1À l’école élémentaire, il est couramment établi qu’au-delà des caractéristiques socio-démographiques et personnelles qui différencient les élèves, l’organisation et le fonctionnement de l’école jouent un rôle important dans la constitution progressive des inégalités de résultats entre élèves (Morlaix, 2009). Ainsi, les travaux sur les effets école et les effets classe s’interrogent sur la façon dont l’école ou l’enseignant que fréquente un élève peut affecter ses résultats scolaires. Les facteurs classiquement mobilisés pour caractériser la classe (taille, composition du public d’élèves, nombre de cours…) influent peu sur les acquisitions des élèves et n’épuisent pas l’ampleur des différences d’acquisition qu’on observe d’une classe à l’autre. Ainsi, l’effet classe se composerait en partie d’un effet enseignant (Reynolds, 1995 ; Creemers & Reezigt, 1996).
2Les recherches menées sur l’effet enseignant tendent principalement à isoler les caractéristiques des enseignants ou les pratiques pédagogiques efficaces (Bressoux, 2001), sans jamais en expliquer la totalité, même si des éléments significatifs des effets maître peuvent être mis au jour (attentes vis-à-vis des élèves par exemple ou encore interactions entre le maître et ses élèves).
3Ainsi, dans la lignée des travaux portant sur les effets maître, l’objectif de cette recherche est de mettre en évidence des profils d’enseignants et de comprendre comment ce profil peut jouer sur le développement de compétences chez les élèves, notamment de compétences dites non académiques ou psychosociales. Après avoir explicité les différents concepts sous-tendant la recherche, nous exposerons la problématique et la méthodologie du travail. La présentation et la discussion des résultats nous permettront d’approfondir l’analyse des liens entre profil de l’enseignant et compétences psychosociales de l’élève.
4L’effet enseignant se manifeste principalement au travers des interactions entre l’enseignant et ses élèves (David, 2020). Dans ce sens, le modèle du comportement interpersonnel de l’enseignant (Model for Interpersonal Teacher Behavior, MITB) élaboré par Wubbels, Créton et Hooymayers en 1985, à partir de travaux de Leary (1957), permet de développer un profil interactionnel de l’enseignant. Ce profil interactionnel met en lumière les comportements de l’enseignant dans sa classe. Il se fonde sur deux dimensions : l’influence et la proximité de l’enseignant vis-à-vis de ses élèves.
5L’influence s’inscrit dans un continuum allant de la soumission (incertitude/responsabilisation) à la domination (sévérité/directivité). Elle peut être expliquée par la communication directe de l’enseignant avec sa classe et sa manière de guider l’enseignement qui peut osciller entre domination (mode de communication plutôt contrôlant) et soumission (moins contrôlant).
6La notion de proximité renvoie quant à elle à la distance dans la relation interpersonnelle entre l’élève et l’enseignant et s’étend de l’opposition à la coopération, selon Fortin, Plante et Bradley (2011). La coopération rend compte d’un contact très proche entre élève et enseignant, avec un enseignant plutôt aidant et tolérant, tandis que l’opposition traduit un comportement autoritaire de l’enseignant (Fortin, Plante & Bradley, 2011).
Figure 1. Adaptation du modèle de Leary pour l’éducation par Wubbels, Créton & Hooymayers (1985)
7C’est à partir de ces deux dimensions que Wubbels et Levy (1993) élaborent leur modèle du comportement interpersonnel de l’enseignant (MITB). Ce modèle met en lumière les comportements de l’enseignant, dans sa classe, en faisant apparaître huit sous-dimensions dans le profil enseignant.
Figure 2. Le modèle MITB (Wubbels & Levy, 1993)
8Outre les deux axes évoqués précédemment dans le modèle de Leary (influence et proximité), quatre quadrants se dessinent pour faire apparaître huit sous-dimensions (uncertain, strict, admonishing, dissatisfied, leadership, helpful/friendly, understanding et student freedom) qui font référence aux comportements interpersonnels révélés par l’enseignant en situation d’interaction avec ses élèves.
9Cette relation entre enseignant et élèves, c’est-à-dire la façon dont chacun des acteurs interagit avec l’autre et exerce son influence sur l’autre, nous semble intéressante pour comprendre l’effet maître. Nous souhaitons comprendre plus spécifiquement comment le comportement de l’enseignant en situation d’interaction avec ses élèves peut influer sur le niveau de développement des compétences de l’élève, et notamment ses compétences dites psychosociales.
10Duru-Bellat (2016) précise qu’il existe non seulement des compétences dites académiques qui permettent à l’élève, à l’enseignant ou à ses parents de comprendre ce qu’il est capable de faire, s’il maîtrise tel savoir, mais qu’il existe également des compétences dites « non académiques », plus transversales car non disciplinaires, pouvant se rapprocher de comportements ou savoir-être. Celles-ci seraient acquises grâce à des activités variées et ne seraient pas attachées à une discipline donnée. Les termes pour désigner ces compétences sont nombreux. Chaque auteur souhaite mettre en avant un ou plusieurs aspects de la compétence, par exemple un aspect social (Filisetti, 2009), comportemental (Lenoir, Larose, Biron et al., 1999) ou émotionnel (Gendron, 2007), si bien que les dénominations du concept sont diverses : compétences non académiques, compétences sociales, socio-émotionnelles, relationnelles, savoir-être, soft skills, etc.
