Ce que la laïcité a de nouveau, ou pas. Regards croisés France-Québec
Résumés
C’est surtout sur des forums universitaires ou intellectuels français que la formule « nouvelle laïcité » est débattue depuis la première controverse sur le port du voile islamique à l’école publique en 19891. Pourtant, sur le seul plan juridique, la laïcité française ne saurait être qualifiée de « nouvelle », au risque de l’essentialiser en la réduisant à certains de ses aménagements particuliers liés aux conditions d’expression individuelle des croyances. Dans une perspective sociologique, l’expression « nouvelle laïcité » est toutefois un outil d’analyse pertinent des déplacements des débats sociaux et politiques sur la laïcité et de leur influence, le cas échéant, sur la norme juridique française. À des fins comparatives, cet outil peut également être mobilisé pour éclairer d’autres contextes nationaux. C’est le cas du Québec où émergent de nouveaux discours et aménagements juridiques laïques depuis une douzaine d’années.
Indexation
Mots-clés :
laïcité, nouvelle laïcité, neutralité, séparation des Églises et de l’État, liberté de religion, France, QuébecKeywords:
laïcité, secularity, neutrality, separation of Church and State, freedom of religion, France, QuebecPlan
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- 2 Cécile Laborde, Liberalism’s Religion, Cambridge : Harvard University Press, 2017, 344 p. ; Jocelyn (...)
1On observe dans de nombreuses sociétés occidentales une crispation des discussions sur la laïcité autour d’enjeux relatifs à la visibilité du religieux. Tant dans les débats publics que dans la recherche universitaire, l’accent mis sur ce phénomène a eu tendance à réduire la notion de laïcité, masquant la pluralité et la diversité des aménagements du droit en vertu desquels elle prend pourtant forme dans la gouvernance de l’État. Tel est notamment le cas de nombreuses lois d’ordre éthique et bioéthique qui contribuent à dissocier les normativités religieuses et les normativités civiles. Il en est de même de l’ouverture du mariage civil aux conjoints de même sexe qui participe d’une mise à distance de la norme religieuse dans la régulation juridique et politique de la vie en société. Les enjeux de laïcité, c’est-à-dire de séparation progressive des religions et de l’État dans une volonté d’égale distribution de la liberté pour tous2, sont donc plus nombreux que l’actualité ne le laisse paraitre. La présence de crèches de la nativité ou de crucifix dans certaines institutions publiques, les récitations de prières dans les rues, ou la possibilité de porter le « burkini », le sous-turban sikh, le voile islamique… sont certes des expressions du religieux qui interrogent la laïcité. Mais elles sont loin d’être les seules.
- 3 Mathilde Philipp-Gay, Droit de la laïcité, Paris : Ellipses, 2016, 288 p. ; David Koussens, L’épreu (...)
- 4 Craig J. Calhoun, Mark Juergensmeyer, et Jonathan VanAntwerpen, 2011, Rethinking Secularism, New Yo (...)
- 5 Philippe Portier, L’État et les religions en France. Une sociologie historique de la laïcité, Renne (...)
2Alors même que de nombreux travaux en droit3, en sociologie4 ou en science politique5 documentent aujourd’hui la multiplicité des aménagements laïques – on évoque régulièrement la pluralité des laïcités, et cela dans une seule et même société –, les appels à une « nouvelle laïcité », tout comme ses critiques, peuvent surprendre. Qu’est-ce qu’une « nouvelle laïcité » ? En quoi et par rapport à quoi est-elle nouvelle ? Et dans quelle mesure de nouveaux aménagements laïques permettent-ils, le cas échéant, de caractériser la laïcité, au singulier ? C’est à ces questions que ce texte propose de réfléchir à partir d’un regard sociologique sur plusieurs des récents débats politiques et juridiques laïques en France et au Québec. Ces deux sociétés historiquement marquées par le catholicisme, pour dissemblables qu’elles soient, partagent en effet une inquiétude commune face à certaines expressions d’un religieux construit comme problème, faisant émerger en réaction, de part et d’autre de l’Atlantique, la « laïcité » comme une solution.
3Après avoir observé les conditions d’émergence et questionné les assises empiriques de la notion de « nouvelle laïcité » en contexte français, cet article discutera du caractère opérationnel de la notion aux fins d’analyse des aménagements laïques contemporains dans les sociétés occidentales (1°). Dans une logique compréhensive, il mobilisera ensuite des figures idéal-typiques de « nouvelle laïcité » pour mettre en lumière la diversité des discours et des mesures juridiques laïques qui animent le débat québécois depuis une douzaine d’années (2°).
1°/ – Une « nouvelle laïcité » française ?
- 6 Françoise Lorcerie, « la République aime l’école », Cosmopolitiques, 2007, no 16, p. 109.
- 7 Idem.
4Depuis près de trente ans, les appels de plusieurs personnalités publiques à une « nouvelle laïcité » relèvent du sophisme. Ils survalorisent des aménagements juridiques spécifiques de la laïcité française – souvent liés à la visibilité du religieux dans la sphère publique – dont ils généralisent la portée pour en tirer des conclusions au regard d’une représentation politique de la laïcité dont le droit devrait assurer la pérennité. Il s’agit d’appels incantatoires à une laïcité « archi valeur républicaine »6 donnée pour traditionnelle mais qui, « remise en cause par le multiculturalisme et le communautarisme7 », ne serait plus ce qu’elle était (A). Principalement débattue sur des forums universitaires ou intellectuels, la formule gagne en popularité en 2003, trouvant écho dans plusieurs rapports publics, mais également dans le dispositif juridique laïque. Dans une seule perspective juridique toutefois, on ne saurait qualifier la laïcité française de « nouvelle », au risque de l’essentialiser en la réduisant à certains de ses aménagements particuliers (liés à la visibilité du religieux dans la sphère publique). L’expression « nouvelle laïcité » conserve néanmoins toute sa pertinence à des fins d’analyse compréhensive des déplacements des débats sociaux et politiques sur la laïcité et de leur influence sur la norme juridique (B).
A/ – « La laïcité n’est plus ce qu’elle était »8
- 8 Je reprends ici le titre d’une note critique de Françoise Champion débattant de plusieurs travaux s (...)
- 9 Avis du Conseil d’État portant sur la question de savoir si le port de signes d’appartenance à une (...)
- 10 Pierre Tournemire, « La Ligue de l’enseignement et la laïcité : un même chemin », dans Jean Baubéro (...)
- 11 Étienne Balibar, « Faut-il qu’une laïcité soit ouverte ou fermée ? », Mots, n° 27, juin 1991, p. 73 (...)
5En 1989, la Ligue de l’enseignement est accusée de trahison pour avoir endossé l’avis par lequel le Conseil d’État s’était prononcé sur la compatibilité du port de signes religieux à l’école publique avec le principe de laïcité9, se positionnant contre l’exclusion des jeunes filles portant le hijab dans leur collège de Creil10. Si trahison il y a, c’est à l’endroit d’une laïcité que l’on qualifie d’« authentique », de « vraie », de « républicaine », bref, de ce qui est alors désigné comme « la » laïcité. Textes fondateurs à l’appui, les détracteurs de la Ligue lui reprochent d’avoir démissionné devant les expressions les plus contemporaines de l’obscurantisme religieux. En adoptant une position jugée trop libérale, voire libertaire, elle aurait en effet dévoyé les principes laïques aux fondements mêmes du pacte républicain, pour leur substituer une laïcité « ouverte », « plurielle », bref, une « nouvelle laïcité »11.
- 12 Dans cette perspective, ce n’est qu’à partir de 1992, dans sa fonction contentieuse, que le Conseil (...)
- 13 Jean-Paul Costa et Jean Marcou, « Le Conseil d’État, le droit public français et le « foulard » », (...)
- 14 Pierre Fiala, « Les termes de la laïcité. Différenciation morphologique et conflits sémantiques », (...)
- 15 Voir Étienne Balibar, op. cit, sous note 11, p. 74. On notera toutefois que de rares contributions (...)
