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Dossier

Climat du lycée et risque de décrochage scolaire : le cas des élèves en orientation contrainte

High school climate and the risk of dropping out: The case of students with imposed educational pathways
Lucy Bell
p. 49-61

Résumés

Cet article propose d’étudier l’effet de lycées professionnels d’accueil sur l’expérience de jeunes en orientation contrainte, en particulier le lien entre le climat de ces établissements et le risque de décrochage scolaire de ces jeunes. Une enquête par questionnaire a été menée auprès de 376 individus, trois à cinq ans après leur orientation de fin de troisième. À travers trois modèles d’analyse, les résultats de l’enquête confirment la corrélation importante entre orientation contrainte et décrochage scolaire, tout en soulignant que le climat du lycée d’accueil peut influer sur ce lien, ainsi que sur le vécu par les jeunes de cette orientation contrainte.

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Texte intégral

  • 1 L’épreuve est entendue dans ce texte, selon la définition de Danilo Martuccelli (2006), comme l’in (...)

1L’approche du décrochage scolaire par les motifs des jeunes, autrement dit par les raisons qu’ils attribuent au fait d’avoir quitté l’école, fait ressortir l’effet d’une orientation scolaire contrainte (Bernard & Michaut, 2016). En ponctuant la scolarité, l’orientation crée différents paliers, ainsi que des trajectoires scolaires différentes. La première étape d’orientation est située entre les deux cycles du second degré durant la troisième de collège (3e). Sa particularité est d’être la seule qui concerne presque la totalité d’une cohorte, s’ajoutant à la sélection constante à laquelle sont soumis les élèves. Les parcours scolaires sont en effet devenus une succession d’épreuves1 par lesquelles ils sont censés se construire graduellement, en tentant de concilier différentes motivations et registres d’action (Martuccelli, 2006 ; Dubet, 2016, 2017).

2L’orientation de fin de collège est en cela l’épreuve scolaire par excellence : elle amalgame une diversité d’objets, de contextes et de finalités, et se déploie dans des zones d’arbitraires (Dutercq & Lanéelle, 2013). Les objectifs que lui attribuent les élèves et leurs familles sont nombreux, et la variété d’acteurs de l’orientation qu’ils peuvent rencontrer contribue dans certains cas à complexifier le sens de la procédure d’orientation. Par ailleurs, selon le territoire sur lequel vivent et sont scolarisés les individus, leurs possibilités d’orientation varient de manière parfois importante. Cette épreuve cristallise les inégalités sociales : chaque élève en la traversant tente de lui donner du sens, et y parvient différemment selon ses ressources et son parcours scolaire. Par extension, le sentiment de subir l’orientation est distribué inégalement parmi les élèves, ceux de la voie professionnelle étant particulièrement concernés (Caille, 2005 ; Boudesseul, 2008 ; Berthet, Grelet & Romani, 2008 ; Chauvel, 2014 ; Dubet, 2016, 2017).

3En effet, malgré l’évolution des caractéristiques du public de lycée professionnel (LP) depuis la réforme de 2009, la majorité des élèves de LP partagent un sentiment d’échec à l’égard d’une orientation entérinant un parcours moyen ou faible au collège (Jellab, 2014 ; Troger, Bernard & Masy, 2016). Cela peut en partie expliquer que le taux de décrochage scolaire est plus important en LP qu’en lycée d’enseignement général et technologique (LEGT). Pour autant, les élèves de LP ne sont pas condamnés à ne pouvoir donner de sens à leur parcours et à décrocher. En recourant au cadre théorique de l’expérience scolaire, qui tient compte du caractère multidimensionnel et évolutif du vécu des élèves (Dubet & Martuccelli, 1996), Jellab s’appuie sur les résultats d’une enquête qualitative pour démontrer que la façon dont ils mobilisent leurs ressources et « maîtrisent » leur quotidien, articulée à des dimensions du climat d’établissement défini plus loin, telles que les pratiques éducatives de leurs enseignants et les conditions de travail de leur lycée, peut leur permettre de surmonter leur sentiment d’échec et se mobiliser dans leur parcours (Jellab, 2014).

4Nous présentons dans cet article une étude quantitative sur le lien entre orientation contrainte et décrochage scolaire. Elle a pour objet d’interroger le lien entre certaines dimensions du climat et l’expérience d’élèves contraints, et de vérifier si ce lien influe sur leur risque de décrocher. Pour ce faire, nous aborderons le lien entre le vécu de l’orientation contrainte et le climat de l’établissement d’accueil, avant de présenter la méthode d’enquête utilisée, et de terminer par la présentation des résultats. Ils montrent que certaines dimensions du climat d’établissement tendent à renforcer rétroactivement la dimension positive ou négative du vécu de l’orientation.

L’épreuve de l’orientation : une expérience en contexte

L’orientation scolaire : contraintes, enjeux et vécu variable

5En raison de l’obligation de scolarité jusqu’à 16 ans, la plupart des élèves sont confrontés à l’épreuve d’orientation de 3e qui joue un rôle déterminant sur la suite du parcours scolaire, étudiant, voire professionnel. L’orientation est centrée sur l’individu, à qui il appartient de lui donner un sens et d’en assumer les conséquences. Pour autant, la manière dont il l’aborde dépend de différentes ressources, ce que démontrent plusieurs travaux.

  • 2 Bien qu’il s’agisse dans cet article d’analyser la contrainte que peuvent ressentir les jeunes dan (...)

6Berthet, Grelet et Romani (2008) interrogent le système d’orientation à travers les articulations entre choix2 des élèves et contraintes d’action publique. Les auteurs soulignent que la procédure d’orientation est traversée par trois limites principales : la gestion des flux d’élèves, les besoins du marché de l’emploi local et la réalisation des aspirations des élèves. Leurs envies ne peuvent donc constituer le seul déterminant de leur choix.

  • 3 Les bifurcations sont, selon une citation de Grossetti (2006) faite par les auteurs, des « situati (...)

