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AccueilNuméros151PREMIERE PARTIE : DOSSIER THEMATIQUEII L'alcool face à l'Etat discipl...L’empire de l’alcool une histoire...

PREMIERE PARTIE : DOSSIER THEMATIQUE
II L'alcool face à l'Etat disciplinaire (XIXe siècle - années 1970)

L’empire de l’alcool une histoire des débits de boissons nord-africains en métropole (1920-1954)

إمبراطورية الكحول في "المقاهي العربية" : تاريخٌ للمحلات الشمال-إفريقية للمشروبات في فرنسا المتروبولية (1920-1954)
The World of Alcohol: A History of North African Drinking Places in Metropolitan France (1920-1954)
Sabah CHAIB
p. 141-158

Résumés

Les débitants de boissons en métropole jouissent d’une liberté inconnue des cafetiers maures en Algérie, ce qui a permis à une classe de commerçants nord-africains de se constituer, de s’enrichir et de s’émanciper socialement et économiquement. En témoigne le foisonnement des débits de boissons nord-africains en métropole et de la manière dont ces débits prennent progressivement pied dans l’empire de l’alcool des années 1920 aux années 1950. La licence IV y est particulièrement recherchée, sur un marché dynamique bien que contraint réglementairement. 

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Dédicace

À la mémoire du Professeur Omar Carlier, à son goût des autres et de l’Algérie, à sa passion des livres, de l’enquête et de l’Histoire.

Texte intégral

1Enquêter sur les débits de boisson nord-africains en métropole, au plus près de sources archivistiques, est une invitation à la restitution d’une réalité historicisée, déployée sur la période 1920-1954. Cette réalité se révèle être en grande partie émancipée de l’écriture d’une histoire des « cafés maures » en colonie (Carlier, 1990 ; Znaien, 2017) et de celle « d’établissements de boissons hygiéniques » développés en métropole sous l’impulsion de l’armée pendant la Première Guerre mondiale (Meynier, 1981) puis à l’initiative des pouvoirs publics après-guerre : l’encouragement à la diffusion de cafés maures, de foyers et de structures d’encadrement des « Nord-Africains » qui voient le jour à Paris en 1925, témoigne d’un même souci de part et d’autre de la Méditerranée à savoir, subordonner les fonctions d’assistance de ces lieux à celles primordiales de surveillance et de défense de l’ordre public et politique, c’est-à-dire colonial (Godin, 1933). Les cafés maures et cantines qui sont pensés en concurrence avec les débits de boisson nord-africains (Chaib, 2014), en nombre croissant dans les grandes villes au cours de la Première Guerre mondiale (Meynier, 1981 ; Granet, 1995), interrogent en retour la réalité des acteurs privés, les débitants « nord-africains », selon l’usage des dénominations administratives de l’époque à savoir, des débitants algériens en premier lieu, disposant de la nationalité française, ainsi que des Marocains et Tunisiens, « protégés français », pouvant par leur statut juridique accéder librement au monde des débits de boissons.

  • 1 Archives de Paris, Fonds D. 33. U3 Registre du Commerce (1920-1954) : Registre Analytique du Regist (...)

2Le Registre du commerce du département de la Seine, comptant parmi les différents terrains d’enquête de notre thèse de doctorat (2010), nous a permis d’appréhender au plus près, le développement du dispositif commercial nord-africain et l’offre d’alcool des années 1920 à 1954. Institution créée par la loi du 18 mars 19191, le Registre est une source obligée pour qui veut saisir l’activité commerciale dans sa physionomie et sa sociologie sur un territoire et un temps donné (Bonnet, 1975 ; Zalc, 2002). Les enregistrements dessinent une courbe ascendante, adossée au cycle migratoire des émigrations nord-africaines des années 1920 aux années 1950 : les années 1920 sont marquées par la prédominance des marchands ambulants ; les années 1930 constituent un tournant, avec l’essor pris par les commerces sédentaires ; l’insertion dans les activités de débits de boisson, restauration, hôtellerie et alimentation, est massive pendant les années 1940 et 1950. La prépondérance et le caractère protéiforme des cafés, qui n’est pas propre aux débits nord-africains (Langle, 1990 ; Nourrisson, 1990) s’avèrent essentiels dans cet « âge du café maure » (Kerrou, 1987), par leur rôle pivot avec d’autres activités commerciales. Si le Registre du commerce ne permet pas d’appréhender clairement les catégories ou licences attachées au débit, le libellé des boissons déclarées par les commerçants nord-africains montre le foisonnement d’établissements offrant de l’alcool, en premier lieu, le vin, la bière, le cidre et les liqueurs et révèle le cadre matériel des lieux du boire soit l’épicerie, le café, le restaurant et l’hôtel.

3Notre article vise à apporter un nouvel éclairage historique sur l’activité des débitants de boisson, du point de vue des licences et des catégories de boisson recherchées : quelles sont les pratiques des acteurs privés à ce sujet et que font-ils du « café maure », entendu ici au sens d’établissement privé n’offrant pas de boissons alcoolisées ? Comment se répartissent en proportion les lieux du boire proposant de l’alcool et ceux n’en proposant pas ? Il s’agit de mieux appréhender ici les figures de débitants nord-africains. Pour ce faire, notre article s’appuie sur un terrain d’enquête menée dans les archives municipales de Saint-Denis, lesquelles permettent d’observer les débits de boisson en une approche monographique. Comptant parmi les banlieues industrieuses et ouvrières de la couronne parisienne, la commune possède sur son territoire plusieurs usines, favorisant des regroupements de travailleurs, propices au développement de cafés, garnis et foyers de travailleurs ; la commune compte en outre, une caserne et des forts militaires. Elle est le territoire d’accueil d’une importante émigration ancienne d’Algérie. L’intérêt erratique porté par la municipalité communiste aux conditions de vie des émigrés nord-africains, observable par les rapports, notes et interpellations des élus communistes au Conseil général de la Seine, permet de documenter notre sujet de recherche. L’échelle communale d’observation des débits de boisson est complémentaire de celle départementale du Registre du commerce car elle s’inscrit dans une réalité historique des prérogatives administratives. En effet, les démarches réglementaires pour l’installation dans un commerce impliquent un enregistrement au Registre du commerce ; et pour qui veut ouvrir un débit de boissons, ces démarches sont nécessaires, depuis la loi du 17 juillet 1880, auprès de la mairie pour les communes suburbaines de Paris, ou auprès de la Préfecture s’agissant de Paris.

