Navigation – Plan du site

AccueilNuméros151SECONDE PARTIEEtudes libresSur les « fantasias » marocaines ...

SECONDE PARTIE
Etudes libres

Sur les « fantasias » marocaines d’Eugène Delacroix 

une lecture anthropologique
On Delacroix’s Moroccan fantasias : an anthropological approach 
François Pouillon

Résumés

Concernant les démonstrations équestres du Maghreb, on dispose d’une enquête d’une précision exceptionnelle : les carnets d’Eugène Delacroix pendant son voyage au Maroc en 1832-1833. C’est d’ailleurs au titre d’un de ses tableaux que l’on fait classiquement remonter le terme fantasia qui servit à désigner ces cavalcades passablement ritualisées en Afrique du nord. Un examen plus précis de la documentation montre pourtant que Delacroix n’utilisa jamais le terme pendant son séjour marocain et que ce qu’il montre, dans ses dessins et les tableaux qu’il en tire, est tout autre chose que ce que l’on a pris l’habitude de désigner sous ce terme. La précision de la documentation, mais aussi les enquêtes conduites en Algérie à la même période, sur les pratiques équestres des Arabes (en particulier la somme publiée par le Général Daumas sur les Chevaux du Sahara), nous donne un bon exemple de ce que l’on appelle suivant Hobsbawm et Ranger, l’« invention de la tradition ». Car ce n’est qu’autour de 1850, soit après que l’émir Abdelkader eût déposé les armes, que l’on assiste à une formalisation de ces jeux équestres, cela même dans une entreprise de séduction des aristocraties indigènes par le pouvoir colonial. C’est bien là l’irruption d’une rupture historique : une pratique guerrière devenue un rituel folklorisé.

Haut de page

Dédicace

À la mémoire de Jean-Claude Vatin (1934-2021)

Texte intégral

Merci à Shaw Smith, Professeur au Davidson College (North Carolina) qui m’a généreusement fait bénéficier de son érudition équestre et délicrucienne. Merci à mon ami Guy Barthèlemy qui, avec son habituelle rigueur, a bien voulu relire ce texte. Merci aussi à Jean-Claude Vatin, mon grand frère en anthropologie de l’orientalisme, pour sa lecture incisive, la dernière qu’il fit concernant les textes que je lui ai régulièrement envoyés en lecture au cours des années.

1On connaît bien désormais la fantasia, cet exercice équestre caractéristique des sociétés traditionnelles du Maghreb. Pour la définition de celle-ci, consultons un spécialiste, l’éminent hippologue Jean-Louis Gouraud :

« La fantasia est une exhibition équestre qui se donne sur une très courte distance (150 à 200 m. suffisent) et qui consiste pour un groupe de cavaliers (…) après avoir lancé leurs chevaux à vive allure, à les conserver aussi bien alignés que possible, pour les arrêter pile en bout de piste, au pied des spectateurs médusés. Ce n’est pas tout : il faut qu’au milieu du parcours à peu près, les cavaliers équipés d’une pétoire, fassent « parler la poudre » (cela s’appelle le baroud) simultanément » (Gouraud 2014 : 51)

Fig. 1 : Gabriel Veyre (1871-1936), Fantasia au Maroc, photographie, début XXe siècle

Fig. 1 : Gabriel Veyre (1871-1936), Fantasia au Maroc, photographie, début XXe siècle

© D’après Dans l’intimité du Maroc. Photographies de Gabriel Veyre (1901-1936), Malika éditions, Institut français du Maroc, 2012, p. 33

  • 1 Ces variations ont été richement illustrées dans les tableaux du peintre algérien Hocine Ziani (né (...)

2Il faudrait ajouter à cela quelques fioritures : la splendeur des harnachements et des costumes, en particulier au Maroc où ces manifestations ont pris un caractère d’art national ; des exercices de voltige pendant le parcours, comme le fait de se dresser droit sur ses étriers ou de jeter son fusil en l’air pour le rattraper au vol ; des variations à l’arrivée selon que l’on stoppe simplement le cheval sur place ou qu’on le fait se cabrer pour effectuer un demi-tour sur place avant de repartir au galop1.

3Cela se construit évidemment dans l’histoire et avec des variantes régionales soigneusement cultivées. Mais il y a une couverture commune : c’est qu’un vieux terme méditerranéen « fantasia » qui désigne très largement des dérives imaginaires ou plus spécifiquement des démonstrations excessives qui en découlent (Schuchardt 1979 : 30-31), en vient à une certaine époque à désigner précisément des exercices équestres spécifiques au Maghreb.

4Au-delà du terme, on doit donc s’interroger sur l’origine de cette pratique (et des techniques qu’elle véhicule). Écoutons encore Gouraud :

« Nul ne connaît précisément les inventeurs de ce jeu, d’inspiration manifestement guerrière, dont le nom même prête à diverses interprétations » (ibid. : 52)

  • 2 « Avant la fin des temps préhistoriques (40.000 mille ans) » selon K. Bouslama (El-Moudjahid, 20 ju (...)

5À quand cela remonte-t-il donc ? Si certains imprudents voudraient bien que ça plonge dans la nuit des temps2, les preuves manquent et, en tout cas, il faut attendre l’introduction du cheval de selle ainsi que la diffusion dans la région d’armes à feu, ce qui nous ramène vers une époque plus récente.

6Un indice plus sérieux va être l’introduction dans la langue française du terme « fantasia » appliqué à une pratique équestre particulière. Si on consulte des instruments lexicographiques sérieux, comme le Trésor de la langue française (TLS) ou le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, on note une remarquable concordance avec une date d’entrée dans la langue renvoyant au titre d’un tableau que Delacroix aurait produit en 1842.

  • 3 On appelle ainsi cette représentation synthétique du galop comme un saut tendu, qui ne sera remise (...)

7La chose paraît des plus vraisemblables. En excursion au Maroc en 1832, le maître romantique pour qui le cheval fut toujours un thème de prédilection, s’est particulièrement intéressé aux scènes équestres auxquelles il a pu assister. Il est tout naturel qu’il en ait tiré des images d’une grande intensité et, dès son retour, une série de tableaux. Il n’y a que la représentation d’un intérieur féminin suite à son escale à Alger sur le chemin du retour – les fameuses Femmes d’Alger (1833, désormais au musée du Louvre) – qui ait pu constituer un sujet auquel il ait voulu donner forme avec plus d’urgence. Au Maroc même, la cavalcade fut le sujet d’une petite toile offerte au vice-consul de France à Tanger, Jacques-Denis Delaporte et, dans l’album de 18 aquarelles que Delacroix composa pour le chef de l’expédition, le comte de Mornay, pendant leur séjour en quarantaine à Toulon, en juillet 1832, une cavalcade sous les remparts de Meknès (fig. 2) : un « galop volant »3, souvenir d’une scène à laquelle il avait assisté quelques semaines avant.

Fig. 2 : Eugène Delacroix, Jeu de la poudre devant Meknes, aquarelle sur mine de plomb (15x27cm), 1832

Fig. 2 : Eugène Delacroix, Jeu de la poudre devant Meknes, aquarelle sur mine de plomb (15x27cm), 1832

© Album Mornay, Paris, musée du Louvre

  • 4 Les femmes d’Alger déjà citées : deux versions, de 1834 et 1849 ; les Convulsionnaires de Tanger : (...)

8Nous tenons là un spectacle exécuté par les soldats du Sultan : derrière un cavalier au galop, debout sur ses étriers, d’autres supplétifs marocains, approximativement en ligne, ajustent leur tir ; la poussière soulevée empêche de voir plus précisément leur groupe ; d’autres, en fond, assistent à la scène depuis une porte de la ville, repérée comme Bab Berdaïne (Delacroix 1994 : 183), attestant bien qu’il s’agit là d’une représentation donnée dans une sorte de champ de courses. Tout cela développe une simple phrase du journal pour le 15 mars : « Meknès. Rencontré des cavaliers qui ont couru la poudre. » Dès lors, ces « courses de cavaliers arabes » – c’est là le terme le plus souvent utilisé – vont constituer un des thèmes de sa peinture mais, à la différence des autres thèmes récurrents4, elles seront produites dans un temps très court et très rapidement après le retour du voyage, gage d’un intérêt passionné et de la vivacité du souvenir qui les porte.