11Dans notre recherche, nous retiendrons le terme de compétences psychosociales. Ce sont des compétences transversales en lien avec les comportements de l’élève. Elles impliquent à la fois un processus dynamique et évolutif et un rapport à soi et/ou un rapport aux autres (élèves et enseignant) dans un contexte et une situation de classe particuliers. Ces compétences nécessitent la mobilisation d’une multitude de ressources intriquées, qu’elles appartiennent au domaine comportemental, émotionnel, social ou cognitif. L’élève doit donc être capable de répondre aux situations de la vie (dans la classe ou à l’extérieur) qu’il rencontre et de s’adapter à son environnement en mobilisant ces compétences qui s’appuient sur ses aptitudes cognitives, ses traits de personnalité, ses émotions et ses connaissances.
12L’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1993 a précisé diverses caractéristiques de ces compétences. Elles reflètent « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif, à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement » (WHO, 1993, p. 1). Ce sont des compétences que l’élève sera à même d’utiliser dans le quotidien de sa vie pour s’adapter à son environnement et faire face de manière adéquate aux situations qu’il rencontre dans sa vie. L’OMS (WHO, 2003) recense trois catégories de compétences psychosociales qui sont inter-reliées : (1) les compétences émotionnelles qui renvoient à la gestion et la régulation des émotions, (2) les compétences sociales ou relationnelles qui font référence à la capacité de l’enfant à communiquer, à faire preuve d’empathie, à gérer ses problèmes relationnels et (3) les compétences cognitives qui recouvrent la connaissance de soi et le développement de la pensée créative et critique chez l’enfant.
13Ces compétences psychosociales entretiendraient un lien étroit avec la réussite scolaire. En France, les travaux sur le sujet demandent encore à être développés (Giret & Morlaix, 2016), mais témoignent de l’intérêt de les prendre en compte dans les parcours scolaires et professionnels des individus et des élèves plus particulièrement. En effet, même si la prise en compte de ces compétences psychosociales par l’école est récente, elle s’explique par une conjonction de facteurs qui rappellent le lien étroit qu’elles entretiennent avec la réussite :
- les résultats de travaux de recherche à l’international : les travaux de Heckman, prix Nobel d’économie en 2000, s’intéressant aux compétences psychosociales et plus particulièrement à cinq d’entre elles (les « Big Five »), ces compétences psychosociales ayant un pouvoir prédictif élevé sur la réussite scolaire, mais également sur une large palette de résultats sociaux, notamment pour les jeunes les plus défavorisés ; les constats d’organismes internationaux vont dans le même sens, comme ceux formulés par l’OCDE en 2015, dont un rapport intitulé Skills for Social Progress. The Power of Social and Emotional Skills montre comment l’étude de ces compétences psychosociales constitue un moyen de comprendre les inégalités sociales et économiques ;
- les événements sociétaux récents qui marquent la France tragiquement en 2015 et qui font écrire à Meuret (2016) un article intitulé « L’école contre la fascination pour le djihad » permettant de mettre en avant le rôle de l’école dans le développement de compétences liées au comportement de l’élève et plus particulièrement au rapport à soi, aux autres ou encore au monde ;
- les politiques éducatives qui intègrent dorénavant, notamment dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture (MEN, 2015), certaines compétences psychosociales que l’école aurait en charge implicitement ou explicitement de développer (confiance en soi et respect des autres, coopération, expression de la sensibilité, de l’opinion, la règle et le droit, réflexion et discernement ou encore responsabilité, sens de l’engagement et de l’initiative, etc.).
14Dans notre recherche, nous nous sommes intéressés à six compétences psychosociales qui couvrent deux des trois dimensions répertoriées par l’OMS (WHO, 2003), à savoir les compétences sociales et émotionnelles. Nous n’avons pas exploré les compétences cognitives. La coopération et l’empathie relèvent des compétences relationnelles, en ce sens qu’elles incarnent plutôt des savoir-être externes qui se manifestent par les comportements de l’élève vis-à-vis des autres (Morlaix, 2015). Nous avons retenu également des compétences psychosociales émotionnelles : la maîtrise de soi, l’anxiété (ou plutôt la capacité à gérer son anxiété), l’estime de soi et l’internalité. Celles-ci font référence à des savoir-être internes, représentant un comportement vis-à-vis de soi (Morlaix, 2015 ; Gendron, 2007). Nous avons conscience qu’il peut être difficile de considérer l’anxiété comme une compétence, mais la capacité à gérer ses émotions, et donc la capacité à gérer son anxiété, sont des compétences psychosociales qu’il est possible de développer chez un enfant dans une situation donnée à l’école ou dans sa vie (Lamboy & Luis, 2015, à partir de WHO, 2003).