4L’échelle communale atteste dans le temps, de l’année 1917 à 1954, de la réalité croissante des débits de boisson nord-africains à Saint-Denis ; elle permet d’appréhender mieux les figures des débitants ainsi que le type de licence recherchée et attribuée, de la demande du requérant à sa délivrance par l’autorité municipale ; l’analyse de la correspondance municipale apporte un regard sur l’exercice professionnel des débitants de la commune ; enfin, l’analyse en continu des registres de déclaration montre combien l’empire de la licence IV s’est imposé.

Saint-Denis (Seine), débits de boisson et débitants : une approche monographique

Figures de débitants nord-africains

  • 2 Archives Municipales de Saint-Denis, Série I : Police, Justice, Hygiène Publique, cote 1 I 69 à 82  (...)

5Les enregistrements opérés en temps réel au Registre du commerce entre 1920 et 1954 se chiffrent en centaines de milliers, rendant dès lors nécessaire une méthode par sondage pour disposer de données prenant en compte la nationalité, l’âge ou le genre. À l’échelle communale, les volumes de déclaration de débits de boisson sont certes élevés mais sans commune mesure. Les enregistrements à temps réel disponibles sur la période 1914 à 1954 (les archives s’arrêtent à l’année 1984) peuvent être ainsi analysés en chronologie presque continue sur une longue période et apporter un éclairage à la fois, sur la situation du débit et sur la sociologie des débitants2. En effet, l’indication systématique des informations sur l’établissement (ouverture, mutation, transfert de licence, gestionnaires passés et présents, etc.) permet de retracer l’histoire du débit ; en ce qui concerne le débitant, l’indication de l’état-civil et surtout celle de la profession occupée, disponible jusqu’en 1947 (année où le formulaire change), sont précieuses pour mieux saisir la sociologie des tenanciers de débit (âge, origine géographique, profession occupée pour les propriétaires qui n’exploitent pas eux-mêmes le débit). Alors que le Registre du Commerce restitue une vue globale du dispositif commercial et de l’activité commerciale d’un individu, le Registre de déclaration offre une vue limitée à la seule activité de débit de boissons voire à la restauration lorsqu’une licence d’alcool est demandée. Préexistant au Registre du commerce, le Registre de déclaration offre une vue privilégiée sur la construction de carrières des débitants de boissons (entrées et sorties dans la profession, mobilité ou stabilité dans les affaires, licences recherchées, etc.).

6Le croisement des données du Registre du Commerce avec les données locales de Saint-Denis pour la période entre 1920 et 1954, permet de dégager des points de comparaison : notamment pour les années 1920, la présence d’individus originaires de régions d’anciennes émigrations, de l’Algérie (Grande Kabylie) et du Maroc, ces derniers plus présents encore dans la commune voisine de Gennevilliers (Ray, 1938). L’échelle communale montre d’ailleurs que pour la période de la Première Guerre mondiale, les premières déclarations de débits de boisson « nord-africains » sont le fait de trois Marocains, âgés de 30 et 31 ans, issus des régions du Souss et de Casablanca. C’est en 1923 que deux déclarations sont le fait d’originaires d’Akbil en Grande Kabylie. Les déclarations concernant les originaires d’Algérie et dans une moindre mesure du Maroc, s’étoffent sans cesse chaque année : deux par an jusqu’en 1926 ; puis huit en 1929 et plus de dix par an à partir de 1930. L’échelle communale permet de vérifier l’effet de regroupement par région que l’enquête menée par Louis Massignon (1930) avec l’aide de la rue Lecomte, avait constaté : Saint-Denis est le lieu privilégié d’une émigration des localités montagneuses du Djurdjura (Akbil, Ait Yahia, Beni Menguellat, Michelet) puis des localités situées en « Petite Kabylie », Guergour principalement. À partir des années 1930, on constate que les trois départements d’Algérie (Alger, Constantine, Oran) sont concernés par l’émigration, avec une plus grande intensité et diversification dans les deux principaux foyers d’émigration, en Grande Kabylie (Fort-National, Ait Hicham, douar Illoula, Friha, Ighil, Djoua, Arzoun, El Korn, Ait Ouatas, Ittourar, Azazga, etc.) et en Petite Kabylie (Guergour, Beni Ourtilane, Oued Marsa, Akbou, Sidi Aich, Ait Nacer, Guenzet, Lafayette, Kendira, etc.). S’agissant des originaires du Maroc, les origines régionales se diversifient également entre 1920 et 1954 : régions du Souss (Tiznit, Issafen), Mogador, Casablanca, Marrakech, Targout, Tighaninine. Un seul originaire de Tunis est déclaré en 1939.

