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Présentations de thèses

Héctor Labat Moles, Le capitalisme dominé par la finance après le « shadow banking » : Implications analytiques, d’instabilité financière et macroéconomiques

Héctor Labat Moles, Finance-dominated capitalism after shadow banking: analytical, financial-instability and macroeconomic implications
Héctor Labat Moles, El capitalismo dominado por las finanzas después de la banca en la sombra: análisis, inestabilidad financiera e implicaciones macroeconómicas.
Héctor Labat Moles

Résumés

Le terme « shadow banking » s’est répandu au lendemain de la crise financière mondiale, malgré l’absence d’une définition consensuelle. Les auteurs hétérodoxes ont adopté ce concept sans évaluation complète de ses implications. Cette thèse vise à réévaluer l’analyse du shadow banking dans la tradition hétérodoxe de la macroéconomie du capitalisme dominé par la finance sous trois angles : conceptuel, analytique et empirique. Premièrement, on revisite la littérature du shadow banking pour démontrer qu'il s'agit d'un terme polysémique et polymorphe en raison de son utilisation concurrente tant comme un rafistolage théorique que comme un périmètre réglementaire. Deuxièmement, on constate les inconvénients du shadow banking en tant que catégorie analytique du fait de sa polysémie, de son utilisation politique et de son incohérence avec la théorie hétérodoxe, et on propose un recadrage conceptuel. Finalement, on évalue empiriquement les implications macroéconomiques du shadow banking en s’appuyant sur le cas d’étude de l’Espagne (1998-2019), à l'aide de la méthodologie de la décomposition de la croissance tirée par la demande à supermultiplicateur.

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Texte intégral

Soutenue le 6 décembre 2022 à l’Université Sorbonne Paris Nord1

Sous la direction de

• Hélène Tordjman, Maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord

Et la codirection de

• Ricardo Summa, Professeur associé à l’Université Fédérale du Rio de Janeiro

• Yamina Tadjeddine, Professeure des universités à l’Université de Lorraine

Jury :

• Esther Dweck, Professeure associée à l’Université Fédérale du Rio de Janeiro

• Jonathan Marie, Maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord, président du jury

• Nicolas Piluso, Maître de conférences à l’Université Paul Sabatier Toulouse III, rapporteur

• Jean-François Ponsot, Professeur des universités à l’Université Grenoble Alpes, rapporteur

Question(s) de recherche

1Depuis la crise financière mondiale de 2007-2008, le shadow banking a fait l’objet d’une vaste littérature scientifique, en économie mais aussi en droit ou en sociologie, ainsi que de travaux des autorités de régulation et d’acteurs de marché. Le dynamisme de cette littérature est surprenant si l’on considère qu’il n’y a toujours pas de définition du shadow banking qui fasse consensus, quoiqu’une définition « officielle » ait été proposée par le Conseil de Stabilité Financière (CSF) en 2011. Sous le terme « shadow banking » on peut trouver une liste de phénomènes financiers très variée, englobant à la fois l’essor des activités (titrisation, opérations de pension, financement de marché…) et des acteurs (emprunteurs non-bancaires, fintechs, fonds d’investissement…), Cette liste diffère selon les auteurs, au point que l’on peut dire que le « shadow banking » est un terme polysémique. Il n’est donc pas possible de continuer à le concevoir comme une nouvelle forme de finance, mais plutôt comme une nouvelle catégorie multiforme d’analyse de segments du système financier. De plus, de nombreux experts rejettent le terme du fait de sa connotation péjorative qui renvoie à une nécessité de réglementation. C’est notamment le cas du même CSF qui, après avoir annoncé l’achèvement des principales réformes réglementaires en 2018, a requalifié le shadow banking comme de « l’intermédiation financière non-bancaire ». Tout cela n’a pas empêché le concept d’occuper une place importante dans de nombreuses analyses depuis 2007. Le shadow banking a ainsi pu être identifié comme étant à l’origine des problèmes d’arbitrage réglementaire et de risque systémique qui étaient au cœur de la crise, quand d’autres y voient une source de financement cruciale pour la reprise économique et d’amélioration de l’efficience du système financier. Au sein de deux écoles hétérodoxes qui ont massivement abordé le sujet – école régulationniste et école post-keynésienne – le shadow banking a été considéré comme une caractéristique structurelle du capitalisme dominé par la finance, dont le rôle est d’accommoder le système qui fait face à des tendances déstabilisatrices qui s’intensifient depuis les années 1980 (à savoir l’accroissement des inégalités, la chute de l’épargne des ménages et les faibles rendements du capital). En fait, on s’est très peu attaqué à la question fondamentale de comment définir le shadow banking et aux raisons pour lesquelles on ne parvient pas à une définition plus ou moins largement acceptée. Cela a contribué à invisibiliser des problèmes majeurs d’incohérence de la littérature : en croyant avoir un objet commun, les uns s’appuient sur les arguments, conclusions ou estimations de taille des autres, en dépit de référence à des objets différents. Chez les régulationnistes et post-keynésiens le problème est accentué par le fait que la caractérisation du shadow banking est problématique au regard de la place particulière qui est généralement accordée aux banques (ou au banking) en tant que créatrices de monnaie (Bouguelli, 2019). Ceci explique que, au niveau microéconomique, la recherche ait été riche mais conceptuellement désordonnée, tandis qu’au niveau macroéconomique elle se soit limitée à un seul phénomène parmi tous ceux englobés par le shadow banking : la titrisation suivant le modèle d’octroi puis cession (originate-to-distribute). Cette thèse part de cette problématisation pour réévaluer la manière dont le shadow banking bouleverse l’analyse du capitalisme dominé par la finance dans les traditions régulationniste et post-keynésienne — tant sur son utilisation comme nouvelle catégorie analytique (qui s’ajoute à celles de l’activité bancaire et de la finance de marché) que sur ses effets comme phénomène particulier sur le fonctionnement du système économique.

