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SECONDE PARTIE
Lectures

Stéphanie GUÉDON (éd.), La frontière méridionale du Maghreb. Approches croisées (Antiquité-Moyen Âge)

Bordeaux, Ausonius Éditions, 2018
Allaoua Amara
Référence(s) :

Stéphanie GUÉDON (éd.), La frontière méridionale du Maghreb. Approches croisées (Antiquité-Moyen Âge), Bordeaux, Ausonius Éditions, 2018, 242 p. (Collection Scripta Receptoria, 13).

Texte intégral

1Ce volume est le résultat d’un colloque international, La frontière méridionale du Maghreb et ses formes. Essai de définitions (Antiquité-Moyen Âge), qui s’est tenu les 15 et 16 décembre 2016 à l’université de Bordeaux-Montaigne dans le cadre du Programme Hubert Curien Maghreb « DÉSERT ». Ce colloque, qui a regroupé des spécialistes de l’Antiquité et du Moyen Âge maghrébins, a privilégié trois axes de recherche, dont le point commun est d’étudier la zone méridionale du Maghreb, considérée par plusieurs travaux comme frontalière. Les huit contributions réunies couvrent un arc chronologique allant de l’Antiquité romaine à la fin du XVe siècle et reposent essentiellement sur l’étude des données archéologiques et des discours produits sur les marges sahariennes du Maghreb.

2Le premier apport de ce volume est de montrer la contribution des sources textuelles et archéologiques à l’étude des zones situées sur la bordure septentrionale du Sahara, de l’Antiquité romaine à la fin du Moyen Âge, et les difficultés de leur interprétation. Étudier la frontière, considérée comme un objet historique multiforme, est une tâche complexe pour l’historien, et Stéphanie Guédon s’interroge dans l’introduction (p. 11-15) sur les processus qui ont conduit à lier l’histoire du Sahara à la notion de frontière. Les formes de cette frontière du Maghreb, depuis l’institution du limes par Rome, sont difficiles à saisir, en particulier les mutations introduites à l’époque médiévale, qui sont au cœur des réflexions développées dans ce volume.

3Le cadre chronologique large permet tout d’abord de faire le point sur la mise en place du limes et notamment la mise en valeur des régions arides à la suite du passage de la région sous le contrôle de Rome. Ainsi, Philippe Leveau (p. 19-109) met à contribution les données documentaires, archéologiques et climatiques pour définir cette zone et étudie sa perception dans les travaux réalisés en situation coloniale (ceux de S. Gsell, É.-F. Gautier, A. Bernard, C. Courtois, P. Salama et J. Poncet). Cette mise au point donne un éclairage plus précis sur la façon dont on a théorisé la frontière du Maghreb antique, qui correspond aux marges sahariennes. Ph. Leveau propose aussi une relecture de l’occupation des marges sahariennes, en soulignant en particulier le rôle des nomades dans les zones semi-arides et arides, et en analysant les fonctions des ouvrages de défense dans la zone du limes, qui pourraient aussi avoir une vocation fiscale.

4Le discours produit par les auteurs contemporains sur les zones présahariennes du Maghreb médiéval est étudié par Dominique Valérian (p. 107-117), qui fait remarquer, dans une approche comparatiste, que la lecture des sources médiévales et des travaux récents montre une très grande inégalité dans l’approche des frontières du Maghreb, où l’on distingue toujours la Méditerranée au nord et le Sahara au sud. Il interprète cet écart en grande partie par la quantité et la nature des sources mobilisées. La frontière méditerranéenne est marquée par les guerres et la violence, mais aussi par les échanges, ce qui offre un éclairage sur les raisons qui ont conduit les textes descriptifs arabes à faire de la frontière saharienne un miroir inversé de la première. Le discours produit par les historiens de l’Islam insiste en effet sur la dimension commerciale et pacifique de cette frontière, qui avait permis d’islamiser de nombreuses tribus subsahariennes.

5Plusieurs contributions mettent en évidence l’ancrage de la romanité dans cette zone présaharienne, mais surtout son intégration, quelques siècles plus tard, à l’espace islamique. L’étude des processus de construction et de revendication de la frontière par les pouvoirs politiques démontre une association des fonctions de défense et d’échange à la frontière. Cette dernière apparaît comme la limite entre un territoire contrôlé par le pouvoir et une zone de contacts et d’échanges mal connue dans l’Antiquité romaine. Ainsi, l’étude de Laurent Callegarin (p. 121-137) permet de mieux appréhender le jeu complexe des relations entre les tribus autochtones et le pouvoir romain dans la partie occidentale de l’Afrique, en l’occurrence la Maurétanie tingitane, une province marquée par des spécificités géographique et sociopolitique. Ainsi, les rapports politiques et juridiques entretenus par Rome avec certaines tribus de cette province seraient à l’origine de la récupération par ces dernières d’une portion de l’espace impérial dès la fin du IIIe siècle. Désormais les populations sont désignées sous le même terme générique de Maures. Plusieurs thèses ont été avancées pour expliquer le retrait romain en faveur des rois maures, comme le repli volontaire ou la délégation du pouvoir.