  • 5 On dispose désormais d’une excellente édition du Journal élaborée par Michèle Hannoosh (2009) et on (...)
  • 6 Le catalogue raisonné Lee Johnson (depuis 1986) a remplacé celui d’Alfred Robaut, publié dès 1885 - (...)

9Pouvons-nous dire que nous avons là ces « fantasias » évoquées par les dictionnaires étymologiques comme « titre d’un tableau » de Delacroix datant de 1842 ? On serait bien embarrassé de l’affirmer car, parties directement dans des collections privées, ces œuvres ne trouveront véritablement un titre qu’au moment de leur revente, quelques années sinon quelques décennies plus tard. Grâce cependant aux immenses travaux d’édition et d’érudition dont le peintre a été l’objet, on peut chercher à suivre l’apparition d’un terme que l’on ne voit figurer ni dans la correspondance de Delacroix (1936-38), ni dans les admirables carnets qu’il a tenus pendant son séjour marocain5. On observe même que le terme n’a commencé à servir de titre aux œuvres que très progressivement, une vingtaine d’années plus tard au moins, sans d’ailleurs que l’on puisse dire qui décida de l’introduire en légende de ses tableaux. Grâce aux puissants outils critiques constitués sur l’œuvre6, on peut cependant voir précisément comment il s’est finalement imposé dans la langue, à partir des images produites par le peintre et des appellations qui leur sont successivement appliquées. Dans cette enquête, nous chercherons à tirer parti de la titrologie très sérieusement élaborée par l’histoire de l’art, comme document – les spécialistes nous en excuseront – pour rendre compte plus prosaïquement de l’évolution d’une pratique équestre, tant pour les formes qu’elle prend progressivement que pour les termes qui lui sont successivement appliquées.

Les tableaux de cavalcades

10Reprenons la liste de ces tableaux, en regardant attentivement ce qu’ils montrent de l’activité équestre et, autant que faire se peut, les termes qui servent à la désigner.

11La plus ancienne de ces représentations (fig. 3) (et indiscutablement la plus belle), fut acquise dès le retour du voyage par le comte de Mornay (1832, Musée Fabre Montpellier).

Fig. 3 : Eugène Delacroix, Fantasia marocaine ou exercices militaires des marocains, huile sur toile (59x73cm), 1832

Fig. 3 : Eugène Delacroix, Fantasia marocaine ou exercices militaires des marocains, huile sur toile (59x73cm), 1832

© Montpellier, Musée Fabre. CC0 domaine public, en ligne (consulté le 25/03/2022)

12Restée dans sa collection, on ne lui connaît pas de titre avant une vente de tableaux à laquelle il s’est résolu en janvier 1850. Si on s’y réfère aujourd’hui comme à une Fantasia ou exercices marocains, c’est en s’appuyant sur une note de Delacroix concernant cette vente et qui parle alors d’une « Fantasia de cavaliers maures au Maroc ou Course à cheval simulant la charge » (Corr. t. III : 4). Plutôt que la date de 1842 retenue par les dictionnaires, on n’aurait donc pas d’occurrence du terme de fantasia dans l’œuvre du peintre avant 1850.

13Que voit-on dans le tableau ? En contradiction avec les normes désormais canoniques de la fantasia, remarquons que les cavaliers ne sont pas engagés dans une même action collective : le groupe à gauche est indiscutablement aligné et synchronisé pour faire feu ensemble, tandis que le cavalier placé à droite fait cabrer sa bête qui va se retourner pour ainsi dire sur elle-même et partir ensuite dans une fuite éperdue. La discordance peut cependant s’expliquer par des raisons esthétiques : Delacroix cherchait là à représenter, dans un seul tableau, des séquences successives de la cavalcade. Mais la déclinaison des couleurs sur le ciel donne une sorte d’ordre de lecture dans ce que l’on peut considérer comme deux scènes partielles raccordées : gris et bleu à gauche, blanc au milieu, rouge à droite, cela dans le sens de la cavalcade qui est aussi celui de la chronologie.

14Continuons notre démarche d’inventaire précis en tenant compte de cette double logique, des titres et des choses décrites. Le tableau suivant sur ce thème (fig. 4) a été directement acquis peu après par un collectionneur privé (1833, Städel Museum de Francfort).

Fig. 4 : Eugène Delacroix, Charge de cavaliers arabes, huile sur toile (60,5x74,5cm), 1834

Fig. 4 : Eugène Delacroix, Charge de cavaliers arabes, huile sur toile (60,5x74,5cm), 1834

© Collection Städelsches Kunstinstitut, Frankfort. D’après Lee Johnson, The Painting of Eugène Delacroix: A Critical catalogue (1832-1864), Oxford, Clarendon Press, 1986-2002 [n°353, TOP n°244]

15Il n’apparaîtra dans une vente publique qu’en 1849, sous le titre de Charge de cavaliers arabes et, en 1851, Delacroix le définit encore comme Course d’Arabes (lettre du 17 octobre 1851, Corr. t. 3 : 87-88). Ce n’est qu’à partir de 1852 qu’il vient en vente comme Fantasia arabe, titre qui lui restera attaché.

16De fait, conformément aux codes modernes des fantasias, le groupe des cavaliers se présente là approximativement en ligne. Pour créer un relief chromatique, le peintre joue cette fois sur la gamme des couleurs des robes des chevaux, mais, comme dans le premier tableau, et sans doute pour la même raison, on constate un décalage marquant entre le cavalier qui, debout sur ses étriers, brandit son fusil au premier plan, et ceux qui, au second plan, tirent ensemble sur leur cible. Le personnage tranquillement assis à gauche, imprudemment si l’on devine le parcours de la cavalcade, est placé là manifestement pour des raisons de composition.

17Peu après ces tableaux, nous avons le Choc de cavaliers arabes (1834, Walters Art Gallery, Baltimore) (fig.5) qui existe en deux versions. Pour la plus ancienne, qui fut refusée par le jury du Salon en 1834, on ne peut savoir sous quel titre elle aurait été présentée mais, lors d’une exposition à Nantes, quelques années plus tard, Delacroix la qualifiera de Course d’Arabes. Le commentaire qu’il en donne alors est intéressant :

« Dans leurs évolutions militaires qui consistent à lancer leurs chevaux de toute leur vitesse, et à les arrêter subitement après avoir tiré leur coup de fusil, il arrive souvent que les chevaux emportent leurs cavaliers et se battent entre eux quand ils se rencontrent. » (26 mai 1839 Corr. vol. 2 : 38)

18Il semble donc bien vouloir lier cette scène à quelque « fantasia », et cela a conduit naturellement la critique à en trouver sa source et le sens dans une note des carnets, extrait régulièrement repris dans les commentaires :

6 mars [1832] « Course de la poudre dans la plaine avant la rivière. Les deux hommes qui se sont choqués ; celui dont le cheval a touché du cul par terre » (Journal 1 : 214)

Fig. 5 : Eugène Delacroix, Choc de cavaliers arabes, 1834

Fig. 5 : Eugène Delacroix, Choc de cavaliers arabes, 1834

© Collection du Musée de Baltimore. D’après Lee Johnson, The Painting of Eugène Delacroix: A Critical catalogue (1832-1864), Oxford, Clarendon Press, 1986-2002 [n°355, TOP n°245].

  • 7 Il renvoie d’ailleurs à un poème de Byron plutôt qu’à l’expédition marocaine.
  • 8 Cf. Également Journal 1 (29.1.1832) : 203. Récit amplifié ibid. : 290-292.