7L’espace de la commune est le cadre de la mise en œuvre d’une entraide familiale et villageoise pour accéder, se maintenir et prospérer dans les affaires ; il est aussi le cadre à la saisie d’opportunités commerciales, lesquelles ouvrent sur un cercle plus large (compatriotes, originaires du Maroc, métropolitains, étrangers). Plusieurs cas témoignent de la double dimension d’individus engagés dans des relations communautaires et des univers mixtes. Le cercle est aussi ouvert aux femmes, très présentes dans le monde des débits de boisson : veuves, divorcées, mariées, célibataires d’une part, propriétaires ou gérantes d’autre part, elles participent pleinement d’un monde professionnel avec lequel les débitants nord-africains doivent ou peuvent compter. Une minorité d’entre elles se révèlent être conjointes (mariées ou concubines) de débitants nord-africains. Une seule « française musulmane » s’avère déclarée au registre. De fait, le monde des débits est traversé de logiques différentes, entre contraintes et opportunités, construction précaire et réussite, logiques de sédentarité et noria migratoire (allers-retours en colonie et mise en gérance du débit). La professionnalisation dans la migration et dans le métier de commerçant se conjugue : l’installation dans le commerce s’effectue à un âge avancé (25-30 ans pour les plus jeunes et la cinquantaine pour les plus âgés) et implique pour beaucoup, une expérience professionnelle au préalable ou une polyactivité très présente dans les années 1920 et 1930 : les débitants sont issus pour partie du monde du contact (chauffeur, marchand ambulant ou forain) comme le notait déjà Jean Morizot (1985) ; et du monde prolétarien : des manœuvres en grand nombre, même s’il faut se méfier de cette dénomination parfois trompeuse car simplificatrice comme le soulignait Geneviève Massard-Guilbaud (1995) à propos des commerçants algériens pendant l’entre-deux-guerres à Lyon. Plusieurs mentions dans les Registres renvoient au fait que les débitants « Ne savent signer » ; les débitants d’origine marocaine signent quant à eux, en arabe. L’univers professionnel des débitants nord-africains est plus restreint que celui des débitants métropolitains, lequel est éclaté en divers mondes (commerce, professions libérales, artisanat, prolétariat, paysannerie, domesticité, contact). À travers les Registres de déclaration, se révèle l’origine sociale modeste d’une classe de commerçants nord-africains se constituant à Saint-Denis, au regard de la sociologie des militants et commerçants nord-africains, à la même période, plus éduqués (Ageron, 1981 ; Stora, 1989 ; Carlier, 1995 ; Bouguessa, 2000). Les dates de naissance des débitants de boissons nord-africains se situent entre 1880 et 1922 : entre 1938 et 1954, la coexistence dans le monde des débits nord-africains de ces générations distantes dans le temps, est forte. Âges migratoires (Sayad, 1979) et âges du commerce montrent combien les débitants constituent « les permanents de l’émigration » (Carlier, 1995). Avec eux, s’opère la sédimentation dans le monde des débits de boisson à Saint-Denis jusqu’à en incarner près du tiers des effectifs après 1954. La fluidité des transactions pour la période des années 1940 et 1950, s’avère être grande : la mobilité dans les affaires mais aussi la mobilité des affaires y est intense et dans ce contexte, l’empire de l’alcool revêt d’autant moins un aspect moral…

Des licences de boissons sous conditions

8L’obtention d’une licence de boissons subit l’influence d’une réglementation des débits de boissons, sans cesse modifiée par l’introduction de nouvelles mesures, particulièrement les périmètres de protection autour de certains établissements (outre les débits à proximité, une école, une église, un hôpital ou un lieu de travail jugé sensible, etc.). Ce cadre juridique à la fois stable (dans ses principes) et mouvant (dans ses contours) est une réalité observable aux nombres de notices de rappels réglementaires que les agents du Service des débits s’évertuent de recopier. Les démarches administratives en ce qui concerne le requérant, évoluent peu depuis leur formalisation dans la loi libérale du 17 juillet 1880. Démarches qui restent inchangées en 1930 à lire le Bulletin municipal officiel de la Ville de Saint-Denis :

  • 3 Archives Municipales de Saint-Denis, cote 13 C 1 : Bulletin Municipal Officiel de la Ville de Saint (...)

Toute personne qui veut ouvrir un café, un cabaret ou autre débit de boissons à consommer sur place est tenue de faire, quinze jours à l’avance et par écrit, une déclaration indiquant : 1) Ses nom, prénom, lieu de naissance, profession et domicile ; 2) la situation du débit ; 3) À quel titre elle doit gérer le débit et les nom, prénom, profession et domicile du propriétaire s’il y a lieu ; 4) Si elle prend l’engagement de ne pas vendre des spiritueux, des liqueurs alcooliques ou des apéritifs autres que ceux à base de vin titrant moins de 23 degrés. À Paris, cette déclaration est faite à la Préfecture de Police et dans les autres communes, à la Mairie ; il en est donné immédiatement récépissé. Le déclarant doit justifier qu’il est Français ou qu’il réside en France ou dans les colonies, ou dans les pays du protectorat depuis cinq ans. Dans les jours de la déclaration, le Maire de la commune où elle aura été faite, en transmet copie intégrale au Procureur de la République de l’arrondissement3

9Les démarches explicitées dans le Traité de sécurité Publique à l’usage des commissaires de police (Fages, 1948), montrent encore une situation inchangée pour le requérant, à l’exception notoire de la période d’après-guerre, avec l’ordonnance du 20 octobre 1945 qui place pendant moins d’un an, le préfet en position d’autorité pour l’ensemble des communes de la Seine : toutes les demandes doivent donc lui être adressées.

10L’obtention d’une licence de boissons est conditionnée pour la période des années 1920 jusqu’à la réglementation du 24 septembre 1941, par un engagement du requérant, celui de servir des boissons ne titrant pas plus de 23°, comme l’exige la loi du 9 novembre 1915. Cette loi interdit en effet, l’ouverture de tout nouveau débit du second groupe à savoir, au-delà de 23°. De fait, les courriers adressés au maire, conservés en faible nombre au regard du volume des déclarations, attestent de cette posture d’engagement, à l’instar de ce courrier :

  • 4 Archives Municipales de Saint-Denis, Série I, cote 1 I 78 : Registres de déclaration de débits de b (...)

Monsieur le Maire, j’ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance l’autorisation d’OUVRIR un débit de boissons à consommer sur place, 3 rue Pinel. Je m’engage à ne vendre que des liquides ne titreront pas plus de 23°. Veuillez agréer Monsieur le Maire, l’assurance de ma considération distinguée4.

11Les archives portent trace seulement de deux courriers émanant de débitants nord-africains, l’un en 1929 et le second en 1937 :

  • 5 Archives Municipales de Saint-Denis, Série I, cote 1 I 75 : Registres de déclaration de débits de b (...)

