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Capitalisme et contestations

D’un serveur à l’autre

Les reconfigurations marchandes de la logistique de la donnée
From server to server Market reconfigurations of data logistics
Victor-Manuel Afonso Marques

Résumés

Cet article introduit plusieurs éléments d’une recherche portant sur la « logistique de la donnée ». La donnée y est ici définie moins par ses modalités de production et d’usages que comme une entité qu’il s’agit de faire circuler entre différents mondes sociaux, secteurs économiques et espaces géographiques. À partir de l’étude de la convergence de deux mondes sociaux, liés aux câbles sous-marins de communication et aux centres de données, cette thèse montre comment se recomposent des mondes techniques sous-tendus par des formes marchandes et qui partagent comme conventions la rapidité et la disponibilité du flux. L’article introduit dans un premier temps les mondes sociaux étudiés, les entreprises y évoluant, ainsi que les logiques qui concourent à leur progressif intrication. Un deuxième temps expose le travail d’articulation de deux littératures, la sociologie économique et les infrastructure studies, qui a permis l’étude de l’objet de recherche. Enfin, dans un troisième et dernier temps, ce sont les coulisses de l’enquête qui sont présentées, avec pour point d’attention les modalités d’ouverture et de fermeture, l’incertitude inhérente à la démarche d’enquête et le risque de captation de la recherche par des acteurs ayant des intérêts marchands.

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Texte intégral

Je tiens à remercier Francesca Musiani et Baptiste Kotras pour leur invitation à l’occasion de ce dixième anniversaire de la revue, ainsi que pour leur proposition de publication à l’issue de cet évènement. Je remercie également Aube Richebourg, Lizzie Richardson et Thibault Grison, avec qui j’ai eu l’opportunité de partager ces discussions. Je remercie enfin Clément Marquet, Alina Surubaru et Marie Trespeuch pour leurs suggestions concernant des versions antérieures de ce texte.

« Un câble pourrait très bien choisir de sortir du port et aller dans un autre data center, et il y aura surement à l’avenir d’autres data centers qui bénéficieront de cette infrastructure, et tant mieux. Le deuxième élément, c’est que, encore une fois, ça vient consacrer la notion de « gravité de la donnée », ce qu’on appelle l’agrégation de la donnée dans le groupe, où on voit bien que la donnée, les infrastructures, viennent se coller là où sont déjà les données. » Directeur d’une entreprise de centre de données, interview à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau câble sous-marin en France, 2023

Introduction

  • 1 En 2023, 3.9 Petabits sont en moyenne échangés chaque seconde dans le monde, soit environ 612 Térab (...)
  • 1

1La recherche doctorale que je mène, au croisement de la sociologie économique et de la sociologie des sciences et des techniques (STS), interroge la reconfiguration de deux mondes sociaux (Strauss, 1992) au cours des années 2000. Les mondes sociaux dont il est question ici sont tous deux liés aux infrastructures physiques du numérique : les câbles sous-marins de communication et les centres de données commerciaux. Les câbles sous-marins sont les principaux vecteurs permettant la circulation des données numériques à l’échelle mondiale1, tandis que les centres de données sont principalement des espaces de stockage et de calcul (cloud computing – « informatique en nuage ») 2. Ce secteur économique se définit par opposition aux centres de données « sur site » (on premise), c’est-à-dire internalisés au sein d’une organisation (administration, entreprise, université, association) pour ses propres besoins. Les exploitants commerciaux proposent les plus souvent deux types de services à leurs clients. Premièrement, les exploitants offrent la location d’espaces dédiés pour l’exploitation de serveurs que les clients viennent directement (dé)brancher dans le centre de données. Deuxièmement, les opérateurs mettent à disposition des logiciels accessibles à distance (ce que l’on appelle communément le « cloud ») qui sont hébergés sur leurs propres serveurs. Cette présentation des services marchands, volontairement sommaire et simplifiée, ne rend pas compte des multiples arrangements possibles et qui sont souvent soumis à des changements.

2Les centres de données ont pour particularité d’être progressivement devenus des nœuds de redistribution et des points de passage obligés dans l’architecture d’internet. Cette nouvelle stratégie de positionnement, qui se traduit géographiquement dans l’implantation de certains opérateurs au plus près des stations d’atterrement des câbles sous-marins, comme c’est le cas en France à Marseille (Marquet & Cellard, 2023; Morel, 2023), reconfigure en retour ces marchés tout en créant de nouvelles liaisons techniques et économiques entre eux. L’un des enjeux de ma thèse est précisément d’étudier les conditions qui engendrent les différents ajustements entre ces mondes sociaux jusqu’alors peu interconnectés.

3Cet article présente à grands traits quelques éléments de ce travail de thèse. La première partie introduit les principaux acteurs et organisations marchandes au cœur de mon enquête, la principale question de recherche ainsi que le cadrage ayant conduit à porter attention sur ces infrastructures en particulier. La deuxième partie revient sur l’articulation de plusieurs littératures dans la constitution d’une réflexion portant sur les infrastructures matérielles du numérique. Enfin, dans une troisième et dernière partie, les coulisses de l’enquête et certaines de ses conditions pratiques sont brièvement présentées.

Des marchés qui convergent : la formation d’une communauté d’affaires à la croisée des mondes sociaux

  • 3 La période 1980-1990 a été particulièrement dense au sujet du secteur des télécommunications, tant (...)
  • 4 L’engagement de l’État ne s’est pas complètement dissolu pour autant. Ainsi, pour le groupe Orange (...)

4Les années 1980-1990 sont traversées par une vague de libéralisation qui reconfigure plusieurs secteurs de l’économie jusqu’alors contrôlés par les pouvoirs publics en Europe. Les industries de réseaux sont particulièrement ciblées (Finez, 2014; Reverdy, 2014; Viallet-Thévenin, 2015), et la conception du « monopole naturel » qui leur était historiquement attribuée se voit alors fragilisée au profit d’une privatisation progressive. La libéralisation des télécommunications s’inscrit dans cette dynamique réformatrice propulsée par les institutions européennes, et il résulte de ce mouvement la fin du modèle de l’entreprise publique dans le secteur des télécoms en France3. Dès lors, les exploitants d’infrastructures de communication sont devenus privés4 et de nouveaux entrants ont progressivement intégré le marché grâce à une régulation de la concurrence dédiée. Du côté du secteur informatique, c’est au tournant des années 2000 que voit le jour un nouveau marché constitué d’entreprises qui se spécialisent dans le stockage des données et la fourniture de services informatiques à distance auprès de tiers. Si le partage de ressources informatiques par plusieurs utilisateurs auprès d’une unité centralisée se retrouve dès les prémisses de l’histoire de l’informatique (Masutti, 2020; Mounier-Kuhn, 2010), on assiste aujourd’hui à une reconcentration des espaces de stockage et de calcul dans les mains d’acteurs marchands qui en ont fait leur cœur de métier. L’environnement dans lequel évoluent les acteurs participant au maintien du flux de données à l’échelle global découle d’un double mouvement : la mise en marché du secteur des télécommunication d’une part, l’émergence d’acteurs spécialisés dans la concentration et la sauvegarde des données suite à la fragmentation du marché informatique d’autre part.

