Navigation – Plan du site

AccueilNuméros12DossierDes dispositions à apprendre pour...Le succès entrepreneurial sur la ...

Dossier
Des dispositions à apprendre pour entreprendre ?

Le succès entrepreneurial sur la plateforme marchande Etsy : compétences numériques ou dispositions sociales ?

Entrepreneurial success on the Etsy marketplace: digital skills or social dispositions?
Anne Jourdain

Résumés

Vendre sur une plateforme marchande telle qu’Etsy implique un intense travail marchand numérique (adapter sa boutique en ligne à l’algorithme d’Etsy, publier sur les réseaux sociaux, etc.). Ce travail suppose de nombreux savoir-faire et compétences, et donc une socialisation aux technologies numériques de la plateforme. Pour comprendre les quelques succès et les nombreux échecs de la marchandisation en ligne, et contribuer ce faisant à une sociologie des apprentissages sur internet, l’article propose d’analyser le processus d’acquisition de ces compétences numériques. L’apprentissage repose moins sur des dispositifs formels que sur des logiques informelles telles que l’expérimentation par essais et erreurs et l’intégration d’une communauté de pratique. Il peut lui-même être conceptualisé comme un travail, mais aussi comme un jeu. Plus généralement, l’acquisition plus ou moins difficile et rentable de compétences numériques s’articule à des dispositions sociales déjà-là, impliquant de réinsérer les temporalités de l’apprentissage dans les parcours biographiques des vendeur.ses d’Etsy.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

  • 1 De la même manière, la littérature féministe des années 1970 et 1980 a rendu le travail domestique (...)

1Le développement des plateformes numériques de marchandisation d’activités domestiques (Airbnb, Foule Factory, TaskRabbit, Upwork... ) entretient l’illusion selon laquelle il suffirait de s’y inscrire pour vendre aisément ses biens ou ses services (Abdelnour & Méda, 2019 ; Naulin & Jourdain, 2019). Les récentes recherches menées sur ces plateformes et sur les médias sociaux mettent au contraire en évidence l’importance d’un investissement personnel très conséquent pour percevoir des revenus substantiels de l’activité en ligne (Duffy, 2017 ; Wood et al., 2019). Cet investissement est fréquemment qualifié de « travail », même si les vendeur.ses des plateformes ne s’inscrivent pas toujours dans une optique professionnelle. Le concept de digital labour désigne ainsi la production de contenus numériques sur internet (des likes sur Facebook aux vidéos sur YouTube) et ses théoricien.nes dénoncent la captation de la valeur économique de ce « travail » par les plateformes numériques elles-mêmes (Cardon & Casilli 2015 ; Casilli 2019 ; Scholz 2012). Si cette littérature permet de rendre visible un travail invisible1, elle ne s’est que très peu intéressée à la question des apprentissages des technologies numériques propres à ces plateformes. Le travail numérique suppose pourtant l’acquisition de nombreux savoir-faire et compétences. Cet article entend combler en partie ce manque en proposant précisément une analyse de la socialisation aux technologies numériques des plateformes.

2Dans la lignée des travaux sur les plateformes numériques, mon enquête sur les vendeur.ses d’objets faits-main (bijoux, décoration, sacs… ) de la plateforme Etsy met en évidence la nécessité d’une intense activité numérique pour être visible sur internet et percevoir des revenus de cette marchandisation en ligne, à titre amateur ou professionnel. Si quelques minutes suffisent pour créer une boutique en ligne individuelle sur la plateforme marchande et rejoindre ainsi ses 4,4 millions de vendeur.ses, cette création ne suffit pas pour vendre, comme le découvrent à leurs dépens certain.es néophytes. La marchandisation en ligne suppose en effet de mettre en valeur ses objets selon les codes de la plateforme (Zabban, 2019) et notamment de trouver les bons mots-clés pour chacun de ses produits afin d’être repéré.e par l’algorithme d’Etsy et de gagner en visibilité dans le moteur de recherche associé. Simultanément, les vendeur.ses doivent développer leur e-réputation (Beuscart et al. ou celle de leur marque. Pour cela, iels doivent publier régulièrement du contenu sur la plateforme et sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Pinterest… ) et donc prendre des photographies de leurs produits, se mettre en scène, répondre aux commentaires… Parce que cette activité requiert beaucoup de temps, d’organisation et de compétences, elle peut être qualifiée de « travail ». Plus précisément, elle correspond à une forme de « travail marchand » (Cochoy & Dubuisson-Quellier, 2000), c’est-à-dire de travail déployé par les entreprises « pour construire une relation avec leur marché » (Dubuisson-Quellier, 2003 : 23). Si les vendeur.ses d’Etsy ne disposent pas tou.tes d’une entreprise au sens juridique du terme (le statut le plus fréquent étant l’autoentrepreneuriat), iels sont amené.es à gérer leur boutique en ligne comme des entrepreneur.ses recherchant des occasions de profits symboliques et économiques (Chauvin, Grossetti, & Zalio, 2014). Leur travail marchand s’appuie très largement sur des technologies numériques (gestion des pages internet et de l’application téléphonique d’Etsy, messagerie, forums, réseaux sociaux, blogs… ). Dès lors, il participe des « réinventions du travail marchand » suscitées par le développement du commerce en ligne (Beuscart et al., 2016 : 158). Pour pouvoir être mis en œuvre, ce travail marchand numérique suppose différentes formes d’apprentissage, le plus souvent informelles et donc invisibles (Brougère & Bézille, 2007).

  • 2 La catégorie « Vendeur à la Une » du blog français d’Etsy est dédiée à ces success-stories.

3Si les médias se font régulièrement l’écho de success-stories sur Etsy2, le succès entrepreneurial est en réalité rare. À côté d’une minorité de vendeur.ses (1%) qui réalise des dizaines de milliers de ventes et qui perçoit au moins un smic brut par mois, la grande majorité ne vit pas des revenus générés via la plateforme. Comme pour toutes les activités en ligne (Beuscart & Couronné, 2009), une loi de puissance classique peut être mise en évidence : 10% des vendeur.ses réalisent 88% des ventes. Les échecs en ligne sont donc objectivement prédominants (Cardon & Delaunay-Téterel, 2006), même s’ils doivent être mis au regard des projets de marchandisation qui s’inscrivent souvent dans un cadre amateur ou de recherche de compléments de revenus. Les inégalités de réussite, ainsi que les variations de sens donné à l’activité de marchandisation, peuvent être rapportées à des différences sociales. En effet, si les vendeur.ses d’Etsy sont globalement plus diplômé.es que la moyenne des Français.es et très majoritairement des femmes (88%), iels se distinguent entre elleux par leurs trajectoires sociales et professionnelles qui rendent elles-mêmes compte de socialisations différenciées au travail marchand numérique.

4Pour comprendre les quelques succès et les nombreux échecs de la marchandisation en ligne, et contribuer ce faisant à une sociologie des apprentissages sur internet, l’article propose d’analyser le processus d’acquisition de compétences numériques et de montrer comment celui-ci s’articule à des dispositions sociales déjà-là. En s’inspirant de la sociologie du travail et de la formation, les « compétences » sont conçues comme des savoir-faire dont l’acquisition est activement recherchée en vue « d’agir et/ou de résoudre des problèmes professionnels de manière satisfaisante » (Bellier, 1999 : 226). En s’appuyant sur la sociologie dispositionnaliste héritée des travaux de Pierre Bourdieu, les « dispositions » sont définies comme des manières de faire et de penser intériorisées involontairement au cours de la socialisation primaire et secondaire (voir notamment Bourdieu, 1979). Cette distinction analytique entre compétence et disposition a une double vocation. D’une part, elle vise à montrer que l’acquisition de compétences numériques marchandes relève d’un travail actif, supposant des investissements financiers, temporels et cognitifs. D’autre part, elle permet de saisir que ce travail d’apprentissage est plus ou moins facilité par des dispositions sociales qui rendent les investissements précédemment mentionnés plus ou moins coûteux et plus ou moins rentables.

5Cette analyse s’appuie essentiellement sur des entretiens menés avec 19 vendeur.ses d’Etsy. J’ai veillé à diversifier les profils en termes de catégorie d’objets vendus, de nombre de ventes réalisées (informations visibles en ligne) et, dans une moindre mesure, de sexe (16 femmes et 3 hommes ont été interrogé.es). L’échantillon obtenu comporte 12 individus envisageant de vivre de leur entreprise créative dans une optique professionnelle et 7 individus percevant Etsy comme un hobby à côté de leur activité principale. Les données de ces entretiens sont mises en perspective à partir d’autres types matériaux mixtes : 3 entretiens avec des salariées d’Etsy France, des observations des dispositifs numériques (sites internet, application mobile, réseaux sociaux…) et d’expositions « Etsy Made in France » à Paris, ainsi que des données quantitatives issues, d’une part, du web scraping des 14 415 boutiques françaises d’Etsy actives en 2017 et des 19 715 boutiques en 2019, et, d’autre part, de la passation d’un questionnaire auprès de 248 vendeur.ses au printemps 2020. Pour l’enquête sociologique, j’ai également ouvert un compte d’acheteuse et un compte de vendeuse sur Etsy. J’ai réalisé quelques achats, mais aucune vente. N’ayant pas moi-même d’objets à vendre, je n’ai pas pu mener d’observation participante. Ces comptes m’ont néanmoins permis d’appréhender les interfaces numériques définies par Etsy et m’ont donné accès à une formation téléphonique visant l’« optimisation » de ma boutique début 2021.