J’ai l’honneur de vous solliciter de bien vouloir me permettre de faire l’ouverture d’un marchand de vins-restaurant n° 33 rue de la Légion d’honneur que je serais désireux de faire l’ouverture le plutôt possible. Dans l’attente d’une bonne réponse, recevez Monsieur le Maire avec tous mes remerciements mon profond respect »5.

  • 6 Ibid.

12En marge, les annotations du service des débits indiquent : « Convoqué le 30 août 1929. Ouverture débit de boissons titrant moins de 23°6 ».

  • 7 Archives municipales de Saint-Denis, cote 1 I 80 : Registres de déclaration de débits de boisssons.

Monsieur le Maire, j’ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance l’autorisation d’ouvrir un restaurant à Saint-Denis rue Robert Foulon n° 12 (Petite licence). Dans l’espoir d’une attente favorable. Veuillez agréer Monsieur le Maire mes respectueuses salutations. Arezki A. 19 bis rue de Strasbourg à Saint-Denis » (Courrier en date du 11 mars 1937, Arezki A. né en 1905, Commune Mixte du Djurdjura). La déclaration obtenue portera ainsi mention : « les liquides à consommer sur place ne titreront pas plus de 23°7.

13La récurrence de la formule indiquée sur les déclarations c’est-à-dire « liquides à consommer sur place ne titrant pas plus de 23° », ou plus rarement, « titrant moins de 16° », témoigne de l’ampleur du premier groupe. Les « boissons hygiéniques » sujettes à évolution en fonction du regard hygiéniste (Schivelbusch, 1991), comprennent à cette période, le thé, le café, la limonade, et de fait, le vin, la bière et le cidre, faiblement alcoolisés ; ces boissons sont intégrées dans le premier groupe : « Boissons hygiéniques et liquides à consommer sur place titrant moins de 23° ». La formule seule n’apparaît pas, y compris pour les déclarations de débitants nord-africains. La licence obtenue par les débitants nord-africains est ainsi celle du premier groupe, autorisé par les pouvoirs publics, comprenant boissons hygiéniques et alcoolisées ne dépassant pas 23°.

  • 8 Casier judiciaire accompagnant la déclaration d’un requérant, Souches de déclaration, cote 1 I 75.
  • 9 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action Sociale et Santé : cote 16 AC 25 : Dossier Corresp (...)

14Une autre condition essentielle d’obtention de l’autorisation de licence porte sur la personne même du débitant. Le casier judiciaire qui doit accompagner toute demande, vise à connaître la moralité du débitant. De fait, les extraits de casier judiciaire s’avèrent peu nombreux dans les archives ; sans doute seuls les dossiers possédant une indication au casier judiciaire ont été conservés par le service des débits. Chaque déclaration enregistrée en mairie fait l’objet d’une transmission au procureur de la République. L’échelle communale permet d’entrevoir la teneur des échanges pour les dossiers jugés délicats. Pour les années 1920 et 1930, différents cas sont posés : condamnation à titre « de complicité d’adultère »8 pour un débitant, sans conséquence pour l’obtention de la licence ; ou encore, condamnation pour vol à propos de laquelle le maire souhaite prendre l’avis du procureur de la République. La loi fixe en principe la nature des délits et des condamnations qui rendent impossible pour tout requérant, l’exploitation d’un débit de boissons. Les exemples d’échanges au sujet de quelques cas semblent témoigner de la nécessité pour le maire de prendre néanmoins conseil auprès du magistrat. Dans l’ensemble, peu de dossiers ont trait à des débitants nord-africains. Une demande de casier judiciaire auprès des instances judiciaires d’Alger, est requise pour un candidat originaire d’Ittourar, lequel s’avère avoir été condamné à six mois d’emprisonnement pour trafic de cartes de pain9 par un tribunal à Marseille le 29 novembre 1943. Un autre débitant nord-africain est également condamné pour cause de trafic noir : « trafic de titres de rationnement, 8 mois d’emprisonnement, 8000 francs d’amende ».

  • 10 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action Sociale et Santé : cote 16 AC 25, Note du secrétai (...)

15La période de l’immédiate après Seconde guerre mondiale place les débits de boisson dans la ligne de mire des pouvoirs publics avec l’ordonnance du 20 octobre 1945, laquelle a pour objectif « la limitation des débits de boisson ». Bien qu’abrogée rapidement par la loi du 30 mars 1946, l’ordonnance institue un « régime draconien » (Bihl, 1992) qui produit quelque effet local. En effet, le préfet a toute-puissance pour faire respecter l’objectif de limitation par un régime renforcé d’autorisation pour l’ouverture des débits de deuxième, troisième et quatrième catégories et pour ce faire, les services de la préfecture, par circulaire en date du 19 juin 1946, entendent disposer d’un recensement complet des débits de boisson présents sur le territoire10. C’est ainsi qu’un garni clandestin détenu par un débitant nord-africain est découvert. Par ailleurs, les archives portent trace de plusieurs demandes d’ouverture de débits rejetées par le préfet ; on n’y trouve trace à ce sujet, d’aucun débitant nord-africain. La mutation par changement de gérance fait aussi l’objet d’une autorisation préfectorale ; les dossiers conservés aux archives concernent aussi bien les débitants métropolitains que nord-africains :

  • 11 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action Sociale et Santé : cote 16 AC 25, Courrier de la p (...)

Conformément aux dispositions des textes pris en application de l’ordonnance du 20 octobre 1945, j’ai l’honneur de vous informer que j’ai délivré ce jour à M. B-A. Saïd Ben Mohammed 59 rue du Landy une autorisation de mise en gérance (gérant A. Mohand).11

  • 12 Loi n° 46-685 du 13 avril 1946 tenant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de (...)
  • 13 « … en ce qui concerne la lutte contre le racolage et la surveillance des hôtels et débits de boiss (...)