  • 5 Cette valeur, dont la source est rarement citée, sert le plus souvent à informer de l’importance de (...)
  • 6 Introduction d’un billet de blog sur le site d’un opérateur télécom majeur de la zone Pacifique. Ma (...)
  • 7 Documentation à destination d’un public élargi d’une association professionnelle française représen (...)
  • 8 Entretien de Sami Slim, directeur général de l’opérateur de centres de données Telehouse France. UR (...)

5Relativement discrets dans l’espace public, ces acteurs n’ont pourtant de cesse de souligner l’importance de leurs activités dans le fonctionnement quotidien du « numérique » et plus spécialement d’internet. Valeurs statistiques et expressions superlatives sont couramment mises en avant dans l’espace public comme dans la presse spécialisée afin de témoigner du poids de leurs activités dans une économie toujours plus globalisée et numérisée. Ainsi, les industriels du câble sous-marin soulignent régulièrement que la quasi-totalité des données intercontinentales (95-99%)5 chemine au travers de leurs infrastructures : « La plupart d’entre nous pensons que chaque publication Instagram que nous téléchargeons, chaque tweet que nous envoyons ou film que nous visionnons […] passent par les satellites, mais la vérité se cache aux fonds des océans. Pratiquement toutes les communications que nous effectuons passent par des câbles »6. Les associations professionnelles des centres de données présentent quant à elles les exploitants comme les garants des usages numériques de tout un chacun, du simple individu naviguant sur les réseaux sociaux aux entreprises – petites et grandes – y hébergeant leurs données. À la suite de la pandémie, ce sont ne sont plus seulement les entreprises, mais également les capacités d’action de l’État qui ont été intégrées dans la communication de l’industrie : « Les datacenters, qui stockent et traitent les données numériques, assurent une mission indispensable à la continuité des missions de l’État, des services publics et de l’économie. » 7. Certains acteurs des centres de données avancent par ailleurs que la valeur ajoutée de leur activité n’est pas tant « l’immobilier pour machines » que le fait de « rapprocher les clients [hébergés dans leurs centres de données] des routes de l’internet »8, signe que les frontières entre ces deux mondes sont poreuses et que les juridictions sont mouvantes (Abbott, 1988).

6Qui sont les clients de ces entreprises ? Les profils sont variés et diffèrent d’un secteur à l’autre. Les clients des câbles sous-marins, dans une logique de commerce à commerce (B to B), sont principalement des opérateurs de télécommunication dits de « haut niveau », des entreprises numériques ayant des besoins en bande passante importants (fournisseurs de contenus) ou encore des organisations scientifiques. Les clients des centres de données, qui peuvent être un particulier, une entreprise du CAC 40 ou l’un des géants du web (Amazon, Google, Microsoft, Meta, Netflix) peuvent tous chercher à héberger leurs serveurs auprès d’un exploitant commercial. Une fois hébergés, les usages peuvent différer d’une catégorie d’entreprise à l’autre, certaines stockant leurs données et utilisant des services de bureautiques à distance tandis que d’autres usent des services de calculs et d’intelligence artificielle pour traiter de grands jeux de données.

  • 9 Cette formule fait référence au titre d’un dossier thématique de la revue Réseaux. Voir, Flichy Pat (...)

7Alors que ces deux secteurs participent tous deux à stocker et faire stocker des données, ils se sont longtemps développés sans échanger de services économiques. En effet, ce n’est que récemment que, d’un côté comme de l’autre, les échanges marchands se sont densifiés. Ce sont les conditions sociales et matérielles de la circulation des données, qu’elles soient massives ou non, qui constituent le fil rouge de mon travail de recherche. Il s’agit donc moins d’étudier la production des données à la frontière de plusieurs mondes sociaux9 que d’analyser de près des mondes particuliers qui permettent à d’autres de faire transiter les données entre différents espaces. Si plusieurs travaux ont montré le travail invisible propre à la gestion des données numériques, en analysant celles et ceux qui mettent les « mains dans les bases de données » (Dagiral & Peerbaye, 2012; Millerand, 2011, 2012), la thèse souhaite mettre en lumière de façon complémentaire les acteurs économiques qui permettent dans une certaine mesure aux « couches logicielles » d’exister. Se pose dès lors un ensemble de questions qui sont apparues de façon inductive durant l’enquête : qui sont ces acteurs marchands ? Comment ces mondes sociaux convergent-ils et quelle place occupent les États dans la régulation de cette dynamique ? Sous quelles modalités, et à partir de quels appuis (économiques et techniques) ? Comment s’alignent des pratiques professionnelles différenciées ? Qui participe (ou non), dans chacun des secteurs, à ce processus d’intrication et suivant quelle(s) finalité(s) ?

8De premiers éléments de réponses peuvent être présentés. Le rapprochement observé tient pour partie, et selon les acteurs interrogés, à la recherche par leurs clients d’une latence toujours plus faible, autrement dit de délais d’échanges de données toujours plus réduits. Certains clients, ponctuellement relayés par les opérateurs d’un marché comme de l’autre, exposent les raisons pour lesquelles l’hébergement de leurs serveurs au plus près des routes sous-marines importe. C’est par exemple le cas de Wikimédia, qui explique avoir installé des serveurs de mise en cache10 dans un centre de données à Marseille pour bénéficier de temps de latence réduits. Cette minimisation de la latence, explique-t-il, à des effets concrets sur le temps de chargement des contenus de la fondation : « Marseille est une localisation idéale, car elle dispose d’une station d’atterrement bien desservie, avec des câbles vers l’Afrique, le bassin Méditerranéen, le Moyen-Orient et l’Asie […]. Cela aide à réduire le nombre d’intermédiaires entre l’utilisateur et nos sites, augmente la fiabilité tout en réduisant la latence, améliorant par conséquent l’expérience de l’utilisateur. »11.

