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SECONDE PARTIE
Lectures

VALÉRIAN Dominique, Les Berbères entre Maghreb et Mashreq (VIIe-XVe siècle)

Madrid, Casa de Velázquez, 2021
Jean-Charles Ducène
Référence(s) :

Valérian DominiqueLes Berbères entre Maghreb et Mashreq (VIIe-XVe siècle), Madrid, Casa de Velázquez, 2021

Texte intégral

1Dominique Valérian réunit ici neuf contributions de spécialistes, traitant globalement de la définition des Berbères dans la littérature arabe médiévale, afin de mettre en lumière les ressorts qui motivent ou se cachent derrière cette ethnicisation externe, autrement dit étique. Car, comme le répètent les contributeurs, le questionnement identitaire qui fonde ces constructions historiographiques, qu’elles soient médiévales ou coloniales, relèvent d’une réification de l’Autre marquée par le contexte idéologique de celui qui écrit ou de son groupe d’appartenance. Et, dans le cas des Berbères en particulier, cela est d’autant plus marqué que ceux qui « inventent » cette redéfinition ethnique sont les conquérants arabes musulmans, avec les prises de position mentales que les trois termes induisent. Dans l’introduction, l’éditeur s’interroge très justement sur l’orientalisation du Maghreb, soit « l’ensemble des manifestations des modalités ou des conséquences au Maghreb de son intégration dans un espace polarisé en Orient », conséquences lentes mais indubitables des conquêtes musulmanes, dont la berbérisation fait partie.

2Dans la première contribution, « L’invention des Berbères : retour sur la genèse de la catégorie « Barbar » – inventée en arabe – au cours des premiers siècles de l’Islam », (pp. 15-28), Annliese Nef jette les bases théoriques de la réflexion mettant en lumière que l’apparition de cette nouvelle catégorie ethnique englobante relève de la mise en place d’un nouvel ordre social. Et celui-ci accompagne l’installation du premier État islamique, marqué par le sunnisme et un centre de gravité oriental. Ces définitions dépendent et sont l’enjeu par conséquent de la configuration politique et de rapports de force du moment. A contrario, un ibādite comme Ibn Sallām balance cette catégorisation négative des Berbères en en faisant des acteurs de l’islam en Afrique du Nord.

3Puis Ramzi Rouighi dans « La bebérisation et ses masques : le peuple berbère en question (viie-xe siècle) » (pp. 29-44), questionne l’historicité de la catégorie « Berbère » à partir du moment où elle apparaît dans un Mashreq arabe et musulman, lui-même en proie à un débat sur la définition de l’arabité comme identité collective. Cette « berbérisation » de l’Afrique du Nord est un processus qui doit beaucoup à la mise en place du discours impérial abbasside, toutefois cette vision ethnique est parfois concurrencée par une vision tribale. L’auteur revient sur plusieurs termes employés pour désigner ce groupe, ǧins, umma, sha‘b et montre leur polysémie, et l’aberration d’une lecture univoque.

4Ensuite, dans « Approches historiographiques du discours de la résistance berbère » (pp. 45-54 ), Soléna Cheny déconstruit les éléments de cette mise en scène en relevant qu’elle ne constituait finalement qu’une part congrue de l’histoire de la conquête. L’auteur reprend cinq types de traitement dans les sources des réactions des populations nord-africaines à l’invasion arabe, sur un total de 32 rencontres répertoriées. Dans la majorité des cas, 43%, la réaction locale n’est pas signalée. La résistance victorieuse ne représente finalement que 3 cas sur 32 (9%), et dans ces cas les opposants – Kusayla versus ‘Uqbā’ ibn Nāfi‘, la Kāhina versus Ḥasan ibn Nu‘mān – sont des contrepoints au héros musulman, exemple du pieux combattant arabe. Ces textes d’abord orientaux et abbassides sur la conquête apportent surtout une légitimité au vainqueur par les gains matériels engrangés et la spiritualité affichée.

