1À la sortie du système scolaire, entre 16 et 24 ans, les jeunes traversent différentes périodes de transition vers l’âge adulte, vers l’insertion professionnelle, vers l’autonomie avec la décohabitation du foyer parental, la mise en couple, voire l’arrivée d’enfants. Cette période a été largement abordée par les sciences sociales à travers de nombreuses thématiques mais la question de la mobilité géographique des jeunes a été peu traitée (Hopkins & Pain, 2007). Pourtant, le franchissement d’étapes vers l’âge adulte est particulièrement propice à des mobilités résidentielles, et non seulement la mobilité résidentielle des 16-24 ans est plus importante au regard des autres tranches d’âge, mais elle est également très spécifique (Baccaïni & Garnier, 2018). Ainsi, exode rural et métropolisation marquent les parcours spatiaux des jeunes qui tendent à accumuler ces populations en grandes aires urbaines au détriment des zones plus rurales (Rozenwald, 2003), alors que les risques de décrochage scolaire semblent accentués pour les jeunes résidant dans des zones rurales (Caro & Checcaglini, 2018). Les jeunes décrocheurs qui ont quitté prématurément le système scolaire avant l’obtention d’un diplôme constituent une population spécifique. Ils arrivent plus jeunes et désavantagés sur le marché du travail car sans reconnaissance formelle de leurs compétences. De plus, leurs origines sociales sont plus modestes que pour l’ensemble des autres jeunes, leur taux de redoublement au collège est massif, ils ont souvent connu des évènements personnels difficiles comme des problèmes de santé, des divorces et des séparations, le décès ou un accident grave d’un parent (Dardier, Laïb & Robert-Bobée, 2013). L’ensemble de ces éléments ne sont pas de nature à faciliter leur insertion sociale et professionnelle et les rendent plus vulnérables que d’autres jeunes à la sortie du système scolaire.
2Existe-t-il des spécificités des pratiques spatiales (ancrage, mobilité, etc.) des jeunes, au regard de leur diplôme et de leur espace de résidence ? Au premier rang de ces pratiques de l’espace se trouvent la mobilité résidentielle, les changements de lieux de résidence (région, commune) qui interrogent le sentiment d’appartenance à l’espace et au territoire (Guérin-Pace, 2007). C’est pourquoi, comme ont pu le faire Dubreuil, Vallée, Shareck et al. (2020), pour mieux comprendre la construction des pratiques spatiales urbaines et leur évolution au cours de cette période charnière de la vie, nous retenons dans cet article une entrée par l’espace.
3De nombreuses facettes du milieu de vie des jeunes à travers des dimensions complémentaires interdépendantes avec des dynamiques et des évolutions particulièrement sollicitées sur cette période de transition (Orfeuil, 2002 ; Le Breton, 2005 ; Oppenchaim, 2014 ; Didier-Fèvre, 2018) peuvent ainsi être explorées. La géographie sociale permet en effet de mobiliser des dimensions pertinentes pour notre sujet telles que les mobilités et les conditions de vie, les positions sur le marché du travail, la décohabitation, la mise en couple, etc. Dans l’étude empirique présentée, nous nous intéressons ainsi aux individus en prenant en compte leur ancrage dans l’espace qui met en évidence leur enracinement dans un ensemble de relations sociales localisées. Des travaux récents portant sur les mobilités résidentielles des jeunes ruraux soulignent ainsi l’importance du territoire en tant que portion d’espace vécu, appropriée et ressource pour l’insertion professionnelle locale de certains jeunes (Retière, 2003 ; Renahy, 2010 ; Coquard, 2019). Dans le prolongement de ces travaux, nous formulons l’hypothèse qu’il existe des variations de mobilité des décrocheurs par rapport aux autres jeunes âgés de 16-24 ans et selon des caractéristiques géographiques et biographiques (région, sexe…).
4Les décrocheurs sont vulnérables parce que fragiles face au marché du travail et soumis à un risque d’isolement social du fait d’une mobilité géographique qui les éloigne de leurs ressources. Par l’entrée spatiale, cet article fait aussi apparaître les risques d’inégalités et les risques accrus d’invisibilité pour les dispositifs publics d’accompagnement. Autrement dit, nous pointons le risque que leur mobilité les rende potentiellement encore plus vulnérables car non pris en charge par des dispositifs publics territorialisés (découpages, localisation de ressources) à destination de certains groupes sociaux comme celui des jeunes sans diplôme. Ces dispositifs influencent les pratiques spatiales des individus (Dubreuil, Vallée, Shareck et al., 2020) et leur espace vécu (Frémont, 1976 ; Séchet & Veschambre, 2006). Ces influences sont asymétriques car les pratiques spatiales des bénéficiaires des politiques, comme leurs mobilités, sont mal connues. Ce sont précisément certaines caractéristiques des mobilités des jeunes décrocheurs que nous proposons d’éclairer dans cet article. Les pratiques spatiales des individus sont objectivées par les mobilités, définies comme des changements de résidence à l’échelle des communes, des départements et des régions.