9Parallèlement à cette volonté de vitesse accrue de la part des usagers, des acteurs qui n’étaient jusqu’alors que de « simples » clients sont aujourd’hui devenus incontournables dans le marché des communications sous-marines. En effet, certains des GAMMA12, Google et Meta en tête, portent la moitié de la demande sur le marché de la construction de câble sous-marin pour les dix prochaines années13. Ces entreprises hybrident la location de bande passante internationale sur des câbles dont ils ne sont pas propriétaires et la construction de câbles en propre ou par le biais de consortiums restreints dont ils sont à l’initiative. Outre leurs capacités d’investissements massives, les GAMMA ont mis en place ces dernières années des stratégies de recrutement visant à intégrer des experts de l’industrie câblière dans leurs services d’infrastructures. Ce faisant, ces entreprises acquièrent des savoirs, mais également des ressources organisationnelles que sont les réseaux professionnels constitués durant la carrière des nouveaux recrutés. Ces réseaux interpersonnels sont d’autant plus importants qu’ils permettent d’évoluer dans une industrie câblière définie à plusieurs reprises par les enquêtés comme étant un « petit monde ». L’influence de ces imposants challengers (Fligstein & McAdam, 2015) doit cependant être nuancée : ces acteurs catalysent et amplifient une dynamique de convergence préexistante induite par une demande de célérité et de disponibilité qui n’est pas nouvelle en soi.

10Cette attention portée aux géants du web permet d’étudier sous un angle différent le rôle de ces derniers qui ont fait l’objet d’une attention conséquente dans les travaux portant sur l’économie de plateforme (Culpepper & Thelen, 2020), le « capitalisme de surveillance » (Zuboff, 2020) ou le « capitalisme algorithmique » (Martineau & Durand Folco, 2023) et plus largement la gouvernance d’internet (Musiani, 2018). La littérature en économie politique a aussi montré comment ces entreprises étasuniennes se trouvent actuellement en position de monopoles intellectuels par l’accumulation d’un vaste ensemble de biens intangibles (brevets, jeux de données des utilisateurs) (Rikap, 2020). L’enquête montre toutefois que le pouvoir infrastructurel (Brubaker, 2023 : 99‑125; Mann, 1984) de ces entreprises ne se résume pas à des logiques de prédations dans la sphère des droits intellectuels : il peut aussi se comprendre au travers de la prise de contrôle progressive sur une partie croissante des couches basses du numérique qui sont, elles, tangibles.

  • 14 La qualification des données, c’est-à-dire les informations relatives à leurs contenus, peut à l’oc (...)

11Étudier la logistique de la donnée pose inévitablement la question de la définition de la donnée. L’une des spécificités induites par un regard centré sur les réseaux physiques situés en amont a conduit à adopter une définition pragmatique et « agnostique » de la donnée. En effet, pour les acteurs étudiés, la donnée en tant qu’entité et actif n’est pas lisible en tant que telle14. Cette illisibilité, qui garantit supposément la confidentialité, est par ailleurs un élément dans les argumentaires commerciaux des opérateurs. C’est davantage par le cumul et la mobilisation de plusieurs indicateurs que la donnée se saisit et se donne à voir, notamment sous forme de flux. La bande passante, le débit, la latence, le poids sont autant d’outils et d’appuis qui permettent aux opérateurs de donner corps au quotidien à ce qu’ils manipulent (Bidet, 2007), mais également de formuler des offres commerciales standardisées. Les opérateurs de câbles sous-marins de communication proposent le plus souvent des offres combinant deux qualités principales : la bande passante et la latence. Les valeurs de bande passante sont standardisées (10 Gigabits/seconde, 100 Gigabits/seconde, 400 Gigabits/seconde), tandis que la latence entre deux points du réseau varie d’un acteur à l’autre et constitue un élément de distinction important sur le marché de la communication internationale. Les entreprises de centres de données mettent pour leur part en avant de nombreuses certifications relatives à la sécurité du site (physique et numérique), des métriques concernant l’espace et la puissance électrique disponible (exprimées respectivement en mètre carré/hectare et en mégawatt) ainsi que la proximité avec d’autres infrastructures (câbles sous-marins, autoroutes). Ces qualités sont comparables à celles que l’on retrouve dans le secteur des parcs d’activités logistiques, la métaphore de « l’entrepôt de données » prenant dès lors tout son sens. Enfin, certains opérateurs soulignent également l’hébergement en leur sein d’entreprises jugées comme attractives avec qui l’interconnexion pourrait être profitable dépendamment du secteur d’activité (fournisseur de contenus, cloud, finance). En effet, il est régulièrement avancé par les opérateurs qu’une entreprise aurait fortement à gagner à se trouver au plus près de ses partenaires. Ce rapprochement prend le plus souvent la forme d’un interconnexion filaire directe entre deux serveurs hébergés dans un même centre ou dans un autre centre de l’opérateur, ou bien d’une connexion « virtuelle » via différents protocoles de la couche logicielle (API). L’enjeu de ces mises en réseaux étant, à l’image des conventions des industries étudiées, la réduction de la latence et l’accroissement de la rapidité des échanges de données.

12Partant de ce constat, et dans le prolongement de travaux récents sur les industries et les travailleurs du flux (Benvegnù & Gaborieau, 2017; Flécher, 2023; Lopez, 2022; Quet, 2022; Rot & Vatin, 2017), j’en suis venu à concevoir ces deux mondes sociaux comme œuvrant à une « logistique de la donnée », c’est-à-dire à l’ensemble des opérations et médiations sociotechniques et économiques qui permettent à une donnée de transiter d’un serveur à l’autre. Cette recherche diffère toutefois des travaux mentionnés puisque son unité d’analyse est l’organisation, et plus spécifiquement l’entreprise.

Saisir le numérique « par le bas » : naviguer dans la pluralité des littératures

13À l’instar d’autres notions issues du sens commun, le « numérique » est un terme polysémique et renvoi à une réalité qui peut se saisir empiriquement au travers d’une grande variété d’enquêtes, en fonction de la définition qu’on lui donne. Deux littératures, parmi d’autres, se distinguent dans le travail de lecture nécessaire à l’étude du numérique tel que défini ici dans sa dimension marchande et infrastructurelle. La première est ancrée en sociologie économique et la seconde est issue d’un sous-champ s’inscrivant dans la lignée des Science and Technology Studies (STS), les infrastructure studies.

  • 15 Le marché des communications sous-marines trouve ses origines dans les premiers réseaux télégraphiq (...)