6Et pourtant, point de nouveauté dans l’avis du Conseil d’État, les juges du Palais-Royal n’ayant fait qu’exercer leur fonction consultative pour clarifier l’état du droit, sans y ajouter, ni y retrancher12. Jean-Paul Costa le rappelle lui-même : sur la forme, le Conseil d’État rend seulement « un avis au gouvernement sur un problème formulé en termes abstraits » ; sur le fond, le « mode de raisonnement (…) est lui aussi classique (…) Le Conseil s’efforce comme toujours de concilier la liberté et l’ordre public, d’arbitrer entre les différentes libertés en conflit (…) »13. C’est donc une bataille pour le « sens vrai »14 de la laïcité qui oppose en 1989 les tenants et les opposants de l’interdiction du port du foulard islamique dans les établissements publics d’enseignement secondaire. Le débat tel qu’il s’engage n’est pas juridique à proprement parler, chacun se prévalant d’ailleurs des mêmes textes, soit la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 et la Constitution de 1958. Les interprétations exégétiques qui leur sont données s’inscrivent plutôt dans un débat politique et social qui oblige « une société, qui a constitué son vocabulaire politique dans un conflit pluriséculaire entre catholicisme et libre pensée, à réfléchir aux données théologiques, politiques et sociologiques de la confrontation avec l'islam »15.
- 16 Voir en particulier « Le vocabulaire de la laïcité de Guizot à Ferry », thèse en Histoire et civili (...)
- 17 Maurice Barbier, « Esquisse d’une théorie de la laïcité », Le Débat, 1993, vol. 5, n° 77, p. 64-76.
- 18 Pierre Fiala, op. cit, sous note 14, p. 55-56 ; Simone Bonnafous, « Quand la presse catholique parl (...)
7Les discussions, parfois acharnées, sur la « vraie » laïcité, ne sont certes pas nouvelles dans l’histoire de la laïcité française16. Toutefois, si nouveauté il y a, elle réside essentiellement dans le contexte17, celui de la visibilité accrue des expressions de foi en islam, où émergent de nouveaux acteurs (mouvements féministes, partis de droite ou d’extrême droite, etc.) à la défense d’une laïcité qui serait de plus en plus détournée. Dans cette perspective, l’usage de dérivations préfixales et suffixales à la laïcité (« catholaïcité » ; « ultralaïque » ; « antilaïque » ; « pseudolaïque »), ainsi que l’emploi d’expressions lui associant des qualificatifs à usage polémique (« laïcité ouverte » ; « nouvelle laïcité »),18 témoignent du projet de « réhabilitation républicaine » de la laïcité.
- 19 Baroin, François, Pour une nouvelle laïcité. Rapport, 2003, en ligne : http://www.voltairenet.org/r (...)
8Loin de s’épuiser, les discussions appelant ou s’opposant à une laïcité « nouvelle » reprennent de la vigueur au début du XXIème siècle. Un an après l’élection présidentielle française de 2002 ayant vu le Front national accéder pour la première fois au deuxième tour de ce scrutin public, le député François Baroin remet au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin un rapport dans lequel il estime que « la laïcité est un enjeu politique » dont la droite républicaine, l’Union pour un Mouvement Populaire, ne peut laisser le monopole aux partis de gauche. Diagnostiquant une multiplication des demandes de reconnaissance des droits, qu’il associe « au développement du communautarisme et de l’islamisme », il appelle à une « re-politisation du thème de la laïcité qui pourrait devenir une valeur de la « droite de mai » face à une gauche qui s’est largement convertie au multiculturalisme et n’a pas su répondre au défi du communautarisme ». Le député propose, dans ce rapport intitulé « Pour une nouvelle laïcité », d’en réaffirmer les principes constitutifs, cela pour mieux « répondre au choc du 21 avril » et « relancer la dynamique républicaine »19.
9Ce que François Baroin qualifie de « nouvelle laïcité » vise à répondre à quatre grands objectifs. Le premier consiste à « réaffirmer l’importance de la laïcité dans notre société ». À cette fin, il recommande : 1) de créer un « code de la laïcité », cela pour 2) mieux la définir juridiquement, 3) en réaffirmant les principes de séparation et de neutralité, 4) qui s’imposent tout particulièrement aux agents de l’État. Le deuxième objectif est de « garantir la liberté religieuse et la liberté de conscience ». Pour l’atteindre, le député recommande : 5) de « défendre la liberté religieuse », 6) de créer une Faculté de théologie musulmane, 7) d’expérimenter un enseignement spécifique du fait religieux, ainsi que 8) de favoriser le développement des aumôneries dans les institutions publiques. Cet objectif a, troisièmement, pour corolaire la meilleure « reconnaissance de la place de la religion dans notre société ». À cette fin, le député préconise : 9) une reconnaissance « de l’apport des religions à notre culture », 10) la création d’un Conseil consultatif des religions de France, 11) l’introduction dans la législation fiscale un nouveau « don spiritualité », et 12) la réaffirmation de la primauté des services publics dans le domaine social. Le dernier et ultime objectif, celui de la « relance républicaine », s’articule autour 13) de la relance du processus d’intégration, 14) du développement de filières d’excellence dans les quartiers dits sensibles, 15) de la diversification du recrutement dans les « grandes écoles », ainsi que 16) de l’augmentation du nombre d’élus issus de l’immigration.
- 20 Pour de plus longs développements, voir David Koussens, « Expertise publique sous influence ? Rappo (...)
10Ce « projet politique » initié par le député Baroin se trouve rapidement balisé par une préoccupation dominante : la visibilité de l’islam dans la sphère publique. Il se cantonne alors principalement à la mise en œuvre de son premier objectif – la réaffirmation de l’importance de la laïcité – par la promotion d’une conception toujours plus maximaliste de la neutralité imposable à l’expression individuelle des convictions religieuses. On en trouve autant d’illustrations dans les rapports publics, travaux législatifs et décisions du Conseil d’État, de la Cour de cassation et même des juridictions européennes, qui ont alimenté les principaux débats sur la laïcité française des deux dernières décennies20 avec, toujours, la même particularité : tous ces travaux ou décisions de justice mettent la focale sur le symbole religieux.
B/ – La « nouvelle laïcité », de la synecdoque au concept analytique
- 21 Valérie Amiraux, « De l’Empire à la République : à propos de l’« islam de France » », Cahiers de re (...)
11Avec l’intervention du législateur et l’appui qui lui a été apporté par les divers degrés de juridiction, le droit se fait le vecteur de certaines représentations d’une laïcité qualifiée de « républicaine ». Ce processus s’inscrit dans un mouvement qui, depuis le début du XXIème siècle, voit se renouveler « une iconographie de la déviance à l’idéal républicain, non plus fantasmée mais incarnée dans des figures masculines et féminines typifiant les comportements considérés comme hostiles à la République »21 : les religieux musulmans.
- 22 On notera que si tous les travaux consultés associent bien aujourd’hui la « nouvelle laïcité » aux (...)
- 23 Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2014, p. 40 ; Abdellali Hajjat et Mohamm (...)
- 24 Philippe Portier, « Nouvelle modernité, nouvelle laïcité. La République française face au religieux (...)
- 25 Armelle Nugier et al., « Nouvelle laïcité en France et pression normative envers les minorités musu (...)
- 26 Stéphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin, L’affaire baby Loup ou la nouvelle laïcité, Issy-le (...)
- 27 Idem, p. 20-21.
- 28 Jacques Robert, op. cit, sous note 15 ; Maurice Barbier, op. cit, sous note 17.
- 29 Vincent Valentin, « Remarques sur les mutations de la laïcité. Mythes et dérives de la « séparation (...)
12C’est d’ailleurs au regard des politiques de régulation de l’expression des convictions en islam que la réalité d’une « nouvelle laïcité » a ensuite été discutée22 à partir d’enquêtes en sociologie23, en science politique24, en psychologie sociale25, ou de travaux juridiques26. L’important ouvrage de Stéphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin diagnostique ainsi un « vaste effort de redéfinition inconsciente ou non assumée d’un principe fondamental de la République et de l’État, retourné en un sens éminemment restrictif du point de vue de la liberté individuelle »27. Dans la lignée des premières analyses de Jacques Robert ou de Maurice Barbier au cours des années 199028, Vincent Valentin observe d’abord, un « effacement (disparition de la séparation matérielle inscrite dans le droit) [ ; ensuite, l’] affirmation (prégnance ou résurgence d’une culture antireligieuse enfouie) de traits spécifiques de la conception française de la laïcité, dans un mouvement qui remet lourdement en cause le dispositif libéral de 1905. De fait, se déploie une paradoxale « défense sous condition » de la liberté religieuse : d’un côté, reconnue comme droit fondamental, elle doit être effective et nécessite une légitime aide des pouvoirs publics ; de l’autre, potentiellement vecteur de fondamentalisme, elle devrait être surveillée et maintenue dans le cadre acceptable par la République »29.