6L’article explore dans une première partie les différentes formes d’apprentissage, majoritairement informelles, du travail marchand numérique par les vendeur.ses d’Etsy. Il montre dans une deuxième partie que l’apprentissage peut lui-même être conceptualisé comme un travail, mais aussi comme un jeu. Pour comprendre la plus ou moins grande réussite des entreprises numériques, la troisième partie analyse l’inscription de l’apprentissage du travail marchand numérique dans des trajectoires de socialisation plus générales et socialement situées.

Ouvrir sa boutique en ligne : des dispositifs formels aux modalités informelles d’apprentissage

  • 3 À titre d’exemples, voici des titres d’articles sur Etsy dans les médias généralistes : « Surfant s (...)

7L’accent mis sur la créativité et le fait-main des vendeur.ses d’Etsy, aussi bien par la plateforme elle-même que par les médias3, tend à occulter l’important travail marchand numérique nécessaire pour vendre en ligne, et, par suite, l’ensemble des apprentissages requis par ce travail. Plutôt que de structurer le propos en fonction des multiples facettes de ce travail (techniques, relationnelles, émotionnelles… ), je propose de distinguer trois principales formes d’apprentissage de ces différentes facettes : les dispositifs formels de formation, l’expérimentation par essais et erreurs et l’intégration d’une communauté de pratique. Les deux dernières formes, beaucoup plus prégnantes, relèvent de l’apprentissage informel caractérisé par le fait que « les personnes apprennent sans que la situation ait été pensée pour cela », même si l’on peut toujours repérer un « entrelacement du formel et de l’informel » (Brougère, 2007 : 5 et 7).

L’insuffisance des dispositifs formels de formation

8La vente en ligne sur une plateforme marchande suppose de « construire une offre standardisée » adaptée aux cadres et aux codes prédéfinis par la plateforme : « Blablacar conseille ainsi aux conducteurs de définir précisément leur point de départ et villes étapes ; Drivy recommande aux loueurs de donner des indications sur les raisons de leur excursion (…) Videdressing suggère des montants de réduction par rapport au prix du neuf, qu’il faut renseigner » (Trespeuch et al., 2019 : 134-135). Sur Etsy, chaque produit est inséré dans la boutique en ligne sous la forme d’une « fiche produit » qui doit ainsi être assortie d’une ou, de préférence, de plusieurs photographies, d’un titre, d’une description précise (avec les dimensions de l’objet), de mots-clés et éventuellement d’occasions d’achat (mariages, anniversaires, etc.). Des espaces sont également prévus sur la page internet dédiée à la boutique pour mettre une photographie du/de la vendeur.se, une présentation de sa production, etc. Vendre sur Etsy implique donc un apprentissage des règles du jeu numérique, telles qu’elles sont orchestrées par la plateforme.

  • 4 Le choix du pseudonyme « Elise Porte » signale la stratégie de proximité sociale employée par l’ent (...)

9Etsy propose pour cela un ensemble de dispositifs visant à aider les vendeur.ses à vendre sur la plateforme. Après avoir mis en place des réunions de formation à Paris lorsque la plateforme s’est développée en France en 2012, Etsy privilégie aujourd’hui les formations téléphoniques individualisées, qui lui permettent aussi de marchandiser de nouveaux services comme la publicité : il est désormais possible de payer Etsy pour que ses produits soient plus visibles sur la plateforme ou même sur Google. J’ai ainsi été contactée en janvier 2021, en tant que vendeuse sur Etsy, pour bénéficier gratuitement d’une formation téléphonique dispensée par « Elise Porte », membre d’une équipe tunisienne d’une dizaine de personnes4. Au cours de deux discussions de plus d’une heure chacune, Elise m’a ainsi appris à bien choisir mes mots-clés, à indiquer tous les éléments de description nécessaire (dimensions, usages… ) et m’a indiqué comment l’algorithme d’Etsy repérait les fêtes (Saint-Valentin, Fête des mères, etc.) afin de « booster [ma] visibilité ». Ce type de formation aux aspects techniques, contribuant au développement de la plateforme, est complété par un dispositif central : le Manuel du vendeur, dont le sous-titre est Des conseils et de l’inspiration pour faire de votre boutique Etsy une réussite. Ce manuel consiste ainsi en plus de trois cents articles et tutoriels, accessibles depuis le site internet Etsy.com. Les conseils concernent les photographies, la visibilité sur internet, les aspects économiques ou encore juridiques : « Comment photographier vos produits », « Ajouter des attributs pour augmenter la visibilité de votre boutique », « Exploiter la puissance des réseaux sociaux pour votre activité »… Ce Manuel du vendeur est utilisé par 79% des vendeur.ses de notre échantillon quantitatif (N=278) et constitue donc une référence centrale dans leur formation. En entretien, ce dispositif est souvent cité comme une clé de compréhension des mécanismes de référencement des produits au sein de la plateforme. Ce manuel en ligne a permis à Karine, céramiste professionnelle, de comprendre comment formuler ses mots-clés pour que ses produits soient repérés par l’algorithme d’Etsy :

« Il y a des sortes de formation en ligne qui sont proposées sur Etsy, on vous explique exactement quelles sont les étapes à suivre pour être référencée. Ça paraît très intuitif, mais ça ne l'est pas. Par exemple, je donnais des noms à mes bijoux, mais ce n'était pas quelque chose à faire, personne ne va chercher avec ce nom-là. Finalement, j'ai complètement éliminé le nom de mes pièces même si c'est une partie que je trouve hyper importante dans mon travail et je mets dans Etsy plutôt “collier noir et blanc”, “porcelaine”. J'ai fait des descriptions plutôt rébarbatives qui ne sont pas très sexy, mais qui permettent à la fiche d'être référencée plus facilement. […] Au début, mes fiches disparaissaient complètement, je devais avoir deux visites sur une fiche par mois et je ne comprenais pas pourquoi, c'est vraiment en prenant le temps de lire les formations en ligne sur Etsy que j'ai compris d'où venait le problème. » (Karine, 38 ans, céramique, 626 ventes sur Etsy)

10Le recours au dispositif formel du manuel s’inscrit ainsi dans une trajectoire d’expérimentation informelle de la plateforme et a conduit Karine à standardiser ses descriptions et mots-clés pour mieux correspondre aux attendus et au fonctionnement d’Etsy.

11En dehors des conseils prodigués en français par Etsy, il existe de nombreux blogs, tutoriels et même livres (par exemple Starting an Etsy Business for Dummies), plus souvent en anglais, que peuvent consulter les vendeur.ses d’Etsy. Le recours à ces dispositifs suppose des compétences préalablement acquises, telles que la maîtrise de l’anglais (Zabban, 2016). Ainsi, Sabine, qui vend des tampons à titre professionnel sur Etsy, « adore l’anglais » et s’est inscrite à la plateforme américaine de formations Skillshare qui lui permet de suivre des cours en ligne de marketing digital : « C’est le paradis pour moi ! ». Quelques un.es financent elleux-mêmes, ou font financer par leur ancienne entreprise en cas de reconversion professionnelle, des formations dispensées par des écoles ou des coachs. Sabine a ainsi suivi une formation intitulée « Stratégie de présence en ligne » de quinze jours à l’école des Gobelins à Paris pour 5 000 euros. Si certain.es consacrent beaucoup de temps, et parfois d’argent, à l’apprentissage via des dispositifs formels, la majorité passe vite à la pratique du travail numérique, en recourant, comme Karine, occasionnellement aux dispositifs formels existants lorsque le besoin s’en fait sentir. L’essentiel de l’apprentissage se joue en effet, de manière informelle, dans la pratique.

L’expérimentation par essais et erreurs

« J’ai appris sur le tas. J’ai été sur internet, enfin sur Instagram. J’ai vu ce qui marchait, ce qui marchait pas. D’ailleurs je me plante encore plusieurs fois. » (Margaux, 33 ans, accessoires, 15 771 ventes sur Etsy)

12L’apprentissage sur le tas, théorisé en anglais par l’expression learning by doing, est évoqué en entretien comme la clé principale d’accès au fonctionnement de l’économie numérique. Margaux, dont la marque d’accessoires (bijoux, pin’s, chaussettes…) est aujourd’hui très visible notamment sur Instagram, insiste ainsi sur sa propre pratique des différentes technologies numériques dans son apprentissage du travail numérique. C’est cet apprentissage « sur le tas » qui lui a permis de développer les ventes de sa boutique Etsy – jusqu’à atteindre 15 771 ventes – et finalement de quitter la plateforme pour créer son propre site internet de vente en ligne, échappant ainsi aux frais de transaction. Comme Margaux, de nombreux.ses vendeur.ses valorisent leur autodidaxie en entretien. Même Sabine qui a suivi une formation de 15 jours à l’école des Gobelins estime qu’elle s’est largement perfectionnée en expérimentant elle-même Etsy et les réseaux sociaux. Le DIY learning (Do It Yourself learning) serait ainsi, selon R. Gill (2010), privilégié par les producteur.rices de contenus numériques, alors même qu’iels ont souvent fait de longues études et ont donc l’expérience de modes formels d’apprentissage. L’idéologie du don contribue à alimenter ce « mythe de l’autodidaxie », très prégnant dans les milieux artistiques (Moulin et al., 1985).

