Navigation – Plan du site

AccueilNuméros57-1Comptes rendus de lectureSebastian EDWARDS, American Defau...

Comptes rendus de lecture

Sebastian EDWARDS, American Default : The Untold Story of FDR, the Supreme Court, and the Battle over Gold

Pierre de Saint-Phalle
p. 299-303
Référence(s) :

Sebastian EDWARDS, 2018, American Default : The Untold Story of FDR, the Supreme Court, and the Battle over Gold, Princeton (NJ), Princeton University Press, 288 p.

Texte intégral

1L’auteur d’American Default est un économiste chilien, professeur de l’université de Californie (UCLA), ancien directeur de la Banque mondiale pour le secteur Caraïbe et Amérique du Sud (1993-1996) et ancien membre du conseil économique du gouverneur californien Arnold Schwarzenegger. D’une écriture enlevée, précise tout en évitant la surcharge de détails, Sebastian Edwards éclaire un épisode crucial et pourtant en partie oublié : celui de la dévaluation du dollar et du défaut des dettes publiques et privées américaines entre 1933 et 1935, cœur des politiques monétaires du New Deal de l’administration de Franklin Delano Roosevelt (FDR). Ces politiques ont résolu la plus violente crise économique et sociale de l’histoire des États-Unis. Pour ce faire, la Maison-Blanche, le Congrès et la Cour Suprême ont dévalué le dollar et effacé 40 % des dettes privées et publiques.

2Lors des procès intentés contre l’État argentin par ses créanciers étrangers à la cour de justice de New York en 2002, les avocats de l’État sud-américain invoquent le précédent de 1935. Si la banqueroute par «  nécessité » réalisée par l’État américain fut déclarée légale par la Cour suprême voilà 77 ans, alors la banqueroute de l’État argentin devrait l’être aussi. L’auteur découvre une amnésie collective parmi les économistes et ses contemporains : quelques lignes seulement décrivent l’événement monétaire le plus significatif des années 1930 dans les principaux ouvrages sur l’histoire économique et financière américaine. La plupart des personnes à qui il évoque l’épisode manifestent une incrédulité certaine. Commencent alors quinze ans d’enquête pour comprendre une époque et mettre à jour un épisode complexe.

3L’objectif prioritaire de l’administration Roosevelt était de réussir à augmenter les prix des produits agricoles. L’économie américaine subissait une crise déflationniste de grande ampleur, menaçant des millions de petits agriculteurs endettés. L’auteur organise son propos en 16 chapitres suivant semaine après semaine les débats, les incertitudes, les retournements de situation politique, économique et juridique qui accompagnent les mesures prises par le gouvernement.

4Sebastian Edwards met en lumière les hommes qui conseillent Roosevelt, leur rôle et leur mémoire des événements. Ces intellectuels et universitaires forment le Brain Trust et font aussi (et peut-être surtout) le «  New Deal ». Roosevelt recherchait moins des théoriciens que des personnes capables de synthétiser une somme importante d’informations et de leur donner une perspective historique. Aucun n’était au fait des théories monétaires. Dans le monde académique, la défense de l’étalon-or faisait presque consensus. L’aggravation de la crise bancaire fin 1932 fit changer d’avis beaucoup d’observateurs : on citait de plus en plus Irvin Fisher qui conseillait d’attribuer une valeur au dollar en relation à un panier de produits. Roosevelt n’avait quant à lui pas d’opinion précise sur la politique monétaire, ni pendant l’élection ni après.

5En 1933, la crise bancaire est telle que le gouvernement décide d’imposer une fermeture légale des banques de trois jours. Le Congrès vote l’Emergency Banking Act qui prévoit que la Réserve fédérale des États-Unis (FED) émette des «  federal reserve notes » pour assurer les retraits en banque après le bank holiday. Comme le relève malicieusement le secrétaire au Trésor, ces billets sont de « l’argent qui a l’apparence de l’argent ». Le 12 mars a lieu la première discussion « au coin du feu », Roosevelt réussit par un vocabulaire simple et un ton apaisant à expliquer ses réformes et à rassurer ses 60 millions d’auditeurs. Le plan est un succès et le système bancaire semble tenir. L’auteur considère que la FED a joué un rôle de prêteur en dernier ressort pour les banques américaines : sur 17 000 banques avant la crise, 11 878 rouvrent après le 29 mars grâce à la nouvelle monnaie non adossée à l’or. Les valeurs sur les marchés boursiers s’apprécient, les prix augmentent. Pour forcer le dépôt de l’or en banque, on interdit légalement sa détention. Le chômage reste massif, le déficit fiscal important, les prix encore trop bas. Hitler vient de gagner une solide majorité au parlement allemand dans une indifférence presque totale. Roosevelt a chaque matin les yeux rivés aux prix du marché agricole américain.

