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SECONDE PARTIE
Lectures

Omero MARONGIU-PERRIA (dir.), L’Islam et les animaux

Neuilly-sur-Seine, Atlande (avec la collaboration scientifique de l’association Droits des animaux), 2021.
Nicolas Payen
Référence(s) :

Omero MARONGIU-PERRIA (dir.), L’Islam et les animaux, Neuilly-sur-Seine, Atlande (avec la collaboration scientifique de l’association Droits des animaux), 2021.

Texte intégral

1L’ouvrage, dirigé par Omero Marongiu-Perria, un sociologue s’inscrivant dans le courant réformiste de l’islam en France, regroupe une collection d’essais qui défendent une perspective musulmane animaliste. Les auteurs entendent par « animalisme » la « lutte politique et sociétale pour la cause animale » (p. 183). Il révèle la percée, dans le paysage universitaire français, de l’idéologie de Tom Regan, qui plaidait pour des « droits des animaux » dans The Case for Animal Rights en 1983. Cette approche avait eu les faveurs d’al-Hafiz Basheer Ahmad Masri, ancien imam de la mosquée de Woking, au Royaume-Uni, qui s’attachait à livrer un « point de vue sur l’actuel torrent de cruautés envers les animaux » dans Animals in Islam, publié en 1989 et traduit en français en 2015 par l’association « Droit des animaux », qui a elle-même collaboré à l’édition de l’ouvrage dont il est ici question.

2De l’aveu d’Éric Geoffroy, qui signe la préface, l’idée d’une interdépendance de toutes les créatures était jusqu’ici plus implantée dans la recherche anglo-saxonne (p. 11-12). De fait, un pan de l’islamologie étasunienne ne se cache guère d’adopter des positions normatives et militantes, en tant qu’il ne vise pas à restituer l’interprétation probable d’un texte à un moment de l’histoire, mais à présenter celle qui est préférable dans le monde contemporain. Paul Waldau, chantre des animal studies, un mouvement pluridisciplinaire portant un regard critique sur la condition animale, avait par exemple invité Richard Foltz à écrire une synthèse qui analyserait la culture musulmane dans cette perspective, ce qu’il fit dans un ouvrage publié en 2006 sous le titre Animals in Islamic Tradition and Muslim Cultures.

3Le fait est qu’il existe peu d’ouvrages de synthèse sur les animaux en islam. Les initiatives les plus réussies, en langue française, sont certainement L’animal en Islam, par Mohammed Hocine Benkheira, Catherine Mayeur-Jaouen et Jacqueline Sublet, en 2005, et La dignité de l’homme face aux anges, aux animaux et aux djinns, par Pierre Lory, en 2018, dont une partie est dédiée aux animaux. La thématique des animaux en islam n’a donc reçu l’attention qu’elle mérite qu’assez récemment.

4Or, Animals in Islam, Animals in Islamic Tradition and Muslim Cultures, ou ici L’Islam et les animaux, pour ne citer qu’eux, sont autant de titres qui dissimulent leur attitude militante – bien que le contenu soit, quant à lui, explicite. Tous ont en commun une structure similaire : les premières sections exposent le point de vue des textes de référence de l’islam (Coran, hadith, ouvrages théologiques) et, peu à peu, les suivantes glissent subtilement vers un discours plus apologiste. Évidemment, cet arrangement s’impose de lui-même, mais tout de même, le lecteur est en droit de se demander dans quelle mesure son horizon d’attente s’en retrouve bousculé.

5Dans la préface (p. 11-15), É. Geoffroy relève le statut privilégié de l’animal dans la religion musulmane (p. 11). Il remarque que le terme arabe qui désigne l’animal, ḥayawān, inspire de nobles connotations, puisqu’il signifie « le très vivant » ou « le très vital » dans le Coran, où il est appliqué à la dernière demeure (p. 12). Ce point est déterminant, mais ne peut-on pas aussi considérer prosaïquement que l’hapax coranique en constitue un homonyme ?