15À notre connaissance, peu de recherches en France se sont intéressées aux effets des pratiques d’enseignement sur différentes compétences psychosociales des élèves prises en compte simultanément. Korbel et Paulus (2017) ont examiné l’impact des pratiques enseignantes sur des compétences socio-émotionnelles, la motivation intrinsèque, la motivation extrinsèque et la confiance en soi. Les résultats montrent que les pratiques d’enseignement qualifiées de modernes ont un impact significatif sur les compétences socio-émotionnelles. Siekkinen, Pakarinen, Lerkkanen et alii (2013) constatent que moins l’enseignant est stressé, plus l’élève est empathique ou au contraire que plus l’enseignant a un niveau de stress élevé, plus les élèves sont impulsifs et moins ils coopèrent. En outre, Flèche (2017) a montré, à partir de données issues d’une étude longitudinale britannique, un effet de la valeur ajoutée de l’enseignant sur le développement de compétences non cognitives. Ces constats nous amènent à formuler l’hypothèse que les compétences psychosociales sont favorisées par les pratiques d’interactions, de soutien, de feed-back de l’enseignant en direction de l’élève. Les caractéristiques subjectives de soutien, d’empathie, de directivité et de responsabilisation de l’enseignant pourraient, par exemple, encourager le développement de l’empathie ou de l’estime de soi chez l’élève. Inversement, certaines pratiques interpersonnelles liées à la sévérité, à l’insatisfaction ou à la réprimande pourraient créer de l’anxiété chez l’élève qui serait à même d’affaiblir ses performances.
16Nous avons souhaité comprendre comment le comportement de l’enseignant en situation d’interaction avec sa classe peut influer sur le niveau de développement de compétences psychosociales chez ses élèves. Pour cela, nous avons collecté des informations sur 26 classes du CE2 au CM2 de septembre 2017 à juin 2018, dont les enseignants étaient volontaires pour participer au protocole de recherche.
17Notre échantillon d’élèves est constitué de 623 élèves, parmi lesquels 284 filles (45,6 %) et 339 garçons (54,4 %), soit une répartition légèrement différente de la répartition nationale des élèves du premier degré qui fixe la part des filles à 49,3 % à la rentrée 2017 (DEPP, 2018). 18 élèves fréquentent le CE2, 237 le CM1 et 368 le CM2. 43 élèves (6,9 %) sont redoublants.
18L’échantillon des enseignants se répartit en 17 enseignantes (65,4 %) et 9 enseignants (34,6 %), soit une proportion d’hommes plus élevée que dans la population d’enseignants français du premier degré où les femmes dans l’enseignement public sont représentées à 83,4 % (DEPP, 2017). La moitié des enseignants ont entre 40 et 50 ans. Un seul enseignant a plus de 55 ans et les deux plus jeunes ont entre 30 et 34 ans. Vingt-trois enseignants ont entre 10 et 30 ans d’expérience. Si l’on s’intéresse à leur formation initiale, deux enseignants ont un niveau bac +2 (DUT) et cinq un niveau bac +4 ou 5, soit un peu moins d’un quart. Les autres enseignants, soit près des trois quarts, ont une licence. Treize classes sont situées en zone urbaine (dix classes en secteur urbain hors REP et ZUS, deux classes en secteur urbain ZUS, une classe en secteur urbain REP) et treize en zone rurale hors ZUS et REP.
19Les classes concernées sont à majorité des cours doubles : quinze cours doubles et onze cours simples. Douze classes sont des CM1-CM2 et huit des CM2, si bien que les classes de CM1-CM2 et de CM2 représentent plus des trois quarts des classes de l’échantillon. Les effectifs des classes se situent pour la plupart entre 23 et 25 élèves. Quatre classes ont plus de 25 élèves et sept en ont moins de 23. L’effectif le plus élevé est de 29 élèves pour deux classes et la classe qui a l’effectif le moins élevé est constituée de 12 élèves.
20Le comportement de l’enseignant a été appréhendé à partir de son profil interactionnel. Ce profil a été complété conjointement par l’enseignant et par les élèves de sa classe. Wubbels et ses collègues ont développé un outil, particulièrement intéressant, qui mesure la proximité et l’influence de l’enseignant vis-à-vis de ses élèves : le QTI (Questionnaire on Teacher Interaction), questionnaire auto-perceptif, traduit en français et validé par Genoud (2004, 2008). Ce dernier a gardé la structure et signification à huit échelles du QTI pour élaborer le Profil interactionnel de l’enseignant (PIE), composé de quarante items (cinq par caractéristique). Huit caractéristiques de l’enseignant sont appréhendées dans ce profil : la directivité, le soutien, l’empathie, la responsabilisation, l’incertitude, l’insatisfaction, la réprimande, la sévérité. Le PIE s’articule autour de deux axes : « influence » et « proximité » et permet de révéler les représentations subjectives des interactions enseignant-élèves, par le biais des perceptions conjointes des élèves et de l’enseignant, les questionnaires pouvant être remplis à la fois par les élèves et par l’enseignant.
21Les mesures des compétences psychosociales ont reposé sur des échelles existantes et validées scientifiquement, car la mesure de telles compétences est difficile, tant leur opérationnalisation reste délicate. Nous avons proposé aux élèves un questionnaire auto-déclaratif (80 items) sur le niveau de développement de leurs compétences psychosociales (coopération, maîtrise de soi, empathie, internalité, estime de soi et anxiété).