16L’objectif de limitation des débits implique une plus grande répression des infractions à la réglementation des débits de boisson. Entre 1945 et 1946, six débitants métropolitains ont été condamnés à fermer leurs établissements 15 jours, en raison de la vente « d’apéritifs à l’anis à base d’alcool », en infraction des dispositions de la loi du 24 septembre 1941 contre l’alcoolisme. S’agissant de la période 1945-1954, les dossiers consultés montrent une occurrence moindre des débitants nord-africains au regard des infractions liées à la vente d’alcool. En revanche, l’alcool apparaît pour ces débitants dans le sillage du délit de débauche et de prostitution. Le vote de la loi dite Marthe Richard de fermeture des maisons closes12 rend le sujet sensible et une surveillance plus rigoureuse de tout lieu potentiel d’activité de prostitution est rappelée en 1949 par le ministre de l’Intérieur aux préfets13. En 1946 et en 1949, deux débitants originaires d’Algérie et du Maroc sont particulièrement surveillés. En 1946, le maire informe le commissaire de police de la pétition de riverains à propos d’un « café algérien » situé 1 rue Pierre Béguin, et qui selon lui :

  • 14 Archives Municipales de Saint-Denis, Fonds Secrétariat-Général, cote 50 ACW 33 : courrier du maire (...)

[] serait un lieu de rendez-vous et de débauche fréquenté par des mineurs, et même des fillettes. Comme j’ai déjà eu l’occasion d’exposer verbalement à M. le préfet de police les inquiétudes de la Municipalité devant la progression de la prostitution dans certains établissements publics, je lui ai adressé la pétition dont il s’agit, mais j’ai tenu néanmoins à vous en aviser14.

17La pétition en question prend la forme de deux lettres anonymes dont le maire reprend certaines formulations. Les deux lettres anonymes incriminent en réalité, plusieurs débits de boisson :

  • 15 Deux lettres anonymes ont été retrouvées dans ce dossier, mais pas trace de pétition signée par les (...)

Nous venons au nom des habitants des rues Robert Foulon, Pierre Béguin, du Pont Godet et surtout au nom de la morale que cesse le scandale des bals algériens qui attirent toute la jeunesse qui danse toute la nuit, non seulement c’est dangereux pour des gens attardés car à chaque instant on entend des coups de feu mais aussi pour les jeunes qui se trouvent au contact avec les gens du marché noir qui en faisaient déjà du temps des bôches mais qui continuent. Et au sujet des jeunes filles qui ont à peine 16 ans, qui sont toujours avec les nègres et qui ont une mauvaise tenue. Nous espérons que l’on tiendra compte de notre réclamation. Principalement chez l’Arbi rue Robert Foulon15.

18S’agissant du débitant originaire du Maroc, le préfet informe le maire de l’arrêté de fermeture pris le 28 février 1949 à l’encontre du débit situé 23 bd Carnot, tenu par un « protégé français » :

  • 16 Archives municipales de Saint-Denis, Côte 16 AC 25. Courrier du préfet de Police, Direction de l’Hy (...)

À la suite de nombreuses plaintes relatives au débit de boisson sis à Saint-Denis 23 Bd Carnot exploité par le sieur A. Salah Ben Ali, j’ai dû prescrire une enquête au sujet de cet établissement. De cette enquête, il résulte que ce débit est très mal tenu et que de nombreuses infractions à la législation contre l’alcoolisme y ont été constatées. Au surplus, c’est un lieu de débauche fréquenté par des prostituées qui s’y livrent au racolage. Dans ces conditions, en application de la loi n° 480 du 28 août 1943, j’ai décidé la fermeture pour une durée d’un mois du débit en cause. J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint copie de l’arrêté de fermeture pris à l’égard de cet établissement16.

19La question de la sexualité (danse, racolage, prostitution) et celle de l’ethnicité, à travers l’identité des soldats noirs, sans doute basés dans une des casernes militaires du nord de Paris dédiée à l’armée américaine ; l’origine nord-africaine des débitants ; enfin, le trafic noir dont se rendraient coupables ces mêmes débitants (pendant l’occupation et l’après-guerre avec notamment un trafic de stock américain fréquent à cette période) sont autant de stigmates qui font écho aux formes de criminalisation des Nord-Africains relevées dans l’historiographie de cette période (Blanchard, 2011).

L’empire de la Licence IV

  • 17 L’article 1er de la loi du 24 septembre 1941 classe les boissons en 5 catégories : Premier groupe : (...)
  • 18 Archives municipales de Saint-Denis, Inv. Action Sociale et Santé, cote 16 AC 25, Dossier Correspon (...)
  • 19 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action sociale et Santé, cote 16 AC 25, Note du Bureau d’ (...)

20La loi du 24 septembre 1941, avec les cinq catégories de boissons et les quatre types de licences17 qu’elle institue, opère un classement précis des boissons. L’univers des débits de boissons nord-africains s’inscrit dans presque tout le spectre des catégories de boissons, comme le confirme l’analyse des souches de registres de déclarations de la Ville de Saint-Denis pour la période 1940 à 1955, et selon la même tendance générale constatée pour l’ensemble des débitants de boissons de la commune à savoir, la prépondérance de la catégorie 4, puis 5 puis 3, associée le plus souvent à la restauration. Ainsi, un débitant nord-africain, sis au 32 rue de la Boulangerie, obtient une licence de troisième catégorie avec « Licence restreinte apéritif à base de vins titrant moins de 16° et spiritueux à l’occasion des repas18 ». Une étude statistique plus fine par catégories détenues par l’ensemble des débitants de boissons pour les années 1947 et 1953-1955 montre ainsi une disproportion patente au bénéfice de la quatrième catégorie. Le poids numérique de la licence IV est corroboré par une note municipale établie en 1948, recensant le nombre de débits de boisson existant à Saint-Denis dont la déclaration a été enregistrée au Bureau Municipal d’Hygiène, soit 661 dont 418 appartenant à la quatrième catégorie19.