- 30 Philippe Portier, op. cit, sous note 5.
- 31 Jean Baubérot, op. cit, sous note 4.
- 32 Philippe Portier, op. cit. sous note 5, p. 313.
13Je rejoins entièrement ces analyses. Toutefois, il me semble que si une nouvelle séquence politique puis juridique de la laïcité a bien été ouverte en 2003, il s’agit cependant d’une séquence dont il ne faudrait, me semble-t-il, trop souligner l’originalité, d’une part, ou déduire des conclusions générales, d’autre part. Premièrement, les travaux de Philippe Portier30 ou de Jean Baubérot31 ont rappelé que les aménagements laïques français se sont, tout au long du dernier siècle, inscrits dans un horizon séparatiste hérité de la Troisième République, raison pour laquelle, écrit le premier, la loi du 15 mars 2004 n’a d’ailleurs rien d’un hapax32. Mais, deuxièmement, tout en s’inscrivant dans cet horizon séparatiste, ces aménagements juridiques se sont aussi ouverts, voire combinés, avec le référentiel de la reconnaissance. Ils confinent également à entériner des formes de collaborations ou de coopérations nouvelles entre Églises et religions que caractérisent, par exemple, les désormais récurrentes discussions sur la distinction entre ce qui relève du cultuel ou du culturel. Si nouvelle séquence il y a, et aussi symbolique soit-elle, elle concerne donc principalement les conditions d’expression individuelle des convictions religieuses dans la sphère publique.
- 33 Idem, p. 311 et suivantes.
14À des fins d’analyse, le concept de « nouvelle laïcité » est pourtant opératoire, pourvu qu’il ne réduise pas la « nouveauté » des débats sociaux et politiques et des aménagements juridiques de la laïcité aux mesures relatives au port de symboles religieux. Il ne s’agit pas non plus d’inférer que de nouveaux aménagements laïques se substitueraient aux anciens, la laïcité française continuant d’expérimenter en les croisant les mêmes positionnements « juridictionnaliste », « séparatiste » et « recognitif » qui ont jalonné son histoire33. Le concept de « nouvelle laïcité » doit plutôt permettre, dans une perspective compréhensive, de saisir ces aménagements laïques contemporains dans leur multiplicité et dans leurs ambiguïtés. À cet égard, la construction idéal-typique proposée par Jean Baubérot m’apparait éclairante.
- 34 Jean Baubérot, op. cit, sous note 4, p. 35-36.
- 35 Idem, p. 56.
- 36 Idem.
- 37 Idem, p. 60.
15Le sociologue distingue d’abord des laïcités « historiques » à partir de trois entrées. Il définit premièrement un modèle de laïcité antireligieuse qui « voit la laïcité comme un moyen d’imposer une sécularisation complète. Elle considère que la véritable liberté de conscience s’acquiert par l’affranchissement, l’émancipation, le refus de la religion. Les religions ne sont donc pas mises à égalité avec d’autres convictions (…) La séparation doit tendre à supprimer l’influence sociale de la religion. La neutralité profite de fait à la religion et désertant le combat social et culturel de l’émancipation »34. Deuxièmement, une figure de laïcité gallicane traduit une forme d’intervention étatique dans l’interprétation du religieux pour « limiter la liberté de conscience dans certains lieux »35. Sont ici principalement visés ceux que l’on identifie, sans les définir, comme « intégristes » ou « fondamentalistes ». Dans ce contexte, « les combats laïques ont peu d’impact quant à la séparation, le plus souvent ils se focalisent sur l’extension de la neutralité au point que, pour une partie de l’opinion publique, laïcité et neutralité sont devenues synonymes »36. Une troisième figure de laïcité séparatiste se caractérise par « la place privilégiée [accordée à] la séparation des religions et de l’État [, ainsi qu’] un refus d’une vision antireligieuse ou gallicane »37. Cette laïcité séparatiste est inclusive lorsqu’il s’agit de garantir la liberté de conscience dans sa dimension collective, plus stricte en ce qui concerne l’expression individuelle des convictions religieuses. On en retrouve de nombreuses expressions dans les débats contemporains, à l’instar de ceux portant sur le port du foulard, tant en 1989 que depuis 2003.
- 38 Idem, p. 20.
- 39 Idem, p. 87 et suivantes.
- 40 Telle que définie dans Jean Baubérot et Micheline Milot, Laïcités sans frontières, 2011, Paris, Le (...)
- 41 Idem, p. 113 et suivantes.
- 42 Voir dans cette perspective Jean-Paul Willaime, Le retour du religieux dans la sphère publique. Ver (...)
- 43 Jean Baubérot, op. cit, sous note 4, p. 103 et suivantes.
- 44 Idem, p. 119.
- 45 Conseil constitutionnel, Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion (...)
16Mais, si les débats d’aujourd’hui s’articulent à partir de répertoires hérités du passé, ils puisent aussi dans des référents absents des discussions entourant l’adoption de la loi de 1905. Jean Baubérot évoque ici des « nouvelles laïcités »38. Une première figure, celle de la « laïcité ouverte »39, se situe aux confluents d’une « laïcité de reconnaissance » des droits fondamentaux et plus particulièrement de la liberté de conscience40, et d’une « laïcité de collaboration41 », où la religion peut être perçue comme une « ressource dans une société post-séculière42 » justifiant, le cas échéant, la reconnaissance de son utilité publique. Une deuxième figure, la « laïcité identitaire », se construit en réaction à l’islam43. Traduisant un faible degré de neutralité de l’État et limitant la liberté de religion des citoyens, cette laïcité prône par ailleurs « une forte extension de l’obligation de neutralité aux individus ». Elle se révèle dès lors inégalitaire car elle impose des conditions restrictives aux expressions des convictions en islam, mais valorise dans le même mouvement le catholicisme en tant que composante de l’identité nationale. Une dernière figure, souvent oubliée des débats publics hexagonaux, correspond à une « laïcité concordataire44 » procédant d’une légitimation, par le Conseil constitutionnel45, du logiciel issu du régime concordataire sur certaines parties du territoire français.
- 46 Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, 2003 [1904], Paris, Gallimard, p. 196.
- 47 Cécile Vigour, La comparaison dans les sciences sociales. Pratiques et méthodes, 2005, Paris, La Dé (...)
17On rappellera que les figures présentées ci-dessus ne sont autres qu’idéal-typiques, c’est-à-dire qu’elles procèdent de la sélection de certains traits de phénomènes sociaux, politiques et juridiques, dont les caractéristiques ont été accentuées à des fins de modélisation46. Elles ne peuvent donc pas trouver de correspondances parfaites dans les réalités sociale, politique et juridique. Elles n’en sont que des outils de compréhension. Pertinents pour mettre en lumière la multiplicité des aménagements laïques dans le cadre national français, ils le sont également dans une perspective de comparaison. Nécessitant un effort préalable d’abstraction, l’idéal-type permet en effet de procéder à des généralisations transposables dans différents contextes. Il a, dans une comparaison, une fonction heuristique de mesure de la réalité et une fonction explicative « par la mise en évidence de régularités ou de tendances de changements »47. Sans procéder à ce que l’on qualifie de « comparaison subjective », je propose désormais d’observer, à partir des outils présentés plus haut, certains des débats et aménagements juridiques laïques les plus récents au Québec. Ce positionnement s’inscrit dans une optique wébérienne, ma démarche ne visant pas à déterminer des contenus normatifs, mais à dégager des facteurs distinctifs et des éléments de causalité qui caractérisent les phénomènes sociaux, politiques et juridiques observés.
2°/ – Des « nouvelles laïcités » québécoises ?
- 48 Il s’agit d’une controverse ayant émergé d’une décision de la Cour suprême du Canada qui validait l (...)
- 49 Samuel Dalpé et David Koussens, « Les discours sur la laïcité pendant le débat sur la « Charte des (...)
- 50 Assemblée nationale, Projet de loi n° 60 : Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité (...)
- 51 Assemblée nationale, Loi n° 62 : « Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État (...)