22Ainsi, pour évaluer la coopération, la maîtrise de soi et l’empathie, nous avons eu recours au Social Skills Rating System (SSRS). Ce questionnaire en anglais construit et validé par Gresham et Eliott (1990), le plus cité dans le monde de la recherche concernant les compétences sociales (Crowe, Beauchamp, Catroppa et al., 2011), a été traduit et validé en français pour des élèves de collèges et lycées par Fortin, Royer, Marcotte et alii (2001). Nous avons adapté cette version traduite à des élèves plus jeunes en gardant la structure du test initial. Pour mesurer l’internalité chez les élèves, nous avons utilisé un questionnaire, conçu par Dompnier (2006), destiné à des élèves de CE2. Nous avons également procédé à une mesure de l’anxiété à partir du test R-CMAS (Reynolds & Richmond, 1999), adapté en français par Castro, qui est un instrument d’auto-évaluation de l’anxiété conçu pour les enfants et adolescents de 6 à 19 ans. Enfin, nous avons mesuré l’estime de soi à partir d’un outil construit et validé par Rambaud (2009), l’Instrument de mesure de l’estime de soi (IMES), adapté du Self Perception Profil de Pierrehumbert et ses collaborateurs (Pierrehumbert, Plancherel & Jankech-Caretta, 1987 ; Pierrehumbert, Zanone, Kauer-Tchicaloff et al., 1987).
23Plusieurs résultats, dans un premier temps descriptifs, puis plus analytiques ensuite, peuvent être présentés.
24Nous présentons, dans le tableau 1, tout d’abord les différentes moyennes de chacune des compétences psychosociales mesurées en fin d’année scolaire, sachant que nous avions effectué une première mesure au mois de novembre.
Tableau 1. Description des compétences psychosociales (N = 590)
(Période 2) (N = 593) |
Maîtrise de soi |
Internalité |
Anxiété |
Estime de soi |
Empathie |
Coopération |
Moyenne |
11,24 |
7,53 |
7,46 |
61,17 |
14,31 |
13,87 |
Écart-type |
3,09 |
2,08 |
4,06 |
9,44 |
3,33 |
2,37 |
Minimum |
2 |
0 |
0 |
6 |
2 |
6 |
Maximum |
20 |
12 |
19 |
78 |
20 |
18 |
Asymétrie |
-0,130 |
-0,342 |
0,455 |
-0,896 |
-0,722 |
-0,610 |
Kurtosis |
0,017 |
-0,177 |
-0,368 |
1,558 |
0,577 |
0,016 |
25Lorsque nous analysons les moyennes de la maîtrise de soi, l’empathie (scores sur 20) et la coopération (score sur 18), elles sont comprises entre 11 et 14,5. Les écarts-types entre 2 et 3,5 indiquent que les scores sont assez regroupés autour de la moyenne. Il est assez difficile de confronter ces résultats à d’autres études, puisque le test SSRS regroupant ces compétences est initialement en anglais et qu’il a fait l’objet de diverses traductions. Nous avons également dû reformuler certains items, ce qui le rend difficilement comparable. Epinoux (2014) avait utilisé une version traduite de la SSRS et mesuré la coopération dont les valeurs moyennes s’étendaient entre 13 et 15, des valeurs assez semblables à celles obtenues pour la coopération et l’empathie dans notre recherche. Nous pouvons dresser le même constat de faible dispersion pour l’internalité (score sur 12 et écart-type de 2,08) : la moyenne de 7,53 est assez proche de celle mesurée par Dompnier (2006). Nous n’avons pas de valeur de référence pour l’anxiété, attendu que nous avons retenu 19 items parmi les 37 du test initial. La moyenne de l’anxiété est inférieure à 8 (une moyenne semblable à notre première mesure en novembre) avec un écart-type qui indique une dispersion un peu plus importante autour de la moyenne. L’analyse des indicateurs d’asymétrie et d’aplatissement, négatifs ou positifs, mais tous compris entre 0 et 1 pour ces cinq compétences, nous montre que la distribution des valeurs s’approche d’une distribution normale. Nous observons cependant des valeurs plus élevées de ces indicateurs pour l’estime de soi dont les coefficients témoignant d’une asymétrie négative (distribution étalée à gauche de la moyenne) et d’un aplatissement positif (pic un peu plus prononcé) s’éloignent d’une distribution normale tout en restant acceptable. La comparaison avec l’IMES de Rambaud (2009) est difficile, puisque nous avons utilisé la version à 20 items, alors que son analyse a porté sur une version à 16 items (moyennes autour de 50 avec un écart-type de 3). Notre moyenne est tout à fait normalement plus élevée, mais nous constatons une plus grande dispersion dans les résultats avec un écart-type élevé (9,44).
26Nous avons comparé les scores moyens standardisés pour déterminer s’ils avaient varié significativement entre les périodes 1 et 2. Le test t de Student avec échantillons appariés confirme que toutes les variations de moyennes sont non seulement faibles, mais que toutes les différences constatées entre les deux périodes sont non significatives (voir tableau 2).
Tableau 2. Comparaison des scores entre la première et la deuxième période
avec le test t de Student (ddl = 559)
Compétences psychosociales |
Différences entre les moyennes |
Écart-type |
t |
Significativité |
Empathie 1 et 2 |
-0,024 |
0,97 |
-0,590 |
ns |
Maîtrise de soi 1 et 2 |
0,005 |
1,01 |
0,125 |
ns |
Coopération 1 et 2 |
-0,004 |
0,97 |
-0,105 |
ns |
Internalité 1 et 2 |
0,010 |
1,09 |
0,229 |
ns |
Anxiété 1 et 2 |
0,008 |
0,91 |
0,220 |
ns |
Estime de soi 1 et 2 |
-0,016 |
0,84 |
-0,459 |
ns |
27Ces résultats révèlent que les compétences psychosociales des élèves de notre échantillon n’ont pas évolué en un peu plus de six mois.