19Cette façon de donner une lecture positiviste du tableau, nous paraît, pour cette fois, véritablement déplacée. Car ce tableau n’évoque en rien les cavalcades que l’on a décrites plus haut mais nous ramène plutôt à une autre obsession thématique du peintre : celle de l’affrontement de cavaliers, comme dans le Combat du Giaour et du Pacha (1838, Musée du Petit Palais, Paris)7 ou quelques affrontements avec de grands fauves, comme le célèbre Cavalier attaqué par un lion (1850, Art Institute, Chicago), ou le Jaguar attaquant un cavalier (1855, Narodni Galerie, Prague), scènes de confusions sensuelles entre l’homme et l’animal dont Delacroix a d’ailleurs trouvé l’inspiration chez Rubens. Au-delà du choc des cavaliers, cela évoque en fait surtout cette scène des Chevaux se battant (1860, Musée d’Orsay, Paris), laquelle renvoie cette fois clairement à un souvenir marocain. Écoutons ce qu’il en dit, dans une lettre à Pierret8 :

« Deux de ces chevaux ont pris dispute, et j’ai vu la bataille la plus acharnée qu’on puisse imaginer : tout ce que Gros et Rubens ont inventé de furies n’est que peu de chose auprès. Après s’être mordus de toutes les manières en se grimpant l’un sur l’autre, et en marchant sur leurs pieds de derrière comme des hommes, après s’être, bien entendu débarrassés de leurs cavaliers, ils ont été se jeter dans une petite rivière dans laquelle le combat a continué avec une fureur inouïe. » (8 février 1832)

  • 9 Un élément de doute avec le compte-rendu du Salon de 1847 par Théophile Gautier où il écrit que ces (...)

20Ce Choc de cavaliers arabes clôt donc la série des œuvres de cavalcades réalisées tout de suite après le retour de Delacroix du Maroc et c’est comme s’il avait fait ainsi le tour de ce qu’il avait à dire sur ce sujet. Il va y revenir cependant, mais une quinzaine d’années plus tard, avec une dernière œuvre sur le sujet, résultat d’une commande d’un certain M. Wertheimberg. Signalant qu’il y travaille au début de l’année 1847, Delacroix parle à son sujet de « courses d’Arabes » (Correspondance 1 : 331) et l’œuvre, acceptée au Salon de la même année, y figure sous le titre d’Exercices militaires des Marocains (musée-collection d’Oskar Reinhart, à Winterthour, près de Zurich) (fig. 6). Soulignons donc que ce n’est que lors de sa revente, en 1861, que le tableau prendra enfin le titre de Fantasia arabe9. Et on peut noter que, cette fois encore, on est loin du spectacle règlementaire car, bien que l’on y voie représentés des cavaliers montrant différentes positions canoniques de la cavalcade – fusil brandi au centre, tirant à gauche, arrêté-cabré à droite –, ils ne sont pas alignés mais galopent au contraire à la queue leu-leu.

Fig. 6 : Eugène Delacroix, Exercices militaires des Marocains, huile sur toile [66x 81,1], 1847

Fig. 6 : Eugène Delacroix, Exercices militaires des Marocains, huile sur toile [66x 81,1], 1847

© Musée-collection d’Oskar Reinhart, à Winterthour, près de Zurich. D’après Lee Johnson, The Painting of Eugène Delacroix: A Critical catalogue (1832-1864), Oxford, Clarendon Press, 1986-2002 [n°376].

21Sans doute est-on très loin d’avoir fait ainsi le tour du thème du cheval dans l’œuvre de Delacroix, mais on a quand même, avec ces quelque quatre toiles au moins et, comme on verra, plusieurs aquarelles peintes dès le retour du Maroc, l’essentiel de ce que Delacroix entendait montrer des jeux équestres des Maghrébins, ceux qu’il a pu observer pendant l’hiver 1832, spécialement au cours du périple de Tanger à Meknès. Tenons-nous pour autant les « fantasias » repérées par les dictionnaires ? On note que si ces œuvres datées des années 1832, 1833, et 1834 ont été rangées sous ce terme, ce n’est pas en 1842, c’est après 1850. À l’époque de leurs compositions, cette dénomination est anachronique.

22Il serait de peu de profit de nous arrêter à souligner simplement une erreur de date de la part de dictionnaires traitant de l’histoire de la langue, qui travaillent à une autre échelle et souvent sur des documents de deuxième main. Le soin que nous mettons à préciser cela tient à ce que nous nous trouvons, en ce milieu du xixe siècle, à un moment charnière de l’histoire du Maghreb où l’on voit émerger une pratique équestre et des mots nouveaux liés à une fréquentation intense de l’Algérie (et bientôt du Maroc) dans le cadre d’opérations de conquête. Ils sont souvent dérivés de l’arabe mais aussi de la lingua franca, sabir méditerranéen permettant la communication entre locuteurs de langues différentes. C’est le cas avec le terme de fantasia.

23La bévue des dictionnaires tient à ce qu’ils s’appuient essentiellement sur des textes imprimés qui, dans un souci de contrôle, font l’objet d’un dépôt légal sous un titre et un nom d’auteur précis. Il n’en est pas de même avec les peintures qui, marquées d’une signature et (souvent) d’une date, ne sont pas nécessairement identifiées par un titre. On observe à cet égard, et encore pour longtemps, une réelle fluidité (de Biasi 2012). Des œuvres peuvent ainsi, comme on l’a vu, être renommées à la faveur d’une présentation ou d’une vente publique, car il ne s’agit par là que d’en donner le « sens » et, éventuellement, celui qui la valorisera dans le cadre d’une vente. L’entrée de ces œuvres dans les collections privées ou même dans des musées n’exclut donc pas les titres multiples qui attestent plutôt de l’évolution de la terminologie, en particulier s’agissant de termes « exotiques » dont certains se vulgarisent avec la colonisation de l’Algérie. C’est ce que nous observons avec la qualification de « fantasia » finalement appliquée aux tableaux marocains de Delacroix.

24Loin de constituer un obstacle, cette fluidité terminologique, qui suit comme nous allons voir une évolution des pratiques, constitue même un précieux outil documentaire. On peut en effet par ce moyen repérer ce glissement nominal à travers le témoignage que le peintre nous apporte. Car on dispose avec Delacroix d’un observateur hors pair qui, du fait de l’attention particulière qu’il porte à ces pratiques équestres, nous fournit une documentation d’une exceptionnelle richesse, et une iconographie des plus précoce : 1832, tout juste après l’intervention en Algérie et alors que le Maroc n’est pas encore conquis.

25Même si, dans le travail de Delacroix, la dimension documentaire, soulignée par tous les critiques de l’époque, est indiscutable, il serait cependant ridicule de limiter à cela la lecture des œuvres d’un des plus grands peintres du xixe siècle et de traiter les différents tableaux que nous avons énumérés comme de simples analyses d’une pratique équestre. Pourtant, tous les carnets témoignent d’une attention extrêmement serrée aux choses qu’il observe et qu’il cherchera à traduire dans ses œuvres. Dès lors, on ne peut considérer celles-ci comme de pures créations et c’est une autre manière, complémentaire, de les prendre au sérieux que de les regarder comme des témoignages précieux, et d’ailleurs irremplaçables, sur les choses qu’il a observées. Au-delà de la question du titre que nous avons cherchée à suivre soigneusement, force est alors de constater que l’on ne trouve pas dans les tableaux du maître l’ensemble des éléments canoniques associés à la fantasia, mais que le peintre s’attache plutôt à énumérer et à croiser dans un certain désordre diverses positions caractéristiques de l’équitation nord-africaine. Pour avancer dans notre lecture, il nous faut donc élargir notre base documentaire, en commençant par chercher à cerner ce que Delacroix a effectivement eu sous les yeux.

Ce que Delacroix a vu

  • 10 Shaw Smith a souligné son rôle d’informateur exceptionnel. Voir ainsi : « [7 mars] Passé la soirée (...)

26Si la correspondance et les carnets ne nous renseignent guère sur les tableaux que nous avons cités, tous produits au retour, ils nous en apprennent beaucoup en revanche sur ce que Delacroix a vraiment vu et vécu au cours de son périple. Pendant une longue période, l’ambassade est restée cantonnée dans Tanger et ses environs. Malgré quelques promenades autour de la ville, notamment avec le caïd Ben Abou, le chef de la cavalerie marocaine qui sera un informateur important sur ces questions équestres10, Delacroix s’arrête plutôt alors sur les spectacles de la nature, mais sans jamais évoquer une cavalcade.