18Ce n’est que depuis la controverse sur les accommodements raisonnables en 200648 que le mot laïcité a été popularisé et a rencontré une première notoriété publique au Québec. Bien qu’employé dans plusieurs rapports publics ou travaux savants au cours des années 1990, il entre dans l’usage public dans des contextes de tensions liées à la visibilité d’expression des convictions religieuses dans la sphère publique49. Sans ne l’avoir jamais vraiment quitté depuis le milieu des années 2000, le mot laïcité rejaillit fortement dans le débat québécois en 2013 avec l’annonce par le ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne du Québec d’un projet de « Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement » (communément appelée « Charte des valeurs de la laïcité »)50. Le mot « laïcité » est enfin largement mobilisé lors des discussions entourant l’adoption le 18 octobre 2017 de la loi n° 62 « favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes »51. Dans ces débats qui opposent les partisans d’une « laïcité ouverte » et ceux de « la laïcité tout court », chacun organise son argumentaire à partir d’une histoire de la laïcité, appréhendée sur un plan principalement juridique pour les uns, sociétal – et confinant de ce fait au processus de sécularisation de la province –, pour les autres (A). Ces argumentaires favorisent l’émergence de « nouvelles laïcités » québécoises qui trouvent progressivement correspondance dans le dispositif juridique. En témoigne la pluralité des conceptions de la « laïcité ouverte » dont le droit se fait aujourd’hui l’écho (B).
A/ – « Laïcité ouverte » et « laïcité tout court »
- 52 Gérard Bouchard et Charles Taylor, Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation. Rapport, 2008, Qué (...)
- 53 L’expression avait été préalablement employée dans un rapport public publié en 1999 dans le context (...)
- 54 Gérard Bouchard et Charles Taylor, op. cit, sous note 52, p. 20.
19Deux ans après le début de la controverse sur les accommodements raisonnables, la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (Commission Bouchard-Taylor) rend un rapport dans lequel elle définit les contours contemporains de la laïcité au Québec. S’appuyant sur le parcours historico-juridique de la laïcité, le rapport refuse d’en proposer une conception substantiviste, mais en énonce des principes constitutifs. Il indique que l’égalité et la liberté de conscience et de religion correspondent aux finalités que doit poursuivre un État laïque. Pour y parvenir, l’État doit prendre les moyens adéquats, soit être séparé des Églises et faire preuve de neutralité à l’égard des conceptions de la vie bonne qui coexistent dans la société52. Selon cette lecture, le rapport Bouchard-Taylor promeut une « laïcité ouverte53 » qui « vise à mettre en valeur les finalités profondes de la laïcité (principes n° 1 et 2) en définissant les structures institutionnelles (principes n° 3 et 4) en fonction de ce but ». C’est là, selon le rapport, « la voie que le Québec a empruntée historiquement »54.
- 55 J’ai plus longuement développé mon propos dans : David Koussens, « Une mise en scène nationaliste d (...)
- 56 Micheline Milot, Laïcité dans le nouveau monde : le cas du Québec, 2002, Turnhout, Brepols, coll « (...)
- 57 Cet article dispose que » tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés et imposés par la loi d (...)
- 58 Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54, [2007] 3 R.C.S. 607.
- 59 Boucher c. La Reine, [1951] R.C.S. 265 ; Saumur c. Ville de Québec, [1953] 2.R.C.S. 299.
- 60 Chaput c. Romain, [1955] S.C.R. 834 ; R c. Big M Drug Mart, [1985], 1. R.C.S. 295, 397.
- 61 Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S (...)
20En effet, si l’on considère souvent que les principes de liberté de conscience et de religion et d’égalité morale des citoyens bénéficient d’une effectivité réelle depuis leur inscription dans la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, leurs fondements sont pourtant non seulement multiples, mais aussi souvent antérieurs à l’enchâssement de ces principes au plus haut niveau du droit positif55. Il en est de même pour le principe de séparation des Églises et de l’État qui émerge dès la seconde moitié du XVIIIème siècle, soit assez tôt dans l’histoire du Canada : d’une part, la séparation entre les fonctions politiques et religieuses s’amorce notamment avec l’adoption de l’Acte constitutionnel de 1791 qui limite l’exercice de certains droits civils des membres des clergés aussi bien catholique qu’anglican56 ; d’autre part, l’affirmation de l’absence de religion d’État découle déjà implicitement de la Loi constitutionnelle de 1867 qui, outre les dispositions de son article 93-257, demeure globalement muette sur la question religieuse, tout comme l’a ensuite été la Loi constitutionnelle du 28 juin 1871 sur l’Amérique du Nord britannique. Dans ce contexte, et comme elle l’avait d’ailleurs rappelé dans la décision Bruker c. Marcovitz du 14 décembre 200758, la Cour suprême du Canada s’est toujours fondée sur cette tradition constitutionnelle pour contribuer au processus de laïcisation de l’État et de ses institutions en affirmant la constitutionnalité de la liberté de conscience et de religion59 dont l’absence de religion d’État60 et la neutralité de l’État à l’égard des confessions sont les corolaires61.
- 62 Gérard Bouchard et Charles Taylor, op. cit, sous note 52, p. 141.
- 63 Idem, p. 148.
21C’est dans cette même tradition « libérale et inclusive »62, que le rapport Bouchard-Taylor inscrit donc la « laïcité ouverte », précisant toutefois que celle-ci ne « sacrifie pas [pour autant] la séparation de l’État et de l’Église et la neutralité de l’État envers les religions au profit de la liberté de religion des croyants. Elle en offre plutôt une interprétation qui permet d’atteindre une plus grande compatibilité entre les deux finalités »63. Pour cette raison, le rapport préconise le retrait du crucifix ornant le salon bleu de l’Assemblée nationale du Québec, celui-ci traduisant de fait un faible degré de séparation des Églises et de l’État.
- 64 Pour une présentation des acteurs des débats laïques au Québec, voir : Guillaume Lamy, Laïcité et v (...)
- 65 Joseph-Yvon Thériault, « Entre républicanisme et multiculturalisme : la commission Bouchard-Taylor, (...)
- 66 Jacques Beauchemin, « La notion de diversité comme lieu commun », dans Bernard Gagnon (dir.), La di (...)
- 67 Micheline Milot, « Prise en compte des réalités religieuses par les institutions publiques et respe (...)
- 68 Guy Rocher, « La laïcité pour le Québec : quelques arguments », dans Daniel Baril et Yvan Lamonde ( (...)
- 69 Déclaration des intellectuels pour la laïcité, « Pour un Québec laïque et pluraliste », Le Devoir, (...)
- 70 Daniel Baril et Yvan Lamonde, « L’attentisme a assez duré », dans Daniel Baril et Yvan Lamonde (dir (...)
- 71 Idem, p. 2.
- 72 Guy Rocher, « La laïcité tout court », La Presse, 6 novembre 2010, en ligne : http://www.lapresse.c (...)
- 73 Samuel Dalpé et David Koussens, op. cit, sous note 49.
- 74 Louise Mailloux, La laïcité ça s’impose ! La laïcité québécoise, un projet inachevé et menacé, Mont (...)
- 75 Christian Lamontagne, Nation et laïcité. Perspectives sur un monde qui change, 2013, Montréal, Libe (...)
- 76 Caroline Beauchamp, Pour un Québec laïque, 2011, Québec, Presses de l’Université Laval, 160 p.
- 77 Daniel Turp, « L’adoption et la mise en œuvre d’une Charte québécoise de la laïcité », dans Micheli (...)
22La conception de la laïcité proposée par le rapport Bouchard-Taylor a été endossée par plusieurs penseurs, principalement libéraux64. Elle a aussi fait l’objet de vives critiques. Pour certains, en ne se concentrant que sur les aménagements juridiques de la laïcité, le rapport aurait mésinterprété l’expérience historique particulière de la majorité franco-québécoise65 au profit d’une naturalisation de la « diversité sociale »66. Pour d’autres, le rapport serait trop complaisant à l'égard des croyants (demandeurs d’accommodements) qui, n’agissant que comme des ayants droit, profiteraient de la tradition d’interprétation libérale de la Charte des droits et libertés par la Cour suprême du Canada pour obtenir gain de cause dans leurs revendications religieuses et, finalement, promouvoir leurs identités particulières à des fins communautaristes, plutôt que d’intégration dans l’espace politique. Dans cette perspective, les croyants auraient même un « avantage » sur les non-croyants dans un conflit de normes67, au mépris de tout respect de l’obligation de neutralité pourtant impartie à l’État. La « laïcité ouverte » détournerait ainsi un concept de laïcité « authentique »68. Plus encore, elle serait une « négation de la laïcité de l’État (…) ne respect[ant] pas les principes structurants de la laïcité que sont la séparation du religieux et de l’État et la neutralité de ce dernier »69. Face à cet « attentisme »70 au regard d’un retour du religieux dans la société, on en appelle à une laïcité « sans adjectif »71, à une « laïcité tout court », à « la laïcité, point ! »72. Cette conception de la laïcité trouve rapidement écho dans la sphère médiatique73, tout en étant soutenue dans plusieurs articles ou essais philosophiques74, politiques75 ou juridiques76. Le constitutionnaliste et ancien député du Parti québécois Daniel Turp en tentera même une formalisation juridique en rédigeant un projet de « Charte québécoise de la laïcité »77.
