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Notes de lecture

Perraudin Anna, Esquiver les frontières. Expérience migratoire, identités et rapport au groupe des Indiens mexicains

Abdoul-Malik Ahmad
p. 317-319
Référence(s) :

Perraudin, Anna, Esquiver les frontières. Expérience migratoire, identités et rapport au groupe des Indiens mexicains. – Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2018. – 262 p. ISBN : 978-2-75357-483-0

Texte intégral

1L’imaginaire colonial mexicain assigne l’indianité au monde rural, l’espace urbain étant identifié aux colons et aux métis à tel point que la catégorie d’« Indiens urbains » peut sonner comme un oxymore. Si au cours du siècle dernier, les migrations indiennes se dirigeaient essentiellement vers les villes mexicaines (exode rural), dès les années 1990, elles se sont réorientées vers les États-Unis à partir des villes mexicaines comme Mexico, devenues des lieux de transit et de départ. De 2003 à 2009, dans le cadre de sa thèse de doctorat en sociologie, l’auteure a mené des enquêtes ethnographiques multisituées, à la fois à Mexico dans des squats Otomis installés dans le centre-ville, à Santiago Mexquititlán et aux États-Unis dans les États du Wisconsin et de l’Illinois. Les résultats sont analysés à partir d’une double grille de lecture : d’une part, l’auteure s’inspire principalement des travaux sur le transnationalisme migrant qui proposent de mettre au jour des réalités sociales complexes, en partie déterritorialisées et détachées des contextes nationaux qu’elles parcourent. Elle se « place à l’échelle des acteurs » (p. 19) pour saisir leurs stratégies et projets migratoires. D’autre part, elle mobilise un cadre d’analyse intersectionnel (mêlant classe, race, ethnicité, genre, génération et statut migratoire) pour tenter de caractériser en quoi les migrations des « Indiens mexicains » révèlent des processus nouveaux de catégorisation et d’identification à rebours de l’appréhension territorialisée de l’indianité promue par l’imaginaire conventionnel mexicain.

2La première partie de l’ouvrage nous invite à aller à la rencontre des Indiens urbains installés à Mexico, figure longtemps invisibilisée et ignorée par les politiques publiques, qui font l’expérience de la marginalisation urbaine et sociale et des discriminations racistes. Leur insertion professionnelle reste souvent cantonnée au marché du travail informel et subalterne (niches d’emploi genrées, ethnicisées/racialisées et précarisées). La pauvreté, l’assignation à la ruralité et la différence culturelle constituent les dimensions sur lesquelles s’appuie le racisme subi par les Indiens urbains. Pour faire face à cette marginalisation structurelle, les migrants s’appuient sur les réseaux de solidarité intracommunautaires, entre co-villageois notamment. Cette ethnicité qui réactive des organisations communautaires face à une société hostile présente quelques avantages comme l’insertion dans des niches d’emploi ethnicisées/racialisées, mais se révèle aussi inefficace pour une insertion urbaine éloignée des situations de précarités (emploi ou logement). À partir des années 1990, les Indiens urbains deviennent visibles, ce qui contredit ainsi les théories du métissage. Cette visibilité pousse l’action publique à les considérer comme des citadins permanents et à mettre en place des politiques multiculturelles. Rompant avec l’indigénisme paternaliste (victimisation des Indiens), les politiques publiques multiculturelles à destination des Indiens cherchent à favoriser la redistribution sociale en termes d’emploi, de justice et de logement. Bien que les politiques de redistribution sociale aient échoué, elles demeurent bénéfiques d’un point de vue symbolique en visibilisant la présence des Indiens urbains. Longtemps invisibilisés dans la littérature académique et institutionnelle, les flux migratoires indiens se recomposent à partir des années 2000 et déconstruisent les dichotomies entre migration interne/internationale ou urbaine/rurale. Se diffuse alors une culture de la migration qui banalise l’acte d’émigrer et on assiste à une diversification du profil des migrations (femmes, enfants, personnes âgées, etc.) (p. 68).