27Pour celles-ci, il faudra attendre l’expédition vers Meknès où, après plus d’un mois d’attente, le Sultan a finalement accepté de recevoir l’ambassade. Bien que le groupe des Français soit accompagné d’une troupe essentiellement composée de cavaliers, la route démarre assez paisiblement par une marche morne à travers la pénéplaine du Gharb. Ce n’est qu’à mi-parcours à peu près, autour de l’escale à El-Kasser Kebir, que les choses s’échauffent, comme si le caractère historique du lieu appelait quelque dramatisation. C’est qu’il s’agit là, note Delacroix, de « la plaine où l’armée de D. Sébastien a été défaite » (8 mars) : c’est en effet le lieu où s’est tenue la bataille dite « des trois rois ». Deux siècles et demi plus tard (1578), cela a laissé des traces dans la mémoire locale (Valensi 1992). Peu avant cette station mémorable, Delacroix signale cependant quelques « courses de poudre dans la plaine » (6 mars – Journal 1 : 214) qui sont alors de simples démonstrations.

  • 11 Lanly, qui développe par ailleurs une bonne connaissance des différentes acceptions du terme de fan (...)

28C’est alors pour Delacroix une sorte de révélation. Les nombreuses notations qu’il n’a pas manqué de faire, nous confirment que le terme de « fantasia » n’est jamais utilisé et cela bien que les Français soient accompagnés par un interprète chevronné, le drogman Abraham Ben Chimol11. Il n’est question que de « course de la poudre » ou de « jeu de la poudre » – par quoi on souligne qu’il s’agit d’un exercice. D’ailleurs, hors cette qualification, les carnets fournissent peu de notations descriptives sur ces cavalcades. Ces notes signalétiques, témoignant de la récurrence de ces représentations, ne sont là que pour mémoire. Elles sont croisées de notations de plasticien sur les circonstances, les paysages, la lumière, les harnachements, les costumes, etc. Delacroix pense aux tableaux qu’il entend en tirer.

29Passées les anecdotes sur la vie de la caravane, le grand spectacle se tiendra à l’arrivée à Meknès :

15 mars. – « Meknez. Rencontré des cavaliers qui ont couru la poudre. (…) Courses de la garde noire, bonnets sans turban. » (Journal : 221-222)

30L’arrivée à Meknès a en effet été marquée par quelque chose qui ressemble bien à une fantasia moderne, bien qu’elle ait été exécutée par une armée un peu particulière : la garde noire. S’il est normal que, pour la présentation solennelle du Sultan et de l’ambassade, la garde apparaisse à pied, c’est un fait que Delacroix a vu de ses yeux la même garde montée exécuter une cavalcade. C’est un fait surtout que dans aucun de ses tableaux de fantasia, le peintre n’a représenté l’un des membres de cette armée d’esclaves, de Mamelouks en quelque sorte, avec leurs coiffures caractéristiques, un bonnet rouge oblong et l’absence de turban – il en avait pourtant soigneusement relevé le costume.

31Le dessin aquarellé du carnet Mornay analysé ici en ouverture était évidemment très proche de la représentation de Meknès, mais venons-en à une petite huile, signée et datée de 1832, réalisée au Maroc même et offerte au vice-consul à Tanger, Jacques-Denis Delaporte (fig. 7). Il s’agit là de la première toile réalisée par le peintre, tout juste au retour de l’expédition, et devrait être aussi proche que possible du spectacle effectivement donné. Cette cavalcade d’un tireur montre, comme l’autre, un « galop volant » qui pourrait être situé en pleine campagne si l’on n’apercevait au fond un groupe portant les drapeaux, qui assiste au spectacle. Le cavalier est debout sur ses étriers, ce qui lui permet de tirer droit devant lui au-dessus de la tête du cheval.

Fig. 7 : Eugène Delacroix, Maure courant la poudre, huile sur toile, 1832

Fig. 7 : Eugène Delacroix, Maure courant la poudre, huile sur toile, 1832

© Paris, collection privée Jourdan.

32De cette scène, il existe plusieurs états : un dessin aquarellé et une page de croquis à la plume (fig. 8 et fig. 9), dont on ne saurait dire s’il s’agit de dessins pris sur le vif ou d’esquisses pour l’un des tableaux que nous avons décrits plus haut. En rapprochant ces versions, on observe que, ce qui a ici particulièrement intéressé Delacroix, c’est la position du tireur, debout sur ses étriers, et, surtout, son geste très singulier, lové qu’il est en quelque sorte sur son arme de façon à ajuster son tir. Si on retrouve de telles positions dans les tableaux examinés ci-dessus, on observe qu’il s’agit cette fois d’un tireur isolé plutôt que d’un groupe s’exerçant à exécuter son action en synchronie. Par-là, cette version pourrait bien renvoyer à un épisode particulièrement dramatique du voyage sur lequel nous allons nous arrêter.

Fig. 8 : Eugène Delacroix, Cavaliers chargeant, aquarelle, 1832

Fig. 8 : Eugène Delacroix, Cavaliers chargeant, aquarelle, 1832

Fig. 9 : Eugène Delacroix, Cavaliers chargeant, encre sur papier monogrammée du cachet en bas à droite, 25,5x28,5 cm, 1832

Fig. 9 : Eugène Delacroix, Cavaliers chargeant, encre sur papier monogrammée du cachet en bas à droite, 25,5x28,5 cm, 1832

Source : vente Agutte 21 décembre 2007

33Il y a beaucoup de croquis et d’esquisses aquarellées de cavaliers dans les carnets. Il s’agit le plus souvent d’une troupe paisible, allant au pas (fig. 10), ou d’animaux au repos.

Fig. 10 : Eugène Delacroix, En route, aquarelle (95 x160 cm), 1832

Fig. 10 : Eugène Delacroix, En route, aquarelle (95 x160 cm), 1832

© Page des carnets du Maroc de Delacroix à Paris, Musée du Louvre.

34On y voit Delacroix noter précisément le détail des costumes et des harnachements, croquer la position des cavaliers avec leur manière très particulière de porter très courts les étriers (Fig. 11). Mais, même si ça pétarade tout autour – on semble ne pas économiser la poudre –, cela ne débouche pas sur des actions agressives.

Fig. 11 : Eugène Delacroix, Étude de cavaliers arabes, aquarelle sur mine de plomb, 1832

Fig. 11 : Eugène Delacroix, Étude de cavaliers arabes, aquarelle sur mine de plomb, 1832

© Page des carnets du Maroc de Delacroix à Paris, Musée du Louvre.

35Ce sont là en principe de simples démonstrations, même si les choses peuvent dégénérer dans une attaque en bonne et due forme de la part de quelque élément incontrôlé de la troupe. Delacroix a donné le récit de cet événement dramatique :

  • 12 Autre version dans le rapport de Mornay : « Un de ces malheureux qui jouaient de la poudre eut l’im (...)

Jeudi 8. - « Avant d'arriver à Alcassar [Kebir]. Population, musique, jeux de poudre sans fin. (…) Un homme perce la foule des soldats et vient tirer à notre nez. Il est saisi par Abou. Sa fureur. Par le turban défait on l'entraîne, on le couche plus loin. Mon effroi. Nous courons ; le sabre était déjà tiré... » (Journal 1 : 216)12

36Cet homme surgi pour « tirer à notre nez » pourrait bien être le cavalier de la toile de Delaporte. Notons que l’acte est perçu par tous comme une manifestation d’agressivité qui transgresse les règles de l’hospitalité dues à un visiteur étranger.