- 78 Assemblée Nationale, Projet de loi n° 60 : Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité (...)
23C’est toutefois le 10 septembre 2013, alors que le gouvernement québécois présente un projet législatif de « Charte des valeurs de la laïcité », que cette conception de la laïcité va acquérir un poids symbolique et une légitimité d’autant plus forts dans le débat public. Le projet de loi78 propose premièrement de modifier la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, une charte à valeur supra-législative adoptée en 1975 par l’Assemblée nationale du Québec. Y seraient affirmés la séparation des religions et de l’État, le principe de neutralité de l’État ainsi que le caractère laïque des institutions québécoises. Y serait également précisé que les droits et libertés consacrés dans la Charte doivent s’exercer dans le respect des principes précités et que la Charte doit prendre en compte l’existence « des éléments emblématiques et toponymiques du patrimoine culturel du Québec, qui témoignent de son parcours historique », à l’instar des symboles de l’héritage catholique de la Province. L’accommodement raisonnable serait par ailleurs mieux défini et balisé. La « Charte des valeurs de la laïcité » souhaite, deuxièmement, imposer un devoir de réserve et de neutralité religieuse pour le personnel de l’État dans l’exercice de ses fonctions, cela afin de refléter la neutralité de l’État et sa séparation des religions. Elle propose, troisièmement, « d’interdire le port de signes religieux facilement visibles et ayant un caractère démonstratif pour le personnel de l’État dans l’exercice de ses fonctions ». Le port de signes qualifiés d’ostentatoires y est considéré comme revêtant en soi un aspect de prosélytisme passif incompatible avec une neutralité effective de l’État. Un quatrième point vise à affirmer que les services de l’État doivent être délivrés et reçus à visage découvert. Un cinquième point indique enfin que chaque ministère, institution publique ou établissement public, devrait adopter un cadre clair dans lequel les demandes d’accommodements de nature religieuses seraient traitées. Ce projet de loi ne sera toutefois pas adopté, à la suite de l’échec du Parti québécois alors au pouvoir aux élections législatives de septembre 2014.
- 79 Daniel Baril et Yvan Lamonde, op. cit, sous note 70, p. 2.
- 80 Voir notamment Daniel Baril, « Les prières municipales, des rituels identitaires qui ne sont pas à (...)
24Depuis la douzaine d’années que les enjeux de laïcité émaillent l’actualité québécoise, deux principales conceptions s’opposent, une « laïcité ouverte », d’une part, une « laïcité tout court », sans adjectif, mais néanmoins « d’inspiration républicaine »79, d’autre part. Leur omniprésence dans le débat public en fait des réalités sociologiques nouvelles. On peut comprendre ces catégories discursives, tout comme leurs assises empiriques, en mobilisant les idéaux-types de la laïcité présentés plus haut. À cet égard, la « laïcité tout court », dont les arguments se sont principalement développés en réaction aux expressions de foi en islam, se situe aux confluents d’une « laïcité séparatiste » et d’une « laïcité gallicane ». Mais elle ne peut les rejoindre pleinement, cela parce que l’anticléricalisme qui la supporte dépasse le seul islam, réclamant l’éradication de toute forme d’expression du religieux dans la sphère publique80. À cet égard, le projet de « Charte des valeurs de la laïcité » ne pouvait donc pleinement satisfaire les tenants de cette conception de la laïcité. Confinant à la « laïcité identitaire », il contribuait en effet à patrimonialiser des symboles religieux chrétiens pour en justifier la présence dans les institutions publiques, au risque de se mettre en porte-à-faux avec le principe de séparation des Églises et de l’État.
25L’usage social de la « laïcité ouverte », dans la foulée de la proposition du rapport Bouchard-Taylor, ne rejoint que partiellement la figure idéal-typique du même nom. On y retrouve certainement les linéaments des principes libéraux de reconnaissance. Toutefois, la valorisation de l’utilité sociale de la religion, ou d’une religion en particulier, pour en justifier le statut distinctif dans la sphère publique, y est absente. Et pourtant, cette conception a bien influencé certains des aménagements juridiques récents de la laïcité québécoise, ceux-ci témoignant en effet de la pluralité des interprétations de la « laïcité ouverte » dans le droit.
B/ – Quelles « laïcités ouvertes » en droit ?
26Deux moments juridiques récents permettent d’illustrer les diverses conceptions de « laïcité ouverte » dont le droit se fait le vecteur. Le premier concerne l’expression collective des convictions et renvoie à la jurisprudence relative à la récitation de prières lors de l’ouverture des séances de certains conseils municipaux québécois. Le second a trait aux débats entourant l’adoption de la loi n° 62 du 18 octobre 2017 et touche aux conditions d’expression individuelle de la liberté de conscience et de religion.
- 81 Pour plus de développement sur les récitations de prières et présence de crucifix dans les institut (...)
- 82 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Laval (Ville de), 2006 QCTDP 1 (...)
- 83 Simoneau c. Tremblay, 2011 QCTDP 1 (CanLII).
- 84 Stéphane Bernatchez et Marie-Pierre Robert, « Canada : l’école peut enseigner la religion, mais le (...)
27Jusqu’en 1976, les séances de travail des députés de l’Assemblée nationale du Québec étaient ouvertes par la lecture d’une prière81. Alors même qu’ils avaient adopté le 1er avril 1972 un règlement supprimant ce cérémonial, les députés en avaient pourtant perpétué la pratique et ce n’est que sous l’initiative individuelle du député Richard le 14 décembre 1976 que la lecture de la prière a pris fin. En l’absence de texte de loi interdisant la prière dans les institutions publiques québécoises – le seul texte juridique existant étant ce règlement du 1er avril 1972 spécifique à l’Assemblée nationale du Québec – cette pratique rituelle a longtemps perduré dans certaines municipalités. Le Tribunal des droits de la personne du Québec, dans une décision du 22 septembre 200682, décide pourtant de l’interdire, jugeant qu’elle contrevient directement aux principes d’égalité et de liberté de conscience et de religion respectivement garantis par les articles 10 et 3 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés. Une position similaire est adoptée dans une décision du 9 février 2011 relative à la ville de Saguenay83, le tribunal précisant que la récitation de la prière relève de l’exercice d’une pratique à caractère religieux qui contrevient à l’obligation de neutralité de l’État84.
- 85 Solange Lefebvre, « Des cours ontariennes ont dit oui à la prière, dans une perspective intercultur (...)
28À ce stade, la jurisprudence renvoie à une figure de « laïcité ouverte » de reconnaissance, qui s’appuie sur les principes de neutralité et de séparation des Églises et de l’État pour mieux garantir la liberté de conscience et de religion, et dans ce cas, celle du non-croyant. Il s’agit d’une position à laquelle s’oppose la théologienne Solange Lefebvre qui conteste la discrimination résultant de la récitation de la prière. Prenant part activement au débat, elle regrette que « les partisans d’une « laïcité ouverte » [soient] en général plutôt favorables aux expressions individuelles et minoritaires de la religion, et réfractaires aux expressions religieuses dites majoritaires »85. C’est à une autre « laïcité ouverte » qu’elle en appelle alors : celle-ci rejoindrait un modèle de laïcité de collaboration (l’auteure réfère directement au discours du président de la République française Nicolas Sarkozy au Palais du Latran le 20 décembre 2007), voire de laïcité concordataire (elle évoque notamment les relations particulières que l’État français entretient avec « ses colonies », probablement les territoires d’outre-mer).
- 86 Saguenay (Ville de) c. Mouvement laïque québécois, 2013 QCCA 936.
- 87 Idem, au para. 98.
