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Paula COSSART, Penser ensemble démocratie et écologie

Etienne Furrer
Référence(s) :

Paula COSSART, 2023, Penser ensemble démocratie et écologie, Lormont, Le Bord de l’eau, 175 p.

Texte intégral

1« La démocratie, par son inaction et ses renoncements, est-elle donc impuissante face à la destruction des écosystèmes et au réchauffement climatique ? » (p. 9) demande Paula Cossart dans cet ouvrage de synthèse. Selon elle, rien n’est moins sûr : il faut « penser ensemble démocratie et écologie », car il y a urgence à « concevoir un système démocratique qui intègre la finitude écologique au contrat social » (p. 11). Convaincue de la nécessité de cette hybridation, elle propose une cartographie des réflexions défendant « l’idée qu’il est possible et nécessaire de concevoir des formes politiques écologiques qui ne tournent pas le dos à la démocratie, mais permettent au contraire de la préserver, de la retrouver, de l’enrichir » (p. 16). Bien sûr, cette cartographie ne peut être exhaustive. L’ouvrage se veut simple, lisible, synthétique, et se limite à la littérature francophone, qu’elle soit traduite ou non. C’est en quelque sorte une cartographie des livres disponibles « dans toutes bonnes librairies » pour le public francophone intéressé à l’écologie politique démocratique.

2Cette focale linguistique, qui peut paraître limitée mais se justifie très bien d’un point de vue pragmatique, se double d’un riche pluralisme disciplinaire. Si ce pluralisme de l’écologie politique est parfois considéré comme un symptôme de ses divisions profondes, il semble, pour Cossart, qu’on les exagère, alors même que « plusieurs publications récentes tendent à [les] amenuiser » (p. 18). Ces différentes approches, sociologiques, anthropologiques, historiques, féministes, postcoloniales, marxistes, anarchistes, communalistes, etc., « dialoguent de plus en plus les unes avec les autres, [et] ne sont pas nécessairement incompatibles : elles pourraient s’assembler et se compléter, sans se confondre ». Elles ont toutes un rôle à jouer dans l’écologisation nécessaire de nos démocraties, et constituent, prises ensemble, une « boîte à outils » (p. 11) des plus efficaces contre le survivalisme, l’apathie, l’écologie libérale de l’adaptation et l’autoritarisme vert (ou à sa variante radicale, l’écofascisme).

3Le livre se structure en deux parties ; d’abord, les réflexions de nature rétrospectives : « comment en est-on arrivé là ? » ; ensuite, celles sur les réponses démocratiques à apporter. La première partie est composée de 9 sections, comme suit : « Un système capitaliste mondial, extractiviste et productiviste » ; « L’impérialisme écologique » ; « Le fantasme de la délivrance et le technosolutionnisme » ; « Le lien entre liberté et abondance » ; « Développement des villes, métropolisation » ; « L’extériorité de la nature » ; « Le patriarcat et la double soumission des femmes et de la nature » ; « La toute-puissance de la propriété privée » ; « La faute au socialisme-marxiste » ? Chaque section compile les références aux ouvrages les plus importants ou novateurs sur la cause abordée. La qualité de cette partie réside surtout dans son esprit de synthèse et dans sa faculté à montrer les ponts entre différentes approches. En effet, pour Cossart, aucune cause n’est l’apanage d’un seul courant disciplinaire, académique ou politique. Par exemple, la section sur l’extériorité de la nature – la plus longue de cette première partie – mentionne les penseuses et penseurs décoloniaux latino-américains, en particulier Arturo Escobar, les philosophes et anthropologues français Bruno Latour, Baptiste Morizot, Vinciane Despret et Philippe Descola, des auteurs postcoloniaux avec l’économiste Felwine Sarr (inspiré par Édouard Glissant), mais aussi des marxistes à travers les écrits de Paul Guillibert (s’appuyant sur Karl Marx, Raymond Williams et José Carlos Mariátégui), des féministes comme l’Australienne Val Plumwood (récemment traduite), ou encore des psychanalystes et philosophes de tendances libertaires comme Félix Guattari et Gilles Deleuze. Et toute cette matière tient sur une petite dizaine de pages. Le classement par « cause » n’est donc ni surdéterminant ni définitif, puisqu’au sein des différentes approches, les causes supposées s’enchevêtrent. Le classement sert avant tout à guider la lecture, et chaque section – ou presque – démontre l’existence de convergences entre des approches que l’on a tendance à considérer opposées. La dernière partie, sur le socialisme marxiste, est particulièrement bienvenue : toute en nuances, elle restitue les grandes lignes des débats sur le caractère écologique de la pensée de Marx. Si on pouvait déjà percevoir certains aspects écologiques du marxisme dans quelques-unes des sections précédentes, cette dernière section reconnaît le faible développement de la question écologique dans l’œuvre de Marx elle-même.