21Tableau 1 : Nombre de déclarations de débits de boissons dyonisiens par catégories de boisson : année 1947

Cat. 5

Cat. 4

Cat. 3

Cat. 2

Cat. 1

Débitants nord-africains

8

9

2

0

0

Débitants métropolitains

49

167

12

3

2

22Sources : Archives municipales de Saint-Denis : Souches des Registres de déclaration du 16/1/1947 au 27/12/1947 

23Tableau 2 : Nombre de déclarations de débits de boissons dyonisiens par catégories de boisson : années 1953-1955.

Catégorie 4

Catégorie 3

Débitants nord-africains

51

4

Débitants métropolitains

140

5

24Sources : Archives municipales de Saint-Denis : Souches des Registres de déclaration du 25 juin 1953 au 2 février 1955.

  • 20 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action sociale et Santé, cote 16 AC 26 : déclarations de (...)

25Les mutations qui s’opèrent au sein des débits de boisson, attestent de façon indéniable de l’empire de la licence IV, licence échangée et recherchée en premier lieu par les acteurs. S’agissant des catégories de boissons 1 et 2, elles s’avèrent être inexistantes pour les deux années témoins en ce qui concerne les débitants nord-africains. Elles seront rares pour la période postérieure à 1954 ; pour exemple, s’agissant de la catégorie 1 : un débit situé rue E. Renan ouvert en 1956 ; et la demande d’un Algérien souhaitant obtenir en 1958 une licence de catégorie 1 pour pouvoir proposer à ses camarades de la bière et des boissons non alcoolisées dans le foyer nord-africain situé 7 route de Pierrefitte20. Cette demande témoigne au passage d’une pratique des acteurs privés autre que le spectre restreint des boissons hygiéniques voulu par les pouvoirs publics à l’endroit des locataires nord-africains. À Saint-Denis, le règne de la licence IV marginalise sans conteste « le café maure » des foyers ou les débits nord-africains sans boissons alcoolisées. On peut s’interroger néanmoins sur la singularité de ce prisme local : dans la commune voisine de Gennevilliers, une étude portant sur les Nord-Africains (période 1947-1962) recense sans date précise, quatre débits de catégorie 1 tenus par des Algériens et sept autres en bidonville tenus par des Marocains, n’offrant pas d’alcool (Belkhodja, 1963 : 88). Mais le nombre de débits sans boissons alcoolisées reste ici aussi très minoritaire au regard des soixante-six débits de catégories 4 et 3 tenus par des débitants nord-africains. À Saint-Denis, les demandes de catégorie 1 concernant les débitants métropolitains portent par exemple à propos d'une pâtisserie, d'un buffet de la gare ou encore d'un débit sur un lieu de travail.

  • 21 « Modification de la législation des licences. Réglementation des distributeurs automatiques. Encou (...)

26Les archives municipales de Saint-Denis confirment combien la licence IV est la plus répandue dans les débits de boissons de la commune. Les débitants nord-africains prennent pied dans l’empire de l’alcool, dans un contexte général de baisse structurelle des débits de boissons de licence IV : l’impact des lois successives de lutte contre l’alcoolisme se lit dans la diminution progressive des licences de boissons alcoolisées et l’essor nouveau, mais limité, de la licence de catégorie 1 sur les lieux de travail. Cette baisse est favorablement accueillie par une opinion publique, qui interrogée par sondage à propos des mesures proposées par le gouvernement Pierre Mendès-France en 1954 (taxation renforcée des licences de débits de boissons, imposition d’un jour de congé et restriction de l’horaire de vente de l’alcool)21, les approuve et juge même qu’elles ne vont pas assez loin dans la lutte contre l’alcoolisme (Bastide, 1955).

De l’Empire à l’Emprise de l’alcool

27À mesure que le dispositif commercial s’étoffe, l’offre d’alcool participe familièrement de l’univers professionnel des débitants de boisson nord-africains des années 1920 aux années 1950. Ainsi, la progression de l’offre d’alcool s’est réalisée au long cours, en dépit de mouvements réformistes apparus tôt dans l’émigration et visant à la réprimer. Dans son enquête portant sur les « Kabyles à Paris » (1930), Louis Massignon (1930 : 167) notait l’existence de « remuantes » ligues d’abstinents alcooliques initiées par les congrégations Ammariya (de Guelma) et Allawiya (de Mostaganem). Au cours des années 1930, les divergences apparurent rapidement entre les dirigeants de l’Etoile Nord-Africaine-Parti du Peuple Algérien (ENA-PPA) et le « Cercle de l’éducation » créé en 1936 à l’instigation de Ben Badis et de Fodil Al-Ouarthilam, défenseurs d’une « éducation intellectuelle générale, morale et sociale des musulmans » par l’instruction religieuse. Le refus du primat du religieux sur le politique ; la rigueur des règles de conduite (interdits de l’alcool et du jeu) ; les difficultés rencontrées à ses débuts par les militants de l’Etoile Nord-Africaine dans « la mission de propagande à travers l’ensemble des cafés algériens » (Mémoires de Messali Hadj, 1982 : 168) et le souci de ménager les exploitants de café, alliés précieux en aide matérielle et en relais d’influence (Mac Master, 2016) ; tous ces éléments ont conduit les dirigeants de l’ENA-PPA à s’opposer aux cercles éducatifs (Ageron, 1981). Déjà en 1927, « La ligue de défense des musulmans nord-africains », créé par l’hôtelier-restaurateur Ahmed Mansouri (d’origine kabyle), s’est constituée moins dans le souci d’une pratique religieuse que dans un but corporatiste, la défense des intérêts des hôteliers et cafetiers nord-africains contre la menace que constituait pour eux, la création de foyers administratifs. La réalité locale de l’empire de l’alcool implique d’investiguer du point de vue d’une sociologie politique des débitants, notamment le lien entre la présence forte d’une communauté kabyle d’émigration ancienne et l’influence de militants kabyles (Direche-Slimani, 1997). Par ailleurs, le prisme local donne à voir des différences sensibles entre débitants nord-africains, observables au nombre de cafés maures tenus par des Marocains à Gennevilliers (Belkhodja, 1963).