3La seconde partie porte sur la mise à l’épreuve des identités ethniques dans un contexte de migrations internationales invisibilisées. Chaque départ déclenche des conflits communautaires, familiaux et jusqu’au sein de chaque individu (p. 98). Les migrants doivent justifier leurs départs en mettant en avant des motivations collectives et en cachant les dimensions individualistes de l’acte de migrer. Lors des départs, les migrants font appel aux réseaux ethniques pour accéder à des passeurs dignes de confiance et « réaffirment dès lors leur appartenance à leur groupe d’origine » (p. 110). Ces passeurs contribuent à brouiller les frontières entre migrations rurales, urbaines, internes et internationales et mettent en relation des réseaux ethniques multiples au départ distants (des métis voyageant ensemble avec des Indiens). Les passeurs acheminent les migrants sans papier jusqu’au Tennessee ou au Wisconsin instaurant ainsi de nouvelles destinations de la migration mexicaine. L’expérience des migrants Otomis, originaires de Santiago aux États-Unis, nuance l’évidence de la mobilisation des réseaux ethniques dans l’expérience quotidienne des migrants. Il ne s’agit ni d’une rupture totale ni d’une inscription complète dans les réseaux communautaires, mais d’un jeu entre autonomie et solidarité (p. 141).

4Vigilante face aux biais culturalistes, l’auteure s’intéresse à un angle mort des études croisant genre et migration, à savoir la construction des masculinités en contexte migratoire (interne et international) au croisement de rapports sociaux intersectionnels comme l’ethnicité ou la classe sociale. Les hommes indiens sont confrontés à des logiques discursives stigmatisantes de la part des organisations institutionnelles (violents, agressifs, impulsifs) qui s’inscrivent dans une bestialisation des masculinités postcoloniales (Fanon, 1952). La migration internationale apparaît pour les hommes indiens comme un moyen de réaffirmer leur rôle de protecteur adapté aux représentations dominantes de la masculinité. Le travail est central dans la vie des migrants Otomis en situation irrégulière. Bien que l’offre d’emploi soit limitée en raison du statut juridique, les migrants usent de deux stratégies pour trouver un travail : ils travaillent à l’heure ou au mois. La plupart des migrants optent pour l’option professionnelle mensuelle qui se révèle pratique dans les premiers temps de la migration, bien qu’il s’agisse de postes subalternes et d’horaires lourds. « Il est d’usage de travailler plus de douze heures, six jours sur sept » (p. 205). La seconde option (à l’heure) attire des migrants ayant des compétences comme un réseau diversifié facilitant l’accès à l’information, la maîtrise de l’anglais, etc.

5La migration internationale reconfigure les frontières ethniques. L’indianité a ainsi moins d’influence dans le contexte du pays d’accueil que d’autres systèmes de stratifications sociales et raciales comme le clivage entre migrants « légaux » et « illégaux ». Ceci explique en partie l’étonnement empirique de l’auteure selon lequel les migrants Otomis, affirment être davantage l’objet de stigmatisation comme indigènes à Mexico qu’aux États-Unis où ils ont l’impression de vivre en contexte égalitaire. Ces nouveaux clivages ne font pas disparaître pour autant les frontières ethniques et sociales du pays d’origine. Mais dans la vie quotidienne, l’expérience migratoire partagée devient prééminente surtout dans un contexte de durcissement des politiques migratoires. La réflexivité de l’auteure est utile tout au long de l’ouvrage pour cerner les stratégies d’invisibilisation de la migration internationale indienne de la part des Indiens eux-mêmes et des autorités publiques. Sa position d’étrangère et la crainte de la remise en cause des demandes d’accès aux droits sociaux à Mexico expliquent la méfiance des enquêtés. Bien que ce soit implicite, on peut regretter que l’auteure n’analyse pas de façon plus poussée sa position raciale dans les rapports postcoloniaux d’enquête (femme blanche occidentale, pas seulement une étrangère socialement avantagée) (Le Renard, 2019).

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Bibliographie

Fanon Frantz (1952) Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil.

Le Renard Amélie (2019) Le privilège occidental. Travail, intimité et hiérarchies postcoloniales à Dubaï, Paris, Les Presses de Sciences Po.

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Pour citer cet article

Référence papier

Abdoul-Malik Ahmad, « Perraudin Anna, Esquiver les frontières. Expérience migratoire, identités et rapport au groupe des Indiens mexicains »Revue européenne des migrations internationales, vol. 37 - n°1 et 2 | 2021, 317-319.

Référence électronique

Abdoul-Malik Ahmad, « Perraudin Anna, Esquiver les frontières. Expérience migratoire, identités et rapport au groupe des Indiens mexicains »Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 37 - n°1 et 2 | 2021, mis en ligne le 25 novembre 2021, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/remi/18740 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/remi.18740

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Auteur

Abdoul-Malik Ahmad

Docteur en sociologie
Chercheur associé à MESOPOLHIS/LEST
Aix-Marseille Université

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

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