4Quant à la seconde partie, consacrée aux propositions démocratiques concrètes, elle s’organise en une série de 8 sections thématiques, comme suit : « Mettre à jour la lutte des classes », « Décroître », « Subvenir à ses besoins de manière autonome », « Communalisme »« Aller vers des territoires résilients », « Valoriser d’autres manières de penser et d’habiter le monde », « Développer des communs », « Délibérer : amender la démocratie représentative ». Ici, tout comme dans la première partie, on constate que les solutions proposées sont parfois plus proches les unes des autres que leurs défenseurs ne veulent bien l’admettre. Certes, des tensions subsistent, notamment entre l’écosocialisme de Michaël Löwy et la remise en question de la lutte des classes par Bruno Latour. Cependant, de nombreuses convergences se dessinent. Ainsi, les écosocialistes reconnaissent l’importance d’une pensée de l’autonomie et de l’autogestion (p. 85), se rapprochant ainsi des théories féministes et matérialistes de la subsistance, ainsi que des recommandations communalistes en matière de démocratie directe. La plupart des figures de la décroissance, comme Serge Latouche, Paul Ariès ou Timothée Parrique, se retrouvent également dans le terme « écosocialisme » (p. 98). De même, les travaux des écoféministes Vandana Shiva, Veronika Bennholdt Thomsen ou Maria Mies, et plus récemment ceux de la sociologue française Geneviève Pruvost, critiquent le caractère genré de l’invisibilisation de la reproduction sociale et valorisent un retour à l’autonomie de la subsistance, pensée néanmoins à partir de la notion d’interdépendance. Ces travaux résonnent ainsi avec ceux du philosophe Aurélien Berlan, de l’anthropologue Christian Arnsperger et de l’historien Jérôme Baschet, qui relient tous cet enjeu d’autonomie de la subsistance à la question communaliste, qui sera développée par Cossart dans la section suivante consacrée à la pensée de Murray Bookchin. Néanmoins, l’autrice n’occulte pas les distinctions. Elle rappelle que, pour Pruvost et Berlan, représentants contemporains de cette constellation que l’on appellera faute de mieux « matérialiste-autonomiste », la pensée de Bookchin reste imprégnée d’industrialisme et « garde un rapport confiant aux solutions techniques » (p. 110).

5Dans cette valse des réponses démocratiques, qui se rapprochent ou s’éloignent les unes des autres selon la perspective adoptée, les dernières sections s’inscrivent dans une tradition plus réformiste. Il devient alors évident que le consensus relatif sur les fins souffre des désaccords importants sur les moyens. En effet, la définition des enjeux écologiques semble poser moins de problèmes que celle des stratégies, dites démocratiques, à adopter. Autrement dit, si l’objectif écologique met tout le monde plus ou moins d’accord, les moyens démocratiques ne s’ancrent pas tous dans la même définition de la démocratie : se doit-elle d’assurer la lutte des classes, de permettre la critique de l’économisme ou de la propriété privée, de reconnaître le droit à l’autonomie locale ou alimentaire, de favoriser l’éclosion de petites actions exemplaires, ou encore d’amender ses propres procédures de participation politique ? Cossart nous confronte à un problème qui dépasse largement l’objet de son ouvrage, mais qu’elle parvient à rendre palpable : l’influence des différentes conceptions de la démocratie sur les solutions envisagées.

6Dans sa conclusion, Cossart réaffirme sa conviction que la démocratie et l’écologie ne sont pas seulement compatibles mais indissociables. Au fond, « la seule chose que l’on ne peut pas faire, c’est ne rien faire » (p. 151). Même les petites expériences sont nécessaires, elles « ne doivent pas être dénigrées, à condition de ne pas s’en contenter ». Il vaut mieux arpenter de vastes territoires à la recherche de solutions diverses et variées plutôt que de camper sur une position idéologique. Il faut s’essayer « à fédérer, ou du moins à coordonner, les différents fronts de la lutte écologique » (p. 152), sinon nous risquons de rendre impuissante la démocratie écologiste en bloquant toute convergence de ses défenseurs. À ce propos, le retour de la désobéissance civile à travers les « Soulèvements de la Terre » est la dernière expérience en date dont il faudrait tenir compte, tant pour sa richesse interne, stratégique et militante, que pour les réactions qu’il a produites, notamment la « stratégie de criminalisation » portée par l’État que dénote le qualificatif « d’écoterrorisme ». À n’en point douter, pour Cossart, les « Soulèvements de la Terre » font partie intégrante de la large constellation qui pense ensemble démocratie et écologie, à condition bien sûr de ne pas s’arrêter à une définition procédurale de la démocratie, car elle est « autant un processus critique qu’une forme institutionnelle » (p. 155). Elle soutient que « détruire des biens matériels néfastes, des biens qui nuisent à notre avenir sur une terre appauvrie et surchauffée, peut constituer un acte d’autodéfense du vivant et se situe donc à l’opposé du terrorisme » (p. 156). Certes, ces militants sont radicaux : non pas qu’ils soient radicalisés, mais seulement qu’ils vont à la racine du problème ; la première violence est celle qui s’attaque à la vie, au vivant et à ceux qui en vivent sans l’épuiser (p. 157-158).

7En conclusion, si la cartographie proposée par Cossart ne vise pas le même niveau de détail que celle de Razmig Keucheyan dans Hémisphère gauche, une cartographie des nouvelles pensées critiques (2010) – dont l’idée de « cartographie » s’inspirait directement (p. 16) –, c’est qu’elle se veut avant tout accessible au grand public. Les chercheurs aguerris en écologie politique n’y trouveront peut-être pas de grandes nouveautés, pour peu qu’ils soient familiers avec la majorité des débats contemporains. Cela n’enlève rien à l’intérêt de l’ouvrage, qui fonctionne comme une veille bibliographique judicieusement choisie, agréablement écrite et intelligemment commentée. Il se révèle être un outil précieux pour les néophytes, les curieux, les militants et les chercheurs qui souhaitent enrichir leurs réflexions ou renforcer leurs connaissances sur la relation entre écologie et démocratie, et ce à partir de la littérature la plus récente. À ce titre, l’ouvrage répond pleinement à ses ambitions.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Etienne Furrer, « Paula COSSART, Penser ensemble démocratie et écologie »Revue européenne des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le 27 novembre 2024, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ress/11360

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Auteur

Etienne Furrer

Université Paris Cité, LCSP

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