7Pour autant, l’orientation scolaire de fin de collège est réversible dans une certaine mesure, quoique plus difficilement pour les élèves en difficulté. Coinaud et Vivent (2010) portent leur analyse sur les paliers d’orientation, notamment les bifurcations3. En s’appuyant sur l’enquête de suivi du panel d’élèves entrés en 6e en 1995 de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), les auteurs soulignent que les bifurcations n’ont pas le même effet sur la suite du parcours selon le moment où elles se déroulent, en particulier sur le risque de décrocher : lorsque la bifurcation « a lieu avant la fin du collège, elle fermera les portes de la filière générale et, parallèlement, les risques de sortie sans qualification augmenteront » (p. 83).

8Si les bifurcations sont possibles et peuvent être utilisées de manière stratégique par les élèves aux choix restreints, l’orientation reste souvent déterminante pour la suite du parcours en termes de champs des possibles et d’expérience scolaire, surtout lorsqu’elle a lieu tôt. C’est pourquoi chaque jeune est supposé, en traversant cette épreuve, justifier ses décisions et construire son expérience individuelle (Dubet, 2017). Or, l’incertitude des différents acteurs de l’orientation – d’un côté, l’élève et sa famille, et de l’autre, les professeurs principaux et psychologues de l’Éducation nationale notamment – à l’égard des objectifs de la procédure constitue un élément central de cette épreuve (Baluteau, 1993). Il n’est pas surprenant que les choix des familles et les décisions des membres du conseil de classe donnent lieu à des orientations plus ou moins bien vécues par les jeunes.

9Ce vécu dépend à la fois du contexte dans lequel l’orientation s’est construite, mais aussi du parcours ultérieur de l’élève. Concernant le premier aspect, Brasselet et Guerrien (2010) étudient l’effet du contexte d’orientation scolaire sur la motivation des élèves dans leurs activités scolaires post-orientation. Les auteurs établissent un lien entre l’influence des professeurs de seconde sur les choix d’orientation des élèves et leur motivation intrinsèque en première, donc a fortiori leur persévérance. Quant au parcours des élèves, Caille (2005) démontre que la situation scolaire des jeunes influe sur la représentation qu’ils ont de leur dernière orientation. L’auteur précise que, selon les résultats de l’enquête Jeune 2002, seulement 8,1 % des élèves en première ou terminale scientifique considèrent que la décision d’orientation du conseil de classe de seconde (2de) a été injuste, contre 31 % des décrocheurs. Le fait de persévérer ou de décrocher dans la scolarité semble donc renforcer dans un sens ou dans un autre la perception de l’orientation.

10Les doutes des familles et des élèves concernant la réversibilité et les enjeux de l’orientation peuvent être tels que c’est finalement le contexte du lycée et de la formation d’affectation qui détermine en partie l’expérience de la procédure d’orientation. Afin d’appréhender ce contexte, nous mobilisons le concept de climat d’établissement.

Climat d’établissement et expérience de l’orientation

11Les deux principaux prismes par lesquels l’effet établissement est abordé sont la culture et le climat. Les enquêtes empiriques concernant la culture tendent à recourir à des méthodes qualitatives pour évaluer les valeurs et normes partagées par les différents acteurs (Grisay, 1997 ; Derouet & Dutercq, 1997 ; Deal & Peterson, 2016). Quant aux recherches sur le climat, elles s’appuient généralement sur des méthodes quantitatives, afin par exemple de relier des dimensions objectivables de l’établissement aux parcours des élèves (Bryk & Thum, 1989 ; Rumberger, 1995 ; Janosz, Georges & Parent, 1998). Pour tester notre hypothèse selon laquelle le fonctionnement d’un lycée peut favoriser un regard positif de l’élève accueilli concernant son expérience de l’orientation, nous choisissons donc de nous appuyer sur le concept de climat d’établissement.

12Bien que le climat soit composite et difficile à conceptualiser (Anderson, 1982), une définition est communément admise par les chercheurs : il dépend de la qualité des relations, de l’enseignement et de l’apprentissage, ainsi que des caractéristiques de l’environnement physique, du sentiment de sécurité des acteurs éducatifs et des élèves et de leur sentiment d’appartenance (Cohen, McCabe, Michelli et al., 2009). Il peut être décomposé en cinq « sous-climats » : éducatif, relationnel, de justice, de sécurité, et d’appartenance, chacun étant lié à différents types de pratiques éducatives mises en place dans l’établissement (Janosz, Georges & Parent, 1998). Le climat général résulte de l’agrégation des perceptions de ces pratiques qu’en ont les acteurs participant à la vie de l’établissement (Debarbieux, 2015).

13De nombreuses études empiriques montrent qu’il influe sur la trajectoire des élèves en agissant, entre autres, sur leurs résultats scolaires et leur risque de décrocher : cela concerne particulièrement les élèves de milieu défavorisé et ayant des difficultés scolaires (Cherkaoui, 1979 ; Duru-Bellat & Mingat, 1997 ; Grisay, 2006), et d’autant plus que la composition sociale de l’établissement est défavorisée (Bryk & Thum, 1989 ; Rumberger, 1995 ; McNeal, 1997, entre autres).

14Dans la continuité de ces travaux, nous émettons l’hypothèse que le climat de l’établissement d’accueil, en influant sur le vécu de l’affectation par les élèves, renforce l’expérience positive ou négative de l’orientation, qui se répercute sur leur risque de décrocher.

15Pour tester cette hypothèse, nous avons recouru à un questionnaire qui interroge l’expérience de l’orientation contrainte de jeunes en fonction de certaines dimensions du climat de leur lycée d’affectation, afin de distinguer celles liées à leur risque de décrochage.

Une enquête innovante auprès des orientés contraints

Recenser les orientés contraints

16La procédure d’orientation, établie par le ministère de l’Éducation nationale, recouvre deux étapes : le dialogue entre les membres du collège et l’élève et sa famille, suivi de la répartition des élèves dans les formations (Arrighi & Gasquet, 2010).