14La sociologie économique (Bernard de Raymond & Chauvin, 2014; François, 2008; Steiner, 2011) offre de premiers appuis théoriques pour cette recherche. Les marchés dont il est question ici, dont les histoires et temporalités économiques sont différentes15, peuvent se lire comme ayant été jusqu’à présent « asynchrones » au regard de leurs existences institutionnelles respectives (Fligstein, 2002), c’est-à-dire comme ayant évolué parallèlement sans avoir eu à se croiser et à tisser des liens stables. En ce sens, ma recherche s’inscrit dans le prolongement des études portant sur le « rythme du capital », qui ont pu étudier les modalités d’imbrication de différents marchés (Boissin & Trompette, 2017; Brunier & Pinaud, 2023). L’enquête s’inspire également des travaux en sociologie économique ayant privilégié une approche des marchés par les mondes sociaux (François, 2005), une vision transversale dans laquelle la circulation d’un bien entre différents espaces sur une même chaine de valeur est au centre de l’analyse (Bernard de Raymond, 2013) et une attention particulière pour les différents « moments » de la relation marchande, considérée comme intrinsèquement processuelle et réversible (Surubaru, 2014).

15De façon schématique, les questions classiques en sociologie économique ont été mobilisées pour étudier, à différente échelle et à partir de divers mondes sociaux, les effets du numérique dans la vie économique. On retrouve ainsi des travaux sur l’évolution des marchés (Beuscart, 2007; Kessous, 2001; Mellet, 2004; Trespeuch, 2011), la réduction de l’incertitude par la prédiction des comportements économiques (Kotras, 2018; Vayre, 2018), l’émergence de nouveaux prescripteurs et dispositifs de jugement (Beauvisage, Beuscart, Mellet, & Trespeuch, 2014; Jammet, 2018; Naulin, 2014), l’échange marchand à distance (Trespeuch, Beuscart, Pharabod, & Peugeot, 2019), l’entrepreneuriat (Alexandre, 2023; Jourdain, 2023) ou encore la monnaie (Beauvisage, Danieli, & Ducourant, 2023). D’autres travaux pourraient être inclus dans le rapport du numérique à la sphère marchande, notamment ceux qui s’intéressent aux collectifs qui s’opposent, résistent ou se constituent en alternative au modèle de l’économie de marché. Les réflexions et travaux autour des communs numériques, des logiciels libres ou des low-tech sont sur ce point particulièrement intéressants (Broca, 2021; Meyer, 2022; Shulz, 2019). Dans le même sens, les recherches qui étudient le travail de production et de transformation (« digital labor ») des données massives, activité le plus souvent effectuée dans les Suds par les « travailleurs du clic », sont riches d’enseignements sur la circulation des données et les micro-opérations permettant à ces dernières de devenir ensuite des actifs standardisés et valorisés (Casilli, 2019). Outre ces travaux centrés sur le numérique, qui permettent d’envisager la donnée sous ses différents états au cours de sa vie marchande (Surubaru, 2024), ce sont plusieurs des notions analytiques de la sociologie économique que je mobilise dans ma thèse pour rendre compte des formes marchandes qui sous-tendent les relations entre les mondes sociaux étudiés : marché, coopération, concurrence, réputation, incertitude, intermédiaires, travail marchand, etc.

16Si les centres de données, et plus généralement les espaces de stockage sont parfois mentionnés dans les travaux cités précédemment (Kotras, 2018 : 467), il reste que les acteurs marchands spécialisés dans ce service n’ont pas fait l’objet de recherches à part entière. Pour compléter ces travaux, il est donc nécessaire de les articuler à un autre corpus de littérature majoritairement anglophone, dont les travaux portent directement sur les infrastructures physiques du numérique.

  • 16 On peut aussi citer, sans être exhaustif : les (critical) data studies, big data studies, software (...)
  • 17 Il semblerait qu’au sein même des media studies, la définition de ce qu’est un média, ainsi que de (...)
  • 18 Il est intéressant de noter que si les travaux sur les centres de données se font de plus en plus n (...)

17S’inscrivant dans le sillon des STS, un sous-champ spécifique s’est développé autour de l’étude des infrastructures en général. Sous l’appellation « infrastructure studies », cet espace académique agrège une pluralité de disciplines (sociologie, anthropologie, géographie, communication, architecture, humanités, etc.) (Edwards, Cooper, & Hogan, 2024). Certains travaux se sont spécifiquement orientés vers les infrastructures d’internet (Sandvig, 2013) et entrent parfois en dialogue avec d’autres champs d’études aux agendas de recherche différent mais ayant pour objet commun le numérique, tels que les internet studies ou les platform studies16. Si la diversité des horizons disciplinaires est un état de fait, les chercheurs s’inscrivant dans ce courant proviennent pour une grande majorité des media studies17 et cultural studies, qui ont, à la suite d’un « tournant géologique » (Starosielski, 2016 : 295) et en échos avec les approches STS qui ont été pionnières dans l’étude de la matérialité de l’informatique (Al Dahdah, Dagiral, Kotras, à paraître), porté une importante attention à la matérialité des technologies de communication. Les centres de données et les câbles sous-marins sont ainsi devenus des entrées privilégiées afin de rendre compte de cette matérialité, même s’il est à noter que ce sont les centres de données qui ont davantage fait l’objet d’enquête approfondies18. Ces recherches adoptent le plus souvent une approche critique revendiquée à l’égard du « cloud ». Elles ont pour principale ambition d’ouvrir la « boite noire » du capitalisme informationnel et algorithmique, en orientant la focale sur les grandes entreprises du numérique – généralement les GAMMA – qui se sont installées dans les Nords (États-Unis, Irlande, Islande, Suède, Danemark) mais aussi les Suds (Amérique du Sud). Parallèlement à ce premier objectif, il s’agit, à partir d’enquêtes ethnographiques plus ou moins longues, de proposer des visions alternatives aux discours enchantés sur la technique numérique fondés sur un techno-solutionnisme davantage destructeur que salvateur.

18Les recherches traitant des centres de données mettent par exemple en exergue les conséquences environnementales d’un numérique souvent présenté comme peu polluant par les industriels (Crawford, 2021 ; Cubitt, Hassan, & Volkmer, 2011 ; Hogan, 2015 ; Hu, 2015 ; ; Reading & Notley, 2015), le travail institutionnel des États et administrations souhaitant attirer les acteurs économiques déployant ces infrastructures dans le cadre d’une compétition internationale (Bresnihan & Brodie, 2020 ; Johnson, 2019 ; Velkova, 2016, 2021 ; Vonderau, 2019a, 2019b), les enjeux d’une captation des ressources foncières et énergétiques (Burrell, 2020 ; Greene, 2022), l’invisibilité des travailleurs et de leurs conditions (Mayer & Velkova, 2023) ou encore le « colonialisme numérique » observable dans certaines parties du monde (Couldry & Mejias, 2019 ; Lehuedé, 2022 ; Ricaurte, 2019). Les câbles sous-marins de communication, et les divers groupes d’acteurs gravitant autour d’eux ont pour leur part été étudiés dans un ouvrage pionnier de l’anthropologue des médias Nicole Starosielski (Starosielski, 2015). À partir d’une étude sur la zone Pacifique, l’autrice montre l’importance des héritages coloniaux dans le développement des câbles contemporains, et met en exergue le travail des acteurs commerciaux pour ancrer ces infrastructures dans des écologies locales. Ce sont les conditions d’implantation qui intéressent