2On aborde cette question principale sous trois angles qui ciblent les lacunes de la littérature identifiées ci-dessus et qui structurent les trois parties de la thèse. Premièrement, on vise à montrer l’inconsistance de la littérature en termes d’objet : du point de vue conceptuel, on se demande ce qu’est le shadow banking, en s’attaquant au problème de définition et à ses causes. Deuxièmement, on cherche à corriger les effets pernicieux de l’importation de ce problème dans le cadre analytique de l’instabilité financière des écoles régulationniste et post-keynésienne. En particulier, on se questionne sur l’utilité du shadow banking en tant que catégorie financière dans les programmes de recherche régulationniste et post-keynésien, compte tenu des spécificités du concept (sa polysémie, son enjeu réglementaire et son absence dans ses théories) et en envisageant de possibles reformulations et recadrages conceptuels. Finalement, on vise à compléter l’analyse macroéconomique avec ces formes de shadow banking jusqu’alors négligées. On s’attaque à l’analyse empirique de l’ampleur relative des impacts macroéconomiques des différentes sources d’instabilité financière associées au shadow banking dans le cadre du capitalisme dominé par la finance.

Méthode

La thèse s’inscrit dans une démarche abductive visant à parvenir aux conclusions les plus plausibles étant donné les informations disponibles. On s’appuie sur des stratégies différentes pour répondre à chacune des trois sous-questions définies ci-dessous :

31. L’analyse conceptuelle du shadow banking est fondée sur une relecture de la littérature. Premièrement, on identifie les principales caractérisations du shadow banking à l’aide d’une approche sémantique originale qui consiste à concevoir le shadow banking comme un mot composé dont chaque caractérisation se résume à une combinaison spécifique de significations attribuées à chacun des deux éléments du terme : (i) banking, qui définit l’activité fondamentale et (ii) shadow, qui définit l’espace où le banking est pratiqué. On se concentre sur les 50 publications les plus citées (de 2007 à novembre 2021), qui constituent un échantillon représentatif de la littérature, lesquelles on examine manuellement pour identifier ces deux éléments, si possible dans la définition du sujet, ou dans sa description. Deuxièmement, on analyse si les principales caractérisations du shadow banking résultent de l’utilisation des différentes cadres théoriques. Pour cela, on s’appuie sur Lavoie (2014, p. 10-30) pour développer une taxonomie théorique de la littérature sur trois dimensions qui font objet des présupposés opposés (orthodoxes vs hétérodoxes) : (i) la théorie monétaire (intermédiation financière vs monnaie endogène), (ii) l’effet principal des transformations financières tirées par les acteurs privés (efficacité d’allocation vs instabilité) et (iii) le niveau d’analyse le plus important pour appréhender les risques financiers (microéconomique vs macroéconomique). Une fois les publications classifiées, on teste l’hypothèse avec deux démarches. D’une part, on examine si les particularités de chaque caractérisation du shadow banking sont indispensables pour les conclusions qui découlent de son analyse à l’aide de chaque approche théorique. D’autre part, on retrace la première publication de chacune de ces caractérisations, en se focalisant sur son affiliation théorique.