17Durant la première étape, les acteurs éducatifs de l’orientation doivent transmettre à l’élève et sa famille des informations sur les différentes filières, afin d’établir un échange autour des formations cohérentes avec les aspirations et capacités de l’élève (Berthet, Borras, Boudesseul et al., 2008). Par ailleurs, une ou plusieurs rencontres doivent avoir lieu. Bien que ces pratiques soient obligatoires, elles varient selon les politiques d’orientation des établissements (Chauvel, 2014).

18De plus, les élèves sont inégaux dans cette phase de dialogue en fonction du milieu social dont ils sont issus. Ceux d’origine modeste tendent à avoir les besoins d’information les plus importants : étant plus souvent en difficulté scolaire, leurs possibilités restreintes d’orientation les amènent à se tourner vers la voie professionnelle, la plus complexe. Or ils disposent généralement par leurs parents de l’information la plus déficitaire, par rapport aux élèves d’origine sociale favorisée et en réussite scolaire, qui tendent à s’orienter en LEGT (van Zanten, 2009).

19La connaissance et la compréhension de l’offre qu’ont les élèves ne sont donc pas toujours à la hauteur de leurs besoins. Par ailleurs, leurs choix d’orientation subissent les influences :

  • de leur milieu social, à travers la socialisation familiale et les transmissions intergénérationnelles (Girard & Bastide, 1970 ; di Paola, Jellab, Moullet et al., 2016) ;
  • du sexe, les spécialités de la voie professionnelle étant particulièrement sexuées (Arrighi & Gasquet, 2010) ;
  • du type de 3e fréquenté, l’accès en LEGT étant « réservé » aux élèves de 3e générale ;
  • de l’offre du bassin d’éducation et de formation (Landrier & Nakhili, 2010), les élèves de milieu défavorisé étant particulièrement soumis à ce facteur car leur orientation tend à être organisée par l’institution scolaire en fonction des places disponibles dans les formations proposées localement (Chauvel, 2014).

20La famille transmet le choix d’orientation de l’élève aux membres du conseil de classe par le biais de la fiche de dialogue. Ils émettent un avis, en se basant sur leur analyse du profil de l’élève. S’il est négatif, ils font une proposition d’orientation qu’ils estiment plus adaptée.

21La seconde phase de l’orientation est la distribution des élèves, d’une part entre les trois voies d’enseignement et d’autre part, pour ceux qui intègrent la voie professionnelle, entre les spécialités d’enseignement, en fonction des vœux émis et des places disponibles. Certains élèves obtiennent d’intégrer leur premier vœu, tandis que d’autres – selon leurs résultats et les élèves avec lesquels ils sont en compétition – ne sont acceptés que dans leur second, troisième ou quatrième vœu. Dans notre étude, nous nommons ces jeunes les « orientés contraints », car ils sont, d’un point de vue institutionnel, forcés d’accepter une affectation qui ne constitue pas leur premier choix.

22L’orientation de fin de collège, organisée à un niveau national, impose de manière standardisée des rôles, des outils et des règles, qui font toutefois l’objet d’adaptations au niveau local, notamment à l’échelle de l’établissement scolaire à travers sa politique d’orientation. Ces ajustements, ainsi que les facteurs sociodémographiques et scolaires qui influent sur les choix d’orientation, ont pour conséquence que les expériences des élèves dans cette épreuve sont variées.

23Dans cette étude, il s’agit d’analyser l’effet du lycée d’accueil sur l’expérience de l’orientation contrainte. À cette fin nous avons obtenu, grâce à une convention passée avec le rectorat de l’académie de Nantes, que le Service administratif d’information et d’orientation (SAIO) nous fournisse un fichier comportant les données des jeunes n’ayant pas été acceptés dans leur premier vœu d’orientation. Pour donner un cadre temporel à notre étude, et afin d’avoir suffisamment de recul pour pouvoir évaluer le risque de décrochage au sens de sortie sans diplôme d’une formation, nous avons limité les données aux orientations qui ont eu lieu entre 2011 et 2013 : cela concerne 1 596 personnes.

24Outre leurs coordonnées, le fichier comprenait plusieurs de leurs caractéristiques : le sexe, le lieu de naissance, la commune du lieu de domicile, le type de troisième suivie, l’établissement fréquenté durant l’année de l’orientation, les différents vœux émis, l’année de l’orientation, l’âge lors de l’orientation, et le rang du vœu dans lequel chacun fut accepté.

Une approche quantitative de l’expérience de l’orientation

25Il s’agit de rendre compte du fait que les expériences de l’orientation des jeunes aux choix limités sont variées, en partie en fonction du contexte dans lequel elles se déroulent. Pour obtenir les données nécessaires, nous avons recouru à une méthode quantitative. Un questionnaire intitulé Décrochage, persévérance et affectation contrainte (DéPAC) fut passé en 2016, auprès de ces jeunes dont l’orientation s’était déroulée entre trois et cinq ans avant l’enquête : cela constitue une période suffisante pour que les parcours évoluent, sans que les souvenirs des jeunes à l’égard de la procédure d’orientation soient trop anciens.

26Le questionnaire est structuré en sept parties :

  1. l’identification du répondant par des caractéristiques renseignées grâce à la base de données fournie par le SAIO ;
  2. la situation au moment de l’enquête ;
  3. un chronogramme afin que chacun indique sa situation, mois par mois et en partant du moment de l’enquête pour retourner jusqu’au moment de l’orientation ;
  4. les caractéristiques scolaires, dont dépendent les choix de filières et de formation ;
  5. les motifs des choix élaborés durant l’épreuve d’orientation, définis sur le modèle de l’expérience scolaire de Dubet et Martuccelli (1996) et développés plus loin ;
  6. le parcours après la décision d’orientation, afin de distinguer les décrocheurs en particulier ;
  7. les caractéristiques sociodémographiques, car l’orientation de l’élève dépend en partie des ressources à sa disposition en dehors du milieu scolaire.