- 88 Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16.
- 89 Idem, au para. 78.
29Une telle conception de la laïcité trouvera partiellement écho dans la décision de la Cour d’appel du 27 mai 201386. Le juge Gagnon estime ainsi que la neutralité de l’État « n'exige pas que la société doive être aseptisée de toute réalité confessionnelle, y compris de celle qui relève de son histoire culturelle. D'ailleurs, sur ce plan, il faut reconnaître que certaines des valeurs historiques de la société québécoise demeurent toujours compatibles avec des valeurs actuelles dites neutres et universelles ». Il ajoute : « Est-ce que ce concept [de neutralité] dans son sens large signifie que toute référence à des normes de conduite d'origine morale doit être en rupture avec les repères historiques d'une société, y incluant ses traditions religieuses ? Je ne le crois pas87 (…) il existe des indications sérieuses qui permettent d'écarter la thèse de la laïcité tous azimuts ». Mais c’est finalement vers une « laïcité ouverte » de reconnaissance que se tourne la Cour suprême le 15 avril 201588. Sous la plume du juge Gascon, les juges majoritaires considèrent que : « contrairement à ce que suggère la Cour d’appel, je ne crois pas que l’obligation de l’État de demeurer neutre en matière religieuse soit conciliable avec une bienveillance qui lui permettrait d’adhérer à une croyance religieuse (…) Si, sous le couvert d’une réalité culturelle, historique ou patrimoniale, l’État adhère à une forme d’expression religieuse, il ne respecte pas son obligation de neutralité. Quand cette expression religieuse crée, en outre, une distinction, exclusion ou préférence qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice de la liberté de conscience et de religion, une discrimination existe »89.
- 90 Assemblée nationale, Loi n° 62, op. cit, sous note 51.
- 91 Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears [1985] 2 RCS 536.
30Plus récemment, une même position de « laïcité ouverte » de reconnaissance procède des dispositions de la loi n° 62 du 18 octobre 2017. L’article 1er de la loi codifie le principe de neutralité, cela « afin d’assurer à tous un traitement respectueux des droits et libertés qui leur sont reconnus, incluant la liberté de religion des membres du personnel des organismes publics »90. Condition d’une effective liberté de conscience et de religion, la neutralité est une obligation qui s’incarne dans l’exercice de la mission du fonctionnaire, le conformisme vestimentaire ne pouvant laisser présager de sa neutralité, ni le port d’un symbole religieux de son impartialité. L’article 4 précise qu’elle s’impose au « personnel des organismes publics », se traduisant par « le devoir (…) d’agir, dans l’exercice de leurs fonctions, de façon à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l’appartenance ou non de cette dernière à une religion, ni en raison de leurs propres convictions ou croyances religieuses ou de celles d’une personne en autorité ». La Section III de la loi consacrée aux accommodements pour motifs religieux ne s’éloigne pas non plus d’une posture libérale de reconnaissance. Sans ajouter au droit, les articles 11 et suivants de la loi ne font en effet que rappeler le dispositif existant – les pratiques d’accommodements raisonnables sont balisées par la jurisprudence depuis plus de trente ans91 –, contribuant certainement à convaincre l’opinion publique d’une démarche proactive du gouvernement dans la gestion de ce qui est perçu comme un « problème » de nature religieuse. Car si la loi semble en effet s’imposer à l’agenda gouvernemental, c’est en raison de la persistance d’une représentation tenace selon laquelle des demandes déraisonnables continueraient d’obtenir gain de cause dans de nombreuses institutions publiques, attentant par là même à la neutralité de leur action.
- 92 Ministère de la justice, Principes d’application, Loi favorisant le respect de la neutralité religi (...)
- 93 Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, JO (...)
31On soulignera en effet que trois ans après les vifs débats sur le projet de « Charte des valeurs de la laïcité » du gouvernement du Parti québécois, le Parti libéral désormais au pouvoir n’est pas resté sourd face aux potentiels malaises et inconforts que peut susciter la visibilité de certaines expressions du religieux dans les interactions de la vie quotidienne. Ainsi, l’article 10 de la loi dispose qu’« un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert (…) De même, une personne à qui est fourni un service par un membre du personnel d’un organisme [public] doit avoir le visage découvert lors de la prestation du service ». Aucune enquête n’a à ce jour documenté la présence de fonctionnaires portant le voile intégral ou de problème en lien avec le port du voile intégral par des usagers du service public. Pourtant, tant les travaux menés en commission parlementaire que les débats tenus à l’Assemblée nationale du Québec confirment que la mesure vise bien directement ce symbole religieux. Les principes d’application de la loi publiés par le ministère de la Justice le 24 octobre 2017 précisent même que si les dispositions précitées avaient pour objectifs des considérations liées à l’ordre public, elles visaient également un principe de « qualité des communications entre les personnes », ce dernier objectif s’inscrivant dans le respect « du bien-être général des citoyens du Québec »92. Non sans rappeler certains des arguments mobilisés en France lors de l’adoption de la Loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public93, cette disposition donne corps à des représentations culturalistes posant les femmes portant le voile intégral comme « altérité » au regard d’un système de valeurs occidentales. Elle ancre dans le droit positif, et cela pour la première fois au Québec, une conception gallicane de la laïcité particulièrement restrictive au regard de la liberté de conscience et de religion. Aujourd’hui la constitutionnalité de la loi est contestée devant les tribunaux. Toutefois, quelle que soit l’issue du processus juridictionnel désormais en cours, ce nouvel épisode reste révélateur de nouveaux déplacements de la laïcité dont les principes de justice ne sont plus les principaux fondements. Enjeu de marketing gouvernemental ? Peut-être. Si tel est le cas, l’on ne sait alors s’il s’agit de réconfort (qui l’eut cru ?), ou un regain d’inquiétude que l’on trouvera à la lecture de 99 francs, ouvrage de l’écrivain Frédéric Beigbeder : « L’avantage avec la nouveauté, c’est qu’elle ne reste jamais neuve. Il y a toujours une nouvelle nouveauté pour faire vieillir la précédente ».
Notes
1 Je remercie tout particulièrement Stéphanie Hennette Vauchez pour sa lecture et pour le dialogue engagé dans le présent dossier. Ses commentaires alimentent indéniablement une réflexion toujours en cours. Ils m’amènent aussi à une précision, nos positions étant en réalité bien plus proches que notre discussion sur la notion de « nouvelle laïcité » ne pourrait a priori le laisser penser. Mon propos est certes fortement critique des discours publics ou analyses juridiques que Stéphanie Hennette Vauchez qualifie de « prescriptifs » et qui jalonnent le débat depuis près de 30 ans sur une/des « nouvelle(s) laïcité(s) ». Il est cependant plus nuancé pour ce qui concerne l’analyse juridique « descriptive ». Ce n’est donc pas tant la pertinence d’une telle démarche d’analyse juridique de la laïcité, pas plus que l’emploi du qualificatif « nouveau/nouvelle » dans la désignation de certains aménagements juridiques récents de la laïcité que mon texte vise, pourvu que cet emploi ne renvoie pas uniquement à la question de l’expression individuelle des convictions religieuses. Je rejoins entièrement l’idée selon laquelle il y aurait une « nouvelle laïcité » juridique française sur cet objet précis depuis 2004. Sans pouvoir être qualifiés d’épiphénomènes, tant ils prennent en importance au fil des jurisprudences nationales (voire européennes) successives, ces aménagements juridiques ne reflètent cependant qu’une « nouvelle laïcité » parmi d’autres. Car s’il n’y a pas de « laïcité » au singulier, il n’y a pas non plus de « nouvelle laïcité » au singulier, mais bien des « nouvelles laïcités ». C’est à cet égard que les outils d’analyse sociologique, et plus particulièrement ceux qui ont été proposés à ce jour, m’apparaissent compléter (et non pas supplanter) ceux offerts par les sciences juridiques. En croisant les approches, on évite une essentialisation procédant d’une démarche dont l’objectif n’est certes pas prescriptif, mais dont les effets tendent néanmoins à associer la laïcité à des aménagements juridiques particuliers. Comme Stéphanie Hennette Vauchez le montre dans ses nombreux travaux, la laïcité française est plurielle et complexe. Mais le débat public ignore cette complexité et les multiples réalités juridiques de la laïcité sont souvent éclipsées par la seule question du port de symboles religieux, entretenant l’idée selon laquelle la laïcité française serait de plus en plus fermée (il s’agirait même quasiment de la nature propre à une laïcité qualifiée de « républicaine ») à des expressions du religieux qu’elle contribue pourtant aussi à protéger.