28Les sources historiques mobilisées ne nous ont pas livré d’information concernant les consommateurs émigrés et l’emprise de l’alcool. À première vue, la diffusion de l’alcool dans l’offre commerciale que nous avons mise à jour, confirme l’idée d’une moindre observance de la pratique religieuse, véhiculée au sein même de l’émigration comme le suggère le roman de Mouloud Feraoun, La Terre et le Sang, lequel est censé narrer son histoire dès les années 1910. Dans son enquête sur « les Kabyles à Paris » (1930), Louis Massignon notait « une européanisation » (Ibid. p. 167) notable par l’adoption de la casquette et des repas pris avec du vin. La consommation d’alcool interroge ce que l’on entend précisément par « observance religieuse » : « le sentiment religieux dans l’émigration algérienne » analysé par M. Renard (2003 : 266) au début des années 1950, se manifeste particulièrement au moment des fêtes, avec ses rituels et l’absence de consommation d’alcool ; il se définit par un sentiment composite (attachement sentimental à l’islam, idéalisation des mœurs et coutumes, obsession du retour au pays natal). Aucune mention n’est faite sur les pratiques de consommation d’alcool, présentes ou passées, occasionnelles ou durables, d’autant que ces pratiques sont sujettes à inflexion selon les moments et les lieux (Michel, 1956).

  • 22 Archives de la Préfecture de Police de Paris, Cabinet du préfet, cote Ha 15. Circulaires du 17 avri (...)

29De l’ivresse sur la voie publique à la rixe voire aux crimes sanglants commis sous l’excitation de l’alcool : les émigrés nord-africains ont assurément l’alcool mauvais, voire s’adonnent à la boisson au vu des représentations sociales véhiculées abondamment dès l’entre-deux-guerres. Or les travaux historiques menés sur cette période (Meynier, 1981 ; Ben Fredj, 1990) en ont montré le caractère excessif ; l’alcool et l’alcoolisme affectent bien plus les catégories populaires autochtones. Dans les années 1940 et 1950, les représentations sociales changent d’autant moins à l’égard des Nord-Africains que l’accent est porté sur leur solitude et leur propension à noyer au bistrot leur cafard d’hommes dépaysés (Blanchard, 2011). Les faits divers rapportés par la presse et les représentations sociales courantes se focalisent sur les regroupements et les sociabilités communautaires. Or les enquêtes policières peuvent parfois aller à l’encontre de ces représentations, par le seul fait de la remontée de données empiriques. Ainsi en va-t-il de l’enquête menée en 1951 sur les établissements tenus par des Nord-Africains à la demande du ministère de l’Intérieur22 et qui apporte un éclairage intéressant sur la clientèle et les pratiques de sociabilité dans les différents lieux du boire. Les policiers dépêchés sur le terrain ont recensé 750 établissements répartis dans le département de la Seine : les catégories de débits de boissons et d’hôtels ainsi que le type de clientèle fréquentant l’établissement sont inégalement renseignés selon les commissariats. Les catégories de débits ne dérogent pas au constat que nous avons mis à jour : prédominance des catégories 4, puis 5, puis 3. Mais l’intérêt de cette enquête est précisément une appréhension « sensible » du terrain, même relative : les notes apportées sur le type de clientèle font ainsi remonter des univers attachés à des débits de boisson plus divers que les seules sociabilités communautaires. L’enquête signale ainsi des établissements, majoritaires, à clientèle communautaire ; d’autres, certes minoritaires, à clientèle européenne ; une part non négligeable des établissements sont jugés à clientèle mixte. Lorsque les activités sont combinées, les situations se complexifient davantage : outre le café et l’hôtel à clientèle communautaire, le café peut être communautaire et l’hôtel à composante mixte voire à dominante européenne. Les situations en certains lieux sont de fait très contrastées. Et elles font d’ailleurs penser à la situation des gérants nord-africains, très mobiles dans l’espace, à la tête d’établissements très divers. Les résultats de l’enquête menée à Saint-Denis ne sont malheureusement pas aussi détaillés mais éclairent sur la répartition des établissements à clientèle communautaire ou mixte et leur géographie locale. En effet, l’enquête recense trente-huit établissements, cafés, hôtels, restaurants tenus par des commerçants nord-africains dont vingt-cinq à clientèle communautaire et treize à clientèle mixte. La mixité concerne les lieux du boire, de la restauration et de l’hébergement (un café-alimentation, deux hôtels, un café, un café-hôtel-restaurant, huit cafés-hôtels) ; trois tenanciers sont marocains, le reste algérien. Cette clientèle mixte apparaît dans des rues à faible mais aussi à forte présence de commerces nord-africains (rues de la Boulangerie, Jean Jaurès, du Landy, des Poissonniers). Ainsi, l’hôtel situé 21 rue des Poissonniers, affichant pas moins de 152 clients, est classé « clientèle mixte » ; il en va de même au 68 de la même rue, s’agissant d’un café-hôtel-restaurant ; ou encore, un café au 2 rue de la Boulangerie. Ainsi, l’enquête de 1951 restitue un point de vue plus complexe de la géographie locale des commerces nord-africains et des sociabilités, en contexte communautaire ou mixte.

30Si les cafés émigrés constituent sans conteste « un regroupement protecteur » selon la formule de Robert Montagne (1953), et un lieu d’affirmation communautaire, la diffusion de l’alcool attestée par les sources archivistiques a la vertu heuristique d’interroger le groupe lui-même. Si le café constitue bien un lieu tampon entre les univers sociaux des émigrés et des métropolitains, il faudrait ajouter les univers sociaux différenciés au sein même de l’émigration. Même en tant que lieu refuge pour les émigrés seuls, provenant de surcroît du même village, et quand bien même les émigrés voudraient lui donner les allures d’un conservatoire du village d’origine, la diffusion de l’alcool témoigne du fait que le café est aussi un lieu d’apprentissage de nouveaux modes de consommation, d’attitudes ou de représentations. Et l’expérience de la ville marque durablement les émigrés, dans ses effets repoussoirs ou attractifs. L’éclairage des lieux du boire du point de vue des pratiques de sociabilité vise à appréhender mieux à quoi se rattache l’alcool, en tant qu’indice et non pas indicateur exclusif des modes de vie et des mondes sociaux des émigrés. Ce déplacement du regard nous paraît heuristique pour comprendre mieux sans doute, l’empreinte ambiguë laissée dans les mémoires des acteurs (tenanciers, consommateurs) de la séquence historique singulière et paroxystique des années 1950 et du début des années 1960. Durant cette période, les débits de boisson nord-africains et la consommation de l’alcool constituent un terrain de luttes fratricides pour les organisations nationalistes, partageant le même dessein de constituer un contre-modèle de société en métropole.