28Les caractéristiques moyennes des profils enseignants sont données dans le tableau 3. Il s’agit des huit dimensions du PIE. Nous nous intéressons à la manière dont l’enseignant est perçu par les élèves.
Tableau 3. Caractéristiques des profils interactionnels des enseignants de l’échantillon perçues par les élèves
|
Minimum |
Maximum |
Moyenne |
Écart-type |
Directivité |
1,20 |
4,00 |
3,16 |
0,56 |
Soutien |
0 |
4,00 |
3,14 |
0,74 |
Empathie |
0,20 |
4,00 |
2,85 |
0,73 |
Responsabilisation |
0 |
4,00 |
2,21 |
0,80 |
Incertitude |
0 |
3,60 |
0,79 |
0,56 |
Insatisfaction |
0 |
3,80 |
0,99 |
0,69 |
Réprimande |
0 |
4,00 |
1,36 |
0,94 |
Sévérité |
0,20 |
4,00 |
2,50 |
0,64 |
29Les différentes dimensions, perçues par les élèves et composant le profil interactionnel de l’enseignant, varient sur une échelle allant de 0 à 4. Les scores sont plus ou moins dispersés entre enseignants, les scores d’incertitude et de directivité présentant la moins forte étendue (0,56), le score de réprimande la plus forte (0,94). Certains enseignants sont positionnés au plus bas par les élèves (moyenne des scores autour de 1), signifiant qu’ils sont peu caractérisés par certaines dimensions, comme l’incertitude, l’insatisfaction ou la réprimande, trois dimensions pour lesquelles des scores à 0 apparaissent. De façon complémentaire, les élèves évaluent les enseignants comme étant particulièrement directifs, soutenants ou empathiques, ces trois dimensions laissant apparaître une moyenne de scores autour de 3.
30Les enseignants ont aussi partagé l’autoperception de leur profil interactionnel. Lorsque nous comparons les moyennes des deux variantes, élèves et enseignants, à l’aide du test t de Student, des différences entre les deux variantes, certes peu élevées mais très significatives, apparaissent pour certaines dimensions, telles que la directivité, le soutien, l’empathie, la réprimande et la sévérité (voir tableau 4).
Tableau 4. Corrélations et différences selon les perceptions des enseignants et des élèves
Dimensions (N = 590) |
r |
P(r) |
t |
P(t) |
Directivité |
0,11 |
** |
13,56 |
** |
Soutien |
0,13 |
** |
-4,49 |
** |
Empathie |
0,02 |
ns |
-6,50 |
** |
Responsabilisation |
0,09 |
* |
0,19 |
ns |
Incertitude |
0,02 |
ns |
0,18 |
ns |
Insatisfaction |
0,23 |
** |
0,17 |
ns |
Réprimande |
0,27 |
** |
-2,72 |
** |
Sévérité |
0,09 |
* |
-4,53 |
** |
31Les élèves estiment que les enseignants sont plus directifs que ne le pensent les enseignants, mais les enseignants jugent qu’ils apportent plus de soutien, qu’ils font preuve de plus d’empathie que ne le pensent les élèves. Les enseignants se jugent également plus stricts et sévères. En revanche, nous n’observons pas de différence significative entre les variantes pour les dimensions de responsabilisation, d’incertitude et d’insatisfaction.
32Lorsque nous avons analysé les résultats par classe, nous avons repéré des différences interclasses et intraclasses. Il n’est pas envisageable de présenter tous les éléments de compréhension liés aux différentes classes, mais nous avons construit un indicateur de dispersion, à l’image de Genoud (2004), qui rend compte des divergences de perceptions au sein des classes. Nous avons calculé pour cela une variable « dispersion » qui prend en compte la moyenne des écarts-types sur les 40 items du PIE pour les élèves d’une classe donnée. Plus le score de cette variable est élevé, plus les élèves de la classe sont en désaccord sur leur enseignant. À l’inverse, un score faible est le signe d’une unanimité dans la classe.
33Pour tester les liens entre cette variable de dispersion et les dimensions du PIE, nous avons réalisé des corrélations partielles entre le score de dispersion et les dimensions du PIE perçues par les élèves en contrôlant le nombre d’élèves par classe (voir tableau 5), attendu que ce dernier facteur pourrait contribuer artificiellement à l’augmentation de la dispersion des représentations (Genoud, 2004). Tant pour les perceptions des élèves que pour celles des enseignants, les dimensions de coopération (directivité, soutien, empathie et responsabilisation) sont corrélées négativement avec le score de dispersion (r compris entre -0,08 et -0,16 pour la variante élève et r compris entre -0,18 et -0,26 pour la variante enseignant), tandis que les dimensions d’opposition (incertitude, insatisfaction, réprimande et sévérité) sont corrélées positivement (r compris entre 0,19 et 0,29 pour la variante élève et r compris entre 0,17 et 0,46 pour la variante enseignant). Les corrélations sont faibles à modérées, mais elles sont pour la plupart très significatives, impliquant qu’un lien existe entre ces variables. Ainsi, par exemple, plus les élèves d’une classe sont en désaccord, moins ils perçoivent leur enseignant comme directif, empathique et plus ils le perçoivent comme insatisfait et sévère.