27Le formulaire d’enquête comportant principalement des questions fermées, il fut possible de l’administrer à distance. La passation téléphonique a ainsi été retenue, notamment parce qu’elle permet de contacter un nombre important de répondants sur un territoire étendu. Par ailleurs, elle rend possible une distance physique entre les chercheurs et la personne interrogée qui autorise le sentiment d’anonymat, en facilitant une absence de jugement (âge, sexe, allure des enquêteurs vis-à-vis de lycéens). Pour autant, cette méthode présente également quelques difficultés : des numéros qui ne sont pas mis à jour ; des jeunes qui ne répondent pas à un numéro inconnu, ou qui répondent mais ne vont pas au bout du questionnaire.

28Les 1 596 jeunes qui composent la population de l’enquête ont tous été appelés au téléphone  ; nous avons conservé pour l’analyse les réponses de 376 personnes (23,6 %). L’échantillon interrogé dans notre enquête est représentatif de la population du fichier d’origine selon les deux variables du sexe (66,5 % de garçons) et de l’âge au moment de l’enquête (en moyenne 19 ans et 7 mois).

L’effet établissement sur les parcours des orientés contraints

Motifs d’orientation liés aux caractéristiques sociodémographiques et à la situation scolaire

Caractéristiques sociodémographiques défavorisées

29La plupart des jeunes ont des parents dont le niveau de diplôme est faible : 21,3 % ont une mère et 18 % ont un père non diplômé.e, et 46,6 % ont une mère et 55 % ont un père diplômé.e d’un BEP (brevet d’études professionnelles), d’un CAP (certificat d’aptitude professionnelle) ou d’un baccalauréat professionnel.

  • 4 Sources : Insee, Recensement de la population, exploitation complémentaire (2011).

30Au moment de l’orientation, 82,2 % des pères et 79,5 % des mères travaillaient. Les ouvriers sont surreprésentés parmi les pères (52,4 %, pour 26,8 % au niveau régional et 21,4 % au niveau national en 2011), ainsi que les employés, particulièrement pour les mères (62,9 % pour 27,3 % au niveau régional et 28,3 % au niveau national)4.

3192,8 % des jeunes interrogés sont nés en France. C’est également le cas de 90,2 % des pères et de 90,6 % des mères.

32La part de jeunes issus d’une famille monoparentale est comparativement importante, avec 32,4 % des répondants, contre 10,3 % en 2011 au niveau régional et 14,6 % au niveau national.

Difficultés scolaires

33Les caractéristiques scolaires des jeunes composant l’échantillon indiquent qu’ils sont en moyenne plus souvent en difficulté scolaire que ne le sont les élèves aux niveaux académique et national.

34Les redoublants sont surreprésentés : 49,2 % des répondants sont concernés, contre 28 % des élèves de 15 ans au niveau national selon l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves de 2012.

35L’année de leur orientation, 93,4 % des jeunes fréquentaient une classe de 3e. Selon leurs réponses, 58,4 % avaient une moyenne supérieure à 10 en mathématiques et 69 % en français. Au niveau de l’académie de Nantes, en 2013-2014, 69,1 % des élèves de 3e avaient la moyenne en mathématiques et 77,3 % en français, en contrôle continu. Le résultat de notre enquête, qui signifierait que les jeunes de notre échantillon avaient des résultats inférieurs à la moyenne académique, comporte toutefois un biais lié à l’approximation des moyennes qu’ils ont fournies.

3649,2 % des jeunes ont été orientés dans leur second vœu, 38,8 % dans leur troisième vœu, et 12 % dans leur quatrième vœu. Tous les individus composant l’échantillon ont intégré la voie professionnelle : 58 jeunes (15,4 %) sont allés en CAP et 318 (84,6 %) en seconde professionnelle.

37Les jeunes connaissaient des situations différentes au moment de l’enquête. Parmi ceux ayant intégré la formation dans laquelle ils avaient été orientés, 41,3 % avaient obtenu un diplôme, 22,3  % la suivaient encore et 36,4 % avaient décroché.

38Ces données décrivent un échantillon d’enquête dont les caractéristiques sociodémographiques et scolaires sont défavorisées dans l’ensemble.

Deux profils d’orientés contraints

  • 5 Dans l’analyse, les moyennes en mathématiques sont représentées par deux modalités : moins de 10 e (...)
  • 6 Trois groupes de diplômes ont été constitués pour l’analyse : aucun diplôme, les CAP et baccalauré (...)
  • 7 Nous avons constitué une catégorie de mères de PCS défavorisées (PCS-) : les employées, les ouvriè (...)

39Cependant, concernant l’épreuve de l’orientation, l’existence d’un clivage est révélée par une analyse statistique des caractéristiques scolaires (redoublement et moyenne en mathématiques5 lors de l’année d’orientation) et sociales des répondants (sexe de l’élève, niveau de diplôme6 et PCS7 de la mère au moment de l’orientation), ainsi que des trois dimensions de leurs choix d’orientation. Leur définition est fondée sur le cadre de l’expérience scolaire de Dubet et Martuccelli (1996), selon lequel la socialisation scolaire des élèves suit les trois principales fonctions de l’école : l’intégration des élèves dans une culture commune ; leur sélection et hiérarchisation ; leur subjectivation. Pour notre étude, nous avons déterminé que les dimensions des choix d’orientation correspondant à ces trois fonctions étaient respectivement : l’idéal d’orientation, la stratégie d’orientation et la dimension plus ou moins guidée du choix.

40Pour la dimension idéale, nous avons demandé aux répondants quelle formation ils auraient choisie s’ils avaient pu toutes les intégrer. Pour catégoriser la dimension stratégique, nous avons interrogé les répondants sur une liste de motifs d’orientation. Quant à la dimension guidée du choix, les indicateurs retenus correspondent à l’accompagnement par les acteurs du collège de l’élève et sa famille.

41Deux pôles émergent de l’analyse. Le premier regroupe plus souvent des filles, d’origine sociale défavorisée et dont le parcours scolaire est caractérisé par des difficultés. Concernant les dimensions de leurs choix d’orientation, ces jeunes indiquent plus souvent ne pas avoir eu de formation idéale, s’être orientés par défaut, et tendent à considérer qu’eux et leurs parents n’ont pas été accompagnés pour choisir une orientation, qu’ils ont subie.

