisation (Buisson-Fenet, 2008). De nouvelles investigations empiriques dans le secondaire, intégrant l’année qui a suivi ce qui n’a finalement été qu’un épisode critique dans une période de crise sanitaire prolongée, permettront peut-être d’apprécier le caractère plus ou moins partagé, durable et transposable des dispositions professionnelles dont nous avons étudié le renforcement, et de mieux saisir la contribution de cette séquence historique aux évolutions tendancielles du centre de gravité du métier.

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Notes

1 Leur circulaire de missions décrit celles-ci autour de trois axes : « la politique éducative de l’établissement », « le suivi des élèves » et « l’organisation de la vie scolaire ». Ce texte a le mérite, pour les syndicats majoritaires, de ne pas « enfermer » les CPE dans certaines dimensions du métier au détriment d’autres (par exemple : l’internat, le conseil de la direction au détriment des relations avec les élèves) – d’autant qu’ils sont désormais reconnus officiellement comme « concepteurs de leur activité » (circulaire no 2015-139 du 10 août 2015 « Missions des Conseillers principaux d’éducation »).

2 Les circulaires de rentrée de 1999 à 2020 mentionnent neuf fois les CPE, mais exclusivement lorsque sont évoquées des missions partagées par la « communauté éducative » ou la formation des futurs enseignants et CPE.

3 Cette faible lisibilité des pratiques des CPE, du point de vue des enseignants notamment, se construit aussi dès la formation, où les premiers peuvent être « oubliés », invisibilisés ou peu reconnus par les seconds. Ainsi, sur une période de près de 15 ans, à l’échelle de l’académie enquêtée avons-nous par exemple observé l’absence (sur l’essentiel de la période) de représentants de la formation préparant au concours de CPE dans les différentes instances officielles de l’institution : conseil d’institut, conseil de site, commission pédagogique, etc. Les CPE n’étaient d’ailleurs déjà pas mentionnés quand les IUFM ont été créés et présentés au grand public lors d’une conférence de presse de L. Jospin le 6 mai 1991, pas plus qu’ils ne l’ont été, deux décennies plus tard, lorsque V. Peillon a annoncé le lancement des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation le 1er juillet 2013.

4 Par exemple, le « Vade-mecum continuité pédagogique » à destination des agents scolaires et des familles d’élèves édité au début du confinement ne mentionne jamais les CPE (Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, 2020).

5 Le ministre de l’Éducation nationale s’adressera néanmoins aux CPE le 2 avril (puis le 7 mai 2020 en vue de la réouverture des établissements) pour les remercier de leur « dévouement » au nom de la « justice sociale ». Cependant, le message, diffusé par leurs boîtes mail professionnelles, n’est pas rendu public. Le Syndicat National des Enseignants du Second degré réagira à cette annonce en soulignant le caractère « tardif et balbutié » du discours de Jean-Michel Blanquer à la suite de « trois années d’ignorance pure et simple » de leur métier : « Quand le ministre Blanquer s’adresse aux CPE ». En ligne : <https://www.snes.edu/article/quand-le-ministre-blanquer-s-adresse-aux-cpe/> (consulté le 3 septembre 2021).

6 Pour un état des lieux de ces comparaisons internationales, voir notamment Condette, 2013.

7 Cette habitude inégalement partagée constitue pour les CPE une difficulté supplémentaire. Si les enseignants peuvent être tendanciellement organisés pour travailler une partie de la semaine depuis chez eux (préparation, corrections, etc.), ce n’est pas le cas des CPE que nous avons rencontrés. Plus de la moitié d’entre eux ne dispose pas d’un espace de travail dédié, voire d’un ordinateur personnel ou d’une imprimante. Une enquête de l’Institut français de l’Éducation consacrée aux effets du confinement sur l’activité des CPE rapporte qu’un peu moins de la moitié des répondants ont bénéficié d’une connexion internet et de matériel informatique de qualité dans leur foyer (Béduchaud, Leszczak, Mauguen et al., 2020).

8 Deux sondages d’un fonds d’articles évoquant les liens entre éducation et crise sanitaire publiés entre les mois de mars et de septembre 2020 (cf. encadré méthodologique, supra) donnent un premier indice du faible nombre d’articles évoquant le travail des CPE à l’heure de « l’école à la maison » et de la « continuité pédagogique ». Sur les onze publications interrogées, 17 articles mentionnent les CPE dans les titres et le premier paragraphe sur une période globale de près de sept mois. En remplaçant le mot-clé « CPE » par « enseignant » ou « professeur », la même requête génère 3 995 articles.

9 Les CPE téléphonent régulièrement aux familles et aux élèves en temps normal. Néanmoins, il est largement privilégié de les rencontrer de visu dans l’établissement, notamment pour les situations les plus difficiles.

10 « Habitué à vivre dans l’échange, désert relationnel pendant ces derniers mois. Rien ne vaut le dialogue en présentiel » (Homme, LP) ; « […] CPE égal métier de terrain et de contacts. Donc difficile depuis le domicile » (Femme, LPO) ; « Toutes les relations humaines qui sont le cœur de mon métier (élèves, familles, collègues...) ont souffert de cet éloignement. Un appel ou message ne remplace pas un entretien individuel, une rencontre... » (Femme, collège) ; « Notre métier s’exerce en présence des élèves. Notre efficacité est plus limitée à distance » (Homme, LEGT) ; « Mes missions de CPE étaient en accord avec ce qu’elles sont au départ, mais en version “adaptées”. Pour autant, je n’étais pas à l’aise avec cette situation professionnelle qui, au quotidien, est aux antipodes de ce que je connais tous les jours : dans le rythme des journées, les relations avec les personnes (collègues, élèves, familles)... » (Femme, LP) (extraits de réponses au questionnaire).

11 Par exemple, la tribune publiée par Pascal Plantard dans Le Monde, « École à la maison : “Qui sont les 800 000 élèves ‘perdus’ ?” », 7 avril 2020.

12 Dans la plupart des configurations scolaires enquêtées, les CPE soulignent le fort engagement des PP dans un travail de « suivi » des élèves à distance qui leur permet de se concentrer sur un nombre plus limité d’élèves.

13 En temps ordinaire, les CPE (souvent appuyés par un réseau local) qui parviennent à dénouer différents types de « petites crises » (par exemple un problème de logement ou de renouvellement d’un titre de séjour pour un élève, la grossesse d’une adolescente, etc.) trouvent souvent une reconnaissance dans l’établissement qui contraste avec les formes ordinaires d’invisibilisation voire d’infériorisation dont ils peuvent être l’objet.

14 Telle que la décrit notamment Pierre Bourdieu dans le dernier chapitre de La Misère du monde : « Comprendre » (1993b). Comme les sociologues, les CPE peuvent parfois être suspectés de nourrir une « culture de l’excuse », déresponsabilisante (Lahire, 2016).

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Pour citer cet article

Référence papier

Étienne Douat et Clémence Michoux, « Les conseillers principaux d’éducation saisis par la « crise ». Enquête sur des agents scolaires dans l’ombre de la « continuité pédagogique » »Revue française de pédagogie, 212 | 2021, 31-41.

Référence électronique

Étienne Douat et Clémence Michoux, « Les conseillers principaux d’éducation saisis par la « crise ». Enquête sur des agents scolaires dans l’ombre de la « continuité pédagogique » »Revue française de pédagogie [En ligne], 212 | 2021, mis en ligne le 05 janvier 2025, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/10770 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.10770

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Auteurs

Étienne Douat

Université de Poitiers, GRESCO

Clémence Michoux

Université de Poitiers, GRESCO

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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