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Bibliographie

Sources : fonds d’archives

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Notes

1 Archives de Paris, Fonds D. 33. U3 Registre du Commerce (1920-1954) : Registre Analytique du Registre du Commerce ; Fichier manuel patronymique du Registre du Commerce. Non coté.

2 Archives Municipales de Saint-Denis, Série I : Police, Justice, Hygiène Publique, cote 1 I 69 à 82 : Registres de déclaration d’ouvertures de débits de boissons (1914 à 1940) ; Inventaire Action Sociale et Santé : cote 16 AC 45 : Santé Publique. Contrôle de l’exploitation des débits de boissons : carnets à souches de déclarations (1940-1955).

3 Archives Municipales de Saint-Denis, cote 13 C 1 : Bulletin Municipal Officiel de la Ville de Saint-Denis, 1er novembre 1930, p. 21.

4 Archives Municipales de Saint-Denis, Série I, cote 1 I 78 : Registres de déclaration de débits de boissons. Courrier en date du 21 avril 1932 de Mademoiselle B.

5 Archives Municipales de Saint-Denis, Série I, cote 1 I 75 : Registres de déclaration de débits de boissons. Courrier de M. Ould B. en date du 28 août 1929, 1 rue du Chemin de Fer, Saint-Denis.

6 Ibid.

7 Archives municipales de Saint-Denis, cote 1 I 80 : Registres de déclaration de débits de boisssons.

8 Casier judiciaire accompagnant la déclaration d’un requérant, Souches de déclaration, cote 1 I 75.

9 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action Sociale et Santé : cote 16 AC 25 : Dossier Correspondance générale.

10 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action Sociale et Santé : cote 16 AC 25, Note du secrétaire-général de la mairie en date du 29 juin 1946.

11 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action Sociale et Santé : cote 16 AC 25, Courrier de la préfecture de police, Direction de l’Hygiène et Santé Publique au maire de Saint-Denis en date du 29 mars 1946.

12 Loi n° 46-685 du 13 avril 1946 tenant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le proxénétisme.

13 « … en ce qui concerne la lutte contre le racolage et la surveillance des hôtels et débits de boissons, auxquelles j’attache une grande importance... » Courrier du ministre de l’Intérieur aux préfets, en date du 14 décembre 1949. Archives Nationales, ministère de l’Intérieur, Direction de la Réglementation, Dossiers de police administrative, cote 19920172/8.

14 Archives Municipales de Saint-Denis, Fonds Secrétariat-Général, cote 50 ACW 33 : courrier du maire de Saint-Denis au commissaire de police de la circonscription de Saint-Denis en date du 5 avril 1946.

15 Deux lettres anonymes ont été retrouvées dans ce dossier, mais pas trace de pétition signée par les riverains. Il semblerait que le maire ait préféré parler de pétition plutôt que de lettre anonyme.

16 Archives municipales de Saint-Denis, Côte 16 AC 25. Courrier du préfet de Police, Direction de l’Hygiène et de Sécurité Publique, 3ème Bureau, en date du 28 décembre 1949 au maire de Saint-Denis.

17 L’article 1er de la loi du 24 septembre 1941 classe les boissons en 5 catégories : Premier groupe : boissons sans alcool. Second groupe : boissons fermentées non distillées, vin, bière, cidre, poiré, hydromel, apéritifs à base de vin et liqueurs (fraise, framboises, cassis, cerises) ne titrant pas plus de 18° d’alcool pur. Troisième groupe : Vins doux naturels, vins de liqueur, apéritifs à base de vin et liqueurs ne titrant pas plus de 18° d’alcool pur. Quatrième groupe : rhums, taffias, alcools provenant de la distillation des vins, cidres, poirés ou fruits, sans addition d’essence. Cinquième groupe : toutes les autres boissons alcooliques. Quant aux licences, la licence I permet de vendre toutes les boissons sans alcool ; la licence II autorise en outre le vin et la bière ; la licence III ajoute quelques apéritifs, enfin, la licence IV dite « grande licence », regroupe les catégories de boissons 4 et 5.

18 Archives municipales de Saint-Denis, Inv. Action Sociale et Santé, cote 16 AC 25, Dossier Correspondance générale.

19 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action sociale et Santé, cote 16 AC 25, Note du Bureau d’Hygiène Publique en date du 30 août 1948.

20 Archives Municipales de Saint-Denis, Inv. Action sociale et Santé, cote 16 AC 26 : déclarations de mutation. 1956-1959.

21 « Modification de la législation des licences. Réglementation des distributeurs automatiques. Encouragement à la production des jus de fruits », Le Monde, 29 janvier 1955.

22 Archives de la Préfecture de Police de Paris, Cabinet du préfet, cote Ha 15. Circulaires du 17 avril et du 7 juin 1951 sur le recensement des hôtels, garnis, restaurants et débits de boisson tenus dans le département par des musulmans originaires d’Afrique du Nord.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sabah CHAIB, « L’empire de l’alcool une histoire des débits de boissons nord-africains en métropole (1920-1954) »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 151 | 2022, 141-158.

Référence électronique

Sabah CHAIB, « L’empire de l’alcool une histoire des débits de boissons nord-africains en métropole (1920-1954) »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 151 | 2022, mis en ligne le 20 septembre 2022, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/17908 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/remmm.17908

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Auteur

Sabah CHAIB

Chercheuse indépendante, Paris, France ; sabah.c[at]icloud.com

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