42Autour du second pôle, les jeunes tendent à être des garçons, de milieu social plus favorisé, et n’ayant pas connu de difficultés scolaires particulières. Concernant les dimensions de leurs choix d’orientation, et par rapport aux jeunes du premier pôle, ils souhaitaient plus souvent intégrer la voie professionnelle, avec pour motif principal les débouchés de leur formation. Ils tendent à considérer qu’eux et leurs parents ont été accompagnés dans l’orientation, qu’ils ont choisie.

43L’analyse montre ainsi un clivage dans la manière dont les jeunes rendent compte, trois à cinq ans après, de la façon dont ils ont traversé l’épreuve de l’orientation, selon qu’ils sont parvenus ou non à investir les différentes dimensions de leurs choix. Cette distinction doit permettre d’éclairer notre questionnement concernant l’effet des lycées d’accueil sur le risque de décrochage scolaire d’élèves dont l’orientation a été plus ou moins contrainte.

Risque de décrochage, orientation contrainte et climat d’établissement

44L’échantillon étudié dans notre enquête est hétérogène quant au degré de contrainte pesant sur l’affectation des élèves à l’issue de la procédure d’orientation. Certes, ils ont tous en commun de s’être vu refuser leur premier vœu d’affectation, mais certains ont obtenu leur affectation sur leur deuxième vœu, quand d’autres n’ont été affectés que sur leur quatrième vœu.

45Nous faisons l’hypothèse que cette variabilité du rang du vœu satisfait traduit le fait que l’orientation est plus ou moins subie. Pour le dire autrement, la notion d’orientation contrainte n’est pas strictement binaire (orientation subie vs orientation choisie), mais peut être considérée comme pesant sur les choix des individus à des degrés divers.

46Bien sûr, le rang d’affectation n’est qu’un indicateur de ce degré de contrainte. Il serait possible d’affiner la variabilité de la contrainte d’orientation en prenant en compte les écarts entre les vœux eux-mêmes, les choix faits par les élèves pouvant être plus ou moins diversifiés selon le type de formation, mais aussi selon la voie de formation (voie scolaire ou apprentissage) ou même la localisation de la formation. De la même manière, une étude de cette variabilité pourrait être complétée par des observations sur le processus d’orientation lui-même, en prenant en compte les aspirations initiales de l’élève et de sa famille. Le choix de la variable « rang du vœu obtenu » ne constitue donc qu’un indicateur partiel du degré de contrainte pesant sur l’orientation obtenue par l’élève, mais il permet de vérifier l’hypothèse selon laquelle ce degré de contrainte augmente, on non, le risque de décrochage. Il a par ailleurs l’intérêt d’être une mesure objective qui ne peut faire l’objet d’une reconstruction a posteriori.

47Le risque de décrochage est ici mesuré par la variable indiquant si l’élève a obtenu ou non le diplôme correspondant à la formation qu’il avait engagée à la suite de son orientation. 36,4 % de l’échantillon ont ainsi décroché au sens institutionnel du terme. Ce chiffre très élevé nous rappelle combien l’orientation contrainte est fréquemment corrélée à une rupture de scolarité. Il n’est pas possible de mesurer directement l’effet du degré de contrainte sur le risque de décrocher, compte tenu de l’hétérogénéité de l’échantillon. Toutefois, on peut contrôler cette hétérogénéité à l’aide d’un modèle logistique binaire.

48Dans un premier temps ont été introduites dans ce modèle (voir tableau 1 en annexe) les variables de contrôle portant sur les caractéristiques sociodémographiques et scolaires des individus, caractéristiques dont on sait qu’elles ont un effet sur le risque de décrochage scolaire (Bernard, 2019). Ont été retenus dans le modèle le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle de la mère, le niveau de diplôme de la mère, et le niveau de mathématiques l’année précédant l’affectation à partir de la moyenne auto-déclarée. La variable indépendante testée dans ce modèle est le rang du vœu obtenu (2, 3 ou 4).

49Les résultats montrent clairement l’effet de la contrainte d’orientation. Avoir été affecté sur son deuxième vœu d’orientation divise quasiment par trois le risque relatif de décrocher par rapport à la situation où on est affecté sur son quatrième vœu. On peut également remarquer que, à degré de contrainte constant, l’âge est la seule variable qui exerce un effet significatif sur le risque de décrochage scolaire. Plus un élève est âgé au moment de l’affectation, plus est élevé le risque de décrochage scolaire, cet effet traduisant vraisemblablement l’effet négatif des redoublements.

50Dans un deuxième temps, nous avons introduit dans le modèle (voir tableau 2 en annexe) les variables se rapportant au climat de l’établissement, permettant de répondre à la question : à degré de contrainte constant, le climat perçu par l’élève dans son établissement d’accueil a-t-il un effet sur son risque de décrochage ? Parmi les variables retenues, une seule a un effet significatif. Il s’agit du climat d’appartenance : le sentiment de fierté d’être passé dans cet établissement diminue le risque relatif de décrochage de plus d’un tiers. Toutefois, l’absence d’autres effets, notamment des climats de justice, de sécurité ou de qualité de l’accompagnement éducatif laisse penser qu’il est possible que cet effet résulte d’une reconstruction a posteriori. L’élève ayant pu achever sa formation avec le diplôme correspondant peut ressentir une certaine fierté à être passé dans un établissement où il a réussi, sans qu’il n’accorde d’autres attributs positifs à cet établissement. L’expérience de la réussite peut donc avoir un effet sur le ressenti du parcours, fut-il soumis à un certain degré de contrainte. Rappelons que ce degré de contrainte est mesuré à ce niveau de manière objective (le rang du vœu obtenu à l’issue du processus d’orientation). Qu’en est-il de sa version subjective, c’est-à-dire de la façon dont l’élève considère son orientation in fine, c’est-à-dire après avoir fait l’expérience de la formation vers laquelle il a été orienté : qu’est-ce qui détermine qu’une orientation a priori contrainte a été finalement vécue comme « non subie » ?