13L’apprentissage par la pratique, revendiqué, mais aussi mis en œuvre, commence souvent à travers l’expérience d’utilisateur.rice ou de consommateur.rice des plateformes numériques. De nombreux.ses vendeur.ses disposaient ainsi d’un compte sur Etsy avant de lancer leur boutique en ligne et 83 % continuent à acheter sur la plateforme. Cette expérience d’utilisateur.rice est convoquée pour mettre en forme la boutique en ligne, choisir des formats de publication ou établir des prix considérés comme justes. Elle permet aussi de comprendre le fonctionnement des « favoris », équivalents des likes ou « j’aime » sur Facebook ou Instagram. Il est ainsi possible de mettre un produit ou une boutique en « favori » dès que l’on possède un compte sur Etsy. En devenant vendeur.ses, l’usage des « favoris » devient stratégique. Julie, qui vend des pochettes sur Etsy en parallèle de ses études, a peu à peu compris cette stratégie de jeu sur les métriques de la plateforme en recevant des notifications signalant que sa boutique était placée en « favori » par tel vendeur ou telle vendeuse :

« Au début, j'avais beau mettre en ligne, j'ai eu peut-être trois ou quatre mois où rien ne se passait. C'est en "aimant" d'autres boutiques que... parce qu'à chaque fois qu'on "aime" un article ou une boutique, c'est signalé au vendeur. Par exemple, moi, toute la journée je reçois des notifications "A a aimé votre boutique", "B a aimé votre article", ce genre de chose. […] Je pense qu'il y a des gens qui passent vraiment toute leur journée sur Etsy parce qu'il y a des gens qui ont un nombre de ventes énorme. » (Julie, 23 ans, pochettes, 119 ventes sur Etsy)

14Agissant en « internautes calculateurs » (Cardon, 2013 : 85), les vendeurs.ses inscrivent des boutiques concurrentes dans leurs « favoris » pour générer du trafic vers leur propre boutique. Iels espèrent que les propriétaires des boutiques correspondantes rendront la pareille et contribueront ainsi à la progression du score affiché sur leur propre boutique dont les produits se trouvent dès lors mieux référencés sur la plateforme. Julie a désormais intégré ce jeu des « favoris », tout comme Margaux qui « passe un temps fou à aller liker d’autres trucs, à les commenter… », estimant que « ça fait partie du job d’attirer l’attention ». Ce travail auquel elles s’assignent désormais ressemble à l’activité quotidienne des utilisateur.rices des plateformes et réseaux sociaux, qui a récemment été conceptualisée comme du digital labour.

15Le tâtonnement par essais et erreurs apparaît comme une forme d’apprentissage prédominante parmi les entrepreneur.ses numériques. Margaux estime qu’elle a beaucoup progressé de cette manière depuis l’ouverture de sa boutique en ligne six ans auparavant et porte un regard rétrospectif critique sur les contenus numériques créés à ses débuts :

« Je ne mettais que des packshots. C’était chiant. Quand je revois mon truc maintenant. C’était monotone. C’était toujours un pin’s sur un fond coloré. C’était toujours pareil. » (Margaux, 33 ans, accessoires, 15 771 ventes sur Etsy)

16Margaux a ainsi testé beaucoup de formats différents de publication sur Etsy et sur Instagram (différents thèmes de photographies, des vidéos, des stories, etc.) pour construire l’image de sa marque d’accessoires. Cela lui a permis de se concentrer sur les formats les plus appréciés, en particulier récemment les stories sur Instagram (collections de contenus photos et vidéos qui défilent auprès des abonné.es). Elle poursuit aujourd’hui l’expérimentation par essais et erreurs avec l’assistante qu’elle emploie :

« On a fait de temps en temps des petits shootings ponctuels, mais qui nous coûtaient un bras et ça ne valait pas du tout la peine. On faisait un shooting à 2 500 euros et on faisait 8 photos qui étaient moins likées que les photos où je montre juste mon pouce avec un pin’s devant un fond coloré. Donc on a arrêté. […] Mais franchement les posts qui marchent le mieux c’est quand je prends mon trépied et que je me filme en train de dessiner toute seule. » (Margaux, 33 ans, accessoires, 15 771 ventes sur Etsy)

17Cet extrait d’entretien met en évidence la métrique à partir de laquelle les essais sont évalués comme des réussites ou des échecs : le nombre de likes (et assimilés) et parfois de commentaires. De la même manière, les vendeur.ses qui essaient le service de publicité proposé par Etsy afin que leurs produits soient mis en avant sur la plateforme évaluent la réussite de l’opération par le nombre de likes ou de « favoris » obtenus plutôt que par le nombre de ventes. On retrouve ici des mécanismes de « management de soi » et de son entreprise (les deux étant confondu.es dans le cas des vendeur.ses Etsy), mis en évidence par la littérature sur le Quantified Self (Dagiral et al, 2019). Les effets performatifs de la mise en chiffre de soi et de son entreprise sont ainsi des moteurs de pratiques, mais aussi des facteurs d’apprentissage de l’économie numérique.

18En dehors des métriques du web, Etsy fournit un outil précieux aux vendeur.ses pour affiner leur travail de marketing digital : un tableau de bord affichant un ensemble de chiffres et de graphiques (nombre de visites, de commandes, de favoris, revenus… ). Ce tableau de bord permet de faire le bilan de l’activité numérique suscitée par la boutique en ligne et de réorienter dès lors les manières de faire des vendeur.ses. Il est utilisé par 80% des vendeur.ses de notre échantillon quantitatif, 17% l’utilisant « beaucoup ». C’est le cas de celleux qui s’inscrivent dans une optique professionnelle sur Etsy, comme Karine :

« Il y a un système d'analyse, de statistiques qui est fourni par Etsy. Il faut au moins avoir passé quelques mois pour que vous puissiez en tirer un peu des conclusions. […] Les statistiques vous donnent les mots-clés qui ont permis aux clients de tomber sur vos fiches, les pays d'origine, je pense que ça repose sur Google Analytics. » (Karine, 38 ans, céramique, 626 ventes sur Etsy)

19Après plusieurs mois d’essais de divers mots-clés et de différentes manières de photographier ses produits, Karine affirme être passée de 200 visites par mois sur sa boutique à plus de 2 000. Le tableau de bord lui a permis d’ajuster progressivement son offre de manière qu’elle convienne au mieux à l’algorithme d’Etsy.

L’intégration d’une communauté de pratique

20Comme dans de nombreux autres espaces numériques comme les jeux vidéo (Berry, 2007), la socialisation des vendeur.ses d’Etsy aux technologies numériques passe par leur intégration d’une « communauté de pratique » au sens de J. Lave et E. Wenger (1991). Ces auteurs conceptualisent précisément « l’apprentissage comme développement de la participation dans des communautés de pratique » (Brougère et Bézille, 2007 : 152), la participation accrue étant la source de la transformation des identités et des pratiques. De fait, l’expérimentation individuelle par essais et erreur est la manifestation d’une participation progressive à des pratiques reposant sur des normes et des usages collectifs. Ainsi, le jeu des « favoris » ou des likes précédemment décrit suppose une réciprocité de la part des autres vendeur.ses, et donc un « engagement mutuel » caractéristique des communautés de pratique (Wenger, 1998).

21Les interactions sont encouragées par Etsy qui cherche à créer une « communauté Etsy » par le biais de forums ou le soutien à des teams Etsy. De nombreuses discussions virtuelles initiées sur les forums sont consacrées au travail marchand numérique (le plus souvent en anglais) : « Managing Your Shop », « Photography Tips », « Marketing Your Business »… Des questions y sont posées, la majorité par de nouveaux.elles vendeur.ses, et des conseils sont formulés par d’autres vendeur.ses. La « communauté Etsy » déborde parfois le site internet d’Etsy pour s’étendre sur des pages Facebook spécialisées sur lesquelles s’échangent également des conseils sur les savoir-faire manuels et sur les contenus numériques. Alina, qui est roumaine et qui vend des accessoires au crochet pour enfants à titre professionnel, est ainsi inscrite à trois pages Facebook de « crocheteuses » roumaines dont la plupart vendent sur Etsy. Les teams Etsy constituent un autre lieu de socialisation pour des vendeur.ses isolé.es dans leurs habitations ou ateliers. Elles correspondent à des regroupements de vendeur.ses, le plus souvent sur une base géographique (« Team Petit Paris », « Team Etsy Toulouse »…), auxquels Etsy offre un espace en ligne. Elles rassemblent généralement des spécialités différentes (bijoux, céramique, couture, etc.), mais l’esthétique des objets produits et la clientèle visée sont similaires. Elles sont parfois rattachées à une association dirigée par un.e « capitaine de team ». Les expositions de vente « Etsy Made in France », rassemblant des créateurs.rices d’Etsy, reposent essentiellement sur l’auto-organisation par les teams locales auxquelles l’entreprise Etsy fournit affiches, tracts, encarts publicitaires… Les deux expositions auxquelles j’ai assisté en 2016 et 2017 à Paris étaient ainsi organisées par quatre teams de la région Ile-de-France. Ces lieux de rencontres « réels », auxquelles ne participent que certain.es vendeur.ses de la plateforme, sont des occasions d’échanger sur les pratiques numériques. Lors de l’édition de décembre 2017, j’ai ainsi assisté à de nombreuses discussions d’un stand à l’autre sur les changements apportés par Etsy à son algorithme – qui privilégierait désormais les échanges nationaux, rendant ainsi plus compliquées les ventes à l’étranger – et sur les moyens d’y remédier pour retrouver un bon référencement sur la plateforme. Les forums, pages Facebook et teams les plus développés sont constitués de participant.es aux caractéristiques sociales communes, comme la nationalité roumaine pour les pages Facebook citées par Alina ou le lieu d’habitation pour les teams. Ces éléments communs de socialisation leur donnent le sentiment d’appartenir à une même communauté et leur permettent d’échanger plus facilement sur le travail marchand numérique.