37De fait ce n’est pas la seule manifestation d’animosité observée au cours de ce périple. Et cela a même commencé assez vite. Mornay en fait un compte-rendu descriptif précis :

« Partout j’ai trouvé des détachements nombreux de cavaliers et de piétons armés, rassemblés sur la route pour me servir d’escorte et me donner le spectacle du jeu de la poudre, exercice militaire auquel on se livre dans les grandes solennités, ou devant les personnes que l’on veut honorer de marques de considération. Ces honneurs ne sont de reste pas sans danger pour les Chrétiens qui les reçoivent car les Maures se plaisent à leur tirer au visage pour voir s’ils se laissent effrayer » (Journal : 214, note)

  • 13 « Courses continuelles à notre gauche ; à droite coups de fusil de l'infanterie. De temps en temps (...)

38L’analyse est très pertinente : il s’agit d’honorer et en tout cas de marquer un événement. Mais ces tirs à blanc extrêmement bruyants et exécutés à bout portant sont faits pour intimider, ou tester au moins la contenance de ces gens de l’ambassade. Montés sur des chevaux indigènes, assez bons cavaliers eux-mêmes, ceux-ci affichent alors un flegme qui suffit à calmer le jeu et généralement ces tirs, qu’ils soient exécutés à cheval ou à pied13, ne dégénèrent pas.

39À l’exception de quelques débordements comme ceux que nous venons d’évoquer, Delacroix n’a évidemment pas été témoin de réels combats guerriers. Il a néanmoins assisté à des démonstrations de force destinées à impressionner les représentants d’une puissance chrétienne dont on soupçonne, non sans raisons, qu’elle a des ambitions impériales sur la région.

40Résumons-nous : Delacroix a-t-il vu des fantasias ? Certainement pas : hors la démonstration sous les remparts de Meknès, il n’y a évidemment pas vu de cavalcade sur une piste fixée mais, dans le désordre, comme dans les conditions de la guerre, des caracoles adaptées au terrain. Même si l’on voit déjà ici apparaître certaines « figures » de la fantasia, c’est dans le cadre d’applications fort diverses. Les dessins, les esquisses et même les tableaux illustrent cette diversité : cavaliers en ligne ou en file indienne, en groupe ou isolés, assis sur leurs selles ou levés sur leurs étriers, brandissant haut leurs fusils ou tirant sur leur cible, chevaux au galop ou cabrés… Delacroix s’attache le plus souvent à combiner plusieurs de ces figures, que ce soit pour évoquer des phases d’un combat ou tout simplement pour transcrire le fameux désordre dont il a eu le spectacle.

41Aurions-nous quand-même, dans le Maroc de 1832, des « fantasias » sans le nom ? Et un nom générique (et étranger) serait-il simplement venu se poser sur une réalité déjà fixée comme pratique institutionnelle ? C’est tout le contraire. Nous assistons ici à des activités équestres désordonnées qui vont prendre, à cette époque précisément, une forme « traditionnelle ». On aurait bientôt affaire à l’une de ces manifestations folkloriques récurrentes dans tant de ces rituels régionaux arabes et dont on a fini par reconnaître qu’elles relevaient d’un processus d’« invention de la tradition » (Hobsbawm et Ranger 1983).

42Au terme de notre inventaire documentaire, nous pouvons dire que Delacroix, dans tout son voyage au Maroc, ne montre des « fantasias » ni ne peut en parler, tout simplement parce que, au moment dudit voyage, celles-ci n’existaient pas. Ce n’est qu’autour de 1850, vingt ans après son expédition marocaine, qu’un tel « jeu » s’est mis en place comme représentation équestre. C’est ce que nous entendons montrer maintenant sur pièces, en élargissant notre enquête à l’Algérie et, inversant la perspective, nous essaierons alors de voir comment une institution indigène se crée dans une conscience en miroir (et en représentations) entre la France coloniale et des aristocraties équestres au Maghreb.

De la stratégie guerrière au « jeu » : L’invention de la fantasia

43De fait, la fantasia formalise pour la mettre en spectacle une forme de combats développée au Maghreb, en particulier contre les armées occidentales : le harcèlement. Pour la cavalerie, il s’ensuit une pratique équestre toute différente de celle qui s’est imposée en Europe depuis le Moyen-Âge, et qui en faisait une force de pénétration frontale bousculant les rangs de l’armée ennemie. Ici à l’inverse, le cheval est surtout un moyen d’intervention rapide permettant de fondre par surprise sur un adversaire sans lui laisser le temps de se mettre en position de défense ; à décharger sur lui quasiment à bout portant une pétoire archaïque dont la précision approximative est compensée par la proximité, puis à se retourner très rapidement dans une fuite éperdue pour éviter, autant que faire se peut, la réaction qui ne va pas manquer de venir. Les conditions de réussite de cette tactique sont évidemment la capacité à tirer un coup de fusil sur le dos d’un cheval au galop, l’habileté à soumettre l’animal à un arrêt brutal sur l’objectif, et à lui faire exécuter un demi-tour quasiment sur place, de façon à se mettre à l’abri par la fuite.

44La tactique en a été analysée dans toute sa généralité par le grand orientaliste Nicolas Perron (1798-1876) dans la préface qu’il donne à sa traduction de la somme hippologique arabe dite Le Nacéri (1852). Il la place sous un chapitre intitulé : « Le kerr et le ferr ou l’élan d’attaque et l’élan de retraite ». Il développe :

« La manœuvre de bataille pour la cavalerie chez les anciens Arabes [et] conservée chez les Arabes modernes (…), consistait en deux mouvements simples. Des cavaliers partaient au galop, allant sur l'ennemi, mais sans ordre d'alignement, lançaient chacun un trait, une flèche, un coup de lance, toujours à grande course ; puis, ils arrêtaient leur élan tout à coup et sur place, tournaient bride à gauche et repartaient aussi vite. Ces mêmes charges et fuites calculées, se répétaient successivement un grand nombre de fois. (…) Mais, dans toute circonstance, il était toujours d'importance fondamentale de dresser les chevaux à s'élancer par élans subits, à partir au galop du premier pas, à s'arrêter bref dans le plus vif de la course, à retourner le plus instantanément et le plus court possible. » (1852 : 305)

45Nourri de culture classique, Perron renvoie alors aux pratiques des anciens Germains décrites par Tacite, mais ces termes figurent bien dans le dictionnaire arabe de Kazimirsky. On notera qu’il ne parle pas à ce propos de fantasia, alors qu’il consacre une partie du chapitre suivant au « jeu du djérid et [à] la fantasia ». De quoi s’agit-il là ?

« La Fantasia, écrit-il, est toujours, d'après le sens du nom, une fête, un divertissement, une cérémonie. Il n'y a qu'en Barbarie que ce mot désigne presque uniquement une représentation ou divertissement équestre. La Fantasia est évidemment d'invention récente ; elle ne comporte que les jeux d'armes à feu. Seulement, pour lui donner une nuance d'antiquité, les acteurs de ces jeux lancent leurs armes en l'air et les rattrapent sans arrêter le galop des chevaux. Le kerr et le ferr sont souvent les deux mouvements principaux de cette sorte d'exercice. » (ibid. 307 [nous soulignons])

  • 14 Nous citons d’après notre édition des textes équestres de Daumas (2008).
  • 15 Outre ses innombrables tableaux équestres, le peintre-écrivain a consacré à la fantasia un texte im (...)

46Perron renvoie sur ce point à un ouvrage récemment publié du général Daumas (1803-1871) : Les chevaux du Sahara, dont la première édition date de 185114. Résultat d’une expérience de quinze années dans les zones tribales de l’Algérie, l’auteur pouvant faire état de contacts avec ces aristocraties arabes de la haute steppe que le peintre Fromentin allait mettre en images15 et auprès desquelles il avait pris connaissance des formes vernaculaires de la guerre à cheval. Dans ce qui constitue la première publication sérieuse en français sur l’équitation arabe, nous disposons donc là d’une véritable somme archivistique sur l’origine de la fantasia, comme terme autant que comme pratique.

47Si celle-ci avait eu l’importance et l’ancienneté que nos modernes commentateurs lui attribuent, Daumas n’aurait pas manqué de la faire figurer en bonne place dans son ouvrage, comme une institution reine, avec ses règlements et ses variantes. Or ce n’est absolument pas le cas. À aucun moment du livre, il n’est fait une description analytique d’un type de cavalcade qualifié ainsi, avec son caractère collectif spectaculaire, consistant à caracoler en rang et en synchronie parfaite.