5Une lecture des caractéristiques des jeunes décrocheurs à travers ce prisme permet aussi de dépasser les approches économiques de la mobilité liée à l’insertion des diplômés du supérieur dont les ressorts, comme l’insertion dans la région d’études ou le retour dans la région d’origine, ne semblent pas adaptés aux jeunes non diplômés. Elle ouvre aussi de nouvelles perspectives pour l’analyse des politiques de lutte contre le décrochage et de leur efficacité. La mise en lumière des mobilités géographiques des jeunes sans diplôme conduit à s’interroger : la mobilité rend-elle cette population invisible ? L’acuité de cette question apparaît notamment au regard d’une des spécificités des politiques de lutte contre le décrochage scolaire qui repose sur la sollicitation des jeunes par les pouvoirs publics et non l’inverse (Bernard, 2018).
6Dans une première partie, l’approche statistique de la mobilité géographique des jeunes sans diplôme prend appui sur une exploitation des données du recensement de population (Insee, RP 2014) afin de mesurer la réalité de cette mobilité et de ses principales caractéristiques. Dans une seconde partie, il s’agit de mettre cette mobilité en perspective avec la vulnérabilité de ces jeunes au regard de l’emploi et des étapes d’insertion. Cette vulnérabilité se traduit concrètement par une situation défavorable d’insertion, comme le montrent les données du Céreq (enquête Génération 2013) : entre leur sortie du système éducatif en 2013 et le printemps 2016, plus de 9 jeunes sur 10 ont accédé au moins à un emploi, mais 3 non-diplômés sur 10 ne parviennent pas à accéder à l’emploi au cours de leurs 3 premières années de vie active. En ce sens, le décrochage scolaire constitue un enjeu humain, un défi social et un coût économique pour les pouvoirs publics. La mobilité influence-t-elle les probabilités d’emploi selon le territoire ? Quelle est la situation au regard de l’emploi des non-mobiles résidant toujours dans la même commune au 1er janvier de l’année suivante ?
7L’approche empirique retenue se heurte aux limites des catégories construites par l’administration publique telles que des tranches d’âge prédéfinies, une définition administrative des décrocheurs ou un partage de l’espace simplifié mais, en s’appuyant sur des données de la statistique publique, ces limites sont compensées par l’avantage de couvrir l’ensemble du territoire métropolitain avec des chiffres robustes.
- 1 Taux de scolarisation par âge à la rentrée 2014, source DEPP, ministère de l’Éducation nationale.
- 2 Calculs des auteurs à partir des données du ministère de l’Éducation nationale, SIEI 2015.
8À 16 ans, 94,2 %1 des jeunes sont scolarisés et, à 25 ans, seuls 11,3 % poursuivent encore des études. Au cours de cette période complexe, où le temps écoulé entre les étapes scolaires, professionnelles et familiales tend à se resserrer (Galland, 2000), les trajectoires individuelles, professionnelles et spatiales s’entremêlent. Cette période, qui pour une large partie de la population s’étale entre 16 et 24 ans, est également propice au changement de lieu de résidence. Ainsi, parmi les jeunes de 16-24 ans non scolarisés, 23,8 % occupent leur logement depuis moins de 2 ans et 20,2 % depuis 2 à 4 ans (données Insee, RP 2014). Nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement à la mobilité géographique des jeunes non scolarisés et sans diplôme. Pour une approche statistique simplifiée, nous limitons notre propos aux jeunes en décrochage scolaire en référence à la définition du ministère de l’Éducation nationale. Autrement dit, il s’agit de jeunes de plus de 16 ans qui ne sont donc plus couverts par l’obligation de scolarité mais qui ont abandonné leur scolarité au cours de l’enseignement secondaire avant l’obtention d’un diplôme autre que le DNB (Diplôme national du brevet). Ces jeunes quittent le système scolaire pour 75 % d’entre eux avant l’âge de 19 ans2 alors qu’à cet âge 63,7 % des jeunes sont encore scolarisés. Pour les jeunes sans diplôme sortis précocement du système scolaire, la mobilité résidentielle est aussi plus précoce, comme nous le verrons dans un premier temps. Puis nous questionnerons les échelles à retenir à la marge des grilles d’analyse usuelles pour mesurer la mobilité des jeunes décrocheurs. Enfin, l’approche spatiale permet de souligner que si cette population est vulnérable, elle n’en est pas moins soumise à des phénomènes spatiaux qui touchent toute sa génération (Mongin, 2005 ; Halbert, 2010). Rappelons que la vulnérabilité de cette population est multidimensionnelle. Elle peut se définir par un isolement social des individus en rupture avec les services publics de formation, de remédiation, à commencer par leur dernier établissement scolaire fréquenté, mais aussi par une insertion professionnelle difficile avec des temps d’accès à l’emploi stable plus longs et des conditions d’emploi plus défavorables que pour les autres jeunes. Parmi les sortants de formation de 2010, les jeunes non diplômés ont en moyenne passé 14 mois au chômage, soit deux fois plus de temps que pour l’ensemble des jeunes tous niveaux confondus (Barret, Ryk & Volle, 2014).