Tableau 5. Corrélations partielles entre la dispersion des représentations des élèves et les dimensions du PIE en contrôlant le nombre d’élèves par classe
Dimensions (N = 590) |
Élève |
Enseignant |
r |
p(r) |
r |
p(r) |
Directivité |
-0,08 |
* |
-0,26 |
** |
Soutien |
-0,11 |
** |
-0,08 |
ns |
Empathie |
-0,17 |
** |
-0,18 |
** |
Responsabilisation |
-0,16 |
** |
-0,01 |
ns |
Incertitude |
-0,03 |
ns |
0,17 |
** |
Insatisfaction |
0,21 |
** |
0,46 |
** |
Réprimande |
0,29 |
** |
0,28 |
** |
Sévérité |
0,19 |
** |
0,19 |
** |
34Du côté de l’enseignant, moins l’unanimité de la classe à leur endroit est forte, moins ils se perçoivent comme directifs et empathiques et plus ils se perçoivent comme insatisfaits et sévères. Nous avons fait le choix pour la suite de cet article de prendre en compte le profil interactionnel de l’enseignant selon la variante élève, c’est-à-dire tel qu’il est perçu par les élèves.
35À partir des perceptions des élèves, nous avons cherché à mettre en relation les différentes dimensions du profil enseignant avec les six compétences psychosociales développées chez les élèves (profil psychosocial des élèves). Nous avons procédé à des analyses de corrélation pour établir les liens entre les compétences psychosociales des élèves et les dimensions du profil interactionnel de l’enseignant.
Tableau 6. Corrélations entre le PIE de l’enseignant et les compétences psychosociales de l’élève
Dimensions PIE (N = 565) |
Maîtrise de soi |
Internalité |
Anxiété |
Estime de soi |
Empathie |
Coopération |
Coeff. |
Sig. |
Coeff. |
Sig. |
Coeff. |
Sig. |
Coeff. |
Sig. |
Coeff. |
Sig. |
Coeff. |
Sig. |
Directivité |
0,176 |
** |
0,138 |
** |
-0,039 |
ns |
0,120 |
** |
0,129 |
** |
0,151 |
** |
Soutien |
0,201 |
** |
0,127 |
** |
-0,032 |
ns |
0,120 |
** |
0,232 |
** |
0,130 |
** |
Empathie |
0,201 |
** |
0,174 |
** |
-0,001 |
ns |
0,151 |
** |
0,256 |
** |
0,188 |
** |
Responsabilisation |
0,121 |
** |
0,087 |
* |
-0,042 |
ns |
0,124 |
** |
0,129 |
** |
0,083 |
* |
Incertitude |
-0,056 |
ns |
-0,033 |
ns |
0,049 |
ns |
-0,056 |
ns |
-0,071 |
ns |
-0,129 |
** |
Insatisfaction |
-0,137 |
** |
-0,174 |
** |
0,137 |
* |
-0,219 |
** |
-0,158 |
** |
-0,192 |
** |
Réprimande |
-0,215 |
** |
-0,181 |
** |
0,139 |
** |
-0,150 |
** |
-0,108 |
* |
-0,169 |
** |
Sévérité |
-0,096 |
* |
-0,120 |
** |
-0,007 |
ns |
-0,010 |
ns |
-0,066 |
ns |
-0,030 |
ns |
Notes : ** : la corrélation est significative au niveau 0,01 (bilatéral) ; * : la corrélation est significative au niveau 0,05 (bilatéral).
36Nous remarquons dans le tableau 6 que toutes les dimensions de coopération, directivité, soutien, empathie et responsabilisation (dans une moindre mesure) sont corrélées positivement certes très modérément (coefficients entre 0,08 pour la responsabilisation et 0,25 pour l’empathie), mais très significativement avec les compétences psychosociales à l’exception de l’anxiété, corrélée négativement, mais non significativement. Lorsque l’on prend en compte les dimensions d’opposition et particulièrement l’insatisfaction et la réprimande, elles sont toutes les deux corrélées positivement et significativement avec l’anxiété (coefficient de 0,13) et négativement et très significativement avec les cinq autres compétences (coefficient compris entre -0,13 et -0,21). L’incertitude et la sévérité sont moins corrélées avec les compétences. Nous notons quelques relations négatives et significatives de la sévérité avec la maîtrise de soi et l’internalité de l’élève et une relation négative et très significative de l’incertitude de l’enseignant avec la coopération de l’élève.
37Pour aller plus loin dans l’analyse et continuer à explorer la relation entre le profil de l’enseignant et les compétences psychosociales de l’élève, nous avons ensuite testé, par l’utilisation d’équations structurelles, le modèle théorique présenté dans la figure 3.
Figure 3. Modèle théorique initial mettant en relation profil de l’enseignant et compétences psychosociales des élèves
- 1 Ici les indicateurs retenus pourraient être apparentés à des variables latentes. Mais nous considé (...)