6Dans l’introduction qui suit, O. Marongiu-Perria plaide pour une théologie animale musulmane (p. 17-27). Il soutient que le Prophète était un pionnier des droits des animaux (p. 18) et que l’anthropocentrisme est plutôt étranger à l’islam, par opposition au monde occidental, qui détruit ontologiquement l’animal depuis le stoïcisme (p. 20-21). À notre avis, un objet essentialisé, quel qu’il soit, paraîtra toujours moins anthropocentrique à un œil extérieur qu’un monde social, quel qu’il soit, puisque ce dernier regroupe par définition une somme de points de vue anthropocentriques !

7Les contributions se répartissent en trois parties : « La philosophie animale islamique : qu’est-ce qu’un animal en islam ? » (p. 29-60), « L’éthique animale islamique : devoirs et engagements » (p. 61-139) et « L’éthique animale islamique : être musulman et végétarien ou végan ? » (p. 141-182).

8Dans la première partie, O. Marongiu-Perria (« La conscience animale et ses implications dans le Coran », p. 31-43) défend l’idée que le Coran présente les animaux comme aussi intelligents que les hommes (p. 34-38). Il s’appuie notamment sur l’exégèse d’al-Qurṭubī (d. 671/1214), pour qui les animaux ont des facultés cognitives (p. 34-35). Le musulman devrait donc leur reconnaître un accès aux bienfaits divins (p. 39). Marion Weisslinger (« La place des animaux dans la théologie musulmane », p. 45-53) remarque que la plupart des théologiens musulmans médiévaux ont reconnu la souffrance animale (p. 47). Les muʿtazilites considèrent qu’elle est injuste et nécessite donc compensation divine, alors que les ašʿarites y voient un élément impénétrable du plan divin (p. 49-50). La partie se clôt avec une contribution d’Alan Mikhaïl (« Les chiens dans la culture islamique des premiers temps », p. 55-60), version révisée d’un texte en anglais précédemment publié sur internet. Il y affirme que les chiens n’ont été perçus comme dangereux qu’au xixe siècle (p. 58), mais que les premiers musulmans en étaient entourés (p. 55-56). Il tend à passer sous silence le fait que les chiens firent l’objet de débats depuis bien plus longtemps – débats auxquels ont pris part ses défenseurs, voir notamment le Livre de la Supériorité des chiens sur nombre de ceux qui portent des vêtements (Kitāb Faḍl al-kilāb ʿalā kaṯīr mimman labisa l-ṯiyāb) de Muḥammad b. Ḫalaf al-Marzubān (m. 309/921). L’hostilité à l’égard du chien n’apparaît pas de façon soudaine au xixe siècle ; il avait déjà des détracteurs et des partisans.

9La deuxième partie s’ouvre avec un texte inédit écrit par H. B. A. Masri en 1992, traduit en français (« Aperçus philosophiques et religieux sur les relations animal-humain », p. 36-75). Il y prétend que les philosophes classiques, contrairement au judaïsme, au christianisme et à l’islam, ont tenté de donner l’impression que les animaux avaient moins qu’une âme, simplement un « souffle », et que les exégètes ont ensuite mésinterprété les textes sacrés (p. 67-68). Néanmoins, il semble lui-même confondre les termes rūḥ et nafs en assurant que le mot pour tous les êtres qui ont une âme (ḏū rūḥ) est nafs (p. 71). Ensuite, O. Marongiu-Perria (« Le sacrifice de l’Aïd el-Kébir n’est pas une obligation islamique », p. 77-92) soutient une thèse exposée dans le titre. D’après lui, les premiers musulmans pratiquaient le sacrifice pour redistribuer la nourriture aux pauvres (p. 77). La troisième contribution consiste en une reproduction partielle du sixième chapitre de la traduction d’Animals in Islam d’H. B. A. Masri (« La question de l’étourdissement des animaux », p. 93-112). En bref, l’auteur affirme que le refus d’utiliser les techniques d’étourdissement pour les animaux constitue un péché par omission de la souffrance animale (p. 110). La quatrième, par Mehran Banaei and Nadeem Haque (« Dieu et les droits naturels des animaux », p. 113-128) résulte également d’une traduction d’un précédent texte, paru en 2014. Il présente le point de vue téléocentrique selon lequel toute chose a un but (p. 127), mais ne s’intéresse pas spécifiquement à l’islam. La cinquième, par Fatih Kamal (« La personnalité juridique des animaux en droit musulman », p. 129-139), se demande si les animaux peuvent avoir une personne juridique. La charia y est traitée comme « un vecteur d’émancipation des animaux et de leur extraction de la catégorie des choses » (p. 138), point sur lequel nous reviendrons dans nos remarques générales.