51Un troisième modèle examine les facteurs ayant un effet sur l’expérience de l’orientation après l’affectation. La variable dépendante a été construite à partir de la question posée : « Diriez-vous que vous avez vécu votre affectation dans cette formation comme quelque chose de subi ou de choisi ? ». Aux variables utilisées précédemment ont été ajoutées les variables liées aux dimensions des choix d’orientation, le fait d’avoir décroché ou non, ainsi qu’une variable concernant la situation de la personne au moment de l’enquête (formation, emploi ou recherche d’emploi), car l’entrée sur le marché du travail influence la perception de l’orientation scolaire (Berthet, Borras, Boudesseul et al., 2008). Les variables liées au choix d’orientation ont été sélectionnées afin de prendre en compte l’expérience de l’orientation par les élèves avant l’affectation : le type de formation que les élèves auraient voulu suivre idéalement, les critères qu’ils ont retenus pour choisir, et les aides reçues pour élaborer leur projet d’orientation.

52Selon les résultats de la modélisation, l’expérience de l’orientation dépend des caractéristiques scolaires et de certaines dimensions du choix lui-même, ainsi que du climat de l’établissement d’accueil (voir tableau 3 en annexe).

53Plusieurs résultats de la modélisation méritent d’être soulignés. Tout d’abord, les caractéristiques sociodémographiques n’exercent aucun effet propre sur le sentiment d’avoir exercé un choix. Les variables déterminantes sont la situation au moment de l’enquête, le vécu de l’orientation avant l’affectation et le climat de l’établissement d’accueil.

54La probabilité pour les jeunes de penser qu’ils ont choisi leur formation augmente quand leur situation vis-à-vis de la formation est marquée par la réussite et la persévérance dans la formation : décrocher multiplie par trois le sentiment d’avoir subi son orientation. On peut à nouveau évoquer l’idée de reconstruction a posteriori mentionnée plus haut. Plus l’élève traverse avec succès les épreuves de l’institution scolaire, plus il a le sentiment d’avoir fait un « bon choix » initialement, alors que, rétrospectivement, l’échec dans la formation – mesuré par la sortie avant l’obtention du diplôme – renforce l’impression d’avoir subi l’orientation.

55Toutefois, la situation de l’élève au moment de l’enquête n’explique pas tout. À situation égale, les caractéristiques du processus d’orientation et du climat scolaire de son établissement d’accueil continuent d’avoir un effet, ce qui rend dès lors peu vraisemblable une reconstruction a posteriori de ces dimensions. Concernant le processus d’orientation, même si les élèves n’ont pas obtenu leur premier vœu, le fait d’avoir fondé le choix des formations des vœux suivants sur les critères de contenu de formation ou de débouchés participe finalement au sentiment d’avoir eu un certain contrôle sur son orientation.

56Par ailleurs, deux dimensions du climat d’établissement figurant dans le modèle exercent un effet sur la probabilité des jeunes de considérer qu’ils ont choisi leur orientation. L’une d’elles est relative au climat éducatif : c’est le fait pour les répondants d’estimer que leurs enseignants du lycée croient en la réussite des élèves, par rapport à ceux qui considèrent qu’ils n’y croient pas (la probabilité est multipliée par 3,5). Différents travaux ont permis de montrer que les attentes positives des enseignants ont un effet sur la réussite des élèves (Jacobson & Rosenthal, 1968, en particulier). D’après nos résultats, elles en ont également sur leur capacité à considérer qu’ils ont maîtrisé leur choix de formation. L’autre dimension relève du climat d’appartenance : c’est le sentiment de fierté des jeunes à l’égard de leur établissement, par rapport à ceux qui disent ne pas en ressentir (leurs chances sont multipliées par 2,3). Dans la mesure où le climat d’appartenance découle des autres climats (Janosz, Georges & Parent, 1998), la fierté est un sentiment qui agrège l’expérience des élèves dans leur établissement, d’où son lien avec leur impression d’avoir choisi ou subi l’orientation.

Conclusion

57Cet article démontre que, parmi les dimensions du climat d’établissement reconnues pour leur lien avec le risque de décrochage scolaire et retenues dans notre premier modèle, le sentiment d’appartenance y est particulièrement corrélé. En tant que dimension agrégeant les ressentis à l’égard des différents sous-climats, elle renvoie à un bien-être global de l’élève au sein de son établissement. D’après notre modélisation, limiter le risque de décrochage d’élèves en orientation contrainte ne passerait donc pas en priorité par les pratiques pédagogiques et relationnelles des enseignants à l’égard des élèves, ou par le sentiment de sécurité, entre autres, mais par un ensemble d’éléments permettant aux élèves de s’y sentir soutenus, encouragés et en sécurité, notamment grâce à de bonnes conditions de travail et la rareté des sanctions. Si l’orientation contrainte est un motif de décrochage (Bernard & Michaut, 2016), le climat d’appartenance du lycée d’affectation semble réduire ce risque.

58Par ailleurs, notre recherche confirme que les expériences de l’épreuve d’orientation sont variables pour les élèves de LP (Jellab, 2014), tout en précisant que cela est aussi le cas des jeunes contraints institutionnellement.

59Ces expériences sont liées, d’une part, à leurs caractéristiques sociales et scolaires, ainsi qu’aux motifs de leur orientation. Pour les jeunes qui auraient souhaité aller en LEGT, l’orientation en LP est d’autant plus mal vécue qu’il s’agit plus souvent de filles, forcées d’intégrer un univers souvent masculin, et alors que les spécialités d’enseignement professionnel considérées comme féminines sont peu nombreuses et très dévalorisées (Arrighi & Gasquet, 2010). De plus, ces personnes sont caractérisées par une origine sociale plus modeste, qui explique en partie une absence de projets d’orientation. Les répondants qui indiquent avoir voulu s’orienter en LP tendent à dire que la procédure est ressentie comme un choix : cela peut en partie s’expliquer par le fait que ce sont plus fréquemment des garçons, et que contrairement aux filles, ils n’intègrent pas un environnement scolaire considéré comme « appartenant » à l’autre sexe. En outre, ces jeunes sont plus souvent issus d’un milieu un peu plus favorisé et ont formulé des vœux fondés sur un projet. Ils semblent donc s’être impliqués activement dans leur orientation, probablement aidés en cela par des ressources comparativement élevées.