42. Pour évaluer l’utilité du shadow banking comme catégorie d’analyse hétérodoxe – régulationniste et post-keynésienne – du risque systémique (Keynes, 1936 ; Lavoie, 1984 ; Minsky, 1986 ; Aglietta, 1991), on pondère la pertinence stratégique du concept à la lumière des trois problèmes susmentionnés. Premièrement, on s’intéresse à la relation entre sa dimension analytique et sa dimension politique (l’enjeu de la caractérisation du shadow banking pour définir le nouveau périmètre réglementaire) : si c’est cette dernière qui domine, on peut s’attendre à ce que son utilité comme catégorie analytique soit mise en question une fois les réformes réglementaires achevées. On analyse cette relation pour chacun des groupes identifiés dans la catégorisation théorique de la littérature (i) en reconstruisant ses projets politiques respectifs pour déterminer si la catégorie « shadow banking » se confond avec le périmètre réglementaire défendu ou non, et (ii) en examinant s’ils retiennent le terme après la finalisation des réformes réglementaires. Deuxièmement, on analyse la possibilité de surmonter l’inadéquation du terme face à la caractérisation de l’activité bancaire défendue par les régulationnistes et les post-keynésiens. Finalement, on explore des options pour recadrer conceptuellement les différentes formes de shadow banking d’une façon plus cohérente.

53. L’analyse empirique de l’impact macroéconomique du shadow banking est développée à partir d’un cas d’étude : l’économie espagnole avant et après la crise financière mondiale (1998-2019). Premièrement, on mobilise le cadre théorique post-keynésien/régulationniste du capitalisme dominé par la finance, enrichi par l’analyse du shadow banking, pour examiner les principales transformations institutionnelles affectant la demande effective (changements du rapport salarial, libéralisation financière, introduction des règles fiscales…). Deuxièmement, on tire parti de cet exercice pour interpréter les résultats obtenus par l’application de la méthodologie de la comptabilité de la décomposition de la croissance tirée par la demande à supermultiplicateur (de Freitas & Dweck, 2013).

Résultats

Les principaux résultats de cette thèse sont les suivants :

61. « Shadow banking » est un terme polysémique et polymorphe : les principales publications de la littérature qui lui sont consacrées identifient quatre caractérisations du shadow banking. Elles définissent quatre catégories analytiques différentes qui délimitent quatre espaces différents du système financier, se chevauchant parfois, avec des tailles et évolutions diverses. Cette hétérogénéité peut être expliquée par l’utilisation du concept de shadow banking par certains auteurs comme un rafistolage de la théorie orthodoxe face à une anomalie (la crise financière mondiale), mais aussi afin de définir le périmètre réglementaire de la réforme post-2008. De ce fait, certains des économistes les plus alignés avec les présupposés théoriques orthodoxes (parmi lesquels Gary Gorton et Zoltan Pozsar), des régulateurs (notamment à travers le CSF), ont façonné la manière dont on conçoit le shadow banking et, par extension, les systèmes financiers contemporains, et sa recherche.

72. On peut observer, chez les principaux contributeurs à la littérature, une tendance à abandonner le terme « shadow banking » depuis l’annonce de l’achèvement des réformes réglementaires en 2018, qui peut s’expliquer par la primauté de l’utilisation du terme comme catégorie réglementaire. Comme résultat, les économistes hétérodoxes risquent de se trouver de plus en plus isolés à utiliser un concept dysfonctionnel comme catégorie analytique en raison de sa polysémie et qui va à l’encontre de certaines des postulats théoriques de nombre d’entre eux. Face à cela, je propose de retenir le terme shadow banking avec deux amendements majeurs. Premièrement, le redéfinir comme de « la création hors contrat social de monnaie soutenue par l’État », pour le rendre cohérent avec la fonction distinctive de création monétaire propre de l’activité bancaire. Deuxièmement, recadrer les différentes formes d’instabilité jusqu’ici englobées par le shadow banking comme un ensemble d’amplificateurs des sources basiques d’instabilité financière, clairement définis et séparément libellés.

83. L’étude du cas espagnol révèle qu’au niveau macroéconomique ces amplificateurs de l’instabilité financière peuvent avoir un effet plus significatif par le biais des dépenses publiques qu’à travers la demande privée. Ces impacts macroéconomiques de la finance sur le secteur public restent moins étudiés. On identifie deux canaux. Premièrement, l’effet des bulles immobilières tirées par le crédit sur les revenus fiscaux des États contribue à des marges de manœuvre budgétaires plus procycliques. Deuxièmement, l’intensification de la pression des marchés financiers (ou des institutions internationales ou monétaires qui facilitent le financement de marché de l’État) sur des dépenses publiques par l’effet d’amplification de l’instabilité de liquidité des opérations de pension (repos).

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Bibliographie

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Notes

1 La thèse a été rédigée en anglais et soutenue en hybride en anglais et français.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Héctor Labat Moles, « Héctor Labat Moles, Le capitalisme dominé par la finance après le « shadow banking » : Implications analytiques, d’instabilité financière et macroéconomiques »Revue de la régulation [En ligne], 35 | 2nd semestre|Autumn 2023, mis en ligne le 22 décembre 2023, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/regulation/23403 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/regulation.23403

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