19De cette littérature foisonnante, je retiens d’une part une attention importante pour les imaginaires, narratifs et phraséologies utilisés par les entreprises ou administrations publiques concernés. Cet intérêt pour l’aspect rhétorique ne suppose pas un éloignement de la matérialité. Au contraire, il s’agit pour ces auteurs de comprendre comment le global devient local, comment les acteurs qui portent ces projets d’infrastructures se donnent à voir dans l’espace public et justifient leur présence sur les territoires, le plus souvent par une économie de la promesse, alors même que leurs logiques d’action se situent à un niveau international. Ces réflexions ne sont pas sans rappeler la pensée d’Anna Tsing sur les enjeux de la « scalabilité », pour qui il est important d’étudier l’important travail nécessaire à la mise en œuvre de réseaux d’acteurs en vue de faire circuler des entités à des échelles différentes, cela sans que la transposition entre ces différents espaces n’induise de distorsions (Tsing, 2017). Je retiens d’autre part une conceptualisation du centre de données, qui n’est pas seulement défini comme un édifice, mais avant tout comme un espace de circulation fabriqué par des acteurs transnationaux aux logiques marchandes qui dépassent souvent l’échelle d’un centre de données précis. En suivant la définition que donne Brian Larkin de l’infrastructure (Larkin, 2013), certains chercheurs de ce champs d’études définissent les centres de données comme des « configurations particulières de la matière qui facilite la circulation des données » (Edwards, Cooper, & Hogan, 2024). Cette conceptualisation, qui met au centre les enjeux que sont la transmission et la fluidité, rejoint à plus d’un titres les réflexions qui animent ma recherche. Particulièrement enrichissants, ces travaux ne font toutefois que rarement état de la morphologie du marché – si ce n’est pour en souligner la diversité des segments – alors que les centres de données « régionaux » se développent progressivement et selon des logiques différentes des hyperscalers. L’interdépendance entre infrastructures participant au maintien du flux des données (centres de données, câbles sous-marins, points d’échange internet), est parfois soulignée, sans que l’on sache vraiment comment ces rapports de dépendances se construisent ou se dénouent. De même, la sociologie des groupes d’acteurs économiques (fondateurs, dirigeants, cadres, experts) et leurs trajectoires professionnelles n’ont pas fait l’objet d’explorations poussées. Ma thèse propose d’approcher plus finement ces acteurs marchands, au sein de chaque industrie d’abord, et entre les industries ensuite. C’est précisément en constatant des différences de trajectoires scolaires et professionnelles entre les deux industries que j’ai privilégié une approche en termes de mondes sociaux. Si l’activité primaire qui les réunit est la logistique de la donnée, les industriels des câbles se caractérisent par des diplômes d’ingénieurs dont la spécialité est le domaine des télécommunications, des mobilités professionnelles en grande partie au sein de l’industrie, là où les entrepreneurs et dirigeants de centres de données, après avoir généralement obtenus des diplômes en ingénierie informatique ou en commerce, naviguent entre différents postes et secteurs liés à l’informatique ou aux télécoms avant de se stabiliser dans celui des centres de données spécifiquement.

Étudier les « boring things » d’internet : l’enquête par ses coulisses et ses négociations

20Comment et sous quelles conditions est-il possible de conduire une recherche sur des réseaux relativement opaques et distribués dans l’espace ? Comment étudier une convergence qui se donne à voir dans les discours, mais qui reste parfois fuyante et complexe à étudier ? Je propose dans cette troisième et dernière partie d’engager une réflexion à partir de plusieurs points d’attention, que partagent la majorité des enquêtes qualitatives : l’ouverture, la fermeture, l’incertitude et la captation.

  • 19 Les thématiques de ces salons étaient le cloud computing, l’économie du web, les centres de données (...)

21La thèse s’appuie principalement sur des données qualitatives. Les entretiens semi-directifs constituent un premier ensemble de données (n=76) et ont été menés auprès d’une variété d’acteurs au sein de chacun des mondes (fondateurs, dirigeants, directeurs commerciaux, experts, investisseurs privés, associations professionnelles ; etc.), à leurs interstices (scientifiques) ou à la marge de ces espaces marchands (personnels administratifs territoriaux, représentants des services centraux de l'État). À cela s’ajoute deux observations participantes, l’une au sein d’un opérateur sud-européen de communications sous-marines, l’autre auprès d’une association professionnelle française représentant l’industrie des centres de données. Enfin, la visite de plusieurs salons professionnels19 a permis de comprendre comment se donnent à voir différents mondes sociaux et marchés liés à la logistique des données.

  • 20 L’ouverture relative de terrains supposés jugés a priori difficiles se retrouve dans nombre de trav (...)
  • 21 Un contrat de travail pour l’opérateur de câble sous-marin, un contrat de non-divulgation des donné (...)

22De prime abord, il semblerait que l’accès à des mondes marchands et infrastructurels soit complexe. Pourtant, la plus grande partie des enquêtés que j’ai pu croiser ont été relativement ouverts 20. Les visites de plusieurs centres de données (commerciaux, universitaires) et d’une station d’atterrement de câbles, par exemple, ont toutes été menées à découvert. Ces visites ont néanmoins nécessité de multiples opérations de contrôle et de surveillance qui font partie de la trame ordinaire dans ces espaces protégés (dépôt préalable d’une pièce d’identité, expression claire du motif de la visite, contrôle biométrique, cheminement balisé par une personne possédant les autorisations internes, etc.). Un certain degré d’ouverture peut aussi être souligné concernant les observations participantes qui ont pu être négociées. Ces dernières ont toutefois été cadrées juridiquement par le biais d’un contrat21, afin de sauvegarder le secret des affaires et la confidentialité des échanges entre membres de l’organisation. Si la légitimité de ma présence était le plus souvent acceptée, certaines interactions ont néanmoins été explicitement formulées comme relevant de la plus stricte confidentialité. Les acteurs étaient donc en mesure d’interrompre temporairement la démarche d’enquête ou tout du moins d’en délimiter les frontières. Cela non pas en provoquant une mise à distance induisant une inaccessibilité de fait, mais en s’appuyant sur le registre de la confiance interpersonnelle et de l’éthique afin de produire un compromis : l’écoute active et la prise de note étaient certes acceptées, mais sous couvert d’une impossibilité de communiquer les données a posteriori.