9Les jeunes sans diplôme ont plus de difficulté à accéder à l’indépendance et à l’autonomie que les plus diplômés (Solard & Coppoletta, 2014). Les plus diplômés ont plus de capacités, de ressources, pour mettre leur mobilité au service de leurs projets tant professionnels, personnels que familiaux. Les moins diplômés apparaissent plus fragiles et plus contraints dans leurs choix, qu’il s’agisse de partir ou de rester dans le territoire de résidence de leurs parents. Néanmoins, la mobilité spatiale définie dans sa forme élémentaire comme un changement de commune de résidence concerne aussi les jeunes non scolarisés non diplômés. Même si cette période de transition est marquée par une plus grande précarité que pour les plus diplômés, en étant souvent plus complexe et plus mouvementée avec une alternance plus fréquente d’épisodes d’emploi, de stage et de chômage, tous ne restent pas dans les territoires où ils ont quitté le système scolaire et migrent dans le prolongement de leur décrochage.
- 3 Calculs des auteurs à partir des données Insee RP 2014.
10En 20143, en France métropolitaine, 13,9 % des jeunes de 16-24 ans non scolarisés non diplômés ont changé de commune par rapport au 1er janvier précédent, 16,9 % des 16-24 ans non scolarisés diplômés d’un CAP ou BEP, 17,5 % des 16-24 ans non scolarisés diplômés d’un baccalauréat et 24,3 % des 16-24 ans non scolarisés diplômés du supérieur. Quelle que soit la région considérée, plus les jeunes sont diplômés, plus ils sont mobiles (voir figure 1). Des nuances selon les régions apparaissent néanmoins : les non-diplômés en Bretagne et en Nouvelle-Aquitaine sont ainsi plus mobiles que les diplômés du supérieur en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Île-de-France ou Corse. Les écarts les plus marqués entre les diplômés du supérieur et les non-diplômés sont constatés pour les Pays de la Loire et la Normandie (14 et 13 points de différence), tandis que les mobilités les moins contrastées sont observées dans les régions de Corse, d’Île-de-France, des Hauts de France et du Grand Est (de 5,5 à 8,3 points d’écart).
Figure 1. Part des 16-24 ans non scolarisés ayant changé de commune selon les niveaux de diplôme par région
Source : Insee, RP 2014, calculs Céreq ESO Caen.
Champs : France métropolitaine. Jeunes de 16 à 24 ans non inscrits dans un établissement d’enseignement.
Note de lecture : 18,7 % des jeunes non diplômés non scolarisés de la Bretagne ont changé de commune contre 30,1 % des jeunes diplômés du supérieur dans cette même région.
11Selon la plus ou moins grande propension des jeunes à quitter certains territoires, des inégalités territoriales peuvent apparaître dans les risques de ruptures de suivi par les pouvoirs publics. Ainsi, en Île-de-France et en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, moins de 10 % des jeunes non diplômés ont changé de commune en moins d’un an, contre plus de 18 % en Bretagne ou en Nouvelle-Aquitaine. L’insularité corse et un fort sentiment d’appartenance au territoire expliquent vraisemblablement la sédentarité plus forte dans cette région.
- 4 Le recours au Zonage en Aires Urbaines est une des voies qui peut permettre de dépasser le caractè (...)
- 5 Des régions abritant une ou plusieurs métropoles, c’est-à-dire des aires urbaines peuplées d’au mo (...)
12En différenciant l’espace, non plus à partir du découpage administratif des régions mais selon son caractère urbain ou rural, il apparaît que, quel que soit leur niveau de diplôme, les jeunes sont moins enclins à quitter le domicile parental lorsque leurs parents habitent dans une grande agglomération (Galland, 2000). Même si la distinction administrative statistique opérée entre espace urbain et espace rural est simplificatrice4, puisqu’elle ne distingue pas le périurbain comme autre type d’espace et qu’elle ne différencie pas les métropoles des autres espaces urbains, elle permet néanmoins d’avancer dans la mesure des mobilités des jeunes. Il apparaît en effet que les jeunes de 16-24 ans non scolarisés sont moins mobiles dans les régions les plus métropolisées5 (PACA, Île-de-France, Hauts-de-France). Pour les jeunes non scolarisés habitant une commune rurale, les mobilités résidentielles se différencient pour les jeunes diplômés du supérieur qui ont des mobilités plus importantes, en lien avec leur poursuite d’études. En revanche, les jeunes non diplômés et les jeunes diplômés du secondaire originaires de communes rurales ont des mobilités très comparables.
13En 2014, la proportion de jeunes de 16-24 ans non scolarisés ayant changé de commune de domicile par rapport à leur situation en janvier précédent est deux fois plus importante que pour l’ensemble de la population : 8,4 % pour l’ensemble de la population, 16,7 % pour les jeunes de 16-24 ans non scolarisés. Cette proportion est un petit peu moindre pour les jeunes non scolarisés non diplômés de 16-24 ans (13,4 %) mais leur mobilité s’apparente plus à celle des autres jeunes qu’à celle du reste de la population. Pour plus de la moitié d’entre eux, les rayons de déplacement des jeunes sont assez courts avec des mobilités infra départementales (voir figure 2).
Figure 2. Comparaison des mobilités résidentielles des jeunes de 16-24 ans non scolarisés
Source : Insee, RP 2014, calculs Céreq ESO Caen.