10Dans la troisième partie, O. Marongiu-Perria (« L’éthique animale islamique : être musulman et végétarien ou végan ? », p. 141-182) soutient que l’islam permet au musulman de s’abstenir de viande. Puis, Ghazala Anwar (« Libérer les esclaves : une théologie musulmane des droits des animaux », p. 155-174) promeut un positionnement radical, selon lequel les musulmans non-humains que sont les animaux ne devraient pas être utilisés en tant que nourriture, vêtements ou pour toute forme d’exploitation (p. 157). Certes, cela entre en contradiction avec le Coran prima facie (« Les bestiaux, Il les a créés pour vous ; en eux se trouve chaleur et bénéfices, et vous en mangez », 16:5). Toutefois, elle compare la situation des animaux aux esclaves : le texte coranique autorise l’esclavage, mais la plupart des musulmans actuels le considèrent moralement indéfendable (p. 167). De la même manière, l’émancipation des musulmans non-humains attend les conditions appropriées (p. 168). La dernière contribution (« Pour ne pas conclure : vivre une “vie bonne” dans un paradigme végétarien », p. 175-182) entend ouvrir une nouvelle page « pour le musulman souhaitant vivre dans une perspective végétarienne » (p. 175). L’ouvrage se clôt par un glossaire des principaux termes et notions relatifs à l’éthique animale et à l’islam (p. 183-192).

11Quelques remarques générales. Il faut d’abord saluer l’effort interprétatif de l’ensemble des participants, qui ont le mérite d’être animés par une cause écologiquement soutenable. Cependant, nous regrettons le manque d’étude de la terminologie arabe relative aux animaux. En effet, à l’époque abbasside au plus tard, philosophes et théologiens considèrent généralement l’homme comme un animal (ḥayawān) à part entière. Les humains ne s’inscrivent donc pas en opposition aux animaux : ils en font partie. Ensuite, O. Marongiu-Perria critique le fait que, sous l’influence de l’Occident, les musulmans sont tombés dans la « chosification » des animaux (p. 38 et 175). Nous interrogeons la pertinence de ce concept, également utilisé par Fatih Kamal. En effet, quels que soient les domaines du savoir (théologie, philologie, philosophie…), l’animal, homme inclus, est considéré en arabe comme une chose (šayʾ), ce qui ne nie aucunement qu’il soit doué de sensation. Le fiqh a toujours traité les animaux comme des biens commerciaux, ce qui n’empêche pas al-Šāfiʿī (m. 204/820) d’estimer par exemple qu’une personne ne peut pas retirer la suture d’un animal blessé pour récupérer des fils qu’on lui a volé, car cela ferait souffrir l’être sensible (al-Umm, IV, p. 538-539). Nous voyons bien par cet exemple que la sensibilité de l’animal est prise en compte, ce qui ne contredit en rien son statut d’objet commercial.

12L’ouvrage s’adresse indubitablement à un large public, peu initié et pas nécessairement arabisant. Néanmoins, nous regrettons que les références exactes des hadiths mentionnés ne soient pas fournies, d’autant plus que l’original arabe n’est pas cité, sauf chez Ghazala Anwar. Comme nous l’avons signalé, la terminologie a ici son importance ; elle aurait pu davantage apparaître. Quoi qu’il en soit, nous invitons à considérer ce livre pour ce qu’il est : un plaidoyer en faveur d’un meilleur traitement des animaux dans l’islam contemporain.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Payen, « Omero MARONGIU-PERRIA (dir.), L’Islam et les animaux »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 151 | 2022, mis en ligne le 16 décembre 2021, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/16525 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/remmm.16525

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Auteur

Nicolas Payen

Ludwig-Maximilians-Universität, Munich, DE ; Sorbonne Université

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