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Notes de lecture

Robert Boyer, Les financiers détruiront-ils le capitalisme ?, Economica, juillet 2011

François Morin
Référence(s) :

Robert Boyer, Les financiers détruiront-ils le capitalisme ?, Economica, juillet 2011

Texte intégral

1L’ouvrage de Robert Boyer est une exceptionnelle contribution à la compréhension de la crise, de ses origines, de son cheminement actuel ainsi que de ses sorties possibles. Le théoricien de la régulation utilise toutes les ressources pour répondre d’abord à la première question qui traverse de part en part son travail : comment expliquer qu’un modèle de croissance aussi cohérent et articulé que l’était le fordisme ait fini par être déstabilisé par la montée en puissance de la finance ? Deuxième questionnement central : si la déréglementation a donné une puissance sans précédent à la finance, ce qui a débouché finalement sur une crise systémique, structurelle et mondiale, comment contrecarrer la résistance de Wall Street et de la City à un retour de la réglementation ? Enfin, et c’est la question corollaire, mais essentielle : peut-on reconstruire des règles du jeu international sans un vigoureux retour à la démocratie ?

2Une fois de plus, Robert Boyer s’emploie à actualiser la théorie de la régulation, car son projet intellectuel est parfaitement clair : il s’agit de tirer de cette crise des enseignements de longue durée quitte, pour cela, à reprendre le programme de l’économie politique pour, de nouveau, analyser la diversité des articulations entre politique et économique.

3Même si elle n’est pas exprimée aussi nettement, l’idée qu’un régime d’accumulation tiré par la finance puisse être stable, viable à long terme est en réalité aux yeux de Robert Boyer difficilement défendable. Certes, il constate que ce régime se met en place progressivement dans la société américaine au début des années 1970, et qu’il n’a pas manqué de susciter des tentatives d’importation dans d’autres pays, dont l’auteur s’emploie du reste à dresser la fresque. Mais fondamentalement, il relève que l’allocation du capital financier dans ce régime d’accumulation se décide sans aucune relation avec l’efficience économique. Il n’est dès lors pas étonnant que ce régime soit très secoué par des crises pour aboutir finalement à la grande crise systémique, structurelle et mondiale de 2007-2008.

4Il faut donc, en priorité, comprendre cette crise majeure. Ici, Robert Boyer en profite pour dresser une remarquable analyse des crises financières passées, avec un rappel historique de leurs traits communs et de leurs différences ainsi, qu’à chaque fois, le rôle des pouvoirs publics, et leur retard à réagir. Ce recul, cette prise en compte du temps long, permet de montrer la diversité des compromis institutionnels qui ont pu façonner la réponse des gouvernements face aux différentes crises du passé, mais surtout face à l’actuelle crise mondiale.

5À la lumière de ce recul, le diagnostic posé sur l’origine de la crise est net : la déréglementation a donné une puissance sans précédent à la finance, provoquant l’internationalisation des capitaux et la financiarisation des économies. Ceci a engendré une pyramide d’instruments financiers, en circulation, dont le but est de gérer des risques de toute nature. De là sont nés les produits structurés et notamment ceux issus de la titrisation des créances subprimes. Cette pyramide rend évidemment problématique l’évaluation du prix d’un actif, surtout lorsqu’un choc survient, comme cela a été le cas sur le marché immobilier américain au début de l’année 2007. D’où l’effondrement pyramidal de la valeur des titres dans un premier temps, puis, dans un second temps, l’autre onde de choc : la crise des dettes souveraines.

6Aucune ambiguïté dans l’esprit de Robert Boyer. Les deux crises sont enchainées l’une à l’autre. La crise des dettes souveraines provient essentiellement de la recapitalisation des banques et des plans d’aide des États pour relancer la croissance des économies touchées par la crise financière : pis, les financiers, sauvés par les États passent au crible leur gestion. On mesure la violence de ce type de comportement, par exemple, par le jugement de la finance à propos de la Grèce. Arrivé à ce stade ultime, pointe l’inquiétude du chercheur qui se révèle à plusieurs reprises dans son texte : la crise des dettes souveraines ne pourrait-elle pas déboucher, de nouveau, sur une crise ? La défaillance en chaîne de dettes souveraines ne pourrait-elle pas engendrer le spectre d’une nouvelle défaillance de l’économie mondiale ?

7Il y a donc urgence à énoncer les sorties de crise possibles. Robert Boyer n’évoque pas les scénarios noirs. Il préfère se pencher sur les voies d’une sortie par le haut, même si le chemin est forcément difficile et complexe. D’abord parce que la crise mondiale montre la nécessité de stratégies monétaires, budgétaires et réglementaires qui devraient normalement se coordonner à ce niveau. Mais voilà, ce principe cartésien vient buter sur l’extrême différenciation des trajectoires des capitalismes ! Chaque gouvernement est tenu, nous dit Robert Boyer, de mobiliser des outils compatibles avec les compromis institutionnels de base et les représentations collectives afin de légitimer la recomposition des formes d’organisation et les politiques économiques de sortie de crise. À plusieurs reprises est évoqué le plan suédois de sortie de crise bancaire mis en place dans les années 1990 qui fut, aux yeux de l’observateur qu’est Robert Boyer, un modèle du genre.

8Ceci dit, rien n’empêche la mise en œuvre de principes généraux comme, par exemple, la réduction des inégalités sociales pour faire, de cette exigence, le vecteur de nouveaux modes de développement ; ou encore, la libération des entreprises de la dictature de la valeur actionnariale par la restauration du pouvoir de négociation des salariés ; ou enfin, la promotion d’un système socialisé du crédit. D’autres mesures en apparence plus techniques viennent compléter le tableau. Dans les banques, les rémunérations supérieures pourraient être basées sur les cash-flows et la comptabilité historique rétablie. Plus important nous apparaît être l’idée d’une interdiction totale des produits dérivés complexes, de gré à gré, et, pour les autres, les produits dérivés standards, d’un examen ex ante par un organisme public avec la mise en place de chambres de compensation. In fine, Robert Boyer évoque l’idée – à notre goût trop rapidement – que la sortie de crise passe par la réaffirmation de la monnaie et du crédit comme bien public, avec, comme corollaire, le retour de l’État-nation et du politique.

9On conclura par la méthode de l’ouvrage. Le texte s’adresse à des lecteurs certes avertis : chercheurs, étudiants, grand public informé, mais qui pourront bénéficier de l’immense talent pédagogique de l’auteur. L’ouvrage comprend en effet 26 tableaux et 41 figures dont la très grande majorité sont originaux. Le texte fait également l’effort de ne produire aucune formule mathématique, tant est grand le souci de Robert Boyer de partager ses connaissances et ses réflexions. Un vrai pari, à mon avis, gagné !

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Pour citer cet article

Référence électronique

François Morin, « Robert Boyer, Les financiers détruiront-ils le capitalisme ?, Economica, juillet 2011 »Revue de la régulation [En ligne], 11 | 1er semestre / Spring 2012, mis en ligne le 03 mai 2012, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/regulation/9736 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/regulation.9736

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Auteur

François Morin

Professeur émérite de sciences économiques à l’université de Toulouse, chercheur associé au LEREPS (Laboratoire d’études et de recherches sur l’économie, les politiques et les systèmes sociaux). Francois.Morin@univ-tlse1.fr

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