22Les interactions virtuelles ou réelles contribuent à la participation des vendeur.ses à une communauté de pratique au sein de laquelle se forgent leurs compétences numériques. Tue-Minh, qui vend des sculptures en papier sur Etsy à côté de son emploi de pédiatre à l’hôpital, a peu à peu saisi comment mettre en valeur sa boutique en ligne grâce à son intégration dans un groupe de créatrices d’Ile-de-France. Elle s’est inscrite dans une team et a présenté ses sculptures dans plusieurs expositions. A ces occasions, elle s’est faite des amies qui l’ont aidée à se servir des réseaux sociaux qu’elle connaissait mal, même en tant qu’utilisatrice : « avant je ne connaissais même pas Instagram, c'est les copines qui m'ont dit : “tu ne peux pas vivre sans Instagram, ce n'est pas possible” ». Les réseaux sociaux tels qu’Instagram sont en effet les principaux canaux renvoyant vers les boutiques d’Etsy. En suivant les conseils de ses nouvelles amies et en les imitant, Tue-Minh tente de se conformer à une certaine esthétique dans ses publications de posts sur les réseaux sociaux :

« Depuis une année, comme je fréquente les créatrices, j'ai compris une autre façon de communiquer en fait autour de mes créations. Et je pense que je suis très influencée par la façon dont les autres communiquent aussi. C'est-à-dire que j'ai compris comment elles faisaient, et du coup je copie un peu leur façon de...

A: C'est quoi cette façon justement de communiquer ?

J'ai remarqué que ça pouvait être des choses sans lien direct avec un produit. Que c'était mieux s'il y avait le produit quelque part, de façon directe ou indirecte, mais que de poster à propos du produit, genre "le produit est en ligne", on s'en fout. Mais par contre, il faut du style... Par exemple, l'autre fois, j'étais sur la route, j'étais dans les embouteillages et j'ai vu un escalier en colimaçon en béton. Pour moi, tout de suite, ça a évoqué un origami. Je me suis arrêtée pour prendre la photo, et ensuite je l'ai postée comme "origami de béton". Donc ça, je ne l'ai pas inventé parce que je sais que j'ai dû le voir sur les réseaux sociaux, c'est-à-dire de voir que les gens avaient tendance à détourner un petit peu la réalité pour que ça ait un lien avec leur ressenti. » (Tue-Minh, 40 ans, sculptures en papier, 41 ventes sur Etsy)

23Au contact de ses pairs créatrices et en observant les pratiques des vendeur.ses sur les réseaux sociaux, Tue-Minh a peu à peu appris l’importance de publier des posts réguliers non pas directement sur sa production de sculptures en papier, mais sur ses sources d’inspiration. L’imitation joue un rôle clé dans cet apprentissage et les enquêté.es sont généralement capables de citer plusieurs noms de vendeur.ses à succès (ou considéré.es comme tel.les) qui ont joué pour elleux le rôle de modèles. L’apprentissage par imitation de modèles et de pairs (parfois aussi rencontré.es lors de salons d’« instagrameur.ses ») se combine à l’expérimentation par essais et erreurs précédemment décrite pour déterminer les meilleurs types de posts, c’est-à-dire ceux qui suscitent le plus de likes.

24L’intégration d’une communauté de pratique se traduit également par l’appropriation d’un « répertoire commun » – incluant « routines, mots, outils, procédures, histoires, gestes, symboles, styles, actions ou concepts » (Wenger, 1998 : 83) – propre à cette communauté et à son organisation. L’apprentissage du travail marchand numérique tient donc non pas seulement à l’acquisition de compétences objectivables, mais aussi à cette assimilation transformatrice des identités et des pratiques. Ainsi, Tue-Minh a progressivement appris à valoriser la mise en scène de sa vie quotidienne sur internet : des photographies d’elle-même ou de son espace domestique, des précisions sur sa profession principale, ses autres hobbies ou encore sur sa localisation, etc. Elle précise en entretien que ses amies créatrices l’ont encouragée à « moins [se] cacher et exposer une sorte de quotidien » sur les réseaux sociaux, alors même que cette mise en scène de soi l’inquiétait au début de son activité : en tant que pédiatre, elle avait notamment peur d’être reconnue par ses patient.es. Cette exposition de soi et de son activité est apparue comme un investissement émotionnel nécessaire au travail de la visibilité en ligne et finalement au fonctionnement de l’activité de marchandisation. Comme le montre B. Duffy (2017) à propos des blogueuses de mode, l’économie numérique créative repose sur la marchandisation d’un « soi authentique » (authentic self) qui suppose paradoxalement un important travail de mise en scène. Les vendeur.ses ne s’investissent dans un tel travail que s’iels adhèrent aux valeurs qu’il sous-tend. L’intégration d’une communauté de pratique participe de cette adhésion, comme le montre le cas de Tue-Minh qui a pris goût à cette construction de la visibilité en ligne et qui la considère désormais comme une partie essentielle de son activité. Ce goût est transmis par le groupe de pairs, de manière similaire à celle décrite par H. Becker à propos des fumeurs expérimentés de marijuana qui apprennent aux novices à apprécier les effets de cette drogue : « Le plaisir de fumer est engendré par la définition des impressions en termes favorables qui est transmise par les autres. » (1985 : 78). Ce plaisir, socialement transmis, est par ailleurs lui-même moteur dans l’apprentissage des règles du jeu numérique.

L’apprentissage des technologies numériques marchandes : un jeu ou un travail ?

25L’apprentissage du travail marchand numérique se faisant essentiellement par la pratique, selon la logique du learning by doing, il est impossible de distinguer le temps de l’apprentissage du temps de l’activité elle-même. En raison des formes ludiques qu’elle prend dans l’espace circonscrit d’internet, cette activité s’apparente à un jeu (Berry, 2007). Simultanément, elle requiert beaucoup de temps, d’énergie et même d’argent, ce qui la fait apparaître comme un travail (Duffy, 2017). En analysant l’engagement des vendeur.ses d’Etsy dans les formes d’apprentissage présentées dans la première partie, l’objectif est de saisir dans quelle mesure l’apprentissage gagne à être lui-même conceptualisé comme « jeu » et comme « travail ».

« Je joue à la marchande »

26Par de multiples aspects, l’apprentissage du travail marchand numérique s’apparente à un jeu ou, en anglais, un game, c’est-à-dire « un système dans lequel les joueurs s’engagent dans un conflit artificiel, défini par des règles, et dont le résultat est quantifiable » (Salen et Zimmermann, 2004 : 93). L’évaluation de sa réussite sur le net à l’aune du nombre de likes, telle que je l’ai précédemment décrite, s’inscrit dans ce système (les effets n’étant néanmoins pas artificiels). En encourageant le jeu sur les métriques du net, les plateformes numériques participent à la « gamification de la société » (Le Lay et al., 2021). L’aspect ludique de l’activité numérique en fait une source de plaisir : à l’inverse des artisan.es d’art étudié.es dans une précédente recherche (Jourdain, 2014), pour lesquel.les la vente relève du « sale boulot » (Hughes, 1996), le passage du travail marchand par le numérique et ses métriques le transforme en jeu addictif pour les vendeur.ses d’Etsy. Beaucoup ont déclaré en entretien « adorer » cet aspect numérique de leur activité, à l’instar de Sabine qui vend professionnellement des tampons sur Etsy et qui « aime beaucoup tout ce qui est marketing digital ». Le plaisir du jeu numérique est associé à celui de la visibilité et donc de la reconnaissance sociale ressentie par le fait de disposer d’une boutique en ligne, ainsi qu’au plaisir de la sociabilité « réelle » ou « virtuelle » précédemment décrite.

27Le plaisir pris au jeu du travail marchand numérique est une ressource clé de l’apprentissage par la pratique. Il est en effet une source de motivation pour aller plus loin dans la pratique et atteindre de meilleurs scores selon les métriques des plateformes et en termes de ventes. Si les vendeur.ses professionnel.les sont les plus investi.es dans ce jeu, de nombreux.ses amateur.rices se trouvent happé.es par « les dispositifs de quantification du soi » qui contribuent à « produire l’engagement » (Dagiral, 2021 : 89) dans la pratique. Tue-Minh perçoit précisément son activité de vente de sculptures en papier sur Etsy comme un jeu à côté de son activité principale de pédiatre :

« En fait, ce qui me plaît dans ces trucs-là, c'est cette espèce de jeu de business. Parce que moi, ce n'est pas ma formation. Je ne me suis jamais vue dans des études de marketing ou de commerce, des choses comme ça. Mais de découvrir les choses à tâtons comme ça, c'est un peu un jeu pour moi. Et comme il n'y a pas d'enjeu financier vraiment pour moi, vraiment je joue à la marchande, je joue à la stratégie du business pour ça. » (Tue-Minh, 40 ans, sculptures en papier, 41 ventes sur Etsy)

28De manière similaire aux joueurs de jeux vidéo (Berry, 2007), Tue-Minh « fait semblant » sur internet : elle « joue à la marchande » et découvre « les choses à tâtons comme ça ». Le plaisir pris au jeu de l’apprentissage du travail marchand, qui est essentiellement numérique dans la mesure où il s’inscrit sur Etsy et sur les réseaux sociaux, suscite son intérêt pour ce travail et son envie de progresser. S’ensuit « une relation complexe entre jeu et apprentissage » qui caractériserait en réalité toutes les pratiques en ligne que le cadre numérique transformerait en « expérience ludique » (Berry, 2007 : 76 et 85). C’est aussi cette expérience qui encourage les vendeur.ses d’Etsy à valoriser le DIY learning (« à tâtons ») et les modalités informelles d’apprentissage.