6La situation en zone rurale reste grave. Dans l’Iowa, cinq cents fermiers endettés ont essayé de lyncher un juge qui venait d’ordonner l’expropriation de l’un des leurs. Le 9 mars, huit organisations syndicales du monde agricole réclament officiellement des «  mesures monétaires », ce qui serait selon l’auteur une demande d’abandon du « système or » et de dévaluation du dollar. La crise est telle que le Congrès manque de voter son propre plan inflationniste contre le gouvernement. Le 19 avril, Roosevelt annonce enfin rompre avec l’étalon-or et interdit l’exportation de l’or. En une journée, le dollar perd 10 % de sa valeur par rapport à la livre. Entre le 18 et le 24 avril, le coton gagne 12 %, le maïs 14 %. Le problème de la clause or pour les dettes privées comme pour les dettes publiques demeure.

7Les journaux annoncent que la dépréciation du dollar et l’embargo sur l’or ont semé la confusion sur les marchés internationaux, que les pertes seraient immenses pour les investisseurs américains (avant 1945, 98,8 % de la dette publique est détenue par des américains). Selon Sebastian Edwards, le vrai danger résidait en fait dans le crédit privé. Les entreprises américaines avaient émis pour plus 100 milliards de contrats de dettes avec clause or, soit cinq fois plus que les 20 milliards de dette publique. Être forcé de payer en valeur or aurait signifié la faillite pour la plupart.

8Le 26 mai, le gouvernement demande officiellement au Congrès une résolution annulant les clauses or passées et futures. Dans leur majorité, les républicains considèrent qu’il s’agit d’une banqueroute qui entachera « pour un siècle » la réputation des États-Unis. Le 28 mai, la Chambre approuve la résolution annulant les clauses or de façon rétroactive et pour le futur. Le 3 juin, en fin d’après-midi, le Sénat vote la même loi. Les prix agricoles s’élèvent, le coton gagne près de 50 %. On peut remarquer que la quasi annulation des dettes des agriculteurs américains, effet recherché par la disparition de la clause or, équivalait à une relance de la demande selon les théories keynésiennes.

9Par le récit mois après mois des difficultés rencontrées par l’administration Roosevelt, Sebastian Edwards réussit à redonner chair à l’extrême tension entourant la décision de la Cour suprême de 1935 à propos de la clause or. Avec un sens consommé du détail et du récit, l’auteur fait revivre au lecteur l’angoisse qui saisit toutes les parties dans l’attente de la décision des neuf juges. Rien n’était joué d’avance, tous les résultats obtenus auraient pu être remis en cause. Il faut attendre la page 128 pour que l’économiste reprenne le dessus sur l’historien : l’auteur aborde les causes classiquement admises parmi ses pairs des raisons de la crise de 1929. De manière très pédagogique et équilibrée, Sebastian Edwards explique la responsabilité de la FED, sans négliger celle du régulateur qui accordait trop facilement des licences bancaires et créait les conditions d’une spéculation exacerbée. N’importe qui pouvait emprunter et jouer en bourse de substantielles sommes d’argent, quelles que soient ses conditions financières : « dentistes, femmes au foyer, groom, fermiers ». Si l’auteur s’en abstient, le lecteur ne peut s’empêcher de rapprocher la situation des années 1920 et celle des années 2000. La crise de 2008 fut en partie le résultat d’une dérégulation du secteur du crédit : un nombre important d’opérateurs accordaient des prêts, montaient des opérations complexes de crédits, ou créaient des objets de spéculations financières comme les célèbres subprimes.

10Dans l’attente de la décision de la Cour suprême, Roosevelt avait préparé autant de scénarios que de résultats possibles quant aux quatre affaires qu’elle devait trancher (deux impliquant des dettes privées, deux impliquant des dettes publiques). Si la Cour suprême avait déclaré inconstitutionnelle l’annulation de la clause or, des tensions institutionnelles majeures auraient pu advenir : le Congrès se préparait à augmenter d’autorité le nombre de juges pour provoquer un revirement jurisprudentiel conforme, ou à voter des lois interdisant de poursuivre le gouvernement à propos du paiement des dettes publiques. Les discours du président étaient écrits et prêts à être prononcés dans la minute d’une décision non conforme pour bloquer les marchés et surseoir aux conséquences immédiates.