  • 22 Le « SGMer » est rattaché au Premier ministre. Le « CIMer » est quant à lui un outil rassemblant, s (...)
  • 23 Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la pre (...)
  • 24 Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.
  • 25 Les entreprises liées au secteur des câbles présentes sur le territoire français ont pu être qualif (...)

23La question de l’étude du rôle de l’État français dans la régulation des deux secteurs étudiés, et plus particulièrement au sujet du secteur des câbles, est intéressante en ce qu’elle est révélatrice d’un seuil empirique difficilement surmontable dans le cadre d’un projet doctoral à la temporalité limitée. L’un des résultats de l’enquête est qu’il n’existe pas de guichet clairement identifié sur l’enjeu des câbles sous-marins en France. Il est plutôt question d’une distribution – voire d’un éclatement – entre différentes administrations aux contours et accès hétérogènes : ministère de l’Environnement, ministère de l’Économie, ministère des Affaires étrangères, ministère de la Défense, Secrétariat général à la mer, Comité interministériel de la mer22. Cette distribution au sein des différentes strates administratives de l’État ne surprend pas au regard de la « division du travail interne à l’État » (Bezes, 2005). Il est en revanche surprenant que des organisations telles que l’ARCEP23 ou l’ANSSI24 ne soient pas, comme l’on pourrait s’y attendre, des espaces privilégiés au sein desquels se négocient les réglementations et d’éventuelles politiques industrielles. Cet éclatement administratif explique que les câbles, parfois rendus visibles auprès du grand public à l’occasion d’évènements marquants25, restent usuellement invisibles. Ce constat ne doit pas conduire à en déduire un désintérêt total pour les câbles de la part de l’État, mais invite plutôt à s’interroger sur la reconfiguration de l’attention que ce dernier porte sur ce type d’infrastructure (Morel, 2023), et plus généralement à la coexistence de différents régimes de présence de l’État concernant les infrastructures numériques (Alauzen & Gélédan, 2021).

24Le suivi de près de l’arrivée d’un nouveau câble sous-marin sur l’une des côtes françaises a été l’occasion de s’interroger sur les différents niveaux administratifs qui s’activent autour de cette nouvelle infrastructure. Ce sont les administrations décentralisées et les collectivités territoriales qui ont été les plus ouvertes (Mairie, Direction départementale des territoires), la remontée vers les services centraux ayant été accompagnée d’une restriction progressive des interlocuteurs. La principale hypothèse permettant de comprendre cette difficulté pose que les enjeux géopolitiques, structurants dans cette industrie, induisent une discrétion sur ce sujet. Cette supposition n’est pas sans rappeler que l’État – ou certaines de ses composantes – se définit également par une certaine culture du secret en fonction des secteurs étudiés (Tréguer, 2023). Parce que se rapprochant d’activités relevant du régalien, les câbles sous-marins demeurent pour partie confinés dans certains espaces qui restent difficiles à saisir et investir. C’est davantage au niveau européen qu’il faut se référer pour observer une mise à l’agenda de politiques visant à porter une attention envers ces « infrastructures critiques », en l’occurrence dans un contexte où la notion polysémique de « souveraineté numérique » est devenue prépondérante.

  • 26 Sur 76 entretiens au total, seulement 11 ont été menés en face à face.
  • 27 Une réflexion collective à ce sujet, réunissant différents projets de recherche (collectifs ou indi (...)
  • 28 Construction de l’offre de services, des prix, prospections, (re)lecture des contrats, analyse du m (...)
  • 29 Voir à ce sujet les contributions rassemblées dans un dossier de la revue SociologieS : Stavo-Debau (...)

25L’incertitude et le bricolage méthodologique sont des traits caractéristiques de toute démarche d’enquête – parfois passé sous silence dans la production académique – supposant un terrain ethnographique, et sont des éléments avec lesquels le chercheur doit sans cesse composer (Bizeul, 1998; Boumaza & Campana, 2007). Certaines de ces incertitudes prennent corps à des degrés divers, mais également à des échelles différentes, parfois en dehors de la démarche d’enquête. Ainsi, ma recherche ayant débuté en 2020, la pandémie a eu des effets conséquents sur la conduite de cette dernière. Un premier constat renvoie à la prépondérance des entretiens menés par visioconférence26. Il est actuellement difficile d’inférer une causalité directe entre ce régime d’interaction particulier et la durée des entretiens. Il semblerait néanmoins qu’une variation conséquente (les entretiens en présentiel ayant généralement une durée plus importante que ceux ne l’étant pas) puisse en partie être attribuée à la numérisation des échanges27. Le second constat tient à la réorientation de l’enquête en lien avec l’incertitude des régimes de circulation en Europe sur la période 2021-2022. L’observation au sein de l’opérateur de câble sous-marin devait initialement se faire en Europe du Nord, au sein des locaux commerciaux de l’entreprise dans lesquels travaillent les équipes commerciales. Du fait d’une incertitude importante quant à l’éventuelle fermeture des frontières, il m’a été proposé de me diriger vers les bureaux techniques, localisés pour leur part en Europe du Sud. Cette bifurcation ne fut pas seulement géographique, elle fut également d’ordre théorique et pratique. La division du travail au sein de l’entreprise étant inscrite dans sa distribution spatiale, ce n’était dès lors plus l’activité des équipes de vente28 qui se « donner à voir », mais les activités de surveillance du flux, de planification des opérations de maintenance, de résolution de pannes et autres dysfonctionnements. La réorientation de l’attention fut donc importante pour poursuivre l’enquête et la mener à son terme. Cette relative fluidité dans la circulation entre espaces et acteurs n’a pas empêché quelques mésaventures. Ce fut notamment le cas avec une entreprise importante du secteur sous-marin, qui, après plusieurs mois d’échanges et plusieurs propositions de projets de recherche communs, n’a plus donné suite à mes sollicitations, et ce sans justifications précises. Cette déconvenue n’est pas spécifique aux mondes enquêtés dans cette recherche : les « ratés », fermetures et autres formes de négociations infructueuses ont pu être décrites dans d’autres recherches29.