48Et pourtant, il faut nous arrêter sur ce résultat paradoxal, ce n’est pas que le terme ne figure pas dans ce compendium. Mais si l’on trouve en effet dans un chapitre du livre (Daumas 2008 : 147 sq.) la description de figures de l’exercice équestre que nous appelons aujourd’hui « fantasia », elles sont présentées comme des éléments séparés, autonomes. Ainsi el kyama (« la franchise ») qui consiste à faire « s’arrêter [le cheval] brusquement, après une course rapide » [ibid. : 157] ; ou encore el lotema (« le renversement »), qui vise à « tourner brusquement (…) le plus ordinairement à gauche, aussitôt que le cavalier a tiré son coup de fusil » [ibid.]. Daumas va également détailler quelques exercices équestres, tels que la « ballotade » [el gueleâa], qui consiste à faire sauter le cheval sur place, « …des quatre pieds ; en même temps [que] le cavalier jette son fusil en l'air et le reprend adroitement. (ibid. : 59). « Rien de plus pittoresque », continue Daumas, que cet exercice : « C'est proprement, conclut-il, le charme et le triomphe de la fantasia. »

49Le terme de fantasia est donc bien utilisé ici, mais dans un tout autre sens. Il est dit, par exemple, que « le cavalier ne doit pas craindre de jouer avec son cheval pendant quelques minutes », et on enchaîne sur l’idée que « au moment d'arriver à sa tente, (…) il fasse un peu la fantasia [car] les femmes du douar applaudiront, disant : “Voilà un tel, le fils d’un tel” » (ibid. p. 228). Dans un autre chapitre, sur la « guerre entre les tribus du désert », on peut voir plusieurs références s’enchaîner en quelques pages : « fantasia » y revêt plutôt le sens de « spectacle », de « démonstration » ou de « représentation ».

50Il se vérifie là que le terme n’a rien à l’origine de spécifique, ni de descriptif. C’est un terme générique assez large, pour désigner « une fête, un divertissement, une cérémonie » écrivait Perron : démonstration gratuite, un peu ridicule même, qu’illustrent certaines pratiques qui d’ailleurs ne s’appliquent pas spécifiquement aux chevaux, mais aussi à d’autres animaux nobles comme le lévrier (sloughi), dont on dit qu’il « fait beaucoup de fantasia » (ibid. p. 368), ou le faucon qui s’est régalé de sa proie et qui, fier de sa prise, « quand il est remis sur l'épaule, […] se balance et se dandine : "il fait sa fantasia" » (ibid. p. 377).

51À ceux qui postulent l’éternité et le caractère fondamentalement indigène du rituel, on peut donc rappeler ce que nous révèle la lecture attentive des Chevaux du Sahara : en 1851, ce terme, appliqué aux spectacles désordonnés de ce qu’il reste de cavalerie en Algérie apparaît à Daumas comme un néologisme :

« L’Arabe (…) trop amoureux de la pompe, de l'éclat, de la fantasia, s'il est permis d'employer un mot déjà populaire en France, pour ne pas se donner quand il le peut, le luxe d'un cheval de montre et de parade. » (p.182 [nous soulignons])

52Ainsi peut-on dater avec précision autour de 1850 l’émergence d’une acception du terme qui passe du générique au spécifique et, avec un rétrécissement significatif du champ sémantique, d’une dénotation assez large à la désignation d’une démonstration équestre de plus en plus codifiée. Notons que c’est précisément autour de cette date que le terme apparaît pour désigner les tableaux de Delacroix.

53Alors, la fantasia, prolongement d’un exercice militaire ? Sa négation plutôt. Pire : sa parodie, enfermée dans un terrain de jeu protégé par des barrières pour ne présenter aucun danger pour les spectateurs, réduite progressivement aux dimensions d’un spectacle. L’exercice s’enrichit du même coup de variations parfaitement superfétatoires comme celle qui consiste à jeter son fusil en l’air et à le rattraper au vol : « esbroufe » (« fantasia » précisément) qui n’est en rien nécessaire dans une opération guerrière mais qui est faite pour s’attirer les youyous des femmes. Si cela exige encore des prouesses de cavaliers, c’est aussi une manière de les décrocher de l’action militaire, de les rendre inoffensives, aseptisées, dans un folklore ritualisé.

54On dispose d’un autre témoignage précieux de cette décadence avec un texte de l’égyptologue Prisse d’Avennes (1807-1879), opérant pour une fois en Algérie : il est daté de Constantine, le 18 septembre 1854, juste après notre date fatidique de 1850, et il décrit des courses organisées entre les falaises vertigineuses des gorges du Rummel (Prisse d’Avennes 2013 : 260-264). Conviés là, des cavaliers sont venus de toutes les régions : « deux mille » nous dit Prisse. Les choses vont se dérouler dans cette sorte d’hippodrome naturel, devant une « tribune pavoisée aux couleurs nationales (…) élevée pour les dames et les autorités civiles ». Dans un premier temps, se déroulent des courses classiques, militaires français et indigènes à part, et toutes sortes de défilés sous le drapeau tricolore témoignant de « l’intérêt que les Arabes soumis à notre domination prennent à ces jeux hippiques ». Le programme de la deuxième journée se clôt par un spectacle beaucoup plus piquant avec ce qu’il appelle alors « la petite guerre arabe », qui atteste de ce que les « enfants de la poudre savent faire d’un cheval et d’un fusil » (2013 : 263). À vrai dire, on n’a pas encore ici la fantasia proprement dite, bien qu’apparaissent certaines figures comme celle où l’on voit les cavaliers « après avoir fait feu, jeter leur fusil en l’air et le ressaisir à la course d’une main exercée ». Il s’agit désormais d’un simulacre de combat où « les jouteurs se poursuivaient, se croisaient, s’attaquaient et se retournaient avec une justesse et une dextérité qui faisait autant d’honneur aux chevaux qu’aux cavaliers » (ibid. : 264).

55Tout, néanmoins, est dans la chute du texte : elle montre que les héros de ce spectacle n’y figurent plus que comme des utilités, car on voit Prisse, tout colonialiste qu’il fût, s’insurger contre le traitement qui est fait alors aux indigènes.

« Les fêtes de Constantine se terminèrent par un bal comme une fête à Paris. Inutile de dire que les Arabes n’y figurèrent pas et durent trouver notre daifa [« hospitalité »] fort incomplète. Ils s’en dédommagèrent sous la tente à leurs dépens. »

56Et de conclure :

« Quand on met plus d’étoiles de la Légion d’honneur sur les burnous arabes que sur les uniformes français, on devrait ménager, ce nous semble, aux indigènes, une place plus large dans les fêtes auxquelles on les convie au nom de l’Empereur. » (ibid.)

57Comment en est-on arrivé là ? Après la reddition d’Abdelkader, à la toute fin de 1847, la nature de la résistance a changé. L’idée d’une guerre unifiée contre l’installation d’un pouvoir français en Algérie a perdu de sa vraisemblance. On n’assistera plus désormais qu’à des soulèvements localisés : jacqueries ou appels à la guerre sainte prêchés par quelque marabout. Pour le reste, les aristocraties tribales sont désormais soumises, même celles des hautes steppes, là où l’élevage du cheval connaît son plus grand développement. Comme elles portent encore beau, cela conduit à quelques activités équestres, mais cantonnées dans un rôle de représentation et de parade, dans des chasses de gibiers plus ou moins nobles, et finalement dans des exploits sportifs complètement folklorisés, des représentations codifiées avec des procédés obligés, mais dépourvus désormais de toute dimension guerrière. C’est à la faveur de cette déchéance, peu après la reddition de l’émir en effet, et avec la destruction, autour de 1850, du potentiel militaire de ses troupes, que l’on voit le mot et la pratique ritualisée de la fantasia, celle que l’on a décrite en ouverture, s’imposer pour couvrir ce qui reste de la terrible cavalerie des Arabes : fantasia, la « frime »…

58On pourra nous reprocher d’avoir opéré ici un glissement du Maroc vers l’Algérie, sur laquelle nous disposons d’un dossier beaucoup plus riche et précis, et de laisser ainsi de côté les spécificités régionales pour ce qui concerne le traitement réservé aux chevaux : le processus de folklorisation des pratiques est évidemment différent dans une Algérie colonisée et profondément modernisée et dans un Maroc qui le sera beaucoup plus tard ; ultérieurement, dans une Algérie socialisante et dans un royaume chérifien traditionaliste. Pourtant, reste en commun une indiscutable pacification des démonstrations équestres, qui vont en outre être couvertes par un terme étranger aux langues locales, mais qui allait alors désigner une institution spécifiquement maghrébine, appellation comprise de tous, de part et d’autre de la Méditerranée.