Un travail sans fin ?

29Comprendre les règles du jeu numérique et s’y adapter relève d’un travail actif, défini par des investissements financiers, temporels et cognitifs conséquents. Les investissements financiers décrits dans la première partie – 5 000 euros de formation pour Sabine, 2 500 euros de shooting pour Margaux, etc. – sont avant tout consentis par les vendeur.ses professionnel.les, tandis que les investissements temporels et cognitifs caractérisent l’apprentissage de l’ensemble.

  • 5 Ces chiffres issus d’un questionnaire sont déclaratifs et sont donc sans doute en-deçà de la réalit (...)

30Les vendeur.ses d’Etsy consacrent un temps conséquent aux écrans de leur ordinateur et de leur smartphone (79% ont l’application Etsy sur leur téléphone portable), à la fois en tant que vendeur.ses et que consommateur.rices. 46% déclarent passer plus de 5 heures par semaine sur le site internet et sur l’application Etsy ainsi que sur les réseaux sociaux et, parmi elleux, 14% plus de 20 heures par semaine5. Les professionnel.les sont logiquement celleux qui y consacrent le plus de temps. Margaux, qui vend avec succès des accessoires dans le cadre d’une entreprise qui emploie aujourd’hui une salariée, précise ainsi qu’elle cherche à compartimenter son travail entre 10 heures et 18 heures, mais avoue que cette règle ne vaut pas pour les réseaux sociaux : « Instagram, j’y suis un peu tout le temps, c’est vrai. Je peux répondre jusqu’à deux heures de matin, quoi. Et puis de toute façon, si je ne fais pas de stories, je ne vends pas. » Les amateur.rices, qui y passent globalement moins de temps, sont tout de même 31% à y consacrer plus de 5 heures par semaine. Parmi elleux, se trouvent les amateur.rices les plus investi.es qui envisagent la marchandisation de leurs objets faits-main comme un « loisir sérieux » (Stebbins, 2007). Tue-Minh, qui vend des sculptures en papier à côté de son activité professionnelle de pédiatre, passe ainsi « facilement deux ou trois heures dans la journée » sur internet. Elle regrette d’ailleurs de ne pas avoir assez de temps pour son activité de fabrication de sculptures : « j'aimerais bien pouvoir passer plus de temps à faire qu'à communiquer. C'est-à-dire que je pense que pour l'instant je communique plus que je ne fais ». Alors même que la plateforme Etsy promeut l’artisanat et le fait-main, beaucoup de vendeur.ses avouent en entretien consacrer plus de temps au travail numérique.

31En réalité, le temps requis par le travail marchand numérique ne se limite pas au temps consacré aux écrans et son apprentissage suppose un investissement cognitif. Tue-Minh explique ainsi que ce travail demande un esprit toujours en alerte :

« En vérité, je ne sais pas très bien combien de temps ça prend parce que c'est quelque chose qui est latent en fait dans mon cerveau. C'est comme si j'étais toujours en alerte sur : est-ce que j'ai quelque chose à dire sur les réseaux sociaux ? » (Tue-Minh, 40 ans, sculptures en papier, 41 ventes sur Etsy)

32Le temps du travail marchand déborde ainsi sur le temps domestique, pour les amateur.rices comme pour les professionnel.les, dans la mesure où iels doivent apprendre à envisager leur quotidien comme une source d’inspiration pour la communication à propos de leur boutique ou de leur marque sur internet. L’intégration d’une communauté de pratique, qui prend la forme d’un groupe de créatrices rencontrées sur les forums et lors d’expositions pour Tue-Minh, joue un rôle essentiel dans l’éveil de l’esprit à certains aspects du quotidien susceptibles de faire l’objet d’une communication, à l’instar de l’escalier en colimaçon aperçu par Tue-Minh et évoqué dans la partie précédente.

33L’évolution rapide des infrastructures des plateformes numériques demande aux vendeur.ses d’être constamment à l’affut des nouvelles modalités de mise en valeur de leurs produits et de se mettre dans l’état permanent d’apprenti.es. C’est grâce au temps conséquent passé sur Instagram, en plus des conférences d’« Instagrameur.ses » auxquelles elle participe, que Margaux identifie rapidement les changements apportés à la plateforme et les nouveaux dispositifs qu’elle peut tester pour communiquer sur sa marque d’accessoires. Elle a ainsi très rapidement intégré le récent dispositif des stories dans sa stratégie de communication. Les changements fréquents d’algorithme d’Etsy impliquent aussi une adaptation permanente des vendeur.ses. Sabine, qui vend des tampons à titre professionnel, évoque cette difficulté en entretien :

« Depuis que Etsy a changé son algorithme, je fais partie de la grosse masse de personnes pour lesquelles les ventes ont diminué.

À: Ça a changé quand l’algorithme ?

Oh ça fait un petit moment maintenant qu’on en parle. Mais de toute façon, ils changent beaucoup de choses. Ils changent des choses régulièrement. » (Sabine, 38 ans, tampons, 307 ventes sur Etsy)

34C’est notamment en discutant (en réel et en virtuel) avec les créatrices de la team dont elle est capitaine que Sabine tente de décrypter le nouvel algorithme d’Etsy et d’identifier les manières de s’y adapter.

35L’adaptation incessante aux nouveaux dispositifs et algorithmes, ainsi qu’à l’injonction à poster régulièrement et fréquemment du contenu sur les réseaux sociaux, fait de l’apprentissage des technologies numériques marchandes un travail sans fin. Tout décrochage s’avère coûteux en termes de visibilité sur internet. Margaux, dont la marque d’accessoires est très présente sur Instagram, le ressent comme une pression sur l’organisation de son temps : « C’est vraiment sans répit. Il suffit qu’on parte en congés pendant trois jours et Instagram nous le fait payer pendant dix jours ». Cette injonction à communiquer régulièrement avec une communauté d’abonné.es relève selon M. Gregg (2006) d’une « sociabilité obligatoire » caractéristique du travail à l’ère néolibérale. Ce travail relationnel devient épuisant lorsque, sous la pression des dispositifs numériques et du contrôle algorithmique (Wood et al., 2019), il doit être incessant et ne peut être interrompu sous peine de voir ses effets réduits.

36À la fois jeu et travail, l’apprentissage des technologies numériques peut être conceptualisé comme playbour, contraction anglaise de play et de labour, à l’instar du modding de jeux vidéos (Kücklich, 2005) ou du digital labour lui-même (Scholz, 2012). Selon le projet amateur ou professionnel associé à la marchandisation en ligne, il tend davantage vers le jeu ou vers le travail. Les individus ne sont pas égaux face à cet apprentissage et réussissent plus ou moins bien à marchandiser leur production en ligne.

Réinsérer les temporalités de l’apprentissage dans les parcours biographiques pour saisir les facteurs de succès et d’échec du travail marchand numérique

37L’apprentissage du travail marchand numérique suppose de disposer d’un temps important à y consacrer, notamment au moment de l’ouverture de la boutique en ligne. Cela explique que cet investissement soit surtout réalisé durant des périodes de latence et de disponibilité dans les parcours biographiques des vendeur.ses d’Etsy. Au-delà de cette constante, l’acquisition des compétences précédemment décrites se réalise différemment selon les trajectoires sociales des individus et selon les capitaux économiques, culturels, sociaux dont ils disposent (Bourdieu, 1979). Se pose ainsi la question de l’articulation de l’apprentissage du travail marchand numérique avec la socialisation primaire et secondaire et donc avec des formes d’apprentissage plus disséminées dans le temps et non directement liées à la boutique en ligne. L’analyse de cette articulation donne des pistes pour expliquer les quelques succès et les nombreux échecs sur Etsy.

Des constantes : des périodes de latence et de disponibilité qui permettent de se lancer dans l’apprentissage du travail marchand numérique

  • 6 Source : « Surfant sur la vogue du fait main, Etsy offre une vitrine mondiale aux petits créateurs (...)

38L’ouverture d’une boutique en ligne et les premiers apprentissages du travail marchand numérique s’inscrivent très fréquemment dans le cadre de ruptures biographiques. Cette observation rejoint celle de D. Cardon et H. Delaunay-Téterel (2006) à propos de la naissance des blogs. La majorité des vendeur.ses d’Etsy (11 sur 19 dans notre échantillon qualitatif), notamment les femmes s’inscrivant dans une logique de reconversion professionnelle, ont ainsi ouvert leur boutique en ligne à l’occasion d’un congé de maternité, un congé parental, un congé maladie ou lorsqu’iels sont devenu.es expatrié.es, chômeur.ses, retraité.es ou étudiant.es. Ces périodes particulières dans les parcours biographiques sont caractérisées par l’absence d’emploi formel et des formes d’isolement social (Naulin & Jourdain, 2019). La pandémie de la Covid-19, les confinements et couvre-feux associés, ont contribué de la même manière à développer à l’échelle mondiale ces périodes de latence et de disponibilité. De nombreux hommes, mais surtout des femmes ont ainsi choisi de valoriser leur temps domestique accru en développant une activité de fabrication manuelle et en ouvrant une boutique en ligne : sur la plateforme Etsy, cela s’est traduit par une augmentation sans précédent de 65% des boutiques françaises entre 2019 et 20206. Le temps disponible durant ces périodes de latence et de disponibilité est en particulier investi pour les premiers apprentissages, les plus intensifs, du travail marchand numérique. Beate, qui a quitté son emploi de consultante en organisation à la Société Générale à la suite de son deuxième congé de maternité, a ainsi mis à profit son congé parental suivi d’un congé de création d’entreprise pour se former au référencement en ligne de sa boutique de vêtements au crochet pour bébés :

« Je me suis formée parce que je suis sortie de la Société Générale avec un budget de droit individuel à la formation, qui m'a permis de faire un coaching sur le référencement naturel, pour arriver à être bien référencée. Et là, je mets ça en œuvre depuis septembre. Et ça ne paraît pas comme ça, mais je dois être à 45 produits sur Etsy, mais ça m'a demandé une énergie folle, à la fois pour les photos, parce qu'il faut que ce soit joli, et il faut toujours un petit contexte.