26La problématique de la captation est également au cœur de nombre de réflexions sur les terrains ethnographiques. Cet enjeu se pose avec d’autant plus de force plus lorsque les terrains sont liés à des secteurs marchands et techniques, et engagent des débats plus généraux sur les conditions pratiques de la recherche (Boncourt, Debos, Delori, Pelopidas, & Wasinski, 2020; Surubaru, 2022). Mon statut de doctorant en sociologie – connu de tous les acteurs – fut positivement perçu dans les deux secteurs, et je n’ai pas ressenti une quelconque forme de recadrage forçant le regard sur un aspect particulier de l’organisation. Au contraire, j’ai à plusieurs reprises été force de proposition afin de construire des formes d’échanges et de réciprocité en vue de justifier de ma présence. L’absence d’actions visant à construire une emprise, à des fins stratégiques réelles ou supposées, sur l’autonomie de ma réflexion ne suppose en revanche pas que les organisations que j’ai pu intégrer n’aient pas bénéficié, d’une façon ou d’une autre, de cette présence. Mon enquête au sein de l’opérateur de câble venait par exemple alimenter des indicateurs de performance que l’entreprise devait remplir du fait d’avoir été en partie subventionnée par une institution européenne. J’appris par le directeur m’ayant ouvert les portes de l’entreprise, au cours d’échanges informels, que d’autres stagiaires m’avaient précédé (une étudiante à Sciences Po, des étudiants en filière « sport électronique ») et avaient pour particularité de ne pas être des ingénieurs. Ainsi, mon intégration s’inscrivait davantage en continuité qu’en rupture avec l’extérieur de l’organisation. De même, ma présence au sein de l’association professionnelle des centres de données a pu être, j’en fais l’hypothèse, acceptée sans négociations substantielles, car mon projet de recherche ne portait pas sur les enjeux environnementaux qui sont des sujets sensibles et controversés dans cette industrie (Marquet, 2018). Cet état de fait a permis de négocier l’accès et de refroidir une potentielle méfiance à l’égard de la figure du sociologue.

Conclusion

27Cet article a présenté, dans les grandes lignes, quelques éléments d’une recherche doctorale portant sur les infrastructures matérielles d’internet et la logistique des flux qui les traversent. Ce projet s’est construit autour d’un constat qui s’est, au fil de l’enquête, précisé : comment deux mondes sociaux, asynchrones et traversés par des relations marchandes, tendent à converger l’un vers l’autre ? Ces mondes sociaux, liés au macro-système technique qu’est internet, ont pour particularité de faire partie des couches les plus basses qui permettent deux opérations fondamentales dans la logistique de la donnée : le stockage de masse et la circulation à longue portée. En se liant l’un à l’autre, ces mondes constituent une communauté d’affaires caractérisée par une récurrence et une stabilisation des relations marchandes.

28Cette convergence n’est pas homogène au sein de chacun des mondes sociaux, certains acteurs économiques installés et dominants dans le marché des centres de données déploient une stratégie active de recoupement afin de singulariser leurs offres sur leur marché respectif, là où d’autres occupent davantage une position d’observateurs. L’enchevêtrement de ces mondes sociaux ne se fait par ailleurs pas sans engager d’autres espaces sociaux, qui peuvent être liés aux États et à leurs administrations. La constitution de « hubs » numériques nationaux - agrégeant dans un espace restreint sites de production énergétique, câbles sous-marins, centres de données et pour certains pôles de formation spécialisés - est devenue pour certains États une stratégie visant à accroitre l’attractivité économique de leurs territoires. La force de ce couplage n’est en revanche pas clairement définie – d’une part, car il n’est pas encore possible de dire que ce processus soit entièrement stabilisé, d’autre part, car l’indétermination inhérente à tout système technique empêche d’aller dans le sens d’une irréversibilité totale faisant suite à cette dynamique d’intrication. On peut toutefois avancer que les centres de données, auparavant liés au stockage et au calcul, deviennent des acteurs quasiment incontournables dans le système de communication tel qu’il se donne à voir aujourd’hui.

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Vonderau Asta (2019). « Scaling the Cloud: Making State and Infrastructure in Sweden », Ethnos, 84 (4), pp. 698‑718.

Wagner Nicolas El Haïk (2023). « Être au plus près sans être trop près. Enjeu partagé de l’ethnologue et des équipes du bloc opératoire », Zilsel, (13), pp. 203‑222.

Zuboff Shoshana (2020). L’âge du capitalisme de surveillance. Paris, Zulma.

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Notes

1 En 2023, 3.9 Petabits sont en moyenne échangés chaque seconde dans le monde, soit environ 612 Térabits. Source : TeleGeography, consulté le 07.01.23, URL : https://blog.telegeography.com/feast-your-eyes-on-the-2023-submarine-cable-map

2

3 La période 1980-1990 a été particulièrement dense au sujet du secteur des télécommunications, tant au niveau technique que politique. Si de nombreux observateurs (académiques ou non) ont souligné l’importance des transformations induites par la libéralisation, certains travaux récents en sciences politiques se sont attelés à relire de près ce point de rupture de l’histoire économique française. Voir : Bellon Anne (2022). L’État et la toile : des politiques de l’Internet à la numérisation de l’action publique. Vulvaines sur Seine, Éditions du Croquant ; Robert Melaine (2021). « Instituer la régulation, s’ériger en régulateur. Des concurrences au sein de la haute fonction publique à la création d’un marché des télécommunications », Revue française de Socio-Économie, n° 27 (2), pp. 11‑32.

4 L’engagement de l’État ne s’est pas complètement dissolu pour autant. Ainsi, pour le groupe Orange (anciennement France Télécom), l’État est actionnaire à hauteur de 23% via l’Agence des participations de l’État et la Banque Publique d’Investissement. Cet état de fait vaut également pour d’autres pays européens, dans des proportions autres, comme l’Allemagne, la Belgique, la Finlande, la Norvège ou encore la Suède.

5 Cette valeur, dont la source est rarement citée, sert le plus souvent à informer de l’importance de ces infrastructures, mais également à réexprimer la singularité et la primauté du marché des câbles sous-marins par rapport à d’autres marchés de la communication, par exemple celui des satellites.

6 Introduction d’un billet de blog sur le site d’un opérateur télécom majeur de la zone Pacifique. Ma traduction.

7 Documentation à destination d’un public élargi d’une association professionnelle française représentant l’industrie des centres de données.

8 Entretien de Sami Slim, directeur général de l’opérateur de centres de données Telehouse France. URL : https://www.youtube.com/watch?v=AcR9XGB_73U

9 Cette formule fait référence au titre d’un dossier thématique de la revue Réseaux. Voir, Flichy Patrice (2021). « Produire les données, à la frontière de plusieurs mondes sociaux », Réseaux, N° 228 (4), pp. 9‑19.

10 La mise en cache est une pratique qui consiste à copier des données dans des serveurs « miroirs » qui sont géographiquement proches des utilisateurs afin de limiter le temps de chargement d’un contenu. Les fournisseurs de contenus (streaming, jeux vidéo en ligne) utilisent souvent ce procédé à la veille d’une sortie particulièrement attendue en vue de ne pas surcharger leurs serveurs principaux et les coûts de communication des données.

11 WM: TECHBLOG (2022). « Building DReaMeRS : How and why we opened a datacenter in France », consulté le 15.02.24, ma traduction.