6La dimension militaire de la frontière méridionale d’Afrique romaine a été également étudiée par Michel Reddé (p. 139-459) en comparant les limites désertiques de trois secteurs distincts (le désert occidental et oriental d’Égypte, et le Sahara libyen) d’après l’évolution des connaissances archéologiques et historiques sur ces régions. L’occupation militaire du premier est liée à la fois aux échanges et à l’exploitation minière. Quant au second, son organisation militaire est différente en raison d’un milieu géographique où les oasis sont peu présentes. En insistant sur les spécificités de chacune des trois frontières, les conclusions de Reddé appellent à la révision d’une conception univoque des frontières de l’empire romain, fondée essentiellement sur le modèle européen de barrière.

7Les études de Souad Slimani, Hanène Kherbouche et de Nacéra Benseddik – rassemblées dans la troisième partie du volume – viennent boucler les enquêtes sur les zones du limes dans l’Afrique du nord romaine. Sont étudiées les formes d’occupation antique dans le Hodna et le Zāb oriental, une zone frontalière sous Rome. L’examen de sept sites situés dans le Hodna occidental – qui font l’objet de prospections archéologiques – montre la densité des activités agricoles et la présence notoire des ouvrages militaires. En ce qui concerne Thouda (antique Thabudeos)-Sidi Okba, la découverte d’un milliaire vient s’ajouter à la vingtaine de bornes connues sur la grande rocade au sud de l’Aurès et des Nemencha. Thabudeos était liée à cette rocade, dont la mission est d’isoler le massif de l’Aurès et de contrôler les mouvements nomades/transhumants entre le piémont saharien et les Hautes plaines. Ce milliaire témoigne selon N. Benseddik du maintien du limes de la Numidie sous les Antonins et les Sévères au Bas-Empire. Ces deux études sont prolongées pour le Moyen Âge par le travail de Mohamed Meouak sur le Ziban, à savoir Biskra et ses oasis, au Moyen Âge, dont il envisage de restituer les espaces étudiés et d’identifier les toponymes. Le point de départ est la ville de Biskra et ses transformations toponymiques depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle. Sont ensuite mis en lumière plusieurs toponymes de l’ancienne Numidie méridionale d’après les textes arabes et il conclut sur la densité des recherches sur l’épais dossier du Zāb en tant que toponyme et espace régional.

8Enfin, deux études analysent le discours médiéval produit sur la limite méridionale du Maghreb et le Sahara. En premier lieu, Jean-Charles Ducène (p. 161-176) aborde cette question à travers la littérature géographique arabe, montrant l’émergence progressive de la notion de Maghreb puis de Sahara. Après un rappel sur la problématique des divisions territoriales du Maghreb d’après la géographie administrative abbasside et les géographes de l’Islam d’Occident, il traite la délimitation du Maghreb d’après la littérature géographique produite par les milieux attachés à la chancellerie mamelouke. Se faisant une vision géopolitique de la Méditerranée comme un espace d’échanges avec le sultanat mamelouke, cette littérature géographique met en évidence l’importance de la frontière méridionale dans la construction de l’espace maghrébin et montre le Sahara comme un hinterland, dans la continuité de l’Afrique subsaharienne.

9En second lieu, Yann Dejugnat (p. 177-190) met en exergue la conceptualisation géographique du Maghreb et des régions sahariennes et leur inscription dans l’imaginaire maghrébin à la fin du Moyen Âge par l’enquête menée d’après le récit de voyage d’Ibn Baṭṭūṭa (m. 1377). Dans cette perception de la frontière méridionale du Maghreb extrême, le Sahara apparaît comme une frontière marquée par l’obstacle naturel du désert, qui est renforcé par les altérités religieuses et linguistiques. Cette frontière est aussi marquée par l’emprise mérinide pour le contrôle de l’or de l’Afrique occidentale. Dejugnat avance l’idée que cette conceptualisation de la frontière serait un héritage almoravide.

10Ce volume a donc permis de montrer le processus d’émergence des limites méridionales du Maghreb depuis l’Antiquité et suscite des questions sur la notion de frontière, en particulier au Moyen Âge. En dépit d’une grande inégalité dans l’étude des périodes historiques, l’approche comparatiste entre l’Antiquité romaine et la période islamique montre des mutations importantes comme la disparition du dispositif défensif antique et l’intégration des oasis du Sahara aux réseaux reliant le nord du Maghreb à l’Afrique subsaharienne sous l’impulsion des ibadites et des sufrites, et plus tard des Almoravides. Certaines périodes importantes sont moins abordées par les travaux rassemblés, comme les ères préromaine et post-romaine, cette dernière comprenant le premier siècle de la présence islamique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Allaoua Amara, « Stéphanie GUÉDON (éd.), La frontière méridionale du Maghreb. Approches croisées (Antiquité-Moyen Âge) »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 151 | 2022, mis en ligne le 01 avril 2022, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/16665 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/remmm.16665

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Auteur

Allaoua Amara

Université Émir Abdelkader, Constantine ; CIHAM UMR 5648 ; amara.allaoua[at]yahoo.fr

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