60La diversité des expériences de l’épreuve d’orientation pour les élèves contraints est liée d’autre part au climat de leur établissement d’accueil. Outre le climat éducatif, c’est là encore le climat d’appartenance qui est corrélé à un sentiment de choix de l’orientation. Cette corrélation n’est sans doute pas à interpréter comme un lien de causalité, mais comme un renforcement ou une diminution de la perception positive ou négative qu’a l’individu de son orientation. L’intérêt de ce résultat est de suggérer qu’un vécu négatif de l’orientation peut être amoindri par des climats éducatif et d’appartenance de qualité. Par extension, le risque de décrocher au motif d’une orientation contrainte pourrait également diminuer, ce que tend à indiquer le second modèle concernant le climat d’appartenance.

61Malgré ses apports, cette étude présente des limites. Si le critère retenu du refus adressé aux jeunes d’intégrer la formation demandée en premier vœu caractérise l’orientation contrainte institutionnelle, celle vécue par les répondants durant la procédure a pu être d’intensité variable. Pour renforcer la définition de la contrainte, il aurait notamment fallu les interroger lors de la procédure d’orientation, puis réaliser une enquête longitudinale auprès de ceux ayant exprimé le sentiment de la subir. L’enquête ayant été réalisée durant le temps contraint d’une thèse, nous avons privilégié une méthodologie par reconstitution rétrospective, dont la fiabilité est augmentée d’une part par le recours à un chronogramme, qui nécessite que les répondants fassent l’effort de retracer les étapes de leur trajectoire, et d’autre part grâce aux données administratives fournies par le SAIO.

62Les résultats de notre enquête vont dans le sens de politiques globales des établissements pour lutter contre le décrochage. Nos modèles soulignent en particulier l’importance du climat d’appartenance tant pour le risque de décrocher que pour la qualité de l’expérience de l’orientation. Une recherche complémentaire sur la mise en œuvre des politiques de lutte contre le décrochage par les acteurs des établissements permettrait de comprendre pourquoi, selon les lycées, ils mobilisent plus ou moins des méthodes favorisant un climat qui réduit le risque de décrochage des orientés contraints.

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Annexe

Annexe

Tableau 1. Modélisation logistique de la probabilité de décrocher en fonction de l’orientation contrainte (1 : prise en compte des caractéristiques individuelles seules)

Modalités actives Significativité Odd ratio
Caractéristiques sociodémographiques et scolaires
Fille (126) Garçon (250) NS 1,154
Âge au moment de l’orientation (variable numérique) *** 1,822
PCS de la mère : PCS- (285) PCS+ (65) NS 0,790
Diplôme de la mère : bac général ou enseignement supérieur (113) Aucun diplôme, CAP ou bac pro (239) NS 1,112
Niveau en maths : moyenne supérieure à 10 Moyenne égale ou inférieure à 10 NS 1,064
Niveau de contrainte de l’orientation
Rang du vœu dans lequel l’orientation a été acceptée : 4 (45) Rang : 2 (185)
Rang : 3 (146)
***
*
0,347
0,513
Pseudo R² (pourcentage de variance expliquée) 8,5 %

Source : enquête DéPAC.

Note de lecture : le tableau indique les odds ratios (risques relatifs) associés aux modalités des variables indépendantes et qui en mesurent les effets « toutes choses étant égales par ailleurs » sur la variable dépendante, le risque de décrochage. Un odd ratio supérieur à 1 indique un effet positif, inférieur à 1, un effet négatif. La colonne Significativité indique le niveau de significativité de ces effets, en fonction d’un seuil de risque : *** pour un effet très significatif à un seuil de risque inférieur à 0,01, ** pour un effet significatif à un seuil de risque entre 0,01 et 0,05, * pour un effet faiblement significatif à un seuil de risque entre 0,05 et 0,1 et enfin NS pour un effet non significatif à un seuil de risque supérieur à 0,1. Les chiffres entre parenthèses correspondent aux effectifs associés à chaque variable.
Lecture : toutes choses égales par ailleurs, parmi les jeunes contraints institutionnellement dans leur orientation, ceux qui ont été affectés sur leur deuxième vœu d’orientation ont une probabilité relative de décrocher multipliée par 0,347 par rapport à ceux qui ont été affectés sur leur 4e vœu. L’effet est très significatif.

Tableau 2. Modélisation logistique de la probabilité de décrocher en fonction de l’orientation contrainte (2 : ajout des indicateurs du climat d’établissement)

Modalités actives Significativité Odd ratio
Caractéristiques sociodémographiques et scolaires
Fille (126) Garçon (250) NS 1,162
Âge au moment de l’orientation (variable numérique) *** 1,838
PCS de la mère : PCS- (285) PCS+ (65) NS 0,910
Diplôme de la mère : bac général ou enseignement supérieur (113) Aucun diplôme, CAP ou bac pro (239) NS 0,962
Niveau en maths : moyenne supérieure à 10 Moyenne égale ou inférieure à 10 NS 1,080
Perception du climat du lycée d’accueil
Les enseignants ne croient pas en la réussite des élèves (37) Les enseignants croient en la réussite des élèves (306) NS 0,577
Absence de dispositif de soutien scolaire au lycée (157) Existence d’un dispositif de soutien scolaire au lycée (186) NS 1,170
Mauvaises conditions de travail (103) Bonnes conditions de travail (240) NS 0,797
Les sanctions sont fréquentes (187) Les sanctions sont rares (158) NS 0,803
Pas de crainte de se faire agresser (328) Crainte de se faire agresser (15) NS 1,072
Pas de fierté à venir de ce lycée (151) Fierté à venir de ce lycée (190) ** 0,639
Niveau de contrainte de l’orientation
Rang du vœu dans lequel l’orientation a été acceptée : 4 (45) Rang : 2 (185)
Rang : 3 (146)
***
*
0,301
0,489
Pseudo R² (pourcentage de variance expliquée) 13 %

Source : enquête DéPAC.
Note de lecture : voir tableau 1.
Lecture : toutes choses égales par ailleurs, parmi les jeunes contraints institutionnellement dans leur orientation, ceux qui ont été affectés sur leur deuxième vœu d’orientation ont une probabilité relative de décrocher multipliée par 0,301 par rapport à ceux qui ont été affectés sur leur 4e vœu. L’effet est très significatif.