59« Fantasia » : le terme désigne souvent aussi des cavalcades désordonnées de ces cavaliers maghrébins qui impressionnent les populations sans plus les terroriser, mais d’où va se dégager aussi une course très codifiée dont le rituel s’est peu à peu mis en place. Ceux qui se plaisent à penser que cette pratique leur vient « du fond des âges » n’engagent pas à pousser dans cette direction de recherche, mais il faudra bien faire l’historique précis de cette construction d’un rituel, spécialement au Maroc, où le décorum se trouve aujourd’hui particulièrement développé, avec ces harnachements somptueux des chevaux et ces costumes brodés des cavaliers dont on ne trouve pas l’ébauche d’une image dans les carnets de Delacroix. Il n’y aurait que les traditionnelles pétoires (mukhala, karabila) aux canons d’une longueur démesurée et à la crosse courte, qui figurent effectivement dans les images de cavalcade. Telle est notre conclusion sur les enseignements que l’on peut tirer de la riche documentation fournie par le peintre, témoin de son temps comme observateur hors-pair pour cerner l’évolution des choses. Mais l’histoire évidemment ne s’arrête pas avec le basculement des pratiques guerrières qui suit l’avancée sérieuse du pouvoir colonial autour du milieu du xixe siècle.

Épilogue : fantasia, « baroud », tbourida

60Revenons donc pour finir sur ce point à des questions terminologiques. Dans les commentaires récents concernant l’historique de ces pratiques équestres, on souligne volontiers le fait que ce terme vulgarisé de fantasia a l’inconvénient de ne pas venir d’une langue locale, arabe ou berbère, mais d’une langue de communication, un sabir néo-latin, d’essence étrangère. Nous disposions sans doute dans un registre vernaculaire, d’un bel et bon terme arabe pour les désigner : le « jeu de la poudre », la‘âb el-bârûd. De fait, bârûd, c’est bien la « poudre », un produit repéré déjà dans les dictionnaires arabes, comme le classique Dozy (1881 : 48), pour désigner la poudre à canon, à partir d’une composante : le salpêtre. Mais, même en arabe, c’était encore une importation car il faut bien respecter l’histoire de la diffusion d’une technologie dont on sait qu’elle vient de Chine et transite, au moins linguistiquement, par la Perse. D’ailleurs dans son Dictionnaire arabe-français (1845-1860), Kazimirski considérait ce terme comme « moderne », selon ses critères, c’est-à-dire datant tout au plus du siècle précédent.

61Pour ce terme de bârûd, les dictionnaires français nous égarent encore, en signalant cette fois l’apparition du terme dans la langue française à une époque bien plus récente : dans les années 1920 où, du fait de la confrontation coloniale, il s’est vulgarisé pendant les longues opérations de conquête de l’arrière-pays marocain. C’est au point que l’on en vient à écrire que le mot est d’origine chleuh – comme si les Chleuhs, pauvres Berbères du versant sud de l’Atlas, avaient inventé la poudre ! « Argot militaire », dit-on alors : c’est aller à la bagarre et, plus proprement, « aller au feu ». Du coup, on est un « baroudeur », ce qui est positif, mais c’est encore jugé « familier ». Cependant le terme devient rapidement générique avec l’expression « un baroud d’honneur », c’est-à-dire un combat perdu d’avance mais conduit dans la dignité, non sans avoir combattu. Est-ce pour cette association à la confrontation coloniale que le mot de bârûd lui-même va être laissé de côté ?

62Il faudra faire l’histoire de l’adoption au Maroc d’un néologisme présentable, tbourîda, aujourd’hui en large usage dans le pays. De fait le « jeu de la poudre », la‘âb el-bârûd, cela faisait encore un peu trop « jeu », alors que désormais, il y a des moussems, des festivals, des concours nationaux où des groupes quasi-professionnels, somptueusement harnachés et montés s’affrontent devant des caméras de télévision. Il fallait un terme qui donne du sérieux à la chose. Tbourîda alors ?

63Plutôt que d’une berbérisation du terme avec l’introduction de l’affixe t, ce qui nous renvoie à une langue rustique, on préfèrera y voir une dérivation de l’arabe el-bârûd. On trouve là un procédé de réfection savante, classique dans les cas d’invention de la tradition, où elle permet de se débarrasser d’appellations populaires aux connotations suspectes – en l’occurrence étrangères –, voire péjoratives, pour leur substituer des appellations culturellement valorisées. C’est le symptôme même de la folklorisation d’une institution vivante, une fois qu’elle a été vidée de sa nature réelle, populacière peut-être, mais réelle. C’est bien ce que l’on voit avec la requalification de la fantasia en tbourîda. Même si la fantasia c’était un peu Buffalo Bill se produisant dans un cirque, il n’y avait finalement pas meilleur terme pour qualifier une pratique qui s’était imposée en confrontation, en dérivation et même en miroir d’une occupation coloniale.

Haut de page

Bibliographie

BIASI Pierre-Marc de (dir. en coll.), 2012, La Fabrique du titre. Nommer les œuvres d’art, Paris, Cnrs édition.

DAUMAS Eugène, 1851, Les chevaux du Sahara, Paris, F. Chamerot.

DAUMAS Eugène, ABD EL-KADER, POUILLON François (éd.), ÉTIENNE Bruno (préf.), 2008, Dialogues sur l’hippologie arabe : les chevaux du Sahara et les moeurs du désert. [Édition intégrale avec l’ensemble des correspondances sur les chevaux échangées entre le général Daumas et l’émir Abd el-Kader], Arles, Actes sud.

DELACROIX Eugène, HANNOOSH Michèle (éd.), 2009, Journal, 2 vol, Paris, José Corti. 

DELACROIX Eugène, JOUBIN André (éd.), 1936, Correspondance générale d’Eugène Delacroix, 5 vol., Paris, Plon.

DOZY Reinhart, 1881, Supplément aux dictionnaires arabes, Leyde, Brill. 

GAUTIER Théophile, 1846, « Le club des hachichins », Revue des Deux Mondes, février.

GAUTIER Théophile, Madeleine COTTIN (éd.), 1973 Voyage pittoresque en Algérie (1845), Genève/Paris, Droz.

GOURAUD Jean-Louis, 2014, Le tour du monde en 80 chevaux. Petit abécédaire insolite, Arles, Actes Sud

HOBSBAWM Eric & Terence RANGER, 1983, The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press.

INSTITUT DU MONDE ARABE (éd), 1994. Delacroix, le voyage au Maroc : exposition organisée par l’Institut du monde arabe... Paris, 27 septembre 1994 - 15 janvier 1995. Catalogue d’exposition, Paris, Institut du monde arabe/Flammarion.

LANLY André, 1962, Le français d’Afrique du Nord. Étude linguistique, Paris, PUF.

PERRON Dr Nicolas, 1852, Préface in Abou Beker ibn Bedr, Le Nâcéri. “La perfection dans les deux arts” ou “traité complet d'hippologie et d'hippiatrie arabes” (tr. N. Perron), Paris, Vve Bouchard-Husard, 3 vol. , 1852-1860.