Champs : France (DOM compris). Jeunes de 16 à 24 ans non inscrits dans un établissement d’enseignement.
- 6 Constatée entre l’année d’enquête et le 1er janvier précédent.
- 7 Voir la répartition des unités urbaines par région (2010). En ligne : <https://www.adcf.org/images/ (...)
14La grille d’analyse de la mobilité des jeunes diplômés et plus particulièrement des diplômés du supérieur distingue souvent les départements ou régions d’origine, les départements ou régions des études et des premiers emplois avec en arrière-plan la question du choix du retour éventuel à la région d’origine, après une mobilité contrainte par les études ou la propension à l’insertion dans la région formatrice. Parmi tous les travaux relatifs à l’analyse des mobilités des jeunes, beaucoup se sont ainsi focalisés sur les jeunes diplômés car plus les jeunes sont diplômés plus les migrations sont fréquentes et d’ampleur plus importante (Baron & Perret, 2005, 2006, 2008 ; Perret & Roux, 2004). Parce qu’ils n’ont généralement pas migré pour leurs études, cette grille d’analyse des mobilités n’est pas appropriée pour les jeunes sans diplôme. Ceci interroge également le rapport à l’espace des jeunes diplômés et non diplômés. Pour une meilleure prise en compte des différentes dimensions constitutives du territoire, ainsi que des nombreuses dimensions du milieu de vie des jeunes, la géographie sociale invite à multiplier les échelles d’observations. C’est pourquoi nous avons choisi une grille communale plus fine en utilisant le changement élémentaire de commune. Le territoire étudié couvre l’ensemble de la France avec le « fichier détails » du recensement des individus par région. L’indicateur de résidence antérieure caractérise la mobilité annuelle6 des individus entre les communes d’un même département, les communes d’une même région et hors de la région. La discontinuité spatiale des parcours de vie des jeunes est mal connue (Dubreuil, Vallée, Shareck et al., 2020 ; Millet & Thin, 2005), et cette remarque est encore plus vraie pour les jeunes sans diplôme, tant les mobilités résidentielles sont peu appréhendées à une échelle communale pour cette population. L’indicateur urbain/rural du lieu de résidence antérieure a donc été mobilisé à travers ses deux modalités, à savoir : « réside dans une commune rurale et résidait dans la même commune » et « réside dans une commune urbaine et résidait hors de l’unité urbaine7 », c’est-à-dire hors de la ville composée de plusieurs communes qu’ils viennent de rejoindre. Selon la définition de l’Insee, « une commune rurale est une commune n’appartenant pas à une unité urbaine. Les autres communes sont dites urbaines ». Cette partition est imparfaite mais elle structure les données du recensement mobilisées. La représentativité des données et l’ensemble de la population étudiée ont été privilégiés. Les jeunes sédentaires ruraux correspondent ainsi à ceux qui résident dans une commune rurale et résidaient auparavant dans la même commune, alors que les jeunes mobiles en situation d’exode rural par exemple correspondent à ceux qui résident dans une commune urbaine et résidaient auparavant hors de l’unité urbaine. Mais au sein de cette catégorie de jeunes mobiles, certains migrent d’une ville à une autre, d’une petite ou moyenne ville vers une métropole par exemple.
15Outre le fait que la mobilité résidentielle des jeunes symbolise une transition spatiale vers l’âge adulte, elle traduit aussi un choix d’un nouvel espace de vie et l’attrait pour d’autres caractéristiques de leur espace de vie (Mongin, 2005). Ainsi, les jeunes ne semblent pas rester dans les zones où ils ont quitté le système scolaire, et migrent vers les grandes aires urbaines où ils se concentrent en tant que non diplômés (Caro & Checcaglini, 2018).
16En croisant la sédentarité dans les communes rurales et la mobilité vers des communes urbaines, des différences régionales apparaissent. Quels que soient les types de sous-population considérés (ensemble de la population, jeunes non scolarisés, jeunes non scolarisés non diplômés), les régions se positionnent grosso modo de façon identique les unes par rapport aux autres. En revanche, les nuages de régions pour chaque sous-population se positionnent nettement différemment : les jeunes non scolarisés, diplômés ou non, sont moins souvent restés dans la même commune rurale que l’année précédente (15,7 % contre 20,8 % pour l’ensemble de la population) et la part de ceux qui sont arrivés dans une commune urbaine est plus importante (9,4 %) que pour l’ensemble de la population (3,8 % ; voir figure 3).
Figure 3. Mobilités rurales et urbaines par région entre 2013 et 2014 des jeunes de 16-24 ans non scolarisés.
Source : Insee, RP 2014, calculs Céreq ESO Caen.
Champs : France (DOM compris). Jeunes de 16 à 24 ans non inscrits dans un établissement d’enseignement.