À : Votre formation, ça a duré combien de temps ?

C'était une formation d'une journée complète, et après c'était du coaching où j'allais voir ma coach à Savigny-sur-Orge où elle habite, et j'ai dû y aller cinq fois à peu près. » (Beate, 46 ans, vêtements pour bébés, 45 ventes sur Etsy)

39Espérant vivre de sa nouvelle entreprise créative, Beate a ainsi investi son temps de congé pour se former auprès d’une coach et mettre en place l’expérimentation par essais et erreurs précédemment décrite. Cette formation lui « a demandé une énergie folle » dont le déploiement est permis par la période de latence et de disponibilité vécue.

40D’autres vendeur.ses ont ouvert leur boutique en ligne non pas lors de ruptures biographiques, mais alors qu’iels s’ennuyaient dans leur emploi salarié et que celui-ci leur laissait du temps pour se consacrer à la marchandisation de produits faits main. Ces vendeur.ses s’occupent généralement de leur boutique sur Etsy au titre de hobby, et s’inscrivent moins souvent dans des logiques de reconversion professionnelle telles que celle de Beate. Leur temps domestique peut néanmoins être assimilé à un temps de latence et de disponibilité, qu’iels cherchent à valoriser d’autant plus que leur travail salarié n’est pas une source de satisfaction et de reconnaissance sociale. Comme d’autres enquêtées, Diane a ainsi ouvert sa boutique de bijoux textiles parce qu’elle s’ennuyait dans son travail de responsable marketing :

« Je me suis dit : la vie de bureau dans des conditions difficiles, ce n'est pas pour moi, je ne suis pas assez solide. Et puis il me manque quelque chose. J'ai des envies, des projets personnels à côté, je sens que je peux faire autre chose de plus fun. (…) Si j'avais un travail plus enrichissant, si j'avais été beaucoup plus épanouie dans ma vie professionnelle, je ne me serais peut-être pas lancée comme ça.

À : Et qu'est-ce qui vous déplaisait dans votre travail ?

Je m'ennuyais. Je m'ennuyais. Je m'occupais du marketing local et de la commercialisation de nos produits auprès de nos distributeurs, donc Afflelou, Grand Optical, etc. Mais il n'y avait pas ce côté créatif comme on pouvait trouver en marketing. » (Diane, 29 ans, bijoux textiles, 3 ventes sur Etsy)

41Les temps interstitiels de la vie de salariée peu épanouie de Diane – pauses déjeuners, transports en commun, soirs et week-ends – ont ainsi été investis par la couture qu’elle « adore » et par la mise en ligne de ses produits sur Etsy. Elle estime néanmoins qu’elle ne consacre pas suffisamment de temps aux réseaux sociaux, sa page Facebook étant par exemple toujours en construction, et se désole d’avoir « très peu de ventes sur la boutique ». Pour les amateur.rices, « les plages interstitielles du temps de travail » (Cardon & Delaunay-Téterel, 2006 : 32) sont ainsi les moments d’investissement et d’apprentissage du travail numérique.

Des variations sociales : les dispositions sociales derrière les compétences numériques

  • 7 Ces chiffres sont issus de l’enquête par questionnaire, dans laquelle sont probablement surreprésen (...)

42L’apprentissage du travail marchand numérique est favorisé par des acquisitions sociales et scolaires préalables. Le portrait moyen que l’on peut brosser de la vendeuse d’Etsy le confirme : une femme de 42 ans, mariée, ayant deux enfants, ayant fait plus de deux années d’études et habitant en région parisienne7. Des capitaux culturels et scolaires relativement importants caractérisent ainsi cette vendeuse moyenne et favorisent le travail marchand numérique, ne serait-ce par exemple que pour la rédaction de textes sans fautes d’orthographe (Bailly et al., 2019).

43L’enquête quantitative et qualitative met aussi en évidence des différences sociales qui comptent dans les façons d’appréhender le projet de marchandisation et les technologies numériques associées. Ainsi, les compétences spécifiquement liées au numérique s’articulent à des dispositions sociales dont l’acquisition varie en fonction de la trajectoire sociale et donc des caractéristiques sociodémographiques classiques (âge, genre, niveau scolaire…). Ces variations sociales se traduisent par des cadres d’apprentissage différenciés et finalement par des manières différentes de devenir entrepreneur.se digital.e.

44L’enquête par web scraping met en évidence d’importantes variations en termes de réussite sur Etsy. Elle montre que les tentatives de marchandisation en ligne sont nombreuses, mais qu’elles sont fréquemment interrompues, faute de succès économique. Ainsi, 65% des boutiques françaises actives en 2017 ne l’étaient plus deux ans plus tard en 2019. Sans surprise, ces boutiques se caractérisent par les métriques les plus basses (le moins de « favoris », les produits les moins bien notés, etc.) et par les chiffres d’affaires les plus bas. Au-delà de ce fort turnover, qui permet de relativiser l’investissement de tou.tes les vendeur.ses dans leur boutique en ligne, il apparaît que seul.es 1% des vendeur.ses réalisent un chiffre d’affaires au moins équivalent au smic mensuel brut.

  • 8 Parce qu’ils sont très minoritaires sur Etsy (12%), les hommes échappent à la typologie. Des inégal (...)

45Une typologie, fondée sur une analyse des correspondances multiples (ACM) et une classification ascendante hiérarchique (CAH) sur les données du questionnaire, permet d’explorer les parcours d’usage des technologies numériques et de rendre compte socialement des réussites et des échecs sur Etsy. Sur la figure 1, le premier axe est un axe de plus ou moins grande réussite sur Etsy, et le second axe oppose des investissements différents dans l’activité de marchandisation. Trois types sont distingués : les mompreneurs qui échouent à vivre de leurs objets faits main (au sud), les entrepreneuses digitales à succès qui consacrent tout leur temps au travail numérique (à l’est) et les amatrices de fait-main qui ont un travail salarié à côté (à l’ouest)8.

Figure 1 : Représentation des trois classes de la CAH sur le premier plan factoriel de l’ACM

Figure 1 : Représentation des trois classes de la CAH sur le premier plan factoriel de l’ACM

46Parmi les professionnel.les d’Etsy, se trouvent de nombreuses femmes qui ont quitté un emploi de bureau pour ouvrir une entreprise d’objets créatifs et profiter du statut d’indépendantes pour mieux s’occuper de leurs enfants, selon la logique des mompreneurs (Landour, 2019). Si ces dernières vendent davantage que les amatrices décrites ci-après, au regard de leur projet professionnel, leur entreprise s’avère un échec. Et cet échec est explicable par leur relatif sous-investissement du travail marchand numérique. Elles n’ont en effet pas le temps de s’investir dans le jeu numérique précédemment décrit, tout en confectionnant leurs bijoux ou vêtements pour bébés et en s’occupant de tout le travail domestique alors délégué par leur conjoint. Cette absence de temps se traduit parfois par un relatif désintérêt pour l’usage intensif des technologies numériques. Beate, qui se définit elle-même comme mompreneur et qui parle beaucoup de ses deux filles durant notre entretien, estime qu’elle ne consacre pas assez de temps à sa boutique en ligne de vente de vêtements pour bébés :

« J'ai toujours négligé cette partie internet, y compris Etsy. Et après, c'est la grande surprise aussi, de se dire : “Ok, je lance une boutique Etsy, et du coup j'attends et les commandes vont défiler”, alors que ce n'est pas le cas du tout. […] J'ai délaissé ce champ de l’internet aussi parce que j'avais très peur de ne pas arriver à joindre les bouts en termes d'organisation, parce qu'il reste le gros boulot de créateur, c'est-à-dire de production pure. J'ai vite compris que je ne peux pas fonctionner comme ça, produire moi-même et vendre et commercialiser, communiquer, faire le marketing, tout ça, ce n'est pas possible. » (Beate, 46 ans, vêtements pour bébés, 45 ventes sur Etsy)

47Outre l’absence de temps, cet extrait d’entretien met l’accent sur une croyance répandue parmi les reconverti.es qui, comme Beate, pensaient en ouvrant leur boutique en ligne qu’Etsy représenterait un canal de commercialisation facile pour leur production faite main (« j’attends et les commandes vont défiler »). De nombreuses vendeuses valorisant l’aspect domestique et artisanal de leur entreprise expriment en entretien une grande frustration vis-à-vis des plateformes numériques : elles se sont rendu compte après s’être lancées de l’importance du travail marchand numérique pour que leur projet soit viable. Cependant, même celles qui ont appris à peu à peu « adorer » ce travail estiment qu’elles ne peuvent s’y investir totalement tant qu’elles ont la charge de leurs enfants. Sabine, qui vend des tampons, me décrit ainsi ce que serait ce travail numérique « idéalement », tandis qu’Alina, qui vend des accessoires pour enfants, espère s’y mettre vraiment « plus tard », quand ses trois filles seront grandes. En attendant, la poursuite de leur entreprise est soutenue par les revenus de leur conjoint et parfois quelques activités d’appoint.