PRISSE D’AVENNES, Émile, 2013 « Course de chevaux et fantasia à Constantine » in Mercedes Volait (dir.), Émile Prisse d’Avennes, un artiste-antiquaire en Égypte au xixe siècle, Le Caire, IFAO : 260-264

SMITH Shaw, 1998 « Eugène Delacroix : Fantasies and Fantasias of North Africa », Ms. Davidson College, 70 p. Reprise partielle in José A. González Alcantud (ed.), El orientalismo desde el Sur, Barcelona, Anthropos : 64-73.

SCHUCHARDT Hugo, 1979 [1909] « On lingua Franca », The Ethnography of Variation. Selected Writings on Pidgins and Creoles, Ann Arbor, Karoma : 26-47.

THOMPSON, James & WRIGHT, Barbara, 1987, La vie et l’œuvre d’Eugène Fromentin, Paris, ACR (“Les Orientalistes”) ; réed. 2008.

VALENSI, Lucette, 1992, Fables de la mémoire : la glorieuse bataille des trois rois, Paris, Seuil.

Haut de page

Notes

1 Ces variations ont été richement illustrées dans les tableaux du peintre algérien Hocine Ziani (né en 1953). Cf. sur son site en ligne : https://www.ziani.eu/galerie.

2 « Avant la fin des temps préhistoriques (40.000 mille ans) » selon K. Bouslama (El-Moudjahid, 20 juillet 2014).

3 On appelle ainsi cette représentation synthétique du galop comme un saut tendu, qui ne sera remise en cause qu’avec les travaux de Marey et de Muybridge, s’attachant à décomposer un mouvement réel par une série d’instantanés photographiques.

4 Les femmes d’Alger déjà citées : deux versions, de 1834 et 1849 ; les Convulsionnaires de Tanger : deux versions, de 1837 et 1857 ; le Sultan Moulay Abderrahmane : trois versions, de 1845, 1856 et 1862.

5 On dispose désormais d’une excellente édition du Journal élaborée par Michèle Hannoosh (2009) et on peut la confronter, pour les dessins, à l’édition fac-simile des carnets, consultable dans les bonnes bibliothèques d’histoire de l’art.

6 Le catalogue raisonné Lee Johnson (depuis 1986) a remplacé celui d’Alfred Robaut, publié dès 1885 - information reprise dans le volume de la collection « Tout l’œuvre peint », chez Flammarion.

7 Il renvoie d’ailleurs à un poème de Byron plutôt qu’à l’expédition marocaine.

8 Cf. Également Journal 1 (29.1.1832) : 203. Récit amplifié ibid. : 290-292.

9 Un élément de doute avec le compte-rendu du Salon de 1847 par Théophile Gautier où il écrit que ces Exercices « ressemblent fort à ce qu’on appelle en Algérie une fantasia » - écho indirect de son excursion dans ce pays pendant l’été de 1845. Mais il reste encore dans un certain flou, avec son récit des réunions de hachich à l’hôtel Pimodan (1845) où il parle de l’état de kief comme de « fantasias ». Finalement, pour qualifier cette scène, il corrige, d’après Delacroix : « cela s’appelle courir la poudre ».

10 Shaw Smith a souligné son rôle d’informateur exceptionnel. Voir ainsi : « [7 mars] Passé la soirée avec Abou dans notre tente. Conversation sur les chevaux. » (Journal 1 : 215) ; « [10 mars] Fait une visite à Ben-Abou. (…) Il nous a dit que l'empereur courait quelquefois la poudre, quelquefois avec vingt ou trente cavaliers qu'il désigne. » (ibid. : 218)

11 Lanly, qui développe par ailleurs une bonne connaissance des différentes acceptions du terme de fantasia en Afrique, se perd à chercher à en attribuer à Delacroix la paternité, considérant qu’il n’aurait pas entendu ce que lui disaient ses informateurs et « l’interprète israélite de la mission » (1962 : 44-46).

12 Autre version dans le rapport de Mornay : « Un de ces malheureux qui jouaient de la poudre eut l’imprudence de se précipiter au milieu des chevaux de mon escorte pour avoir la satisfaction de me tirer un coup de fusil à bout portant. Le pacha le fit arrêter et ordonna qu’on lui coupe la tête à l’instant même. Je n’eus que le temps d’accourir pour demander sa grâce qui me fut accordée. Une minute plus tard, la sentence était exécutée. » (Journal ibid, note 161)

13 « Courses continuelles à notre gauche ; à droite coups de fusil de l'infanterie. De temps en temps nous arrivions à des cercles formés d'hommes assis, qui se levaient à notre approche et nous tiraient au nez. » (Ibid. : 221 [nous soulignons])

14 Nous citons d’après notre édition des textes équestres de Daumas (2008).

15 Outre ses innombrables tableaux équestres, le peintre-écrivain a consacré à la fantasia un texte important et même une toile (Thompson & Wright 1987). Il serait trop long de les analyser ici.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Gabriel Veyre (1871-1936), Fantasia au Maroc, photographie, début XXe siècle
Crédits © D’après Dans l’intimité du Maroc. Photographies de Gabriel Veyre (1901-1936), Malika éditions, Institut français du Maroc, 2012, p. 33
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 605k
Titre Fig. 2 : Eugène Delacroix, Jeu de la poudre devant Meknes, aquarelle sur mine de plomb (15x27cm), 1832
Crédits © Album Mornay, Paris, musée du Louvre
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 814k
Titre Fig. 3 : Eugène Delacroix, Fantasia marocaine ou exercices militaires des marocains, huile sur toile (59x73cm), 1832
Crédits © Montpellier, Musée Fabre. CC0 domaine public, en ligne (consulté le 25/03/2022)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 911k
Titre Fig. 4 : Eugène Delacroix, Charge de cavaliers arabes, huile sur toile (60,5x74,5cm), 1834
Crédits © Collection Städelsches Kunstinstitut, Frankfort. D’après Lee Johnson, The Painting of Eugène Delacroix: A Critical catalogue (1832-1864), Oxford, Clarendon Press, 1986-2002 [n°353, TOP n°244]
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 814k
Titre Fig. 5 : Eugène Delacroix, Choc de cavaliers arabes, 1834
Crédits © Collection du Musée de Baltimore. D’après Lee Johnson, The Painting of Eugène Delacroix: A Critical catalogue (1832-1864), Oxford, Clarendon Press, 1986-2002 [n°355, TOP n°245].
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 921k
Titre Fig. 6 : Eugène Delacroix, Exercices militaires des Marocains, huile sur toile [66x 81,1], 1847
Crédits © Musée-collection d’Oskar Reinhart, à Winterthour, près de Zurich. D’après Lee Johnson, The Painting of Eugène Delacroix: A Critical catalogue (1832-1864), Oxford, Clarendon Press, 1986-2002 [n°376].
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 314k
Titre Fig. 7 : Eugène Delacroix, Maure courant la poudre, huile sur toile, 1832
Crédits © Paris, collection privée Jourdan.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 158k
Titre Fig. 8 : Eugène Delacroix, Cavaliers chargeant, aquarelle, 1832
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 494k
Titre Fig. 9 : Eugène Delacroix, Cavaliers chargeant, encre sur papier monogrammée du cachet en bas à droite, 25,5x28,5 cm, 1832
Crédits Source : vente Agutte 21 décembre 2007
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 512k
Titre Fig. 10 : Eugène Delacroix, En route, aquarelle (95 x160 cm), 1832
Crédits © Page des carnets du Maroc de Delacroix à Paris, Musée du Louvre.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 351k
Titre Fig. 11 : Eugène Delacroix, Étude de cavaliers arabes, aquarelle sur mine de plomb, 1832
Crédits © Page des carnets du Maroc de Delacroix à Paris, Musée du Louvre.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/docannexe/image/16588/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 621k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

François Pouillon, « Sur les « fantasias » marocaines d’Eugène Delacroix  »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 151 | 2022, mis en ligne le 29 mars 2022, consulté le 28 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/16588 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/remmm.16588

Haut de page

Auteur

François Pouillon

EHESS, Paris, France ; pouillon[at]ehess.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search