17Seuls 12,4 % des jeunes non scolarisés non diplômés (soit 3,3 points de moins que l’ensemble des jeunes non scolarisés) sont restés dans leur commune rurale. La sédentarité est un peu plus accentuée dans les régions les plus rurales mais elle reste moins importante pour les non-diplômés que pour les autres jeunes non scolarisés. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté, elle est de 24,9 % contre 29,5 %, en Normandie 19,5 % contre 24,4 % et dans le Grand-Est 15 % contre 20,15 %. En Auvergne-Rhône-Alpes, l’attrait des métropoles de Lyon, Saint-Étienne, Grenoble et Clermont-Ferrand incite à la mobilité urbaine.
- 8 1 017 habitants au km2 au 1er janvier 2019 pour l’Île-de-France, 161 pour PACA. Mais de fortes den (...)
18Les régions d’Île-de-France et de PACA se rejoignent par le profil migratoire de leurs jeunes, quelle que soit la sous-population considérée. Ces régions partagent les plus fortes densités de population, ce qui explique leurs plus faibles taux de sédentarité rurale et taux de migration urbaine. À l’inverse, la Bretagne, les Pays de la Loire et l’Occitanie connaissent les plus fortes migrations urbaines alors qu’elles partagent des densités de population d’un même ordre de grandeur8.
- 9 Définie en tant que « concentration des hommes et des activités dans les principales agglomération (...)
19Ces constats sont à rapprocher d’un phénomène global qui marque les mobilités de la population depuis les années 1980 : la métropolisation9. Ce phénomène économique, social et spatial de polarisation urbaine concentre les populations et les activités dans des aires urbaines peuplées d’au moins 500 000 habitants. L’accumulation de ressources de natures variées (formations, équipements, services, etc.) dans ces grandes aires urbaines engendre un afflux de nouveaux habitants et des créations d’emplois qui attirent aussi des jeunes en poursuite d’études et/ou en insertion professionnelle. Ce phénomène d’accumulation résulte à la fois de décisions politiques comme la décentralisation, ou la concentration des moyens de l’État (offre de soins, offre de formation supérieure, etc.), du fonctionnement du marché et de la rentabilité des services et des équipements. Mais il résulte aussi de décisions individuelles en matière de choix de lieux de résidence, plus ou moins contraints, et d’une appétence variable selon les individus pour la vie en métropole (Halbert, 2010 ; Mongin, 2005).
20L’analyse des mobilités des jeunes non scolarisés non diplômés révèle des comportements migratoires de nature semblable à ceux des jeunes diplômés mais d’intensité plus modérée. Pour toutes ces populations jeunes, comme pour les autres, « les métropoles jouent au quotidien un rôle d’accélérateur dans la construction des ressources personnelles comme des compétences » (Halbert, 2010, p. 69). Le phénomène de métropolisation semble donc bien transcender les niveaux de diplômes des jeunes, alors que les travaux de recherche se sont plutôt concentrés sur les jeunes diplômés (Vignale, 2016).
21La mobilité des jeunes décrocheurs que nous avons constatée ici, même si elle est parfois modeste, avec un simple changement pour une commune voisine, peut être la source d’une rupture avec les dispositifs publics de remédiation du décrochage scolaire. Ainsi, nous faisons ici l’hypothèse que la mobilité résidentielle de certains jeunes pourrait éclairer une partie du non-recours à l’accompagnement constaté par P.-Y. Bernard (2018). Alors que le décrochage scolaire constitue un enjeu tant humain, social qu’économique pour les pouvoirs publics, dans les premiers mois qui suivent leur rupture scolaire, les jeunes ne bénéficient pas nécessairement des dispositifs d’accompagnement qui leur sont destinés (Bernard, 2018), notamment les dispositifs d’aide à l’insertion professionnelle.
22Les difficultés d’accompagnement des jeunes en situation de décrochage par les pouvoirs publics sont donc probablement accentuées pour les individus mobiles et aggravées par les variations régionales de cette mobilité résidentielle. Les inégalités dans les parcours vers l’insertion sont encore accentuées selon le sexe avec des disparités régionales. Dans quelle mesure la mobilité résidentielle est-elle une des composantes de ces modalités d’insertion pour les jeunes en situation de décrochage ? Les trajectoires spatiales et scolaires de ces jeunes décrocheurs semblent se caractériser par un paradoxe. Alors que pour d’autres jeunes plus diplômés la mobilité géographique rime avec la qualité de leur insertion professionnelle, celle des jeunes sans diplôme semble associée à une fragilité de leurs parcours.
23Le décrochage avance l’âge de sortie du système scolaire, l’âge des transitions se trouve de fait lui aussi avancé. Pour accroître l’efficacité des politiques publiques notamment de lutte contre l’exclusion sociale de ces jeunes sans diplôme, il faut tenir compte du fait que les conditions de vie des nouveaux urbains et des sédentaires ruraux sont bien différentes. Ainsi, 88 % des décrocheurs sédentaires ruraux vivent au sein d’une famille contre 55,6 % des décrocheurs nouveaux urbains. Parmi l’ensemble des nouveaux urbains, environ un jeune sur cinq a pour résidence un logement hors logement ordinaire, selon l’appellation de l’Insee, ce qui correspond à des foyers, des résidences ou établissements sociaux.
- 10 N. Renahy définit l’autochtonie de la façon suivante dans son ouvrage publié en 2010 : « tout ce q (...)