5Alloua Amara poursuit le questionnement dans « L’évolution du discours sur les Berbères dans les sources narratives du Maghreb médiéval » (pp.55-70) et montre que les auteurs des premiers textes ne témoignent pas d’une appartenance identitaire commune. La berbérité est d’abord appliquée par les auteurs orientaux à des groupes divers, sans cohérence ou peut-être à cause de leur résistance aux Arabes et à l’islam des califes, cette catégorisation apparaît ainsi d’abord négative. Quant aux auteurs de l’Ifriqiya qui pensent, au xe siècle, leur singularité, ils le font en s’appuyant sur leur province. Les géographes se fondent plutôt sur une caractérisation linguistique, mais Alloua Amara montre que l’acception de Barbariyya varie d’un auteur à l’autre même chez les Maghrébins (Abū l-‘Abbās al-‘Azafī et al-Darǧīnī), car, chez les chroniqueurs, Afāriq peut remplacer « Berbères ». En outre cette berbérité reste équivoque quant son origine (la Palestine ou le Yémen), ses divisions (Butr/Barānīs) et ses plus ou moins grands mérites en islam. Mais au xive siècle, quelle que soit ses modalités, la berbérisation est un fait acquis.

6Cyrille Aillet dans « ‘Dieu ouvrira une nouvelle porte pour l’islam au Maghreb’. Ibn Sallām (iiie/ixe siècle) et les hadiths sur les Berbères, entre Orient et ibadisme maghrébin » (pp. 71-94) interprète magistralement trois hadith ou khabar allégués par Ibn Sallām en y voyant l’expression de la shu’ūbiyya berbère participant à la construction politique d’une identité collective. Autrement dit, la dissidence à l’empire par l’ibadisme passe par la revendication de la berbérité. L’auteur étudie et déconstruit ainsi ces narrations comme des contre-récits des récits orientaux avec une interprétation très convaincante du retournement des images orientales pour légitimer les États berbères qui se créent au viiie siècle.

7Quant à Helena de Felipe, dans « Ancien mot, nouvelle culture : hybridisme culturel au Maghreb médiéval », (pp. 95-110) elle interroge les traits caractéristiques que la littérature arabe orientale utilise pour définir les habitants du Maghreb, à savoir l’ethnonyme lui-même, son espace, ses généalogies, et, finalement, l’opposition Butr-Barānis, pour laquelle elle propose une nouvelle hypothèse.

8Par la suite, Mohamed Meouak dans « Le monde berbère dans les sources arabes de l’Orient médiéval » (pp. 111-136) définit puis confronte la notion linguistique « afro-asiatique » ou « afrasien » avec celle de la migration, selon les auteurs orientaux médiévaux, des Berbères depuis la Palestine. Si le berbère apparaît comme la plus ancienne langue autochtone du Maghreb, il est difficile d’en tirer des conséquences anthropologiques. L’auteur questionne alors l’étymologie de plusieurs ethnonymes comme Afer/Ifri/Afāriq et les toponymes correspondants dans les sources anciennes et orientales, pour ensuite les confronter aux multiples catégorisations (géographique, tribale, généalogique) des Berbères dans les sources arabes orientales.

9La contribution de Mehdi Ghouirgate « Al-lisān al-ġarbī ou la langue des Almohades » (137-149) met en lumière la valorisation de la berbérité par les Almohades en instrumentalisant le hadith, les Berbères remplaçant ainsi les Arabes comme peuple élu, de la sorte, ils appelèrent aussi « langue occidentale » le berbère de la variété dialectale masmūda qu’ils employèrent comme outil de propagande. L’auteur remarque que la langue comme le lieu de pèlerinage (Tinmal) permirent un auto-référencement du mouvement, qui les dédouanait de toute dépendance avec l’Orient. L’utilisation du berbère, en préséance sur l’arabe, assurait aussi la diffusion de la doctrine auprès du plus grand nombre, la langue des Masmūda trouva finalement son premier lexique (Ibn Tūnart), et se perpétuant plus tard dans le vocabulaire institutionnalisé par le pouvoir.

10Enfin Maribel Ferro dans sa conclusion, « Histoire de l’islam, des Berbères et de l’Occident islamique » (151-157), entrecroise les axes principaux des différentes contribution en confirmant notamment l’engagement berbère des Almohades par l’illustration de l’écriture d’une partie des Akhbār maǧmū‘a.

11Ce volume d’une lecture stimulante et aux multiples angles d’attaque apparaît à la fois comme une synthèse d’éléments acquis dans la construction des identités collectives en islam médiéval, et singulièrement au Maghreb, mais aussi comme une série d’interrogations nouvelles qui peuvent être transposées à d’autres groupes qui, en ces mêmes circonstances, ont vu leur identité s’affirmer par le truchement de la langue, de la généalogie, de la religion ou de l’opposition politique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Charles Ducène, « VALÉRIAN Dominique, Les Berbères entre Maghreb et Mashreq (VIIe-XVe siècle) »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 151 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remmm/16442 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/remmm.16442

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