11L’auteur prend beaucoup de précautions avec le jugement de ses pairs économistes sur l’épisode en question. Comme il le rappelle à juste titre, toute la littérature dominante stipule que n’importe quel acteur (État ou entreprise) qui annulerait ses dettes rencontrerait ensuite des difficultés liées à sa réputation entachée au cours de ses futurs emprunts. Milton Friedman, Ben Bernanke et d’autres sont très clairs. Pour autant, le chaos annoncé par les opposants à Roosevelt ne se produisit pas. Non seulement les marchés accueillirent la nouvelle avec enthousiasme, mais le gouvernement américain n’eut aucun mal à trouver des acquéreurs pour ses nouvelles obligations publiques quelques semaines et mois après la décision de la Cour suprême. Sebastian Edwards juge que cette décision fut comme un «  acte de Dieu » pour les acteurs privés.

12Les arguments employés par la Cour suprême pour justifier la décision prise résonnent encore. L’auteur souligne la proximité extrême des arguments de 1935 avec ceux du cas argentin de 2001 ou ceux du cas grec de 2013. Comme une forme de bégaiement historique. Les appels à la « nécessité » d’annuler la dette, au respect des « contrats sacrés » ou aux « effets attendus sur les anticipations des marchés » sont autant d’éléments d’un arsenal argumentatif qui semble se revivifier à chaque crise du crédit.

13Dans le dernier chapitre consacré à la période contemporaine, l’auteur aborde le cas américain, soulignant combien les deux époques sont différentes. Il énonce ses craintes, non à propos de la dette connue, mais de la dette implicite. Ces dettes implicites sont les promesses de financement qui ne sont pas prises en compte dans le calcul des dettes officielles (le ratio dette/PIB) comme les assurances publiques des crédits étudiants ou les participations dans les entreprises. Si un défaut souverain venait à se préciser, l’auteur pense que les arguments légaux de 1935 réapparaîtraient immanquablement.

14Un problème théorique subsiste. Comment expliquer que certaines annulations de dette bénéficient à l’économie de l’État en banqueroute, quand certaines annulations semblent nuire à d’autres États ? La thèse de l’auteur est qu’une annulation de dettes peut être perçue comme légitime, devenant une « banqueroute excusable » (excusable default), si deux critères sont respectés. Cette annulation doit être entreprise pour résoudre une crise de grande ampleur (à la suite d’une catastrophe naturelle, d’une guerre, ou d’une crise économique), et donc être déclenchée de bonne foi. Ensuite, elle doit être contrôlée légalement et juridiquement par des institutions indépendantes du gouvernement (comme la Cour suprême dans le cas de 1935). À ces deux conditions, le marché des obligations pourrait accueillir positivement les futurs emprunts de l’État ayant fait banqueroute. L’auteur propose ainsi d’amender la théorie dominante des défauts souverains par une analyse du processus institutionnel et politique.

15L’ouvrage de Sebastian Edwards apporte un éclairage salutaire sur une période que l’on croit trop souvent avoir comprise. Ce qui semblait simple, fruit d’un plan réfléchi, prend l’aspect d’une suite d’actions en partie improvisées, animées par une vision ferme mais non dogmatique. Contrairement à une idée reçue, les États-Unis trahissent parfois certaines de leurs promesses : le Congrès refuse de suivre Woodrow Wilson dans la création de la Société des Nations, l’administration Trump sort de l’accord climatique de Paris. Sebastian Edwards ne peut s’empêcher de regretter les conséquences de ces promesses rompues, « qui à l’avenir seront considérées par les citoyens du monde comme ayant profondément blessé la planète ».

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Pierre de Saint-Phalle, « Sebastian EDWARDS, American Default : The Untold Story of FDR, the Supreme Court, and the Battle over Gold »Revue européenne des sciences sociales, 57-1 | 2019, 299-303.

Référence électronique

Pierre de Saint-Phalle, « Sebastian EDWARDS, American Default : The Untold Story of FDR, the Supreme Court, and the Battle over Gold »Revue européenne des sciences sociales [En ligne], 57-1 | 2019, mis en ligne le 05 février 2019, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ress/4726 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ress.4726

Haut de page

Auteur

Pierre de Saint-Phalle

Université de Lausanne – Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search