2 Cécile Laborde, Liberalism’s Religion, Cambridge : Harvard University Press, 2017, 344 p. ; Jocelyn Maclure et Charles Taylor, Secularism and Freedom of conscience, Cambridge : Harvard University Press, 2011, 160 p.
3 Mathilde Philipp-Gay, Droit de la laïcité, Paris : Ellipses, 2016, 288 p. ; David Koussens, L’épreuve de la neutralité. La laïcité française entre droits et discours, Bruxelles, Bruylant, 2015, 211 p.
4 Craig J. Calhoun, Mark Juergensmeyer, et Jonathan VanAntwerpen, 2011, Rethinking Secularism, New York : Oxford University Press, 328 p. ; Michael Warner, Jonathan VanAntwerpen et Craig J. Calhoun, 2010, Varieties of Secularism in a Secular Age, Harvard University Press, 352 p. ; Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises, 2015, Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme, 176 p. ; Jean Baubérot, Micheline Milot et Philippe Portier, Laïcité, laïcités. Reconfigurations et nouveaux défis, Paris, Édition de la Maison des sciences de l’homme, 2014, 397 p.
5 Philippe Portier, L’État et les religions en France. Une sociologie historique de la laïcité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, 368 p.
6 Françoise Lorcerie, « la République aime l’école », Cosmopolitiques, 2007, no 16, p. 109.
7 Idem.
8 Je reprends ici le titre d’une note critique de Françoise Champion débattant de plusieurs travaux sur la laïcité commis entre 1988 et 2001, voir Françoise Champion, « La laïcité n’est plus ce qu’elle était », Archives de sciences sociales des religions, 2001, vol. 116, p. 41-52.
9 Avis du Conseil d’État portant sur la question de savoir si le port de signes d’appartenance à une communauté religieuse est ou non compatible avec le principe de laïcité, Assemblée générale (section de l’intérieur), 27 novembre 1989, n° 346893.
10 Pierre Tournemire, « La Ligue de l’enseignement et la laïcité : un même chemin », dans Jean Baubérot, Micheline Milot et Philippe Portier, op. cit, sous note 4, p. 33-43.
11 Étienne Balibar, « Faut-il qu’une laïcité soit ouverte ou fermée ? », Mots, n° 27, juin 1991, p. 73-80 ; Jean Baubérot, « L’affaire des foulards et la laïcité à la française », L’Homme et la société, n° 120, 1996, p. 13-14.
12 Dans cette perspective, ce n’est qu’à partir de 1992, dans sa fonction contentieuse, que le Conseil d’État ajoute au droit, voir CE, 2 novembre 1992, Kherouaa, n° 130394.
13 Jean-Paul Costa et Jean Marcou, « Le Conseil d’État, le droit public français et le « foulard » », Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, 1995, vol. 19, en ligne : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cemoti/1688.
14 Pierre Fiala, « Les termes de la laïcité. Différenciation morphologique et conflits sémantiques », Mots, n° 27, juin 1991, p. 52.
15 Voir Étienne Balibar, op. cit, sous note 11, p. 74. On notera toutefois que de rares contributions évoquent également l’opposition entre « nouvelle laïcité » et « laïcité traditionnelle » dans le cadre des débats sur le phénomène sectaire au cours des années 1990, voir notamment Jacques Robert, « La liberté religieuse », Revue internationale de droit comparé, 1994, vol. 46, n° 2, p. 629-644.
16 Voir en particulier « Le vocabulaire de la laïcité de Guizot à Ferry », thèse en Histoire et civilisations soutenue par Mayyada Kheir en janvier 2014 à l’EHESS.
17 Maurice Barbier, « Esquisse d’une théorie de la laïcité », Le Débat, 1993, vol. 5, n° 77, p. 64-76.
18 Pierre Fiala, op. cit, sous note 14, p. 55-56 ; Simone Bonnafous, « Quand la presse catholique parle de « laïcité » », Mots. Les langages du politique, 1991, vol. 27, p. 66-67.
19 Baroin, François, Pour une nouvelle laïcité. Rapport, 2003, en ligne : http://www.voltairenet.org/rubrique506.html.
20 Pour de plus longs développements, voir David Koussens, « Expertise publique sous influence ? Rapports publics français et québécois relatifs à l’expression individuelle des convictions religieuses dans les institutions publiques », Archives de sciences sociales des religions, 2011, vol. 55, p. 61-79.
21 Valérie Amiraux, « De l’Empire à la République : à propos de l’« islam de France » », Cahiers de recherche sociologique, 2008, n° 46, p. 54.
22 On notera que si tous les travaux consultés associent bien aujourd’hui la « nouvelle laïcité » aux évolutions juridiques relatives aux conditions d’expression individuelle des croyances dans la sphère publique, ceux de Guy Haarscher font toutefois exception. L’auteur continue en effet d’utiliser l’expression « nouvelle laïcité » dans les mêmes termes que ceux du débat de 1989, la qualifiant d’« ouverte » en opposition à une laïcité « traditionnelle », voir Guy Haarscher, La laïcité, Paris, Presses universitaires de France, coll. Que sais-je, 2017 [1996], p. 82 et suivantes.
23 Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2014, p. 40 ; Abdellali Hajjat et Mohammed Marwan, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman » ?, Paris, La Découverte, 2013. p. 147.
24 Philippe Portier, « Nouvelle modernité, nouvelle laïcité. La République française face au religieux (1880-2009) », Estudos de religio, 2011, vol. 25, n° 41, p. 43-56.
25 Armelle Nugier et al., « Nouvelle laïcité en France et pression normative envers les minorités musulmanes », International Review of Social Psychology, 2016, vol. 29, n° 1, p. 15-30.
26 Stéphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin, L’affaire baby Loup ou la nouvelle laïcité, Issy-les-Moulineaux, LGDJ, coll. Exégèses, 2014, 115 p.
27 Idem, p. 20-21.
28 Jacques Robert, op. cit, sous note 15 ; Maurice Barbier, op. cit, sous note 17.
29 Vincent Valentin, « Remarques sur les mutations de la laïcité. Mythes et dérives de la « séparation » », Revue des droits et libertés fondamentaux, 2016, chron. 14, en ligne : http://www.revuedlf.com/droit-administratif/remarques-sur-les-mutations-de-la-laicite-mythes-et-derives-de-la-separation/.
30 Philippe Portier, op. cit, sous note 5.
31 Jean Baubérot, op. cit, sous note 4.
32 Philippe Portier, op. cit. sous note 5, p. 313.
33 Idem, p. 311 et suivantes.
34 Jean Baubérot, op. cit, sous note 4, p. 35-36.
35 Idem, p. 56.
36 Idem.
37 Idem, p. 60.
38 Idem, p. 20.
39 Idem, p. 87 et suivantes.
40 Telle que définie dans Jean Baubérot et Micheline Milot, Laïcités sans frontières, 2011, Paris, Le Seuil, coll. La couleur des idées, p. 110.
41 Idem, p. 113 et suivantes.
42 Voir dans cette perspective Jean-Paul Willaime, Le retour du religieux dans la sphère publique. Vers une laïcité de reconnaissance et de dialogue, 2008, Lyon, Éditions Oliviétan, p. 36.
43 Jean Baubérot, op. cit, sous note 4, p. 103 et suivantes.
44 Idem, p. 119.
45 Conseil constitutionnel, Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, JORF du 23 février 2013 page 3110, en ligne : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2013/2012-297-qpc/decision-n-2012-297-qpc-du-21-fevrier-2013.136084.html
46 Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, 2003 [1904], Paris, Gallimard, p. 196.
47 Cécile Vigour, La comparaison dans les sciences sociales. Pratiques et méthodes, 2005, Paris, La Découverte, p. 78.
48 Il s’agit d’une controverse ayant émergé d’une décision de la Cour suprême du Canada qui validait les conditions dans lesquelles un accommodement raisonnable était consenti à un jeune sikh portant le kirpan rituel dans l’enceinte de son établissement scolaire. Voir Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256.
49 Samuel Dalpé et David Koussens, « Les discours sur la laïcité pendant le débat sur la « Charte des valeurs de la laïcité ». Une analyse lexicométrique de la presse francophone québécoise, Recherches sociographiques, vol. LVII, n° 2-3, p. 456.