24Les jeunes de 16-18 ans non scolarisés non diplômés sont nettement plus mobiles que l’ensemble des 16-18 ans, ainsi 6,6 % d’entre eux sont arrivés depuis moins d’un an dans une commune urbaine contre 2,9 % pour l’ensemble des 16-18 ans, et seuls 14,8 % sont restés sédentaires en commune rurale contre 21,3 % de l’ensemble des 16-18 ans. Il semblerait donc bien que les jeunes mineurs décrocheurs soient plus enclins à la mobilité que l’ensemble des 16-18 ans. Les différences régionales entre les jeunes de 16-18 ans non scolarisés non diplômés et l’ensemble des jeunes de 16-18 ans restent marquées avec une mobilité urbaine plus développée pour l’Occitanie et la Bretagne (10,2 % et 9,7 % contre 4 % et 3,6 %). De façon complémentaire, la sédentarité rurale est beaucoup plus prononcée pour l’ensemble des jeunes de 16-18 ans que pour les 16-18 ans non scolarisés non diplômés notamment en Bourgogne-Franche-Comté (43,4 % contre 30 %) ou en Normandie (36,4 % contre 21,3 %). Ce constat vérifierait le phénomène de valorisation des études courtes (CAP, BEP, BAC pro) en zones rurales pour échapper à l’école et accéder à un marché du travail local en mettant à profit son capital d’autochtonie10 (Coquard, 2019 ; Renahy, 2010). Un tel constat invite à mettre en place des politiques spécifiques selon les territoires. Les solutions de raccrochage ou d’accompagnement vers l’emploi ne sont peut-être pas toujours de proximité. Il semble en effet qu’une partie des jeunes décrocheurs soit aussi attirée par des formes d’autonomie qui se matérialisent par des transitions spatiales. L’intérêt d’une approche de ces pratiques par l’espace est de mettre en évidence des disparités régionales en la matière.
25Le fait d’être mineur pour les jeunes non scolarisés non diplômés de 16-18 ans ne semble pas être un obstacle à la mobilité. Pour une partie des jeunes de 16-18 ans non scolarisés non diplômés, la mobilité spatiale est donc une des composantes des différentes transitions qui débutent à la sortie du système scolaire. Cependant, des différences doivent être soulignées tant dans les types de mobilité que dans les caractéristiques des jeunes selon les sexes.
26Dans toutes les régions, les jeunes femmes ont plus fréquemment changé de commune de domicile depuis moins d’un an quel que soit leur niveau de diplôme. L’attrait des communes urbaines est plus fort pour les jeunes femmes non scolarisées non diplômées de 16-18 ans que pour les jeunes hommes, dans toutes les régions indépendamment de l’intensité du phénomène, à l’exception de la Bourgogne-Franche-Comté. Les écarts de mobilité entre les jeunes femmes et les jeunes hommes sont autrement plus contrastés lorsque les jeunes de 16-18 ans non scolarisés non diplômés sont comparés aux jeunes diplômés de CAP ou BEP. Ainsi, les jeunes femmes non scolarisées non diplômées migrent plus souvent vers les zones urbaines que les jeunes femmes diplômées de CAP ou BEP, sauf pour les régions Pays de la Loire, Bretagne, Nouvelle-Aquitaine et les DOM. Le phénomène peut être également constaté pour les jeunes hommes sauf en Normandie et dans les DOM où les jeunes hommes diplômés de CAP ou BEP sont plus attirés par les zones urbaines que les non-diplômés. En parallèle, les jeunes femmes non scolarisées non diplômées restent moins souvent dans les communes rurales que celles qui ont obtenu un CAP ou BEP sauf en Guyane, en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, en Auvergne-Rhône-Alpes et en Corse. Pour les jeunes hommes, le phénomène est particulièrement accentué, l’obtention d’un CAP ou BEP tend à ancrer les jeunes hommes dans les communes rurales en comparaison avec les non-diplômés. Ainsi, plus de la moitié des jeunes hommes de 16-18 ans non scolarisés diplômés de CAP ou BEP en Bourgogne-Franche-Comté sont domiciliés dans la même commune rurale que l’année précédente contre 29 % des non scolarisés sans diplôme. De même dans des régions comme les Hauts-de-France, le Grand Est ou la Normandie, avec respectivement 20,7 %, 26,6 % et 37,6 % pour les diplômés de CAP ou BEP contre 11,8 %, 15 % et 22,4 % pour les jeunes hommes non diplômés sédentaires.
27Une des explications de ces mobilités accrues pour les jeunes femmes non diplômées par rapport aux jeunes hommes se trouve peut-être dans le fait qu’elles sont plus souvent déjà en couple, Bloss, Frickey et Godard (1990) décrivent une autonomie sociale des jeunes femmes par la voie conjugale. Ainsi, parmi les jeunes de 16-18 ans non scolarisés non diplômés arrivés récemment dans une zone urbaine, en moyenne, en France métropolitaine, 16,7 % des jeunes femmes sont en couple contre seulement 4,1 % des jeunes hommes. Ces différences sont très accentuées en Nouvelle-Aquitaine (27,6 % des jeunes femmes et 2,6 % des jeunes hommes), dans le Grand Est (29,7 % et 5,2 %) ou encore en Bretagne (25,9 % et 9,6 %). Le décrochage scolaire et la mobilité qui l’accompagne accélèrent le processus de transition sociale pour les jeunes femmes (décohabitation et mise en couple) comme cela a aussi été constaté dans les enquêtes Génération du Céreq (Maillard & Rouaud, 2018). En plus de ces explications des « disparités genrées » dans les mobilités par une décohabitation et une mise en couple, en quoi ces différences sont-elles liées à la situation d’emploi des jeunes hommes et des jeunes femmes ?