48La petite minorité (1%) d’entrepreneuses digitales qui parviennent à gagner leur vie de la marchandisation en ligne d’objets créatifs joue le rôle de modèles pour les précédentes (« sinon on n’aurait plus d’espoir », précise ainsi la mompreneur Sabine). Elles sont pourtant très différentes, ne serait-ce que, comme le montrent les données du web scraping, parce qu’elles ne fabriquent pas elles-mêmes les objets qu’elles vendent. Paradoxalement, les vendeuses les plus actives sur Etsy ne sont donc pas les plus passionnées par le fait-main. Alors même qu’elles incarnent le mieux l’idéal d’indépendance valorisé par Etsy, elles sont finalement plus éloigné.es que les autres de l’éthique artisanale affichée par la plateforme. Le succès économique repose ainsi sur des compétences marchandes et numériques beaucoup plus que sur des savoir-faire productifs. La sous-traitance de la production, dont ces entrepreneuses restent designers, leur permet de consacrer beaucoup de temps au travail marchand numérique et aux apprentissages continus requis par ce travail. Les deux vendeuses de notre échantillon qualitatif les plus proches de ce deuxième type n’ont par ailleurs pas d’enfant et ne connaissent donc pas les contraintes d’organisation des mompreneurs. Céline, qui vend des tee-shirts sérigraphiés dans un atelier bordelais, affirme ainsi être « tout le temps sur l’Instagram de [sa] marque, à liker des photos ». Depuis qu’elle est enfant, ce n’est pas le bricolage ou la couture qui l’intéresse, mais internet :

« J'ai toujours suivi tout ça, je suis quand même de la génération Y, je crois qu'on dit. C'est vrai que depuis que je suis très jeune, j'aime beaucoup ne serait-ce que la mode, le style. J'ai toujours traîné sur internet, à regarder des vidéos, des blogs, des sites, des stratégies de marque. Je trouve que c'est différentes choses intéressantes. C'est pour ça que c'est assez naturel, aujourd'hui, ce que je fais. Ça me paraissait naturel. » (Céline, 23 ans, tee-shirts, 2 712 ventes sur Etsy)

49Si la notion de « génération Y » est évoquée par Céline elle-même pour parler de sa socialisation au numérique, les travaux de sciences sociales sur lesdits « natifs numériques » ont montré les limites de cette hypothèse (Fluckiger, 2008). Dans le cas de Céline, ce goût pour le numérique et, plus spécifiquement, pour les « stratégies de marque » en ligne s’inscrit dans une trajectoire socialement située qui l’a menée à ouvrir sa boutique en ligne durant ses études de science politique et de marketing à Sciences Po Bordeaux et à l’Institut d’administration des entreprises de Bordeaux. Comme Céline, Margaux, qui vend des accessoires en ligne, détient un diplôme de niveau « Bac+5 » (de l’École des Arts Décoratifs de Paris). Cet important capital scolaire, dérivant lui-même d’un capital culturel hérité, mais aussi la grande différence constatée entre les apprentissages scolaires et leur activité professionnelle, les conduit à percevoir le travail marchand numérique comme « naturel ». Niant les nombreuses compétences requises par ce travail, Margaux conseille fréquemment à ses connaissances d’ouvrir une boutique sur Etsy : « Moi je dis toujours, le combo Etsy + Instagram, c’est la vie quoi. » Margaux passe pourtant beaucoup de temps à se mettre au goût du jour pour proposer les contenus les plus innovants (les stories sur Instagram par exemple) et à planifier ses publications (entre 40 et 100 posts prévus à l’avance selon les périodes). La dénégation des apprentissages cache des compétences sociales issues de la socialisation primaire et secondaire, qui se dévoilent au cours de l’entretien :

« J’ai toujours fait ça. Quand une influenceuse me met un commentaire, tout de suite je lui envoie un message. Tout ça, je l’ai toujours fait un peu au feeling. J’ai toujours eu un petit côté marketing. Au feeling. » (Margaux, 33 ans, accessoires, 15 771 ventes sur Etsy)

50Le « feeling » dont fait preuve Margaux dans ses relations avec les influenceuses tient bien à des compétences sociales relationnelles par lesquelles transite ici le travail marchand numérique.

51Très majoritaire, mais sous-représenté parmi les répondant.es au questionnaire, le troisième groupe de vendeuses sur Etsy est constitué d’amatrices de loisirs créatifs qui conservent un emploi salarié sans lien avec leur boutique en ligne. Pour certaines d’entre elles, comme Diane précédemment mentionnée qui vend des bijoux textiles à côté de son emploi de responsable marketing en entreprise, l’investissement dans un travail créatif, en termes de production à la fois matérielle (d’objets faits main) et numérique (à travers la boutique en ligne), vient compenser l’insatisfaction et l’ennui associés à un travail principal peu épanouissant. L’apprentissage du travail marchand numérique vient alors se loger dans les plages de temps interstitielles de leur emploi du temps et reste associé pour cela au loisir et au plaisir. Simultanément, il s’appuie sur des compétences acquises au cours des études et de la socialisation professionnelle (anglais, marketing…). D’après la figure 1, ces amatrices sont plus diplômées et d’origine sociale plus élevée que les mompreneurs du premier type. Tout se passe comme si leur trajectoire sociale les incitait à circonscrire la marchandisation en ligne à l’amateurisme et à ne pas se laisser prendre au piège des appels à « faire de sa passion un métier » (slogan d’Etsy). Finalement, si elles réalisent globalement moins de ventes que les mompreneurs, les amatrices s’en sortent objectivement mieux, puisqu’elles trouvent dans Etsy la possibilité de construire une estime de soi sans dépendre de la plateforme ou d’un conjoint. Les concepts de réussite et d’échecs sont donc très relatifs.

Conclusion : De l’apprentissage du travail marchand numérique à l’intériorisation d’une culture entrepreneuriale

52Devenir entrepreneur.se digital.e suppose l’acquisition de nombreuses compétences techniques, relationnelles, émotionnelles, etc. pour mettre en œuvre l’important travail marchand numérique requis par la marchandisation en ligne. Les dispositifs formels de formation s’avèrent insuffisants dans cet apprentissage qui relève alors surtout de l’expérimentation par essais et erreurs et de l’intégration d’une communauté de pratique. Cet apprentissage s’apparente à un jeu, stimulé par les métriques du net, mais aussi à un travail supposant investissements économiques, cognitifs et temporels. Replacer l’ouverture d’une boutique en ligne dans les parcours biographiques des individus permet enfin de mettre au jour des constantes, comme les périodes de latence et de disponibilité propices à ces débuts, mais aussi des variations sociales dans l’appréhension du travail marchand numérique. Les compétences numériques développées s’articulent ainsi, différemment selon les caractéristiques sociodémographiques, à des dispositions sociales forgées au cours de la socialisation primaire et secondaire.

53À travers l’apprentissage du travail marchand numérique – qui peut être généralisé des vendeur.ses d’Etsy aux bloggeur.ses (Duffy, 2017), aux influenceur.ses (Godefroy, 2020) et à toute forme de marchandisation en ligne de singularités (Karpik, 2007) – se joue l’intériorisation d’une culture entrepreneuriale. Si l’aspect entrepreneurial, même à petite échelle pour les amateur.rices, est souvent recherché en tant que tel lors de l’ouverture d’une boutique en ligne, beaucoup se prennent au jeu de la valorisation de soi et de ses produits dans une optique marchande en apprenant à le faire. La communauté de pratique intégrée par la pédiatre Tue-Minh, qui vend des sculptures en papier sur Etsy, joue ainsi un rôle central dans la réorientation de son rapport au monde : « Toutes, on est dans cette dynamique d'entrepreneuriat, donc vraiment : comment on fait pour sortir du lot, comment on fait pour atteindre notre cible, comment on fait pour atteindre les objectifs, comment on fait pour en vivre ? ». L’apprentissage ne relève donc pas seulement de l’acquisition de compétences, mais aussi de l’acculturation à des valeurs. L’« acculturation entrepreneuriale » (Vicente, 2017) des vendeur.ses d’Etsy les éloigne de la valorisation du fait-main, la pratique du loisir créatif étant elle-même parfois délaissée au profit de la mise en scène de soi et de ses produits sur internet, à l’instar des tricoteuses du site internet Ravelry (Zabban, 2016). Ce jeu de la visibilité et de la marchandisation en ligne n’est pas neutre, mais au contraire empreint de valeurs entrepreneuriales (« sortir du lot », « atteindre les objectifs »…) et participe du développement d’un « capitalisme gamifié » (Le Lay et al., 2021). Par l’extension jusqu’à des amateur.rices du travail marchand numérique, les plateformes numériques concourent à l’entrepreneurialisation de la société, c’est-à-dire à la diffusion de discours normatifs sur « l’esprit d’entreprise » et d’injonctions à devenir « entrepreneur.se de soi-même » (Chauvin et al., 2014).

Haut de page

Bibliographie

Abdelnour Sarah & Méda Dominique (dir.) (2019). Les Nouveaux travailleurs des applis, Paris, Presses Universitaires de France.

Bailly Adrien, Garcia-Bardidia Renaud & Lallemand Coralie (2019). “Selling Second-Hand Items on the Web: New Skills for Everyone?”, in Naulin Sidonie & Jourdain Anne (dir.) The Social Meaning of Extra Money: Capitalism and the Commodification of Domestic and Leisure Activities, Basingstoke, Palgrave Macmillan, pp. 97-117.

Becker Howard (1985). Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance, Paris, Métailié [1963].

Bellier Sandra (1999). « La compétence », in Carré Philippe & Caspar Pierre, Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris, Dunod, pp. 223-244.