12 Google, Amazon, Meta, Microsoft, Apple. Ces grandes entreprises sont également appelées « hyperscalers » ou OTT pour « Over The Top ».

13 Izambart Antoine (2019). « Alcatel Submarine Netwoks, le champion français des câbles sous-marins revit grâce à Facebook et Google », Challenges, consulté le 13.01.24

14 La qualification des données, c’est-à-dire les informations relatives à leurs contenus, peut à l’occasion être explicitement définie auprès de l’exploitant de centre de données. Cela est par exemple le cas lorsque les données à héberger entrent dans une catégorie juridique particulière. Cela vaut en l’occurrence pour les données de santé, qui nécessitent en France une certification spécifique (Certification Hébergeur de Santé, « HDS »).

15 Le marché des communications sous-marines trouve ses origines dans les premiers réseaux télégraphiques qui se développent à partir de la moitié du XIXe siècle. Celui des centres de données, dont l’origine est plus opaque, émerge à la fin des années 1990, avec la mise à disposition de capacité de calcul de serveurs privés qu’il s’agit de valoriser car coûteux en investissements. Ce fut notamment le cas d’Amazon. Voir : Miller Ron. (2016) « How AWS came to be », TechCrunch, consulté le 15.01.23, URL : https://techcrunch.com/2016/07/02/andy-jassys-brief-history-of-the-genesis-of-aws/ On peut également se référer à la date de création des entreprises actuellement dominantes pour en avoir une chronologie partielle : Telehouse en 1989, Equinix, Global Switch et Interxion en 1998, Digital Realty en 2004.

16 On peut aussi citer, sans être exhaustif : les (critical) data studies, big data studies, software studies, code studies. On peut également citer quelques-unes des revues qui constituent les principaux espaces de publications des infrastructures studies du numérique : Culture Machine, New Media & Society, Big Data & Society, Information, Communication & Society ou encore Imaginations : Journal of Cross-Cultural Image Studies.

17 Il semblerait qu’au sein même des media studies, la définition de ce qu’est un média, ainsi que de la place à accorder aux dispositifs techniques permettant la circulation du contenu, sous quelle que forme que ce soit, a participé à l’essor des travaux se revendiquant d’un tournant matérialiste. Voir : Lievrouw Leah A. (2014). « Materiality and Media in Communication and Technology Studies: An Unfinished Project », in Gillespie Tarleton, Boczkowski Pablo J., & Foot Kirsten A. (dir.), Materiality and Media in Communication and Technology Studies. Cambridge, Massachusetts London, England, The MIT Press, pp. 21‑52.

18 Il est intéressant de noter que si les travaux sur les centres de données se font de plus en plus nombreux, peu de recherches sont en revanche disponibles sur l’histoire économique de cette industrie. Cela tient pour partie à la jeunesse du secteur. A contrario, il existe une large littérature sur l’histoire économique et politique des câbles sous-marins de communication, mais relativement encore peu de travaux ethnographiques contemporains à leurs sujets.

19 Les thématiques de ces salons étaient le cloud computing, l’économie du web, les centres de données et les câbles sous-marins.

20 L’ouverture relative de terrains supposés jugés a priori difficiles se retrouve dans nombre de travaux, voir : Wagner Nicolas El Haïk (2023). « Etre au plus près sans être trop près. Enjeu partagé de l’ethnologue et des équipes du bloc opératoire », Zilsel, (13), pp. 203‑222.

21 Un contrat de travail pour l’opérateur de câble sous-marin, un contrat de non-divulgation des données pour l’association professionnelle de centres de données.

22 Le « SGMer » est rattaché au Premier ministre. Le « CIMer » est quant à lui un outil rassemblant, sous l’égide du SGMer, l’ensemble des ministères ayant affaire avec les questions maritimes.

23 Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

24 Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.

25 Les entreprises liées au secteur des câbles présentes sur le territoire français ont pu être qualifiées de « fleurons nationaux » lors de l’arrivée d’un nouveau câble, ou bien lors de controverses ayant trait au rachat par un acteur étranger de certaines entreprises du secteur.

26 Sur 76 entretiens au total, seulement 11 ont été menés en face à face.

27 Une réflexion collective à ce sujet, réunissant différents projets de recherche (collectifs ou individuels, doctoral ou non), ayant eu à surmonter cette épreuve inédite pourrait permettre une analyse plus fine des ressorts pratiques et effets épistémologiques d’un tel évènement, qu’il est par ailleurs possible de segmenter en plusieurs phases. Pour de premières réflexions, voir : Abescat Camille, Barnier-Khawam Pablo, Chaplain Alix, Colomba-Petteng Léonard, Duboscq Claire, Jacquin Ronan, Vergonjeanne Anaëlle (2022). « Terrains « sans contact » : l’enquête qualitative en sciences sociales pendant la pandémie », Tracés, (42), pp. 75‑93. ; Balaudé Aliénor, Glinel Charlotte & Madon Julie (2022). « Trois sociologues dans un fauteuil. Ce que le basculement numérique contraint fait aux conditions d’enquête et aux matériaux recueillis », Socio-anthropologie, (45), pp. 213‑229. On pourrait également s’interroger sur la nature des outils numériques mis à disposition dans l’ESR, et en l’occurrence de la surreprésentation de logiciels propriétaires, dans la conduite des enquêtes par voie numérique.

28 Construction de l’offre de services, des prix, prospections, (re)lecture des contrats, analyse du marché, acquisition de nouveaux équipements, recrutement du personnel, etc.

29 Voir à ce sujet les contributions rassemblées dans un dossier de la revue SociologieS : Stavo-Debauge Joan, Roca i Escoda Marta & Hummel Cornelia (2017), « Penser les ratés de terrain », SociologieS, [En ligne], URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologies/6084. Sur les négociations sur le terrain, voir le dossier de la revue Cambouis : Aubry Agnès, Kuehni Morgane & Scalambrin Laure (2023). « Pratiques et politiques de la négociation pour accéder et se maintenir sur un terrain d’enquête », Cambouis, [En ligne] URL : https://revue-cambouis.org/index.php/cambouis/section/view/nego-terrain. Enfin, pour une revue des différentes problématiques méthodologiques liées à la notion de « terrain », voir la section « Frictions » du numéro 13 de la Revue Zilsel paru en 2023.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Victor-Manuel Afonso Marques, « D’un serveur à l’autre »RESET [En ligne], 13 | 2024, mis en ligne le 03 octobre 2024, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/reset/5018 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12cn0

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Auteur

Victor-Manuel Afonso Marques

Université de Bordeaux – Centre Émile Durkheim

victor-manuel.afonso-marques@u-bordeaux.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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