28Quels sont les liens entre mobilité des jeunes décrocheurs et emploi ? Sigaud (2015) relève que les chômeurs les moins qualifiés qui sont mobiles ont deux fois moins de chances de retrouver un emploi que ceux qui n’ont pas bougé. La mobilité favorise-t-elle l’insertion pour les décrocheurs scolaires qui, par définition, ne sont pas armés d’un diplôme ?
- 11 Sont considérés en emploi (définition Insee dans le RP) les actifs ayant un emploi, y compris sous (...)
29Parmi les jeunes de 16-18 ans non scolarisés et non diplômés ayant migré vers une zone urbaine, les situations vis-à-vis de l’emploi sont très contrastées selon le sexe. Ainsi, les jeunes hommes sont davantage en emploi11 dans toutes les régions métropolitaines et plus particulièrement en PACA (25,3 % des jeunes hommes nouvellement arrivés en commune urbaine sont en emploi contre seulement 3,4 % des jeunes femmes). Seule la Normandie fait exception avec une plus forte proportion de jeunes femmes en emploi. En moyenne, parmi ces migrants urbains, les jeunes femmes sont un peu plus fréquemment au chômage, mais de très fortes disparités régionales sont à souligner. En région Centre-Val-de-Loire, les jeunes femmes de 16-18 ans non scolarisées et non diplômées ayant migré vers une zone urbaine sont environ deux fois plus souvent au chômage que les jeunes hommes (43,8 % contre 19,8 %), elles le sont aussi plus souvent en région PACA (29,9 % et 16,9 %), Hauts-de-France et Pays de la Loire. En revanche, ce sont les jeunes hommes qui sont plus souvent dans une situation de chômage pour ceux qui ont migré vers une zone urbaine dans les régions Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Bretagne et Normandie. Pour les jeunes qui se trouvent en stage non rémunéré, les écarts sont plus importants entre les régions qu’entre les sexes. Ainsi, 28,7 % des jeunes ayant migré vers une zone urbaine en Île-de-France sont en stage non rémunéré, contre seulement 7 % en Bourgogne-Franche-Comté ou en Centre-Val-de-Loire. Outre les situations d’emploi, de chômage ou de stage, il n’en demeure pas moins que l’inactivité concerne en moyenne un jeune sur deux parmi ceux qui ont migré vers une zone urbaine. Des situations régionales sont également très marquées, par exemple, ce sont 65 % des jeunes hommes de 16-18 ans non scolarisés et non diplômés ayant migré vers une zone urbaine en Centre-Val-de-Loire qui sont inactifs, 59,9 % des jeunes femmes en Bretagne, 58,5 % des jeunes femmes en PACA. La mobilité associée à l’inactivité expose d’autant plus les jeunes à un risque d’isolement social. Ainsi, après avoir opéré une rupture avec le système scolaire, les jeunes sans diplôme, lorsqu’ils sont mobiles, renoncent de fait à un éventuel ancrage territorial (Retière, 2003 ; Renahy, 2010 ; Coquard, 2019).
30La situation d’inactivité est beaucoup moins fréquente chez les jeunes sédentaires ruraux (35,5 % en moyenne). Les jeunes femmes sont plus souvent inactives que les jeunes hommes parmi les 16-18 ans non scolarisés non diplômés sédentaires ruraux, à l’exception des régions Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine et Corse. Dans toutes les régions métropolitaines, les jeunes femmes sédentaires rurales sont plus fréquemment en stage non rémunéré que les jeunes hommes (22,6 % contre 16,8 %). De façon complémentaire, les jeunes hommes sont plus en emploi que les jeunes femmes (respectivement 14,2 % et 8,3 %) sauf dans les régions Grand Est et Pays de la Loire.
31Les inégalités d’accès à l’emploi selon la commune de résidence sont très marquées (Duguet, Goujard & L’Horty, 2008). Les disparités spatiales du chômage sont pérennes et la polarisation urbaine semble s’accentuer (Albater & Le Hir, 2017), interrogeant un partage schématique des activités selon les espaces : prédominance des activités intellectuelles dans les pôles urbains et des activités de production matérielle localisées dans les espaces ruraux (Lainé, 2017). Les schémas de migration des jeunes dépendent-ils des possibilités d’emploi locales et/ou régionales ? Selon le diplôme, Drapier et Jayet (2002) opposent les migrations pour rejoindre immédiatement un emploi attractif pour les jeunes qualifiés et les migrations pour trouver un emploi et interrompre une période de chômage pour les moins qualifiés.