Berry Vincent (2007). « Les Guildes de joueurs dans l’univers de Dark Age of Camelot : apprentissages et transmissions de savoirs dans un monde virtuel », Revue française de pédagogie, 160, pp. 75-86.

Beuscart Jean-Samuel, Chauvin Pierre-Marie, Jourdain Anne & Naulin Sidonie (2015), « La réputation et ses dispositifs », Terrains & Travaux, 26, pp. 5-22.

Beuscart Jean-Samuel & Couronné Thomas (2009), « La distribution de la notoriété artistique en ligne. Une analyse quantitative de MySpace », Terrains & Travaux, 15, pp. 147-170.

Beuscart Jean-Samuel, Dagiral Éric & Parasie Sylvain (2016). Sociologie d’internet, Paris, Armand Colin.

Bourdieu Pierre (1979). La Distinction. Critique sociale du jugement. Paris, Les Editions de Minuit.

Brougère Gilles (2007). « Les jeux du formel et de l’informel », Revue française de pédagogie, 160, pp. 5-12.

Brougère Gilles & Bézille Hélène (2007). « De l'usage de la notion d'informel dans le champ de l'éducation », Revue française de pédagogie, 158, pp. 117-160.

Cardon Dominique (2013). « Dans l’esprit du PageRank. Une enquête sur l’algorithme de Google », Réseaux, 177, pp. 63-95.

Cardon Dominique & Casilli Antonio (2015). Qu’est-ce que le Digital Labour ?, Paris, INA.

Cardon Dominique & Delaunay-Téterel Hélène (2006). « La production de soi comme technique relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics », Réseaux, 138, pp. 15-71.

Casilli Antonio (2019). En Attendant les robots : Enquête sur le travail du clic, Paris, Seuil.

Chauvin Pierre-Marie, Grossetti Michel & Zalio Pierre-Paul (dir.) (2014). Dictionnaire sociologique de l’entrepreneuriat, Paris, Presses de Sciences Po.

Cochoy Franck & Dubuisson-Quellier Sophie (2000). « Les professionnels du marché : vers une sociologie du travail marchand », Sociologie du travail, 42 (3), pp. 359-368.

Dagiral Éric (2021). « Des techniques numériques de l’engagement ? De la “mise en données” à la “mise en jeu” des activités de quantification de soi », in Le lay Stéphane, Savignac Emmanuelle, Lénel Pierre & Frances Jean (dir.) La Gamification de la société. Vers un régime du jeu ?, Londres, Iste Editions, pp. 79-96.

Dagiral Éric, Licoppe Christian, Martin Olivier & Pharabod Anne-Sylvie (2019). « Le Quantified Self en question(s). Un état des lieux des travaux de sciences sociales consacrés à l’automesure des individus », Réseaux, 216 (4), pp. 17-54.

Dubuisson-Quellier Sophie (2003). « Contacts et relations au marché chez les très petites entreprises », Réseaux, 5 (121), pp. 19-42.

Duffy Brooke Erin (2017). (Not) Getting Paid to Do What You Love: Gender, Social Media, and Aspirational Work, New Haven, CT, Yale University Press.

Fluckiger Cédric (2008). « L’école à l’épreuve de la culture numérique des élèves », Revue française de pédagogie, 163, pp. 51-61.

Gill Rosalind (2010). “"Life is a pitch": Managing the self in new media work”, in Deuze Mark (dir.), Managing Media Work, Londres, Sage, pp. 249-262.

Godefroy Joseph (2020). “Salles de fitness : la parade d’Instagram ?”, billet de blog du CENS « Décrypter la société du Covid-19 », https://covid19cens.hypotheses.org/tag/joseph-godefroy.

Gregg Melissa (2007). “Thanks for the Ad(d): Neoliberalism’s compulsory friendship”, communication, MA in Gender and Culture, Goldsmiths College, University of London, https://0-lucian-uchicago-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/blogs/politicalfeeling/files/2007/09/thanks4adddraft.pdf.

Hughes Everett (1996). Le Regard sociologique, textes réunis par Chapoulie Jean-Michel, Paris, Editions de l’EHESS.

Jarrett Kylie (2015). Feminism, Labor and Digital Media: The Digital Housewife, New York, Routledge.

Jourdain Anne (2014). Du Cœur à l’ouvrage. Les artisans d’art en France, Paris, Belin.

Jourdain Anne (2018). « “Faites de votre passion un métier” : Etsy, une plateforme d’émancipation féminine ? », La nouvelle revue du travail, 13.

Karpik Lucien (2007). L’Economie des singularités, Paris, Gallimard.

Kücklich Julian (2005). “Precarious Playbour: Modders and the Digital Games Industry”, The Fibreculture Journal, 5.

Landour Julie (2019). Sociologie des Mompreneurs. Entreprendre pour concilier travail et famille ?, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

Lave Jean & Wenger Étienne (1991). Situated Learning: Legitimate Peripheral Participation, Cambridge, Cambridge University Press.

Le Lay Stéphane, Savignac Emmanuelle, Lénel Pierre & Frances Jean (2021). La Gamification de la société. Vers un régime du jeu ?, Londres, Iste Editions.

Moulin Raymonde, Passeron Jean-Claude, Pasquier Dominique & Porto-Vasquez Fernando (1985). Les Artistes. Essai de morphologie sociale, Paris, La documentation française.

Naulin Sidonie & Jourdain Anne (dir.) (2019). The Social Meaning of Extra Money: Capitalism and the Commodification of Domestic and Leisure Activities, Basingstoke, Palgrave Macmillan.

Salen Katie & Zimmerman Eric (2004). Rules of Play: Game Design Fundamentals, Cambridge, MIT Press.

Scholz Trebor (2012). Digital Labor: The Internet as Playground and Factory, New York, Routledge.

Simonet Maud (2018). Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, Paris, Textuel.

Stebbins Robert (2007). Serious Leisure: A Perspective for Our Time, New Jersey, Transaction Publishers.

Trespeuch Marie, Beuscart Jean-Samuel, Pharabod Anne-Sylvie & Peugeot Valérie (2019). « Echanger entre particuliers : construction et euphémisation du lien marchand à l’heure numérique », Revue Française de Socio-Economie, 22, pp. 125-150.

Vicente Michaël (2017). « Apprentissage du code informatique et entrepreneuriat : de la création d’entreprise à l’esprit d’entreprendre », Formation emploi, 140, pp. 87-106.

Wenger Etienne (1998). Communities of Practice: Learning, Meaning, and Identity, Cambridge, Cambridge University Press.

Wood Alex J., Graham Mark, Lehdonvirta Vili & Hjorth Isis (2019). Good Gig, Bad Gig: Autonomy and Algorithmic Control in the Global Gig Economy”, Work, Employment and Society, 33 (1), pp. 56‒75.

Zabban Vinciane (2016). « Tricoter en public. Internet et le “coming out” de la tricoteuse », in Martin Olivier & Dagiral Éric (dir.) L’Ordinaire d’internet. Le web dans nos pratiques et relations sociales, Paris, Armand Colin, pp. 37-57.

Zabban Vinciane (2019). “Commodifying Leisure and Improving Its Social Value: Knitters’ Conspicuous Production on Ravelry.com”, in Naulin Sidonie & Jourdain Anne (dir.) The Social Meaning of Extra Money: Capitalism and the Commodification of Domestic and Leisure Activities, Basingstoke, Palgrave Macmillan, pp. 33-59.

Haut de page

Notes

1 De la même manière, la littérature féministe des années 1970 et 1980 a rendu le travail domestique visible en le qualifiant de « travail » (Jarrett, 2015 ; Simonet, 2018).

2 La catégorie « Vendeur à la Une » du blog français d’Etsy est dédiée à ces success-stories.

3 À titre d’exemples, voici des titres d’articles sur Etsy dans les médias généralistes : « Surfant sur la vogue du fait main, Etsy offre une vitrine mondiale aux petits créateurs locaux » (Pascale Krémer, Le Monde, 12/03/21), « Créatrices de fait main, elles vendent grâce à Etsy dans le monde entier » (Julien Duriez, La Croix, 21/12/16).

4 Le choix du pseudonyme « Elise Porte » signale la stratégie de proximité sociale employée par l’entreprise Etsy pour entrer en contact avec les vendeur.ses qui sont majoritairement des femmes françaises issues des classes moyennes et supérieures.

5 Ces chiffres issus d’un questionnaire sont déclaratifs et sont donc sans doute en-deçà de la réalité des pratiques.

6 Source : « Surfant sur la vogue du fait main, Etsy offre une vitrine mondiale aux petits créateurs locaux » (Pascale Krémer, Le Monde, 12/03/21).

7 Ces chiffres sont issus de l’enquête par questionnaire, dans laquelle sont probablement surreprésenté.es les vendeur.ses actif.ves d’Etsy, plus prompt.es à répondre à mes questions.

8 Parce qu’ils sont très minoritaires sur Etsy (12%), les hommes échappent à la typologie. Des inégalités genrées en leur faveur se reconstituent pourtant sur la plateforme (Jourdain, 2018).

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 : Représentation des trois classes de la CAH sur le premier plan factoriel de l’ACM
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/reset/docannexe/image/4610/img-1.png
Fichier image/png, 134k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Anne Jourdain, « Le succès entrepreneurial sur la plateforme marchande Etsy : compétences numériques ou dispositions sociales ? »RESET [En ligne], 12 | 2023, mis en ligne le 23 mars 2023, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/reset/4610 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/reset.4610

Haut de page

Auteur

Anne Jourdain

Maîtresse de conférences en sociologie, IRISSO, Université Paris-Dauphine

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search