Tableau 3. Modélisation logistique de la probabilité pour les orientés contraints de l’académie de Nantes de penser qu’ils ont choisi leur orientation

Modalités actives Significativité Odd ratio
Caractéristiques sociodémographiques et scolaires
Fille (126) Garçon (250) NS 1,109
Âge au moment de l’orientation (variable numérique) NS 0,784
PCS de la mère : PCS- (285) PCS+ (65) NS 1,508
Diplôme de la mère : bac général ou enseignement supérieur (113) Aucun diplôme, CAP ou bac pro (239) NS 1,109
Perception du climat du lycée d’accueil
Les enseignants ne croient pas en la réussite des élèves (37) Les enseignants croient en la réussite des élèves (306) *** 3,484
Absence de dispositif de soutien scolaire au lycée (157) Existence d’un dispositif de soutien scolaire au lycée (186) NS 1,170
Mauvaises conditions de travail (103) Bonnes conditions de travail (240) NS 1,460
Les sanctions sont fréquentes (187) Les sanctions sont rares (158) NS 0,955
Pas de crainte de se faire agresser (328) Crainte de se faire agresser (15) NS 0,644
Pas de fierté à venir de ce lycée (151) Fierté à venir de ce lycée (190) *** 2,320
Niveau de contrainte de l’orientation
Rang du vœu dans lequel l’orientation a été acceptée : 4 (45) Rang : 2 (185)
Rang : 3 (146)
NS
NS
0,798
0,871
Expérience de l’orientation
Formation idéale : voie pro ou aucune (333) Formation idéale : voie générale (43) NS 0,528
Vœux non basés sur le contenu de la formation (237) Vœux basés sur le contenu de la formation (139) *** 3,318
Vœux non basés sur les débouchés de la formation (176) Vœux basés sur les débouchés de la formation (200) ** 2,017
Aucune aide reçue pour faire la liste de vœux (178) Aide reçue pour faire la liste de vœux (198) NS 1,309
Aucune rencontre avec les parents organisée par le collège (172) Rencontre avec les parents organisée par le collège (194) NS 1.312
Situation au moment de l’enquête
Non-décrochage (220) Décrochage (126) *** 0,370
Chômage et inactivité (81) Formation (153)
Emploi (94)
NS
NS
0,575
1,043
Pseudo R² (pourcentage de variance expliquée) 30,4 %

Source : enquête DéPAC.

Note de lecture : le tableau indique les odds ratios (risques relatifs) associés aux modalités des variables indépendantes et qui en mesurent les effets « toutes choses étant égales par ailleurs » sur la variable dépendante, le sentiment d’avoir choisi l’orientation. Un odd ratio supérieur à 1 indique un effet positif, inférieur à 1, un effet négatif. La colonne Significativité indique le niveau de significativité de ces effets, en fonction d’un seuil de risque : *** pour un effet très significatif à un seuil de risque inférieur à 0,01, ** pour un effet significatif à un seuil de risque entre 0,01 et 0,05, * pour un effet faiblement significatif à un seuil de risque entre 0,05 et 0,1 et enfin NS pour un effet non significatif à un seuil de risque supérieur à 0,1. Les chiffres entre parenthèses correspondent aux effectifs associés à chaque variable.
Lecture : toutes choses égales par ailleurs, parmi les jeunes contraints institutionnellement dans leur orientation, ceux qui déclarent avoir eu des enseignants qui croyaient dans la réussite de leurs élèves ont une probabilité relative de considérer qu’ils ont choisi leur orientation 3,484 fois supérieure à celle des jeunes qui déclarent avoir eu des enseignants qui ne croyaient pas en la réussite de leurs élèves. L’effet est très significatif.

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Notes

1 L’épreuve est entendue dans ce texte, selon la définition de Danilo Martuccelli (2006), comme l’inscription concrète de processus sociaux dans les existences individuelles. Elle a un caractère structurel en ce qu’elle construit les individus, selon des particularités sociétales historiques.

2 Bien qu’il s’agisse dans cet article d’analyser la contrainte que peuvent ressentir les jeunes dans leur orientation, nous utilisons le terme de « choix » d’orientation, qui est le plus communément répandu dans les travaux portant sur ce sujet.

3 Les bifurcations sont, selon une citation de Grossetti (2006) faite par les auteurs, des « situations dans lesquelles une séquence d’action partiellement imprévisible produit des effets durables ».

4 Sources : Insee, Recensement de la population, exploitation complémentaire (2011).

5 Dans l’analyse, les moyennes en mathématiques sont représentées par deux modalités : moins de 10 et plus de 10.

6 Trois groupes de diplômes ont été constitués pour l’analyse : aucun diplôme, les CAP et baccalauréats, et les diplômes d’enseignement supérieur.

7 Nous avons constitué une catégorie de mères de PCS défavorisées (PCS-) : les employées, les ouvrières et les inactives, et une autre composée de mères de PCS plus favorisées (PCS+) : les agricultrices exploitantes, les artisans, les commerçantes, les professions intermédiaires, les cheffes d’entreprise et les cadres supérieures.

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Pour citer cet article

Référence papier

Lucy Bell, « Climat du lycée et risque de décrochage scolaire : le cas des élèves en orientation contrainte »Revue française de pédagogie, 211 | 2021, 49-61.

Référence électronique

Lucy Bell, « Climat du lycée et risque de décrochage scolaire : le cas des élèves en orientation contrainte »Revue française de pédagogie [En ligne], 211 | 2021, mis en ligne le 04 janvier 2025, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rfp/10494 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rfp.10494

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Auteur

Lucy Bell

Université de Nantes, CREN

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