32L’accompagnement des jeunes non diplômés par les pouvoirs publics doit donc faire face à une double nécessité d’ancrage dans le territoire pour être au plus près de ces populations et de possibilité de suivi et de coordination des acteurs sur les espaces de vie des jeunes. Il s’agit aussi de lutter contre le risque d’exclusion sociale des jeunes sans diplôme, risque sous-jacent au constat dressé ci-dessus en matière d’inégalités de conditions de vie, d’étapes d’insertion et de modalités de celle-ci entre les différentes populations de jeunes.
33L’approche des parcours des décrocheurs par l’espace fait apparaître les risques d’inégalités et d’invisibilité pour les jeunes dans les dispositifs publics d’accompagnement des décrocheurs, autrement dit nous pointons le risque que leur mobilité ne les rende potentiellement encore plus vulnérables.
34Cette population devrait pouvoir bénéficier d’un suivi et d’un accompagnement constants et continus malgré un changement de région, de département ou de commune de résidence. Le prisme de la géographie sociale justifie la mise en regard avec les dispositifs qui agissent sur leurs territoires, notamment si ces politiques risquent d’être reproductrices d’inégalités socio-spatiales (Séchet & Veschambre, 2006). Les résultats empiriques sur la mobilité des décrocheurs viennent ainsi compléter les travaux sur les pratiques spatiales des jeunes au cours de leur scolarisation en lien avec les politiques publiques à destination de la jeunesse (Danic, Fontar, Grimault-Leprince et al., 2019 ; Gilles, 2018).
- 12 Individu, famille, groupe social, logement, îlot, quartier, commune, intercommunalité, agglomérati (...)
35L’analyse nationale déclinée selon le caractère urbain ou rural des communes de résidence qui a été menée prolonge ainsi les analyses des pratiques spatiales des jeunes telles qu’elles ont pu être faites à des échelles plus fines12 (Danic, David & Depeau, 2010 ; David, 2010 ; Bigoteau, Garat & Moreau, 2009). Une appréhension de l’espace social des jeunes décrocheurs, de leurs pratiques spatiales et de leur espace vécu par le biais de l’analyse de leurs mobilités résidentielles permet d’établir que ces jeunes décrocheurs ont un rapport à l’espace et à leur territoire qui n’est pas très différent de celui des autres jeunes plus diplômés.
36Comme nous l’avons vu à partir des données du recensement, la métropolisation et l’exode rural influencent leurs mobilités. Ce résultat est nuancé selon le genre et la région d’origine et d’accueil des jeunes décrocheurs. La mobilité de ces derniers âgés de 16 à 24 ans est plus précoce que celle des autres jeunes, et des effets régionaux jouent sur cette mobilité. Les régions abritant une ou plusieurs métropoles enregistrent une plus faible mobilité de leurs jeunes décrocheurs non diplômés (Île-de-France, PACA, Hauts-de-France). La sédentarité des jeunes sans diplôme est plus accentuée dans les régions rurales mais elle reste moins importante que pour les autres jeunes.
37Chez les jeunes décrocheurs âgés de 16 à 18 ans, l’attrait des communes urbaines est plus fort pour les jeunes femmes en général. L’emploi est plus fréquent pour les jeunes hommes ayant migré vers des communes urbaines en régions dotées de métropole(s). De très fortes disparités inter-régionales marquent les taux de chômage des jeunes femmes en situation de migrer vers une commune urbaine. L’inactivité concerne en moyenne un jeune sur deux parmi ceux qui ont migré vers une zone urbaine. Cette situation d’inactivité est beaucoup moins fréquente chez les jeunes sédentaires ruraux pour cette classe d’âge des 16-18 ans. Au total, ces disparités régionales quant aux mobilités des jeunes décrocheurs ont sans doute à voir avec les origines sociales des jeunes concernés.
38Cette origine joue un rôle dans leurs pratiques spatiales, comme l’implique le capital d’autochtonie, en plus de leur genre, même si elle est en partie « absorbée » par leur parcours scolaire. Que reste-t-il de cette origine sociale dans leurs mobilités ? Des entretiens avec les jeunes concernés permettraient sans doute de saisir des éléments de réponse à cette question et d’accéder à une compréhension plus fine de leurs pratiques spatiales, comme ont pu le faire Danic, Fontar, Grimault-Leprince et al. (2019).
39Dans la continuité du décrochage scolaire, les jeunes, même mineurs, cherchent un nouvel espace de vie, de préférence urbain (Mongin, 2005), qui est, de fait, plus souvent associé à une situation d’inactivité que d’emploi ou de stage. Le décrochage scolaire et la mobilité qui l’accompagne accélèrent le processus de transition sociale pour les jeunes femmes (décohabitation et mise en couple). Mais cette mobilité accroît aussi leur risque de vulnérabilité au sens où elle peut générer une prise en charge par les pouvoirs publics plus difficile, les jeunes mobiles n’étant plus rattachés aux dispositifs de proximité de l’établissement qu’ils ont quitté. La mobilité joue donc un rôle dans les trajectoires sociales des jeunes selon le genre et renforce sans doute la fragilité des parcours d’insertion des jeunes décrocheurs et la difficulté de les accompagner.