50 Assemblée nationale, Projet de loi n° 60 : Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement, en ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-60-40-1.html.
51 Assemblée nationale, Loi n° 62 : « Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes », en ligne : http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2017C19F.PDF.
52 Gérard Bouchard et Charles Taylor, Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation. Rapport, 2008, Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Gouvernement du Québec, p. 135-137.
53 L’expression avait été préalablement employée dans un rapport public publié en 1999 dans le contexte du processus de déconfessionnalisation du système scolaire, voir : Groupe de travail sur les religions à l’école, Laïcité et religions. Perspective nouvelle pour l’école québécoise, 1999, Québec, Les Publications du Québec, 282 p.
54 Gérard Bouchard et Charles Taylor, op. cit, sous note 52, p. 20.
55 J’ai plus longuement développé mon propos dans : David Koussens, « Une mise en scène nationaliste de la laïcité en porte-à-faux avec la réalité des aménagements laïques canadiens : éléments du débat québécois », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, 2013, numéro thématique SoDRUS, p. 183-204.
56 Micheline Milot, Laïcité dans le nouveau monde : le cas du Québec, 2002, Turnhout, Brepols, coll « Bibliothèque de l’École Pratique des hautes Études/Sorbonne », p. 49-50.
57 Cet article dispose que » tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés et imposés par la loi dans le Haut-Canada, lors de l'union, aux écoles séparées et aux syndics d'écoles des sujets catholiques romains de Sa Majesté, seront et sont par la présente étendus aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques romains de la Reine dans la province de Québec ». Son champ d’application devait alors être limité, mais son interprétation extensive par les autorités religieuses catholiques et protestantes a eu pour effet de leur concéder un droit dans l’aménagement confessionnel des écoles publiques jusqu’au processus récent de déconfessionnalisation connu par ces institutions.
58 Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54, [2007] 3 R.C.S. 607.
59 Boucher c. La Reine, [1951] R.C.S. 265 ; Saumur c. Ville de Québec, [1953] 2.R.C.S. 299.
60 Chaput c. Romain, [1955] S.C.R. 834 ; R c. Big M Drug Mart, [1985], 1. R.C.S. 295, 397.
61 Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650 ; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 R.C.S. 3
62 Gérard Bouchard et Charles Taylor, op. cit, sous note 52, p. 141.
63 Idem, p. 148.
64 Pour une présentation des acteurs des débats laïques au Québec, voir : Guillaume Lamy, Laïcité et valeurs québécoises. Les sources d’une controverse, Montréal, Québec Amérique, coll. « Débats », 2015.
65 Joseph-Yvon Thériault, « Entre républicanisme et multiculturalisme : la commission Bouchard-Taylor, une synthèse ratée », dans Bernard Gagnon (dir.), La diversité québécoise en débats. Bouchard, Taylor et les autres, Montréal, Québec Amérique, coll. « Débats », 2010, p. 152 et suivantes.
66 Jacques Beauchemin, « La notion de diversité comme lieu commun », dans Bernard Gagnon (dir.), La diversité québécoise en débats. Bouchard, Taylor et les autres, Montréal, Québec Amérique, coll. « Débats », 2010, p. 40-41.
67 Micheline Milot, « Prise en compte des réalités religieuses par les institutions publiques et respect de la laïcité », Vivre-ensemble, vol. 13, n° 47, printemps-été 2006, p. 6.
68 Guy Rocher, « La laïcité pour le Québec : quelques arguments », dans Daniel Baril et Yvan Lamonde (dir.), Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec. Enjeux philosophiques, politiques et juridiques, 2013, Québec, Presses de l’Université Laval, 37.
69 Déclaration des intellectuels pour la laïcité, « Pour un Québec laïque et pluraliste », Le Devoir, 16 mars 2010, p. A7.
70 Daniel Baril et Yvan Lamonde, « L’attentisme a assez duré », dans Daniel Baril et Yvan Lamonde (dir.), Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec. Enjeux philosophiques, politiques et juridiques, 2013, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 1-5.
71 Idem, p. 2.
72 Guy Rocher, « La laïcité tout court », La Presse, 6 novembre 2010, en ligne : http://www.lapresse.ca/dossiers/les-grandes-entrevues/201011/06/01-4340060-guy-rocher-la-laicite-tout-court.php.
73 Samuel Dalpé et David Koussens, op. cit, sous note 49.
74 Louise Mailloux, La laïcité ça s’impose ! La laïcité québécoise, un projet inachevé et menacé, Montréal, Les Éditions du Renouveau Québécois, 2011, 166 p ; Danic Parenteau, « Nationalisme québécois et multiculturalisme canadien. Une critique républicaine du libéralisme anglo-saxon », dans Micheline Labelle, Rachad Antonius et Pierre Toussaint (dir.), Les nationalismes québécois face à la diversité ethnoculturelle, 2013, Montréal, Éditions IEIM, p. 71-90.
75 Christian Lamontagne, Nation et laïcité. Perspectives sur un monde qui change, 2013, Montréal, Liber, 135 p ; Pour une analyse de la réception critique de la « nouvelle laïcité » par les milieux féministes québécois, « Représentations féministes de la « religion » et de la « laïcité » au Québec (1960-2013) : reproductions et contestations des frontières identitaires », thèse en Science politique soutenue par Caroline Jacquet en mars 2017 à l’UQAM, en ligne : http://www.archipel.uqam.ca/9827/1/D3226.pdf.
76 Caroline Beauchamp, Pour un Québec laïque, 2011, Québec, Presses de l’Université Laval, 160 p.
77 Daniel Turp, « L’adoption et la mise en œuvre d’une Charte québécoise de la laïcité », dans Micheline Labelle, Rachad Antonius et Pierre Toussaint (dir.), Les nationalismes québécois face à la diversité ethnoculturelle, Montréal, Éditions IEIM, 2013, p. 175-208.
78 Assemblée Nationale, Projet de loi n° 60 : Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement, en ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-60-40-1.html ; On retrouvera cette présentation succincte du projet de loi n° 60 dans : David Koussens, « Pour des recherches sociographiques sur la laïcité au Québec », Recherches sociographiques, vol. LVII, no 2-3, p. 275 et suivantes.
79 Daniel Baril et Yvan Lamonde, op. cit, sous note 70, p. 2.
80 Voir notamment Daniel Baril, « Les prières municipales, des rituels identitaires qui ne sont pas à leur place », Éthique publique, 2011, vol. 13, n° 2, en ligne : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/858
81 Pour plus de développement sur les récitations de prières et présence de crucifix dans les institutions publiques québécoises, voir David Koussens, « Symboles et rituels catholiques dans les institutions publiques québécoises : Aspects juridiques, débats politiques et enjeux laïques », Annuaire Droit et religions, vol. 6, tome 1, 2012, p. 161-172.
82 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Laval (Ville de), 2006 QCTDP 17 (CanLII).
83 Simoneau c. Tremblay, 2011 QCTDP 1 (CanLII).
84 Stéphane Bernatchez et Marie-Pierre Robert, « Canada : l’école peut enseigner la religion, mais le conseil municipal ne peut prier », Revue du droit des religions, n° 2, novembre 2016, p. 185-187.
85 Solange Lefebvre, « Des cours ontariennes ont dit oui à la prière, dans une perspective interculturelle », Éthique publique, 2011, vol. 13, n° 2, en ligne : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/860.
86 Saguenay (Ville de) c. Mouvement laïque québécois, 2013 QCCA 936.
87 Idem, au para. 98.
88 Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16.
89 Idem, au para. 78.
90 Assemblée nationale, Loi n° 62, op. cit, sous note 51.
91 Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears [1985] 2 RCS 536.
92 Ministère de la justice, Principes d’application, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes « accommodements pour un motif religieux dans certains organismes, 24 octobre 2017, en ligne : https://www.justice.gouv.qc.ca/fileadmin/user_upload/contenu/documents/Fr__francais_/centredoc/publications/ministere/principes_application/PL62_Application_24OCT2017.pdf.
93 Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, JORF n° 0237 du 12 octobre 2010 p. 18344.
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Référence électronique
David Koussens, « Ce que la laïcité a de nouveau, ou pas. Regards croisés France-Québec », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 14 | 2018, mis en ligne le 12 juin 2018, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/revdh/3951 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/revdh.3951
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