38Le modèle théorique a été testé à partir du logiciel LISREL. Il suppose de disposer d’un certain nombre d’indicateurs (schématisés par des rectangles1) qui rendent comptent de dimensions latentes (schématisées par des ovales). La modélisation statistique sous LISREL permet également d’étudier les relations statistiques existantes entre variables latentes. Dans le modèle initial sont faites plusieurs hypothèses : d’une part que chacun des concepts latents (profil de l’enseignant et profil psychosocial de l’élève) peut être appréhendé par un certain nombre d’indicateurs (huit pour la variable profil enseignant, six pour la variable profil psychosocial de l’élève). D’autre part est faite l’hypothèse que le profil enseignant influe sur le profil psychosocial de l’élève. Le test de ce modèle théorique postulé a priori repose sur une analyse confirmatoire, il nous a permis de dégager les résultats présentés dans la figure 4.
Figure 4. Modèle empirique mettant en relation profil de l’enseignant (proximité) et profil psychosocial (bien-être) des élèves
39Quatre indicateurs paraissent particulièrement corrélés et mesurent ensemble une dimension particulière du profil enseignant. Il s’agit des indicateurs représentant la responsabilisation, le soutien, l’empathie et la directivité de l’enseignant. La variable latente mesurée par ces quatre indicateurs pourrait s’apparenter à la proximité de l’enseignant et renvoie en fait à la notion de proximité du modèle de Wubbels. La proximité représenterait également une forme de bienveillance, telle qu’elle fut définie en son sens fort par Réto, à savoir « la volonté réelle et efficace du bien d’autrui » (2017, p. 6). Soucieux du bien de l’élève et de sa réussite, l’enseignant mobiliserait alors deux types de comportements complémentaires : un comportement affectif (soutien et empathie) et un comportement plus « pédagogique » qui requerrait chez l’enseignant à la fois de l’exigence vis-à-vis de l’élève (directivité) et une volonté de construire chez lui une autonomie suffisante (responsabilisation). Ce modèle de mesure présente des indicateurs d’ajustement global qui sont satisfaisants (GFI, AGFI, NFI, NNFI sont supérieurs à 0,9 et les indices d’erreurs RMSEA et RMR ont des valeurs proches de 0,05) témoignant de l’acceptabilité de ce modèle de mesure. Les indices d’ajustement local (t de Student), permettant de tester la robustesse et la significativité de la relation entre chaque indicateur et le concept latent, sont tous très significatifs au seuil de 1 %, l’empathie ayant le poids le plus important dans la mesure de la bienveillance (coefficient à 0,83).
40Concernant le profil de l’élève, cinq des six compétences psychosociales semblent suffisamment corrélées pour mesurer un concept latent. Ainsi, l’empathie, la maîtrise de soi, la coopération, l’estime de soi et l’internalité forment les cinq indicateurs du concept à l’exclusion de l’anxiété. Les indices d’ajustement global pour ce deuxième modèle de mesure reliant les indicateurs de compétences psychosociales au concept latent sont satisfaisants (GFI, AGFI, NFI, NNFI sont supérieurs à 0,9 et les indices d’erreurs RMSEA et RMR ont des valeurs inférieures à 0,05) et témoignent tous de l’acceptabilité du modèle de mesure. De la même façon, les indices d’ajustement local, obtenus à partir du t de Student, sont tous très significatifs au seuil de 1 %. Le concept latent mesuré par ces cinq compétences psychosociales (empathie, maîtrise de soi, coopération, estime de soi et internalité) pourrait s’apparenter au bien-être psychosocial scolaire des élèves. Le concept de bien-être peut être défini dans la littérature par d’autres dimensions et de manière plus complète (Guimard, Bacro, Ferrière et al., 2015). Nous sommes conscients que nos cinq compétences ne peuvent rendre compte à elles seules de la notion de bien-être, mais nous estimons néanmoins qu’elles peuvent traduire une forme de bien-être, un bien-être psychosocial de l’élève en milieu scolaire. Ce bien-être psychosocial, multidimensionnel, serait une évaluation cognitive et affective faite par l’élève du niveau de développement de ses compétences psychosociales à l’égard de ses expériences vécues dans le contexte scolaire. Cette définition est proche de celle donnée par Huebner, Ash et Laughlin (2001), citée par Bacro, Guimard, Florin et alii (2017), à propos du bien-être subjectif qui implique une évaluation faite par l’enfant de son niveau de satisfaction dans les différents domaines de sa vie, parmi lesquels le contexte scolaire nous intéresse plus particulièrement. Dans notre mesure du bien-être psychosocial scolaire des élèves, c’est la coopération qui a le poids le plus important et l’internalité qui en a le moins.
41La dernière étape de l’analyse LISREL consiste à déterminer les relations entre les deux variables latentes que nous avons identifiées : proximité (ou bienveillance) de l’enseignant et bien-être psychosocial scolaire des élèves. La proximité de l’enseignant a un effet positif sur le bien-être psychosocial des élèves dont rend compte le coefficient égal à 0,34. Le R2, qui nous renseigne sur la force de la relation, s’élève à 0,12, ce qui signifie que la seule variable « proximité de l’enseignant » expliquerait 12 % de la variance de la variable « bien-être psychosocial scolaire de l’élève ». Nous pourrions donc avancer que plus l’élève perçoit son enseignant comme proche ou bienveillant, plus il se déclare satisfait et serein à l’école.
42Le concept de proximité mis à jour empiriquement dans cette recherche peut sans doute se rapprocher de celui de bienveillance. Dans la littérature, la bienveillance de l’enseignant est souvent reliée au bien-être de l’élève. Bien-être et bienveillance sont deux notions qui ont été introduites dans la Loi de refondation de l’école (MEN, 2013), qui souligne l’importance de la bienveillance « pour favoriser les apprentissages, le bien-être et l’épanouissement des élèves » (Saillot & Piot, 2018, p. 1). Notre modèle confirme le lien entre ces deux notions, en précisant la notion de bienveillance sous forme d’une proximité que peu de résultats empiriques permettent de caractériser. En effet, les apports sont souvent issus de la philosophie morale sur l’éthique professionnelle en enseignement (Réto, 2017). La bienveillance est d’ailleurs souvent en lien avec l’éthique du care qui rend compte des attitudes professionnelles basées sur le souci des autres, la sensibilité et la responsabilité (Molinier, Laugier & Paperman, 2009), ce que notre travail de recherche confirme en spécifiant le concept, car l’approche que nous avons adoptée dans cette recherche met en lumière des éléments communs de définition du concept de bienveillance avec ces auteurs sans les reprendre tous.
43L’objectif de cette recherche était de prolonger les travaux sur les facteurs de l’environnement scolaire, et plus particulièrement ceux se rapportant à l’effet maître, qui sont à même d’exercer une influence sur les élèves. En particulier, nous avons analysé comment certaines dimensions du profil de l’enseignant pouvaient impacter les compétences psychosociales de l’élève, dont six d’entre elles nous ont semblé particulièrement intéressantes : l’empathie, la coopération, la maîtrise de soi, l’estime de soi, l’internalité et l’anxiété.
44Le protocole de recherche a été constitué d’un échantillon de 623 élèves et 26 enseignants. Des informations permettant de recueillir des données sur le profil interactionnel de l’enseignant à partir de la double perception des élèves et de l’enseignant, ainsi que des informations sur le niveau de développement des six compétences psychosociales des élèves ont ainsi été collectées.
45Cette recherche n’est pas exempte de biais, tenant notamment au volontariat des enseignants composant l’échantillon. Nous sommes également conscients que notre recherche s’appuie sur les perceptions des élèves à propos de leur profil psychosocial et du profil interactionnel de l’enseignant, des perceptions dont nous pouvons interroger la validité. Gilly (1980) a montré la validité et l’intérêt de recueillir les perceptions des acteurs de la relation enseignant-élèves. Genoud (2004) donne, dans le cadre de sa thèse, un certain poids aux perceptions des élèves et confirme également la validité de leurs représentations. En outre, Genoud (2004) répertorie, à partir d’autres études, plusieurs avantages à ce recueil de perceptions des élèves : la validité des représentations des élèves (Levy, Wubbels, Den Brok et al., 2003), la position privilégiée de spectateurs des élèves (De Jong & Westerhof, 2001), la centration sur l’enseignant (Postic, 1977, 2001 ; Wubbels & Brekelmans, 1998) et le coût de la mesure. Genoud liste cependant quelques inconvénients : le recueil des perceptions est difficilement utilisable avec de très jeunes enfants, l’absence d’objectivité et les réserves du côté des enseignants. Enfin, les compétences des élèves et les caractéristiques des enseignants restent difficiles à mesurer et les concepts latents de proximité/bienveillance ou de bien-être psychosocial scolaire relèvent de l’interprétation du chercheur, une interprétation certes fondée mais subjective.
46Les résultats mentionnés précédemment apportent cependant des éléments factuels intéressants sur ce qui se joue entre l’enseignant et ses élèves au sein de la classe, un lieu où interagissent de nombreux facteurs. Nous mettons en évidence les relations tissées entre l’enseignant et ses élèves. Le comportement interactionnel de l’enseignant perçu par ses élèves semble lié au propre comportement psychosocial de l’élève. La proximité perçue de l’enseignant ou à l’inverse la perception de son insatisfaction ou de sa réprimande ont des conséquences sur l’autoperception de l’élève de ses compétences psychosociales. Ainsi, un élève qui ressentirait une forme de proximité chez son enseignant (profil à la fois empathique, responsabilisant, soucieux d’apporter de l’aide, mais également un peu directif) pourrait éprouver du bien-être en classe. L’inverse serait également possible. Un élève qui se sentirait satisfait et serein pourrait sans nul doute percevoir son enseignant comme proche de lui.
47Ces résultats confortent des intuitions largement répandues dans la sphère éducative, laissant entrevoir un lien statistique avéré entre proximité (sorte de bienveillance de l’enseignant) et bien-être psychosocial scolaire de ses élèves. À ce jour, peu de recherches empiriques se sont emparées de cette question de façon à démontrer statistiquement le lien qui peut exister entre ces deux concepts définis de façon empirique. C’est pourquoi ces premiers résultats ouvrent des pistes de réflexion intéressantes pour qui s’intéresse aux inégalités de réussite entre élèves, en mettant au jour le rôle de l’enseignant sur ces compétences psychosociales, dont on sait maintenant qu’elles exercent une influence capitale pour expliquer les parcours scolaires et professionnels des individus (Heckman & Kautz, 2012 ; OCDE, 2015).